CJCE, 3 février 1981, n° 90-79
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République française
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocat :
Me Collin
1. Par requête déposée au greffe de la Cour, le 5 juin 1979, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que la République française, en percevant des redevances sur l'importation des appareils de reprographie, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 12 et 113 du traité, ainsi que des dispositions du règlement n° 950-68 du Conseil, du 28 juin 1968, relatif au tarif douanier commun (JO L 172, p. 1), tel qu'il a été modifié par la suite et était en vigueur à la date de l'avis motivé adressé à la République française.
2. L'article 22 de la loi française des finances pour 1976, n° 75-1278 du 30 décembre 1975 (JORF du 31.12.1975, p. 13564), a institué une taxe, dénommée redevance sur l'emploi de la reprographie, perçue au taux de 3 %, sur les ventes et les livraisons à soi-même, autres qu'à l'exportation, d'appareils de reprographie, réalisées par les entreprises qui les ont fabriqués ou fait fabriquer en France ainsi que sur les importations des mêmes appareils. Un arrêté du 12 juillet 1976 (JORF du 17.7.1976, p. 4279) a déterminé la liste des appareils soumis au paiement de la redevance, qui comprend certaines machines à imprimer offset, les duplicateurs hectographiques et à stencils, les appareils photographiques spéciaux pour la copie de documents, les microlecteurs combinés avec un appareil de reproduction, les appareils de photocopie à système optique, les appareils de thermocopie et certains appareils de photocopie par contact.
3. Le même article 22 de la loi n° 75-1278 prévoit, en outre, l'institution d'une redevance sur l'édition des ouvrages de librairie perçue au taux de 0,20 %, à charge des éditeurs en raison des ventes, autres que les exportations, des ouvrages de toute nature qu'ils éditent.
4. Le produit de ces redevances est, toujours selon la même disposition, exclusivement affecté au Centre national des lettres et porté en recettes à un compte d'affectation spéciale intitulé 'fonds national du livre'. Ces redevances s'ajoutent aux autres ressources du fonds - notamment aux subsides - dont bénéficie le Central national des lettres, qui les consacre entre autres à subventionner la publication d'ouvrages de qualité, l'achat de livres tant français qu'étrangers par les bibliothèques et la traduction d'œuvres étrangères en français. Il ressort enfin du paragraphe II du même article 22 de la loi précitée que ces redevances sont assises, liquidées et recouvrées comme en matière de taxe sur la valeur ajoutée.
5. Il est constant que la généralisation du procédé de la reprographie pour la multiplication d'œuvres imprimées a pour effet de priver non seulement les auteurs, mais également les éditeurs, des avantages pécuniaires que leur assurent les législations nationales relatives aux droits d'auteur. La Commission, ainsi qu'elle l'a exprimé dans sa communication au Conseil du 22 novembre 1977, relative à l'action communautaire dans le secteur culturel (bulletin des Communautés européennes, supplément 6-77, p. 14), estime qu'il faudrait prévoir 'pour assurer de façon collective la rémunération à laquelle les auteurs, éditeurs et interprètes/exécuteurs sont fondés à prétendre... L'inclusion d'une certaine somme dans le prix de vente des appareils (photocopieuses, magnétophones, vidéo-recorders) et du matériel... qui est employé pour leur fonctionnement'.
6. Il est également constant que les redevances litigieuses ne bénéficient pas directement et individuellement aux auteurs et éditeurs dont les ouvrages sont ainsi reproduits. Le Gouvernement français fait toutefois valoir que l'affectation du produit de ces redevances à des fins telles que la diffusion du livre, que poursuit le Centre national des lettres, constitue une sorte de compensation collective qui corrige, fut-ce de manière partielle, le manque à gagner résultant pour les auteurs et éditeurs, de l'usage de plus en plus fréquent de la reprographie.
7. La Commission a été amenée à constater que la production française d'appareils de reprographie prise dans son ensemble était extrêmement réduite par rapport à l'ensemble des importations des mêmes appareils et elle en a conclu que la redevance litigieuse frappait, en réalité, uniquement des produits importés et qu'elle violerait dès lors l'article 12 du traité pour autant qu'il s'agit d'appareils de reprographie en provenance des autres Etats membres, et l'article 113 du traité, ainsi que les dispositions du tarif douanier commun, s'il s'agit d'appareils en provenance de pays tiers.
