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Décisions

CJCE, 26 janvier 1993, n° C-112/91

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hans Werner

Défendeur :

Finanzamt Aachen-Innenstadt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Kakouris, Rodríguez Iglesias, Zuleeg, Murray

Avocat général :

M. Darmon

Juges :

MM. Mancini, Joliet, Schockweiler, Moitinho de Almeida, Grévisse, Díez de Velasco, Kapteyn, Edward

Avocat :

Me Giorgio Ferri

CJCE n° C-112/91

26 janvier 1993

LA COUR,

1 Par ordonnance du 10 janvier 1991, parvenue à la Cour le 15 avril suivant, le Finanzgericht Koeln (République fédérale d'Allemagne) a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, trois questions relatives à l'interprétation des dispositions de ce traité concernant le droit d'établissement et l'interdiction des discriminations en raison de la nationalité, en vue d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire de deux législations nationales prises en matière, l'une, d'impôt sur les revenus et, l'autre, d'impôt sur le patrimoine, qui traitent distinctement les contribuables, selon qu'ils résident ou non sur le territoire national.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Werner au Finanzamt Aachen-Innenstadt (l'administration des finances d'Aix-la-Chapelle) à propos des conditions relatives à l'assujettissement aux impôts figurant, d'une part, dans l'Einkommensteuergesetz (loi relative à l'impôt sur les revenus) et, d'autre part, dans le Vermoegensteuergesetz (loi relative à l'impôt sur le patrimoine).

3 En vertu de l'article 1er, paragraphe 1, sous 1), de l'Einkommensteuergesetz, les personnes physiques qui ont une résidence en République fédérale d'Allemagne ou y séjournent habituellement y sont assujetties à l'impôt sur l'intégralité de leurs revenus. Par contre, selon le paragraphe 4 du même article, les personnes physiques qui n'ont pas de résidence en Allemagne ou n'y séjournent pas habituellement ne sont assujetties à l'impôt que sur la partie de leurs revenus réalisée en Allemagne. Aux termes de l'article 49, paragraphe 1, sous 3), ces revenus de source allemande sont notamment ceux tirés d'un travail non salarié qui est ou a été exercé en Allemagne. Dans le cadre de l'assujettissement intégral, un barème préférentiel, dénommé "splitting tarif", est appliqué aux couples mariés. En outre, il est permis aux contribuables de déduire de leurs revenus imposables certaines dépenses, telles notamment que leurs cotisations aux assurances maladie, accident et responsabilité, au régime légal d'assurance vieillesse et à l'assurance chômage, leurs pensions alimentaires, une partie de l'épargne qu'ils ont constituée en vue d'une construction, l'impôt sur les cultes, certaines dépenses de formation professionnelle. Ces avantages sont refusés à ceux qui ne sont soumis qu'à un assujettissement partiel. De plus, ceux-ci se voient appliquer certains taux d'imposition différents.

4 Des dispositions analogues figurent dans le Vermoegensteuergesetz. Cette législation prévoit, en effet, en faveur des contribuables qui sont assujettis intégralement des abattements spéciaux notamment lorsque les époux sont imposés en commun ou lorsque des enfants sont imposés avec l'un d'eux. Ces avantages sont refusés à ceux qui ne sont que partiellement assujettis.

5 M. Werner, qui est de nationalité allemande, réside avec son épouse aux Pays-Bas depuis 1961. Ainsi qu'il résulte des observations des parties, il est titulaire des diplômes et des qualifications requises par la législation allemande pour exercer la profession de dentiste. Jusqu'au mois d'octobre 1981, il a exercé une telle activité en tant que salarié au sein d'un cabinet dentaire dont le siège était à Aix-la-Chapelle (République fédérale d'Allemagne). Ensuite, il s'est établi comme dentiste non salarié, toujours à Aix-la-Chapelle. Ses revenus proviennent exclusivement de cette activité.

6 Lors de l'établissement de l'impôt pour l'exercice 1982, le Finanzamt Aachen-Innenstadt a considéré que M. Werner devait être partiellement assujetti à l'impôt sur les revenus et à l'impôt sur le patrimoine, au motif qu'il ne résidait pas en Allemagne.

