CA Douai, ch. soc., 30 septembre 2005, n° 04-00094
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sifam (SARL)
Défendeur :
Leblond
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Huglo
Conseillers :
MM. Guilbert, du Rostu
Avocats :
Mes Renucci, Dhorne
Faits, procédure et prétentions des parties
Monsieur Jean-Pierre Leblond a été engagé le 25 avril 2000 par la société Sifam en qualité de technico-commercial;
Par lettre en date du 26 décembre 2002 Monsieur Leblond a notifié à la société Sifam sa démission en invoquant les manquements de cette dernière à ses obligations contractuelles;
Le 7 janvier 2003 Monsieur Leblond a saisi le Conseil de prud'hommes de Saint-Omer pour voir consacrer la rupture de son contrat de son contrat de travail aux torts de son employeur ainsi qu'en paiement de diverses sommes et indemnités;
Par jugement en date du 30 décembre 2003 le conseil de prud'hommes a:
- dit que la rupture du contrat de travail est le fait de la société Sifam
- dit que Monsieur Leblond doit bénéficier du statut de VRP
- condamné la société Sifam à payer à Monsieur Leblond les sommes suivantes:
* 1 093,73 euro à titre de rappel de salaire
* 10 000 euro à titre d'indemnité de clientèle
* 15 000 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
* 2 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
- débouté Monsieur Leblond du surplus de ses demandes
- débouté la société Sifam de sa demande reconventionnelle;
Le 2 janvier 2004 la société Sifam a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Vu les conclusions de la société Sifam en date des 10 septembre 2004 et 10 mai 2005 et celles de Monsieur Leblond en date du 7 avril 2005 ainsi que les observations développées oralement à l'audience par les parties qui ont repris leurs conclusions auxquelles il est renvoyé pour l'examen détaillé de leurs moyens et prétentions en cause d'appel;
Attendu qu'aux termes de ses conclusions et observations orales la société Sifam demande à la cour de débouter Monsieur Leblond de l'ensemble de ses demandes et de le condamner au paiement des sommes suivantes:
- 4 268,58 euro à titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis
- 50 000 euro à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence
- 2 500 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
ainsi qu'à la restitution des sommes perçues au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence en faisant essentiellement valoir que l'emploi et les fonctions exercées par le salarié ne lui permettent pas de bénéficier du statut de VRP, que les faits invoqués par le salarié à l'appui de sa démission ne sont pas démontrés, la démission n'étant en réalité motivée que par l'embauche du salarié par une entreprise concurrente alors même que ce dernier avait perçu la contrepartie financière de la clause de non-concurrence stipulée au contrat de travail;
Attendu qu'aux termes de ses conclusions et observations orales Monsieur Leblond demande à la cour de condamner son employeur au paiement des sommes suivantes :
- 40 000 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 4 272,22 euro à titre de commissions
- 566 euro au titre des heures supplémentaires
- 20 471,70 euro à titre d'indemnité de clientèle
- 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
en faisant essentiellement valoir que les dispositions contractuelles ainsi que ses fonctions impliquent qu'il doit bénéficier du statut de VRP, que les faits invoqués à l'appui de sa démission sont établis et caractérisent la rupture du contrat de travail pour des faits imputables à l'employeur laquelle s'analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Motifs de la décision
Sur le statut de VRP
Attendu que pour revendiquer le statut de VRP il appartient au salarié de justifier de la prospection d'une clientèle pour la prise d'ordre, de l'exercice exclusif et constant de l'activité de représentant, de l'absence d'opérations commerciales à titre personnel, d'un secteur géographique déterminé, des produits à commercialiser et des bases de rémunérations; que la qualification donnée à leurs rapports par les parties ne peut prévaloir sur les conditions réelles d'exercice de l'activité de représentation;