8. Le Gouvernement de la République française soutient, au contraire, que la redevance litigieuse ne constitue pas une taxe d'effet équivalant à un droit de douane visée aux articles 9, 12 et 13, mais une imposition intérieure visée à l'article 95 du traité et qu'elle satisfait aux exigences posées par cette dernière disposition en ce qui concerne l'interdiction de discrimination au détriment des produits importés des autres Etats membres.
9. Il résulte des investigations auxquelles les parties ont procédé en commun, à la demande de la Cour, et sur les résultats desquelles elles se sont mises d'accord, que la production nationale de l'ensemble des différents appareils de reprographie ne constitue qu'un faible pourcentage, s'élevant en valeur à environ 1 % pour chacune des années 1977, 1978 et 1979 de la valeur de la production totale - produits nationaux et importés - mise sur le marché français.
10. En ce qui concerne les constatations de fait qui sont à la base de la prise de position de la Commission, il y a lieu d'observer que le pourcentage dont il est question ci-dessus concerne l'ensemble de la production française d'appareils de reprographie. L'arrêté du 12 juillet 1976 énumère toutefois huit sortes différentes d'appareils, de telle façon qu'il n'est pas exclu - les parties n'ayant pas été en mesure de fournir des précisions à cet égard - que le pourcentage en question puisse être plus élevé pour certaines catégories de ces appareils.
11. La constatation du caractère extrêmement limité de la production française par rapport aux importations, qui parait correspondre à la réalité, même si l'on tient compte de la réserve ci-dessus exprimée, ne justifie pas pour autant les conclusions que la Commission en déduit quant à l'existence d'un manquement dans le chef de la République française.
12. Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour que l'interdiction édictée par les articles 9, 12 et 13 du traité, quant aux taxes d'effet équivalent, vise toute taxe exigée à l'occasion ou en raison de l'importation et qui, frappant spécifiquement un produit importé, à l'exclusion du produit national similaire, a pour résultat, en altérant son prix de revient, d'avoir sur la libre circulation des marchandises la même incidence restrictive qu'un droit de douane.
13. La caractéristique essentielle d'une taxe d'effet équivalant à un droit de douane, qui la distingue d'une imposition intérieure, réside donc dans la circonstance que la première frappe exclusivement le produit importé en tant que tel, tandis que la seconde frappe à la fois des produits importés et nationaux.
14. La Cour a toutefois reconnu que même une charge qui frappe un produit importé d'un autre Etat membre, alors qu'il n'existe pas de produit national identique ou similaire, ne constitue pas une taxe d'effet équivalent, mais une imposition intérieure au sens de l'article 95 du traité, si elle relève d'un régime général de redevances intérieures appréhendant systématiquement des catégories de produits selon des critères objectifs appliqués indépendamment de l'origine des produits.
15. Ces considérations font apparaitre que, même s'il fallait assimiler dans certains cas, en vue de la qualification d'une charge frappant des produits importés, l'hypothèse d'une production nationale extrêmement réduite à l'absence d'une telle production, il n'en résulterait pas pour autant que la redevance litigieuse devrait nécessairement être considérée comme une taxe d'effet équivalant à un droit de douane. Il n'en sera pas notamment ainsi si elle s'intègre dans un système général de redevances intérieures appréhendant systématiquement des catégories de produits selon les critères ci-dessus indiqués.
16. La Cour considère que les particularités de la redevance litigieuse conduisent à admettre qu'elle fait partie d'un tel régime général de redevances intérieures. Cela résulte en premier lieu de son insertion dans un mécanisme fiscal qui trouve son origine dans la brèche faite dans les systèmes légaux de protection des droits des auteurs et éditeurs de livres par la multiplication de l'usage de la reprographie et qui vise à soumettre, fût-ce indirectement, les utilisateurs de ces procédés à une charge compensant celle à laquelle ils devraient normalement être assujettis.
17. Cela résulte en second lieu de la circonstance que la redevance litigieuse forme un ensemble avec la redevance imposée par la même législation interne aux éditeurs de livres, ainsi que de la circonstance qu'elle frappe une série d'appareils de nature très différente et d'ailleurs classés sous diverses rubriques douanières, mais dont le trait commun est précisément qu'il sont tous destinés, à côté d'autres usages plus spécifiques, à être utilisés en vue de la reprographie.
18. Il découle de ces considérations que le manquement allégué n'est pas établi et que le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
19. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. En l'espèce, la partie requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
Déclare et arrête :
1°) le recours est rejeté comme non-fondé.
2°) la requérante est condamnée aux dépens.