7 M. Werner qui entendait bénéficier du "splitting tarif" dans le cadre de l'impôt sur les revenus et des déductions dans le cadre de l'impôt sur le patrimoine a alors introduit auprès du Finanzamt Aachen-Innenstadt des réclamations en ce qui concerne ces deux impositions. Il a fait valoir que la législation fiscale allemande était contraire à l'article 52 du traité. Ces réclamations ont été rejetées par le Finanzamt. C'est dans ces conditions qu'il a introduit un recours devant le Finanzgericht Koeln.

8 Cette juridiction a estimé nécessaire de poser trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 7 et 52 du traité. Ces questions sont ainsi libellées:

"1) La portée de l'article 52 du traité CEE est-elle limitée à l'obligation du traitement national des ressortissants communautaires, ou comporte-t-il au-delà une interdiction des restrictions à la liberté d'établissement?

2) Dans l'hypothèse où l'article 52 du traité CEE interdit les restrictions à la liberté d'établissement, les désavantages fiscaux dus au fait que un contribuable réside dans un État membre des Communautés européennes (le Royaume des Pays-Bas) et acquiert la totalité ou la quasi-totalité (plus de 90 %) de ses revenus fiscaux dans un autre État membre (la République fédérale d'Allemagne)où il possède la totalité ou la quasi-totalité du patrimoine soumis à l'impôt sur le patrimoine, parce qu'il s'est établi professionnellement dans ce dernier pays et y exerce une activité non salariée, enfreint-il l'interdiction de toute restriction à la liberté d'établissement?

L'État membre dans lequel le contribuable exerce son activité professionnelle non salariée doit-il par conséquent le traiter comme un contribuable national?

3) Est-ce enfreindre l'interdiction de toute discrimination indirecte édictée à l'article 7 du traité CEE que de soumettre un ressortissant allemand remplissant les conditions de fait indiquées sous le point 2 ci-dessus, sur la base des dispositions du droit interne relatives à l'assujettissement partiel à l'impôt, à une charge fiscale nettement supérieure à celle d'un contribuable établi en Allemagne intégralement assujetti à l'impôt, toutes choses étant égales par ailleurs?"

9 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, de la réglementation applicable ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur le droit d'établissement

10 Il résulte du dossier que par ses première et deuxième questions, le Finanzgericht Koeln entend en réalité savoir si l'article 52 du traité fait obstacle à ce qu'un État membre frappe ses ressortissants, qui exercent leur activité professionnelle sur son territoire et qui y perçoivent la totalité ou presque de leurs revenus ou y possèdent la totalité ou presque de leur patrimoine, d'une charge fiscale plus lourde lorsqu'ils ne résident pas dans cet État que lorsqu'ils y résident.

11 La juridiction nationale explique à ce propos que la jurisprudence de la Cour l'amène à avoir des doutes sur la compatibilité avec l'article 52 du traitement fiscal distinct que l'Einkommensteuergesetz et le Vermoegensteuergesetz réservent aux résidents et aux non-résidents. A cet égard, elle s'appuie, tout d'abord, sur l'arrêt du 7 février 1979, Knoors (115-78, Rec. p. 399), pour considérer que M. Werner, dès lors qu'il s'est établi dans un pays autre que celui où il réside, se trouve dans une situation assimilable à celle de tous autres sujets bénéficiant des droits et libertés garantis par le traité. Invoquant ensuite l'arrêt du 8 mai 1990, Biehl (C-175-88, Rec. p. I-1779), elle estime que la privation d'avantages fiscaux restreint le droit d'établissement consacré par l'article 52. Enfin, elle relève que selon l'arrêt du 28 janvier 1986, Commission/France (270-83, Rec. p. 273), une inégalité de traitement dans l'exercice des droits conférés par le traité ne peut être justifiée ni par l'absence d'une harmonisation des dispositions législatives en matière fiscale ni par le respect d'une convention conclue avec un autre État membre, telle que, dans le cas d'espèce, la convention du 16 juin 1959, entre la République fédérale d'Allemagne et le Royaume des Pays-Bas, en vue d'éviter la double imposition dans le domaine de l'impôt sur les revenus et sur le patrimoine, ainsi que dans celui de divers impôts et à régler d'autres questions d'ordre fiscal (BGBl. 1960, II, p. 1781).

12 A titre liminaire, il convient de relever de profondes différences entre les circonstances à la base de cette jurisprudence et celles du cas de l'espèce au principal.