Attendu qu'il résulte des éléments versés aux débats et plus particulièrement du contrat de travail initial intervenu entre les parties le 19 avril 2000 ainsi que des avenants à ce contrat de travail en date des 13 juin 2000 et 15 septembre 2001 que si à l'origine des relations contractuelles Monsieur Leblond s'est vu confier la vente de produits déterminés de la société Sifam exclusivement auprès des magasins spécialisés, concessionnaires et mécaniciens auto sur les départements 02, 08, 59, 60, 62, et 80 moyennant une rémunération fixe de 6 881,68 F brut et une commission sur ventes directes et indirectes de 4 % il n'avait cependant aucune obligation de prendre des ordres directs auprès de la clientèle visitée laquelle adressait directement ses commandes à la société Sifam; que la prise d'ordre auprès de la clientèle constitue une condition essentielle d'application du statut de VRP;
Attendu qu'il était également stipulé au contrat de travail initial que le secteur attribué pouvait être modifié en fonction des besoins de l'entreprise, ce qui a bien été le cas en l'espèce l'avenant au contrat de travail en date du 15 septembre 2001 ajoutant aux départements du secteur d'origine les départements 76 et 77; que par ce même avenant la rémunération fixe du salarié était portée à 14 000 F brut auquel était ajoutée une prime en fonction du chiffre d'affaire, tous éléments acceptés par le salarié ainsi qu'il résulte de sa signature portée sur les avenants et qui ne sont au demeurant pas contestés ; qu'il s'ensuit que l'aspect variable de la rémunération du salarié a pour l'essentiel disparu;
Attendu que compte tenu de ces éléments la cour estime, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges que Monsieur Leblond ne peut prétendre au statut de VRP ; qu'il convient en conséquence de réformer sur ce point le jugement déféré ;
Sur la rupture du contrat de travail
Attendu que la prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail pour des faits imputables à son employeur s'analyse comme un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à la condition que la preuve des manquements de l'employeur soit rapportée; qu'à défaut la rupture du contrat de travail s'analyse comme une démission;
Attendu qu'en l'espèce la lettre de démission de Monsieur Leblond en date du 26 décembre 2002 est ainsi libellée:
"Considérant, en vertu de l'article L. 751-7 du Code du travail infra 4 et 5 : rompt le contrat l'employeur qui fait concurrence à son représentant (Soc. 26 oct. 1964); l'employeur ne peut sans l'accord de son représentant, établir un réseau de vente concurrent, même si les ventes s'exercent par d'autres filières (Soc. 22 janv. 1976, Bull. civ. V, p. 38).
Vos actes de concurrence déloyale en ayant créé, avec la société CMCA basée à Saint-Quentin un réseau de distribution parallèle des produits portant votre marque, réputés être vendus par moi-même, en vertu de l'exclusivité stipulée par le contrat de travail initial et non modifié par l'avenant, dans un secteur géographique lui aussi concédé par le contrat initial.
Considérant votre absence de démenti lorsque je vous les ai rapportés, par mon courrier recommandé en date du 27 septembre 2002, et donc votre absence de volonté d'y mettre fin, toujours dans le respect du contrat de travail qui nous lie.
Considérant ne pas avoir reçu tous les salaires et ou éléments de salaire qui m'étaient dus.
Considérant également votre sujétion de plus en plus pressante injustifiée sauf à l'intention de nuire, peu en rapport avec les attributions de mon poste.
J'ai le regret de vous signifier, par la présente, ma démission et de demander, par l'intermédiaire de mon conseil, la requalification à vos torts et griefs, de la rupture de mon contrat de travail à la date du 27 septembre 2002.
