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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 30 juin 2005, n° 04-04546

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

BMA (SAS)

Défendeur :

Moal, ITGS PR (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Raffejeaud (faisant fonction)

Conseillers :

Mme Valantin, M. Chapelle

Avoués :

SCP Bommart-Minault, SCP Fievet-Lafon

Avocats :

Mes Mayne, Vial

TGI Nanterre, 2e ch., du 17 mai 2004

17 mai 2004

La société MBA a pour objet la communication institutionnelle des entreprises et les relations avec la presse. Elle a été constituée le 24 avril 2001, le capital étant réparti entre Monsieur Moal (38 %), la société Bambuck et associés (37 %), Monsieur Jean-Louis Bambuck (20 %) et Mademoiselle Annabel Cohen (5 %). Monsieur Moal a été nommé président et Monsieur Bambuck directeur délégué.

Le 2 mai 2001, deux contrats de travail ont été conclus entre la société MBA et Monsieur Moal, lequel a été engagé d'une part en qualité de président, d'autre part en qualité de directeur commercial.

Le 19 décembre 2001, Monsieur Moal a cédé 133 actions à Madame Sophie Monet, soit 13,3 % du capital.

Le 3 avril 2002, à la suite d'un conflit entre le président et l'actionnaire majoritaire, l'assemblée générale de la société a révoqué Monsieur Moal de ses fonctions de président et a nommé à sa place Monsieur Bambuck.

Mis à pied le 30 juillet 2002, Monsieur Moal a été licencié pour faute lourde le 19 août 2002 et a introduit une procédure devant le Conseil de prud'hommes de Paris.

Le 20 novembre 2002, l'assemblée générale des actionnaires a exclu Monsieur Moal de la société, la valeur de rachat de ses 247 actions étant estimée à zéro.

Le 15 septembre 2002, Monsieur Moal a été embauché par la société ITGS-PR, créée le 5 août 2002 et développant une activité concurrente dans le secteur des communications.

Le 29 novembre 2002, l'assemblée générale de la société BMA a exclu Madame Cohen de la société.

C'est dans ces conditions que par acte des 25 et 26 avril 2002, la société BMA a fait assigner Monsieur Moal et la société ITGS-PR en concurrence déloyale sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

Elle demandait leur condamnation solidaire et avec exécution provisoire à lui payer les sommes de :

- 166 589 euro HT au titre de la perte de chiffre d'affaires causé par l'arrêt des contrats en cours d'exécution,

- 11 473 euro HT au titre de la perte de chiffre d'affaires causée par l'absence de facturation de prestations à certains clients,

- 208 006,88 euro HT au titre de la perte de chance de réaliser un chiffre d'affaires conforme à celui de l'exercice 2001,

- 100 000 euro à titre de trouble commercial,

- 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi que la publication de la décision à intervenir dans deux journaux spécialisés.

En défense, Monsieur Moal et la société ITGS-PR ont tout d'abord conclu au sursis à statuer dans l'attente d'une part de l'issue de la procédure prud'homale et d'autre part de la décision pénale sur la plainte avec constitution de partie civile qu'ils ont déposée pour faux témoignage et usage déposée auprès du doyen des juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Versailles. Sur le fond, ils ont conclu au débouté de la demanderesse et à sa condamnation à leur payer la somme de 10 000 euro pour procédure abusive et 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 17 mai 2004, le Tribunal de grande instance de Nanterre a rejeté la demande de sursis à statuer présentée par Monsieur Moal et la société ITGS-PR au motif d'une part qu'en ce qui concerne la procédure prud'homale, la demande n'avait pas été formée dans les premières conclusions, d'autre part qu'en ce qui concerne la plainte avec constitution de partie civile, il n'était justifié ni du dépôt de la plainte, ni de sa recevabilité, ni du versement d'une consignation.

Sur le fond, le tribunal a tout d'abord jugé que les faits reprochés à Monsieur Moal antérieurs à la rupture du contrat de travail relevaient de l'appréciation du conseil des prud'hommes et de sa compétence exclusive, et que seuls les faits postérieurs à la rupture du contrat pouvaient être examinés par le tribunal.

Le tribunal a tout d'abord jugé que Monsieur Moal n'était lié par aucune clause de non-concurrence et qu'aucune faute ne pouvait lui être reprochée pour avoir été embauché par la société ITGS-PR.

Le tribunal a également jugé que Mademoiselle Berché, attachée de presse, avait été embauchée le 5 septembre 2002 par la société IBD, société distincte de la société ITGS-PR, et qu'il ne pouvait lui être reproché d'avoir été mise à disposition de la société ITGS-PR par son employeur, lors d'un salon professionnel, pour assurer la communication de la société ITGS-Groupe.

Enfin le tribunal a jugé qu'aucun acte de détournement de clientèle ne pouvait être reproché aux défendeurs, quand bien même le chiffre d'affaires de la société BMA aurait baissé après la création de la société ITGS-PR.

