CA Rennes, 7e ch., 22 octobre 2003, n° 02-01773
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Le Pape (Consorts)
Défendeur :
Basilic (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Laurent
Conseillers :
M. Garrec, Mme Lafay
Avoués :
SCP Castres Colleu & Perot, SCP d'Aboville, de Moncuit Saint-Hilaire & Le Callonnec
Avocats :
SELARL Coroller-Bequet, Me Perreau
I- CADRE DU LITIGE :
A- OBJET
Action en résiliation de bail commercial engagée par les consorts Le Pape, bailleurs de locaux situés à Quimper, 3, rue de la Halle, contre la SARL Basilic étant reproché à celle-ci, acquéreur selon acte du 6 septembre 1989 d'un fonds de commerce à l'enseigne Cassiopée et cessionnaire du bail permettant l'exploitation des activités de vente de "vêtements-prêt à porter-gadgets-brocante", renouvelé pour 9 années à compter du 1er avril 1993, d'avoir :
- d'une part, au mépris de la clause de ce bail l'interdisant, donné le fonds de commerce en location à la SARL Elya avec effet du 1er février 1994, cette location devant être analysée, ce qui est source de la discussion principale entre les parties, comme une" sous-location" prohibée par la convention et non comme une " location-gérance", qualification retenue par les parties au contrat du 29 janvier 1994,
- d'autre part, d'avoir tardé à éteindre la dette de loyers issue d'un jugement du juge des loyers commerciaux du Tribunal de grande instance de Quimper en date du 8 décembre 1995 qui fixait à compter du 1er avril 1993 le prix du nouveau bail selon la valeur locative déterminée à dire d'expert.
Cette action étant fondée sur l'article 1184 du Code civil et tendant au prononcé de la résiliation du bail, la SARL Basilic réplique qu'elle se heurte à la prescription de 2 ans édictée par l'article L. 145-60 du Code de commerce pour n'avoir pas été engagée avant le 24 janvier 1996, soit dans les 2 ans de la signature de la convention de location-gérance.
Quant au fond, la SARL Basilic, qui souligne que ladite convention a été résiliée dès le mois de décembre 1995, réfute point par point la pertinence des indices avancés par les poursuivants pour prouver l'inexistence concrète d'une location-gérance et la seule cession du droit au bail dans le cadre d'une sous-location consentie en fraude des droits du bailleur.
B - DECISION DISCUTEE
Jugement du juge du Tribunal de grande instance de Quimper en date du 29 janvier 2002 qui a:
- débouté les consorts Le Pape de l'ensemble de leurs demandes
- les a condamnés à payer à la SARL Basilic 760 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
C - MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
M. Jean Le Pape et Mlle Sophie Le Pape ont relevé appel du jugement par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 5 mars 2002.
Ils ont signifié, et déposé au greffe de la cour le 28 février 2003, leurs ultimes conclusions d'appelants accompagnées de 2 bordereaux de pièces communiquées visant, au total, 26 documents.
La SARL Basilic a signifié, et déposé au greffe de la cour le 5 mars 2003, ses ultimes conclusions en réplique accompagnées d'un bordereau récapitulatif de pièces communiquées visant 26 documents.
II - MOTIFS DE LA DECISION
A- Sur la prescription de l'action au visa de l'article [L.] 145-60 du Code de commerce
Les consorts Le Pape ont assigné la SARL Basilic le 23 août 1996 afin d'obtenir le prononcé de la résiliation du bail aux torts de celle-ci pour violation de la clause du bail interdisant la sous-location et défaut de régularisation des loyers résultant du nouveau bail, tels que leur montant se déduisait de la décision du juge des loyers commerciaux du Tribunal de grande instance de Quimper du 8 décembre 1995.
L'action a donc été fondée sur l'article 1184 du Code civil et non sur la clause résolutoire réglementée par le décret du 30 septembre 1953.
Le moyen de prescription opposé par la SARL Basilic est, dans ce contexte, totalement inopérant étant de jurisprudence constante que l'action en paiement de loyers arriérés relève du droit commun des baux, tend à l'exécution des clauses contractuelles et n'est pas soumise à la prescription biennale (Cassation 3e chambre civile 5 octobre 1994 GP avril 1995 p. 51).
L'action tendant à voir reconnaître à la location-gérance du fonds de commerce le caractère d'une sous-location violant une clause contractuelle est de même nature et met en œuvre également l'article 1184 du Code civil.
Il s'ensuit qu'elle échappe pareillement à la prescription biennale.
Cette action n'est, par sa nature, pas soumise à une mise en demeure préalable, laquelle :
- aurait été inutile en l'espèce dès lors que la mise en location-gérance relevait du fait accompli le 24 janvier 1994, irréversible.