Je considère être libéré du préavis convenu, puisqu'il prenait naissance au moment de la constatation des faits qui vous ont été relatés par mon courrier du 27 septembre 2002 ";
Attendu qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve des manquements de son employeur tels qu'énoncés dans la lettre de démission;
Attendu que s'agissant de la création par l'employeur d'un réseau concurrent de vente des produits confiés en exclusivité au salarié aucun élément démonstratif de cette situation concernant la société CMCA n'est versé aux débats par le salarié ; qu'en ce qui concernerait la vente des produits auprès des grossistes en batteries il y lieu de retenir que le contrat de travail ne concerne pas la vente de ces produits et que de surcroît la clientèle des grossistes est exclue de la clientèle à visiter ; qu'il s'ensuit que le motif invoqué par le salarié n'est pas démontré;
Attendu que s'agissant des salaires et accessoires qui n'auraient pas été payés au salarié il convient tout d'abord de relever que le salarié ne précise pas en quoi ont consisté les manquements de l'employeur pas plus que ne sont précisés les montants qui seraient dus ; que c'est seulement à l'occasion de la procédure que Monsieur Leblond a sollicité le règlement des sommes suivantes:
- 345,88 euro au titre des commissions impayées sur les mois de mai et août 2001
- 53,81 euro au titre d'un rappel de commissions sur les mois de mai et août 2001
- 2 348,04 euro à titre de rappel de prime sur les années 2001 et 2002;
- 566 euro représentant 5 jours de repos compensateurs
Attendu qu'il résulte des éléments versés aux débats par le salarié que préalablement à sa lettre de démission du 26 décembre 2002 aucune réclamation de cet ordre n'a été adressée à l'employeur alors que par ailleurs les prétentions de Monsieur Leblond ont trait à des produits ou à un chiffre d'affaire portant sur des produits commercialisés par la société Sifam dont il n'avait pas la responsabilité de la vente; qu'il ne peut donc prétendre à un rappel sur commissions pas plus qu'à un rappel sur prime;
Attendu que Monsieur Leblond sollicite le règlement de 5 journées de repos compensateurs sans s'expliquer sur le nombre d'heures supplémentaires qu'il aurait réellement effectuées et qui lui ouvrirait le droit à un repos compensateur ; qu'il appartient au salarié d'étayer sa demande ce qu'en l'espèce il ne fait pas;
Attendu qu'il s'ensuit que le motif invoqué par le salarié n'est pas démontré;
Attendu que s'agissant de la sujétion de plus en plus pressante de l'employeur, outre le fait que cette motivation est pour le moins imprécise, il résulte des correspondances échangées entre les parties dans les jours qui ont précédé la démission que l'employeur n'a fait qu'inviter le salarié à respecter les clauses de son contrat de travail ainsi que de respecter les directives qui lui avaient données quant aux visites à effectuer auprès de la clientèle notamment en ce qui concerne les départements 76 et 77; que le salarié n'est donc pas fondé à remettre en cause le pouvoir de direction de l'employeur et il s'ensuit que ce motif n'est pas démontré;
Attendu qu'il sera au surplus retenu que Monsieur Leblond a été engagé le 6 janvier 2003 par la société CK Diffusion en qualité de VRP multicartes sur un secteur identique à celui qui était le sien en application des dispositions contractuelles, situation qui n'est pas contestée par le salarié;
Attendu que compte tenu de ces éléments la cour estime, contrairement à ce qu'ont décidé les premiers Juges, que le salarié ne rapporte pas la preuve de faits imputables à son employeur et que la rupture du contrat de travail est la conséquence de sa démission;
Attendu qu'il convient en conséquence de réformer le jugement déféré et de débouter Monsieur Leblond de ses demandes relatives:
- au rappel sur commissions
- au rappel sur prime
- aux repos compensateurs
- aux dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le jugement déféré étant sur ces points réformé,
Sur l'indemnité de clientèle
Attendu que Monsieur Leblond ne pouvant prétendre au statut de VRP, il doit être débouté de sa demande au titre de l'indemnité de clientèle ; qu'il convient en conséquence de réformer sur ce point le jugement déféré;