Le tribunal a donc débouté la société BMA de ses demandes et les défendeurs de leurs demandes reconventionnelles en dommages et intérêts. Il a condamné la société BMA à payer à chacun d'eux une indemnité de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Appelante, la société BMA conclut à la réformation du jugement entrepris. Elle considère que les intimés se sont rendus coupables de concurrence déloyale et conclut à la condamnation de Monsieur Moal et de la société ITGS-PR à lui payer les sommes de 200 006,88 euro au titre de perte de chiffre d'affaires et 100 000 euro à titre de trouble commercial, outre une indemnité de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Au soutien de son appel, la société BMA indique les raisons pour lesquelles Monsieur Moal a été révoqué de ses fonctions de président, puis a été licencié pour faute lourde le 19 août 2002. Elle énumère et précise ensuite les agissements déloyaux qui lui sont reprochés et qui ont été commis tant avant qu'après la rupture de son contrat de travail, ce qui justifie selon elle, la compétence de la juridiction civile pour examiner l'ensemble des griefs qu'elle forme à l'encontre de Monsieur Moal.

La société BMA précise que contrairement à ce qu'a jugé la décision entreprise, Monsieur Moal était tenu par un engagement d'exclusivité résultant tout d'abord du pacte d'actionnaires du 24 avril 2001, selon lequel Monsieur Moal s'était engagé pour une période de 24 mois à compter de la signature des statuts à consacrer tous ses efforts au développement exclusif de la société BMA, et qu'à plusieurs reprises, Monsieur Moal a violé cette clause.

Elle ajoute ensuite que par son contrat de travail, Monsieur Moal s'était engagé à une obligation de discrétion, visant "notamment à protéger l'entreprise de toute concurrence déloyale, Bernard Moal s'interdisant de fournir, pendant la durée de son contrat de travail, et durant les 24 mois qui suivront sa fin, toute information sur l'entreprise, les sociétés qui lui sont affiliées, ou leurs clients qui pourrait favoriser une société tierce dont l'activité est concurrence de la leur."

La société BMA poursuit en faisant valoir que la société ITGS-PR, qui avait une parfaite connaissance des engagements de Monsieur Moal, s'est rendue complice de la violation de la clause d'exclusivité résultant du pacte d'actionnaires.

Elle développe enfin son argumentation sur le montant de son préjudice.

Intimés, Monsieur Moal et la société ITGS-PR concluent au sursis à statuer dans l'attente de la décision pénale à intervenir, et subsidiairement à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société BMA de ses demandes. Ils sollicitent la condamnation de la société BMA à leur payer la somme de 10 000 euro pour procédure abusive ainsi que 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Au soutien de leur demande de sursis à statuer, Monsieur Moal et la société ITGS-PR font valoir qu'ils ont déposé une plainte avec constitution de partie civile pour témoignage mensonger et usage de faux témoignage. Ils mettent en cause à cet effet une attestation produite par la société BMA, émanant de Monsieur Simony, selon laquelle Monsieur Moal aurait été licencié par son ancien employeur avec lequel il entretenait de mauvaises relations et à l'égard duquel il aurait eu un comportement déloyal, ce que Monsieur Moal conteste vigoureusement. Ils considèrent que la cour doit donc surseoir à statuer sur l'ensemble des demandes de la société BMA.

Sur le fond, les intimés s'opposent à la demande en réparation formée au titre de faits commis pendant l'exécution du contrat de travail et rappellent qu'elle relève que la compétence exclusive du conseil des prud'hommes, dont la décision a été frappée d'appel, la procédure étant actuellement pendante.

S'agissant des agissements déloyaux qui leur sont reprochés pour la période postérieure à la rupture du contrat de travail, les intimes rappellent tout d'abord que Monsieur Moal n'était lié par aucune clause de non-concurrence, et que Mademoiselle Berché, attachée de presse, a démissionné le 25 juillet 2002 avant le départ de Monsieur Moal, pour aller travailler à la société IBD, et non à la société ITGS-PR, si bien qu'aucune faute ne peut être reprochée à cette dernière société.

S'agissant de la baisse de 45 % du chiffre d'affaires dont fait état la société BMA, les intimés observent que la différence de résultats net provient essentiellement de l'entrée dans le capital de Madame Sophie Monet, gérante de l'agence Sophie Monet, qui s'est installée dans les locaux de la société BMA sans payer de loyer et a utilisé cette structure et son personnel pour développer son activité, la société BMA ayant organisé à son profit un transfert de l'ensemble de sa clientèle.

Les intimés contestent le détournement de clientèle qui leur est reproché et rappellent dans quelles conditions Monsieur Moal a été évincé en sa qualité d'actionnaire. Ils soulignent que la jurisprudence dont fait état la société MBA est sans rapport avec les faits de l'espèce et contestent enfin le préjudice allégué par cette société.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 avril 2005.

Au motif qu'elle n'avait pas eu connaissance des conclusions des intimés du 16 mars, la société BMA a conclu à la révocation de l'ordonnance de clôture et a signifié de nouvelles conclusions le 3 mai 2005 pour répondre à la demande de sursis à statuer formée par les intimés.