- a été délivrée, de fait, dans les termes de l'assignation susvisée qui vaut mise en demeure selon une jurisprudence tout aussi constante.
Ce second moyen est donc également dénué de pertinence.
Aucun commandement contenant rappel de la clause résolutoire ayant pour objectif de voir, dans le mois, constatée la résiliation du bail commercial n'ayant jamais été délivré et l'action n'étant, au demeurant, nullement fondée sur les dispositions de l'article L. 145-41 du Code de commerce, la SARL Basilic développe quant à la recevabilité de l'action ainsi fondée une argumentation dénuée d'objet et d'intérêt (en particulier page 3 I § 1, page 4 § 1 à 8 de ses dernières écritures).
Enfin, l'action n'est pas fondée sur l'article L. 145-16 du Code de commerce puisqu'elle ne vise pas, bien au contraire, à voir déclarer nulle la clause du bail qui réglemente les conditions de la cession ou de la sous-location, mise en location-gérance du fonds, mais s'appuie sur cette clause, dont la SARL Basilic ne discute pas la validité intrinsèque, pour donner corps à la thèse qu'elle défend selon laquelle le locataire aurait violé l'engagement contractuel.
Cette présentation du moyen de prescription ne peut donc autoriser davantage la SARL Basilic à soutenir que l'action est fondée sur une disposition du décret du 30 septembre 1953 et, comme telle, soumise à la prescription édictée par l'article L. 145-60 du Code de commerce.
B- Sur le Fond
1- Sur la nature réelle de la convention signée le 24 janvier 1994
Ainsi que la clause contractuelle le précise (bail du 29 mars 1984 p. 8) la sous-location est, de principe, interdite, la mise en location-gérance est permise, associée en ce cas à une sous-location "à condition que celle-ci soit un accessoire du contrat de gérance".
En d'autres termes la location-gérance ne doit pas être conçue comme le moyen d'échapper à l'interdiction de sous-louer mais comme la formalité qui doit, concrètement, permettre l'exécution du contrat de gérance.
En l'espèce, la discussion doit être poursuivie sur deux plans
- l'économie du contrat de location-gérance (1)
- le contexte de la mise en location-gérance (2)
1. Sur ce plan il convient de relever que la SARL Basilic n'a pas réellement consenti la gérance d'une entité économique, fonds de commerce, dont elle attendait la restitution intégrale à l'issue de la période de location-gérance.
La location-gérance est, en effet, conçue de telle manière que la clientèle, l'enseigne, les marchandises, soit ce qui fait le caractère commercial d'une gestion, sont abandonnés à la totale discrétion du locataire-gérant.
En effet, le contrat de location-gérance permet au locataire d'évincer l'enseigne, peu significative, "Basilic" pour lui substituer sa propre enseigne Balladine Couture (pièce 8 communiquée par l'intimée) laquelle est significative du projet de s'adresser à un autre segment de clientèle que celle du prêt à porter le plus commun.
Il s'agit pour la société Elya, spécialisée alors dans le commerce de détail de la chaussure, d'ouvrir un établissement secondaire, 3, rue de la Halle.
A cet égard, l'exigence du maintien de l'enseigne qui, vraisemblablement, n'était plus "Cassiopée" en 1994 puisque cette enseigne avait été reprise par les époux Isnardon (acte de cession du 6 septembre 1989 page 8, mention en marge et procès-verbal d'huissier de la veille 5/09/89 - forcément non probant communiqué par les consorts Le Pape) a été négociée puisque, de fait, la renonciation de la SARL Basilic à cette exigence résulte de la rature de trois lignes de texte contractuel page 5 de la convention de location-gérance.
Or, en changeant d'enseigne pour adopter une dénomination d'appel plus significative du "haut de gamme", segment de clientèle qui ne se confond pas avec le prêt à porter commun, le locataire et la SARL Basilic ne pouvaient ignorer que la clientèle du fonds ancien avait toute chance de se disperser et disparaître et ne pourrait être restituée dans les 3 ans.
Dans ce contexte, parfaitement compris des parties au contrat, la SARL Basilic a fait son affaire d'un stock de marchandises qui ne correspondait plus à la tonalité du commerce, en réalité substantiellement différent, qui allait ouvrir le 1er février 1994 : elle a demandé et obtenu l'autorisation, dès le 2 décembre 1993, de le liquider sur un mois entre le 10 décembre 1993 et le 10 janvier 1994.
