CA Lyon, 3e ch. civ., 27 octobre 2005, n° 03-06206
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ferretti
Défendeur :
DS Ingegneria Srl (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Flise
Conseillers :
M. Santelli, Mme Miret
Avoués :
SCP Baufume-Sourbe, Me Morel
Avocats :
Mes Bonsirven, Cocchiello
Exposé du litige - procédure - prétentions des parties
Monsieur Maxime Ferretti a conclu avec la société de droit italien DS Ingegneria trois contrats d'agence successifs en date des 22 décembre 1999, 16 janvier 2000 et 1er mars 2000 d'une durée respective de 2 ans, 1 an et 4 ans.
Le litige entre les parties est né à la suite de l'envoi par la société DS Ingegneria d'un courrier de résiliation en date du 4 avril 2001.
Par jugement en date du 24 octobre 2003, le tribunal de commerce a dans ses dispositions principales :
dit que Monsieur Maxime Ferretti avait satisfait à ses obligations contractuelles
jugé que le contrat d'agence était à durée indéterminée
constaté la régularité de la rupture intervenue à l'initiative de la société DS Ingegneria
condamné la société DS Ingegneria à payer à Monsieur Maxime Ferretti une somme de 105 000 euro en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce une somme de 5 424,90 euro au titre du solde du forfait "marketing" prévu par l'article 4 du contrat d'agence
débouté Monsieur Maxime Ferretti de ses autres demandes qui tendaient notamment à l'obtention des commissions dues jusqu'au terme du contrat ainsi qu'à l'obtention d'une année de commissions en application de l'article 9 du contrat
débouté la société DS Ingegneria de sa demande reconventionnelle de remboursement d'une somme de 31 200 euro.
Monsieur Maxime Ferretti a interjeté appel de cette décision le 28 octobre 2003.
Dans ses dernières écritures qu'il a déposées le 7 juin 2005 et qui sont expressément visées par la cour, Monsieur Maxime Ferretti conclut à l'infirmation du jugement entrepris.
Il reproche au tribunal de commerce d'avoir requalifié le contrat conclu le 1er mars 2000 pour une durée de 4 ans.
Il soutient :
que ce contrat d'une durée déterminée ne pouvait être rompu qu'en cas de faute grave
que la preuve d'une faute grave n'est pas rapportée par la société DS Ingegneria qui a, au contraire, manifesté à plusieurs reprises sa satisfaction, et qui a imposé à son agent une mission anormalement difficile
que les objectifs fixés par le contrat ont été remplis et que la rupture unilatéralement imposée par la société DS Ingegneria est particulièrement brutale et abusive.
Il se plaint de ne pas avoir obtenu de l'intimée les pièces nécessaires au calcul des sommes lui restant dues.
En proposant un chiffrage effectué selon lui à partir des chiffres d'affaires prévus dans les contrats de distribution ou à partir du chiffre d'affaires total de la société DS Ingegneria il réclame les sommes suivantes :
au titre des commissions dues jusqu'au terme du contrat : 1 080 762 euro ou, à tout le moins, 686 067 euro (outre 396 369 euro pour frais de réemploi)
en réparation de la cessation d'activité : 540 381 euro (1 080 762 euro / 2)
en application de l'article 9 du contrat : 270 190 euro (1 080 762 euro / 4)
au titre du solde du forfait : 15 499,70 euro
en réparation du préjudice consécutif à une rupture particulièrement abusive 100 000 euro
Il demande que les trois premières sommes soient assorties d'intérêts de retard à compter de la saisine du conseil des prud'hommes (qui s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce) et que la capitalisation de ces intérêts soit ordonnée.
Il sollicite l'application en sa faveur des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Dans ses dernières écritures, qui ont été déposées le 4 mai 2005 et qui sont expressément visées par la cour, la société DS Ingegneria, qui a interjeté appel incident, conclut à la réformation du jugement entrepris et au rejet de toutes les demandes présentées par Monsieur Maxime Ferretti.
Elle sollicite reconventionnellement :
la restitution d'une somme de 31 200 euro correspondant à un trop perçu au titre des commissions
l'application en sa faveur des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle approuve la requalification opérée par le tribunal.
Elle soutient que Monsieur Maxime Ferretti, en n'atteignant pas les objectifs contractuellement fixés, en faisant preuve de négligence dans l'exécution d'une mission qui lui imposait les obligations normales d'un agent commercial, et en commettant des indélicatesses, a commis une faute grave se trouvant à l'origine de la rupture des relations contractuelles entre les parties.
Elle estime de surcroît :
que la demande d'indemnité pour cessation d'activité n'a pas été formulée dans le délai prévu par l'article L. 134-12 du Code de commerce
que cette demande et celle fondée sur l'article 9 du contrat font double emploi;
Elle conteste enfin l'exactitude et la pertinence des chiffres retenus par Monsieur Maxime Ferretti pour calculer les sommes qui lui seraient dues.