Sur quoi:

1) Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture:

Considérant qu'il s'est écoulé plus d'un mois entre la signification des conclusions des intimés et l'ordonnance de clôture.

Que l'appelante ne justifie d'aucune cause grave de nature à fonder sa demande en révocation de l'ordonnance de clôture.

Considérant qu'il y a donc lieu de rejeter la demande de révocation de l'ordonnance de clôture présentée par la société BMA.

2) Sur la demande de sursis à statuer:

Considérant que Monsieur Moal ne justifie pas du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile ni de la consignation.

Qu'au surplus, l'attestation visée par cette plainte est sans rapport avec les faits reprochés à Monsieur Moal et n'a aucune incidence sur l'issue du litige.

Qu'il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer pour ce motif.

3) Sur la demande en concurrence déloyale formée par la société BMA:

Considérant qu'un litige prud'homal oppose actuellement les parties pour des faits qui auraient été commis par Monsieur Moal pendant l'exécution de son contrat de travail.

Que le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Paris fait l'objet d'un appel, la procédure étant actuellement pendante devant la Cour d'appel de Paris.

Considérant que la cour de ce siège ne peut donc statuer sur les mêmes faits, la juridiction prud'homale ayant une compétence exclusive pour statuer sur les circonstances dans lesquelles il a été mis fin au contrat et sur les conséquences financières de la rupture.

Considérant qu'il n'est d'ailleurs pas allégué que les faits de facturations insuffisantes et autres avantages consentis à une partie de la clientèle auraient été commis par Monsieur Moal en sa qualité de président de la société BMA.

Considérant enfin, que la clause du pacte d'actionnaires que la société BMA interprète comme une clause d'exclusivité n'a pas été signée par cette société, laquelle ne peut donc s'en prévaloir.

Considérant en outre, qu'il n'est pas établi que Monsieur Moal ait effectué un apport en industrie lors de la constitution de la société MBA si bien que l'article 1843-3 alinéa 6 du Code civil n'est pas applicable.

Considérant que le contrat de travail ne contenait aucune clause d'exclusivité interdisant à Monsieur Moal d'être embauché par une entreprise concurrente à l'expiration de ses fonctions salariées, ni d'ailleurs aucune contrepartie financière à cette interdiction.

Considérant que seuls les faits postérieurs à la rupture du contrat de travail doivent donc être examinés afin de déterminer si, en l'absence de clause d'exclusivité, Monsieur Moal a manqué à son obligation de loyauté envers son ancien employeur et si la société ITGS-PR s'est rendue complice de ces agissements.

Considérant que Mademoiselle Berché a démissionné de la société BMA le 25 juillet 2002, soit antérieurement à la création de la société ITGS-PR, et a quitté effectivement la société BMA le 22 août 2002.

Considérant que si Mademoiselle Berché était effectivement présente au salon Interop sur le stand de la société ITGS-PR, ainsi qu'il résulte d'une sommation interpellative du 7 novembre 2002, il ressort des pièces communiquées que Mademoiselle Berché a été engagée entant que consultant en communication par la société International Business Développement (IBD) et non par la société ITGS-PR, et qu'il ne peut lui être reproché d'avoir participé ponctuellement à une manifestation commerciale à l'occasion de ses nouvelles fonctions.

Considérant que la société BMA, qui se plaint d'un transfert important de sa clientèle vers la société ITGS-PR, ne caractérise aucun acte précis et circonstancié de démarchage systématique des clients de la société BMA de nature à caractériser une concurrence déloyale imputable à Monsieur Moal et à la société ITGS-PR.

Considérant que la baisse de son chiffre d'affaires n'est pas davantage en soi la preuve d'une concurrence déloyale, et doit davantage être rapprochée de l'entrée dans son capital de Madame Sophie Monet et de sa nouvelle politique de gestion.

Considérant que la société BMA, qui n'invoque aucun élément nouveau en cause d'appel et se borne à citer des jurisprudences qui ne correspondent pas au présent cas d'espèce, sera donc déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour concurrence déloyale, ainsi qu'en ont décidé les premiers juges.

4) Sur les demandes reconventionnelles des intimés:

Considérant que Monsieur Moal et la société ITGS-PR n'établissent ni la faute qu'ils imputent à la société BMA, ni le préjudice dont ils demandent réparation.

Qu'ils seront donc déboutés de leurs demandes en dommages et intérêts pour procédure abusive.

5) Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant qu'une indemnité complémentaire totale de 1 500 euro sera allouée aux intimés sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, - Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture. - Rejette la demande de sursis à statuer présentée par Monsieur Moal et la société ITGS-PR. - Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. - Condamne la société BMA à payer aux intimés une indemnité complémentaire totale de 1 500 euro (mille cinq cents euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. - Condamne la société BMA aux dépens de l'instance, lesquels pourront être recouvrés directement par la SCP Fievet Lafon, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.