A cet égard, il y a lieu de rectifier une erreur, incidente, des consorts Le Pape qui convient à leur thèse mais ne correspond pas à la réalité : il n'y a pas eu discontinuité d'exploitation dans le cadre d'une cessation progressive d'activité de la SARL Basilic "entre le 10 janvier 1993 et le 10 janvier 1994"; il y a eu liquidation sur un mois d'un stock dont la composition ne s'inscrivait pas dans le projet du locataire-gérant.
Finalement, il ressort des pièces communiquées que la location-gérance ne portait donc pas sur un fonds de commerce (clientèle-achalandage, enseigne-nom commercial marchandises) mais très directement, et principalement sur un emplacement (droit au bail sur un local déterminé) et sur un matériel, choses meubles aisées à adapter à la nouvelle orientation du fonds.
2. Le contexte :
Il est clairement établi par les pièces communiquées : il est exact que la SARL Basilic connaissait depuis 1991, soit deux ans après son entrée dans les lieux, un parcours difficile puisqu'elle communique elle-même des comptes de résultats simplifiés faisant apparaître des résultats d'exploitation négatifs au 31 décembre 1992 (- 99 511 F) au 31 décembre 1993 (- 32 379 F) avec un endettement de 260 798 F au 31 décembre 1992, de 277 904 F au 31 décembre 1993. (Bilan et comptes de résultat pièce 15).
Il est tout aussi clair que la cession du fonds sur un tel bilan, permise par le bail au successeur dans le commerce, pouvait difficilement être envisagée au prix de 420 000 F couvrant le passif de Mme Pellen, associé gérant.
Cependant, ce que traduit la convention de location-gérance du 24 janvier 1994 page 12, une sous-location "à l'essai" contre un loyer, substantiel au regard du montant du loyer principal fixé à 35 000 F/an l'année suivante par expertise, de 69 000 F par an pouvait se concevoir, destinée à déboucher sur une vente du fonds si la SARL Elya réussissait en 3 ans à s'implanter avec profit dans le local sur la base de sa propre démarche commerciale.
Le projet de cession du fonds à terme pour un prix couvrant le passif apparaît d'autant plus évident,
* que l'autorisation de liquider la marchandise a été donnée sur dénonciation d'une vente, terme repris par M. Joseph, Adjoint au Maire, dans sa lettre du 3 décembre 1993,
* qu'elle a été donnée avec cet objectif avant même que ne soit sollicitée, pour raison médicale cette fois, l'autorisation du juge dans le cadre de la loi du 20 mars 1956, laquelle l'a été sur la base de certificats médicaux des 11 et 12 janvier 1994 et non de l'année 1993 comme cela pouvait aussi se concevoir,
* qu'il s'est concrétisé finalement, comme convenu, deux ans plus tard, par le biais d'une cession de parts sociales intervenue au prix de 425 000 F (50 000 F valeur des parts - 375 000 F reprise du passif en compte courant de Mme Pellen, Acte du 29 novembre 1995 p. 6 et 8).
La résiliation au 31 décembre 1995 du contrat de location-gérance était, au surplus, facilitée par les relations familiales que révèlent les énonciations de la page 13 de ce dernier acte qui évoque que Mme Damian, gérant de la société Elya (locataire-gérant) est l'épouse de M. Robert Cayot, un des trois "représentants" du cessionnaire, SARL Basilic.
En dernière analyse il apparaît,
- que si la SARL Basilic n'était pas en cessation de paiement au 31 décembre 1993 sa situation de trésorerie et son développement commercial étaient compromis et appelaient la mise en œuvre d'un schéma quelconque de désengagement,
- que la cession n'était pas concevable dans le contexte de l'époque,
- que la location-gérance s'entendant de la poursuite de la même activité de vente de vêtements dans le même segment de clientèle n'était pas non plus le gage d'un redressement suivi de cession,
- qu'en tout cas, la solution envisagée n'a pas été celle d'une location-gérance du fonds à l'enseigne Basilic mais d'une sous-location de son emplacement,
- que si la location-gérance, fictive, a été créée puis résiliée, c'est pour réaliser l'objectif initial, l'artifice conventionnel créé étant, évidemment, un obstacle à la cession du fonds de commerce qui devait être anéanti dès le mois de décembre 1995 (extrait du RCS de février 1996),
- que cette cession, vu les circonstances, ne pouvait concerner le fonds antérieur, dissipé à partir du 1er janvier 1994 dans des activités autres allant jusqu'à la vente de vêtements pour enfants à partir du 1er janvier 1995 (pièce 17, page de titre : SARL Basilic Vêtements Enfants-Quimper-Exercice 1995), activité non prévue dans le bail principal,
- que la transmission des droits s'est donc faite par le biais d'une vente des parts sociales de la SARL Basilic au profit des associés du "locataire-gérant" SARL Elya,
- que la voie d'achèvement des conventions, conforme au projet initial, faisant disparaître l'enseigne Basilic par son assimilation avec l'enseigne Balladine Couture, propriété de la SARL Elya, marque en soi non pas la restitution du fonds de commerce par le locataire gérant, mais son absorption, disparition complète,
- qu'il ne peut certes être fait grief à la SARL Elya d'un changement de fournisseurs dans le cadre d'un contrat de location-gérance réel,
- qu'il doit être constaté cependant que ce n'est pas un changement de fournisseurs qui est intervenu, mais un changement de segment de clientèle emportant, accessoirement, la modification des sources d'approvisionnement.