Sur les dommages et intérêts pour non-exécution du préavis
Attendu qu'il résulte de la lettre de démission du salarié en date du 26 décembre 2002 qu'il s'est dispensé d'effectuer le préavis de deux mois dont il était débiteur au motif que les effets de sa démission ont pour point de départ le 27 septembre 2002 date à laquelle il a demandé à l'employeur de s'expliquer sur la vente de produits venant en concurrence avec ceux dont il avait la charge de la vente;
Attendu qu'une démission ne peut prendre effet qu'à la date où le salarié a clairement et sans équivoque exprimé sa volonté de démissionner; qu'en l'espèce cette manifestation de volonté ne peut résulter que de la lettre en date du 26 décembre 2002 et que ce fait Monsieur Leblond est bien débiteur envers son employeur d'un préavis de deux mois;
Attendu qu'il convient en conséquence de faire droit à la demande la société Sifam et de condamner Monsieur Leblond au paiement de la somme de 4 268,58 euro à titre d'indemnité pour non-respect du préavis;
Sur la clause de non-concurrence
Attendu que bien que saisi par la société Sifam d'une demande de dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence le conseil de prud'hommes n'a pas statué sur cette demande;
Attendu qu'il résulte de l'article 8 du contrat de travail intervenu entre les parties le 19 avril 2000 que pendant une durée d'une année sur le secteur mentionné au contrat Monsieur Leblond s'interdit de s'installer à son compte ou de travailler pour une entreprise concurrente de façon directe ou indirecte ; qu'en exécution de cette interdiction Monsieur Leblond bénéficiera d'une contrepartie pécuniaire de 1/3 de mois de salaire calculée en prenant la moyenne mensuelle des douze derniers mois après déduction dés frais professionnels;
Attendu qu'il n'est pas discuté par le salarié que par suite de sa démission l'employeur n'a pas dénoncé la clause de non-concurrence dans le délai de 30 jours prévu au contrat de travail; qu'il est établi et au demeurant non discuté qu'ayant démissionné de son emploi le 26 décembre 2002 Monsieur Leblond a été engagé le 6 janvier 2003 par la société CK Diffusion en qualité de VRP multicartes sur un secteur identique à celui résultant de son contrat de travail avec la société Sifam ; que la société CK Diffusion diffuse et vend des produits entrant directement en concurrence avec ceux de la société Sifam;
Attendu qu'il n'est pas discuté que Monsieur Leblond a perçu pendant la durée d'une année la contrepartie financière de la clause de non-concurrence; qu'il lui appartient dans ces conditions d'en assurer le remboursement à son employeur dès lors qu'il a contrevenu à la clause; que cependant il n'appartient pas à la cour de chiffrer cette demande et il y a lieu en conséquence d'ordonner la réouverture des débats;
Attendu que la société Sifam ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle allègue et il convient en conséquence de la débouter de sa demande;
Sur les demandes au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Attendu qu'il y a lieu de faire application au profit de la société Sifam des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de lui allouer à ce titre une indemnité de 800 euro pour l'ensemble de la procédure;
Par ces motifs, Réforme en toutes es dispositions le jugement déféré; Et statuant à nouveau, Dit que Monsieur Jean-Pierre Leblond ne peut prétendre au statut de VRP; Dit que la rupture du contrat de travail est la conséquence de la démission de Monsieur Jean-Pierre Leblond; Déboute Monsieur Jean-Pierre Leblond de l'ensemble de ses demandes; Déboute la société Sifam de sa demande de dommages et intérêts; Condamne Monsieur Jean-Pierre Leblond à payer à la société Sifam les sommes suivantes : - 4 268,58 euro (quatre mille deux cent soixante huit euro cinquante huit centimes) à titre d'indemnité pour non-respect du préavis - 800 euro (huit cents euro) au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Ordonne la réouverture des débats et renvoie la cause et les parties à l'audience du 7 mars 2006 à 14h salle n° 3 pour que la société Sifam justifie du montant des sommes qu'elle a versées à Monsieur Leblond en contrepartie de l'exécution de la clause de non-concurrence; Réserve les dépens.