13 Il importe, tout d'abord, de relever qu'à la différence de M. Knoors, ressortissant néerlandais, qui entendait s'établir aux Pays-Bas en faisant valoir les qualifications professionnelles qu'il avait acquises dans un autre État membre, en l'occurrence la Belgique, M. Werner est un ressortissant allemand qui s'établit dans son État d'origine sur la base d'une qualification et d'une expérience professionnelles acquises dans cet État.

14 Ensuite, le cas de l'espèce au principal est également éloigné de celui qu'a eu à trancher la Cour dans l'arrêt Biehl, précité. En effet, M. Biehl était un ressortissant allemand qui se voyait appliquer une législation fiscale luxembourgeoise qui liait l'éventuel remboursement d'un trop-perçu d'impôt à un critère de résidence permanente sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et jouait dès lors plus particulièrement au détriment des contribuables ressortissants des autres États membres, alors que M. Werner est un ressortissant allemand qui reste soumis à la législation de l'État dont il est un ressortissant.

15 Enfin, les circonstances qui sont à la base de l'arrêt Commission/France, précité, sont également différentes. En effet, cette affaire avait pour origine l'application de règles fiscales distinctes à des sociétés, selon que leur siège social était situé en France ou dans un autre État membre, avec pour résultat que, pour ces dernières, le traitement était moins favorable que pour les sociétés établies en France. Aux termes de l'article 58 du traité, les sociétés constituées en conformité de la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de la Communauté, sont assimilées, pour l'application des dispositions du chapitre relatif au droit d'établissement, aux personnes physiques ressortissantes des États membres. Dans ce contexte, comme la Cour l'a rappelé dans cet arrêt (point 18), le siège au sens précité correspond pour les sociétés à la nationalité pour les personnes physiques. Or, le critère du traitement fiscal distinct figurant dans la législation incriminée par M. Werner réside non pas dans la nationalité des personnes physiques, mais dans le lieu de la résidence.

16 Il convient de souligner que M. Werner est un ressortissant allemand, qui a acquis en Allemagne ses diplômes et qualifications professionnelles, qui a toujours exercé son activité professionnelle dans ce pays et qui se voit appliquer la législation fiscale allemande. Le seul élément qui sorte du cadre purement national est le fait que M. Werner réside dans un État membre autre que celui où il exerce son activité professionnelle.

17 Dans ces conditions, il convient de répondre à la juridiction nationale que l'article 52 du traité CEE ne fait pas obstacle à ce qu'un État membre frappe ses ressortissants qui exercent leur activité professionnelle sur son territoire et qui y perçoivent la totalité ou presque de leurs revenus ou y possèdent la totalité ou presque de leur patrimoine, d'une charge fiscale plus lourde lorsqu'ils ne résident pas dans cet État que lorsqu'ils y résident.

Sur la discrimination

18 Par sa troisième question, le Finanzgericht Koeln vise à savoir si l'article 7 du traité fait obstacle à ce qu'un État membre frappe d'une charge fiscale plus lourde ses ressortissants exerçant une activité professionnelle sur son territoire lorsqu'ils ne résident pas dans cet État que lorsqu'ils y résident.

19 A cet égard, l'article 7 dispose notamment que dans le domaine d'application du traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu'il prévoit, est interdite toute discrimination exercée à raison de la nationalité.

20 Comme la Cour l'a dit dans l'arrêt du 9 juin 1977, Van Ameyde (90-76, Rec. p. 1091, point 27), l'article 52 du traité garantissant, dans le domaine du droit d'établissement, l'application du principe consacré à l'article 7 de ce traité, il s'ensuit que lorsqu'une réglementation est compatible avec l'article 52 elle l'est aussi avec l'article 7.

Sur les dépens

21 Les frais exposés par les Gouvernements belge, allemand, français, italien, portugais et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Finanzgericht Koeln, par ordonnance du 10 janvier 1991, dit pour droit:

L'article 52 du traité CEE ne fait pas obstacle à ce qu'un État membre frappe ses ressortissants qui exercent leur activité professionnelle sur son territoire et qui y perçoivent la totalité ou presque de leurs revenus ou y possèdent la totalité ou presque de leur patrimoine, d'une charge fiscale plus lourde lorsqu'ils ne résident pas dans cet État que lorsqu'ils y résident.