Le contrat de mise en location-gérance signé par la SARL Basilic le 29 janvier 1994 devant être appréhendé comme une sous-location des espaces commerciaux donnés à bail par les consorts Le Pape en vue d'une cession de droits ultérieure, le contournement délibéré de la clause contractuelle visée page 8 du bail du 29 mars 1989 constitue une faute grave de nature à justifier la résiliation dudit bail, observation faite que cette sous-location, loin d'intervenir comme la formule propre à permettre la mise en œuvre harmonieuse du contrat de location-gérance, a ignoré cet objectif et s'est inscrite comme le préalable nécessaire à la cession du bail à un successeur.
3. Sur la résiliation du bail pour non-régularisation des loyers
L'infraction est reconnue par la SARL Elya.
Sans doute est-elle ancienne mais il n'en reste pas moins que réglant, malgré un procès préalable devant le juge des loyers commerciaux, procès perdu le 8 décembre 1995, l'arriéré de loyers (35 000 UCF environ) en septembre 1998, la SARL Basilic a doublement justifié la sanction actuellement revendiquée par les consorts Le Pape :
- d'une part, elle a tardé 3 ans à payer une dette dont elle pouvait toujours demander le cantonnement si elle s'estimait en droit d'en contester le montant et a ainsi forcé les consorts Le Pape à, passant outre leurs simples réserves initiales, engager la procédure de résiliation pour le double motif analysé aux termes du présent arrêt.
- d'autre part, elle n'a pas même cru devoir, à réception de cette assignation, éteindre la dette, préférant la discuter devant le juge de l'exécution qui a tenu sa démarche pour dilatoire (décision du juge de l'exécution du 5 juin 1997 la condamnant au paiement de 1 000 F de dommages-intérêts pour résistance abusive et 3 000 F à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile).
Dans ce contexte c'est un manquement caractérisé aux engagements contractuels, réitéré, persistant et de mauvaise foi, que la cour doit constater rendant dès lors légitime la demande de résiliation de bail formée pour ce motif par les appelants.
Le jugement déféré est donc infirmé et il est fait droit aux demandes des consorts Le Pape dans les limites qui sont ci-après énoncées au chapitre dispositif de l'arrêt.
Perdant sur le recours des consorts Le Pape, la SARL Basilic leur paiera la somme de 1 500 euro à titre de contribution aux frais irrépétibles par eux engagés pour poursuivre la procédure devant la cour et sera déboutée de sa propre demande ayant même fondement.
III- DECISION
LA COUR, - Infirme le jugement déféré.- Statuant de nouveau,- Déclare la poursuite en résiliation de bail engagée par M. Jean Le Pape et Mme Sophie Le Pape recevable comme non soumise à la prescription de l'article L. 145-60 du Code de commerce.- La déclare également fondée.- Prononce la résiliation du bail consenti à la SARL Basilic par les consorts Le Pape, renouvelé avec effet du 1er avril 1993 et à ce jour prorogé, concernant les locaux situés 3, rue de la Halle à Quimper, ce aux torts de la SARL Basilic.- Dit que la SARL Basilic devra libérer les locaux dans les 3 mois du prononcé du présent arrêt, sous astreinte de soixante quinze euro (75 euro) à compter du 91e jour et pendant 4 mois, délai à l'issue duquel les consorts Le Pape sont autorisés à poursuivre son expulsion, au besoin avec le concours de la force publique.- Condamne la SARL Basilic à payer aux consorts Le Pape: à compter du prononcé du présent arrêt, une indemnité d'occupation égale à quatre cent cinquante euro (450 euro) par mois jusqu'à la libération complète des locaux avec remise des clefs. mille cinq cents euro (1 500 euro) par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.- Déboute la SARL Basilic de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.- La condamne aux dépens de première instance et d'appel; autorise la SCP Castres-Colleu-Perot à les recouvrer par application de l'article 699 du Code de procédure civile.