Sur ce, LA COUR,
Attendu que les contrats en date des 22 décembre 1999 et 16 janvier 2000 n'ont pas été menés à leur terme ; que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 134-11 du Code de commerce ne trouvent pas, par conséquent, application en l'espèce;
Que le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu'il a requalifié en contrat à durée indéterminée le contrat conclu le 1er mars 2000;
Attendu qu'aux termes de l'article 3 de ce contrat la société DS Ingegneria donnait à Monsieur Maxime Ferretti "mandat d'exercer l'activité d'agent exclusif pour l'Europe, le Canada et les USA, à l'exception de l'Italie, avec obligation spécifique de sélectionner et de trouver de nouveaux clients...";
Qu'aux termes de l'article 3 intitulé "Objectifs", Monsieur Maxime Ferretti s'engageait à "trouver et conclure des accords avec au moins un pays européen tous les trois mois et un objectif d'au moins dix pays d'ici au 31 janvier 2001";
Attendu que Monsieur Maxime Ferretti établit que, pendant la durée de ce contrat, de nouveaux accords ont été conclus par la société DS Ingegneria avec des clients exerçant leur activité en Tchéquie, en Pologne, en Espagne, en Grande-Bretagne (Angleterre, Ecosse et Pays de Galles), en Allemagne, en Afrique francophone et en Suisse (pièces 46 - 47 - 48 - 49 - 50 et 51);
Que pour les autres pays énumérés dans ses écritures, il ne démontre pas que de nouveaux accords, dûment formalisés, aient été conclus entre le 1er mars 2000 et le 31 janvier 2001 ;
Attendu que l'absence de réalisation des objectifs clairement déterminés et acceptés dès l'origine par les deux parties constitue une cause légitime de la rupture du contrat d'agence;
Que cette rupture ne fait, par conséquent, naître au profit de Monsieur Maxime Ferretti aucune créance indemnitaire autre que celle prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce;
Attendu que Monsieur Maxime Ferretti justifie de l'envoi à la société DS Ingegneria d'un courrier recommandé en date du 10 octobre 2001 contenant une demande d'indemnité de cessation d'activité;
Que la fin de non-recevoir soulevée en défense doit, par conséquent, être écartée;
Attendu que la société DS Ingegneria ne rapporte pas la preuve d'une faute grave qui aurait été commise par Monsieur Maxime Ferretti et qui le priverait de cette indemnité;
Que le seul fait de ne pas avoir atteint les objectifs ou le fait, à le supposer établi, d'avoir eu un comportement indélicat bien après la rupture du contrat ne sont pas constitutifs d'une faute grave susceptible d'exclure l'application de l'article L. 134-12 du Code de commerce;
Que la preuve d'une attitude négligente de l'agent, qui ne peut être tirée simplement des résultats obtenus, n'est pas apportée par les factures et les documents comptables versés aux débats;
Que les nombreux documents rédigés en langue étrangère, qui sont versés aux débats sans être traduits, se trouvent dépourvus de valeur probante;
Attendu que la société DS Ingegneria n'a pas respecté l'obligation d'information que faisaient peser sur elle l'article 3 du décret du 23 décembre 1958 et l'article 7 du contrat;
Qu'elle n'a, en effet, jamais adressé à son agent des relevés précis et détaillés des commissions dues;
Attendu qu'en l'absence, en première instance comme en appel, de documents récapitulant de manière précise, d'une part les commissions dues par la société DS Ingegneria, d'autre part les commissions versées par elle, les premiers juges ont tenu compte du chiffre d'affaires de la société DS Ingegneria, de la durée du contrat, du caractère exclusif de la mission confiée et de l'étendue du secteur géographique attribué;
Qu'ils ont à partir de ces éléments fait de l'indemnité de cessation d'activité une évaluation qui apparaît exacte et qui doit être confirmée ;
Qu'en l'absence de tout justificatif des sommes susceptibles d'être réclamées par les services fiscaux (compte tenu du report d'un déficit antérieur) il n'y a pas lieu d'ajouter à cette indemnité des frais de réemploi ;
Attendu que l'indemnité allouée correspond à celle qui était prévue par l'article 9 du contrat;
Qu'il n'y a pas lieu à condamnation supplémentaire;
Attendu que les premiers juges ont à juste titre estimé que la société DS Ingegneria était redevable du forfait "marketing" jusqu'à la rupture du contrat;
Que, sur ce point encore, leur décision sera confirmée;
Attendu que la société DS Ingegneria, qui après avoir failli à son obligation d'information, se contente de produire des calculs unilatéralement effectués pour elle, n'établit toujours par la réalité de la créance d'un montant de 31 200 euro qu'elle allègue;
Que la décision des premiers juges doit, par conséquent, être également confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande reconventionnelle de la société DS Ingegneria;
Attendu que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.