CA Orléans, ch. com., économique et financière, 30 juin 2005, n° 04-02374
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Gérard
Défendeur :
Méry
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Rémery
Conseillers :
Mme Magdeleine, M. Garnier
Avoués :
SCP Laval-Lueger, Me Daudé
Avocats :
SCP Pichard-Devémy-Karm, SCP Hervouet-Chevallier
Madame Gérard, responsable d'une agence immobilière, a conclu le 30 avril 1997 au profit de Madame Méry un contrat d'agent commercial auquel elle a mis fin sans préavis le 12 mars 2002. Se prévalant du statut des agents commerciaux, Madame Méry a fait assigner Madame Gérard, par acte du 18 décembre 2002, en paiement de diverses indemnités.
Par jugement du 4 juin 2004, le Tribunal de commerce de Blois a condamné Madame Gérard à payer à Madame Méry la somme de 7 665 euro à titre d'indemnité de préavis et celle de 81 728 euro à titre d'indemnité de rupture, outre 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Madame Gérard a relevé appel.
Par ses dernières conclusions signifiées le 17 juin 2005, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, elle fait valoir que la loi du 25 juin 1991 relative aux agents commerciaux n'est pas applicable à l'activité d'agent immobilier régie par la loi du 2 janvier 1970, de sorte que dans le cas d'un agent commercial non statutaire, les clauses de résiliation sans indemnité s'appliquent dans toute leur rigueur. Subsidiairement, elle considère que la rupture sans indemnité est justifiée au regard des fautes graves commises par Madame Méry, à l'encontre de ses obligations de loyauté et de confidentialité, à savoir réduction d'une commission d'agence payée par un acquéreur sans accord préalable du mandant, et acquisition par le compagnon de Madame Méry, Monsieur Le Carpentier d'un bien immobilier présenté par l'agence sans signature d'un mandat de recherche et d'un bon de visite, pour éluder le paiement de la commission. Reconventionnellement, elle demande l'allocation de la somme de 58 541,33 euro en réparation de son préjudice et celle de 2 000 euro à titre d'indemnité de procédure. A titre très subsidiaire, elle sollicite des délais de paiement.
Par ses dernières écritures du 15 juin 2005, Madame Méry affirme que le contrat conclu entre les parties est bien un contrat d'agent commercial et qualifié comme tel lors de sa rédaction. Elle s'estime fondée à réclamer une indemnité de préavis de trois mois et une indemnité de rupture calculée sur la base des commissions brutes perçues au cours des trois dernières années, et conclut à la confirmation du jugement sur ce point. Elle conteste les manquements qui lui sont reprochés en soutenant que Madame Gérard a été avisée de la demande de réduction de la commission présentée par le client et l'a acceptée, et s'agissant du château acquis par Monsieur Le Carpentier, que l'opération s'est réalisée par l'intermédiaire d'un notaire sans aucune intervention de l'agence immobilière. Par appel incident, elle demande la condamnation de Madame Gérard à lui verser une somme supplémentaire de 35 000 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive, outre celle de 2 000 euro en remboursement de ses frais de procédure.
Sur quoi
Sur la nature du contrat liant les parties
Attendu que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée dans leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée ; qu'en l'espèce, le contrat conclu le 30 avril 1997 donne mandat à Madame Méry de rechercher, au nom et pour le compte de l'agence Investim, " des acquéreurs et vendeurs en immobilier et fonds de commerce ", de sorte que l'agent prêtait de manière habituelle son concours à la conclusion de contrats préliminaires à la vente et à l'achat d'immeubles, de fonds de commerce ou de biens immobiliers; qu'une telle activité d'agent immobilier est régie par la loi du 2 janvier 1970 et relevant, en conséquence, de dispositions spécifiques, l'article 1er, alinéa 2, de la loi du 25 juin 1991, devenu l'article L. 134-1, alinéa 2, du Code de commerce, l'exclut du champ d'application du statut des agents commerciaux;
Que, néanmoins, si les conditions d'application du statut légal ne sont pas réunies, le contrat litigieux ayant été conclu dans l'intérêt commun des parties, sa résiliation unilatérale par le mandant, même suivant les clauses et conditions spécifiées au contrat, ouvre droit, selon le droit commun, à une indemnité compensatrice du préjudice subi, si elle est abusive, c'est-à-dire non justifiée par une cause légitime ou une faute du mandataire;
Sur les manquements reprochés à Madame Méry
Attendu que l'article V du contrat prévoit que le mandat, donné pour une durée indéterminée, peut prendre fin à tout moment sans aucun préavis ni indemnité et que celle des parties qui prendra l'initiative de la rupture devra notifier la décision à l'autre par lettre recommandée avec accusé de réception; que la lettre adressée le 12 mars 2002 par Madame Gérard à Madame Méry se borne à l'informer de sa décision de mettre fin au mandat à compter de ce jour;
Attendu que Madame Gérard prétend d'abord que Madame Méry a accepté un rabais sur les commissions d'agence dues par les acquéreurs d'un bien immobilier vendu par son compagnon, Monsieur Le Carpentier, pour favoriser celui-ci; que, toutefois, si le mandat de vente comportait un prix de vente de 3 700 000 F (564 061,36 euro), frais d'agence de 6 % inclus, le bien n'a été vendu que moyennant un prix de 442 102,15 euro et la promesse de vente signée par les acheteurs le 4 janvier 2002, qui mentionne une commission de 9 146,94 euro au lieu de celle fixée l'origine, a été signée en présence de Madame Gérard ; que ces éléments permettent de présumer que l'appelante a bien accepté pour son compte la réduction des commissions prévues, de sorte qu'elle ne saurait prétendre avoir subi un préjudice de ce chef ;
Attendu, ensuite, que Madame Gérard fait grief à Madame Méry d'avoir été l'intermédiaire de la vente à Monsieur Le Carpentier du Château du Portail à Monteaux, sans égard pour les intérêts de l'agence qui n'a perçu aucune commission, alors qu'elle avait connaissance de la mise en vente de cette propriété pour l'avoir fait visiter à un autre client le 20 janvier 2000, que l'affirmation de Madame Méry selon laquelle Monsieur Le Carpentier ne serait entré en contact qu'en janvier 2002 avec un notaire qui lui aurait fait part de l'existence de ce bien immobilier est démentie par les termes de l'acte de vente du château du 2 mars 2002 faisant référence à un promesse de vente du 19 juillet 2000 ; qu'il y a tout lieu de présumer, dès lors, que Madame Méry a bien été à l'origine de l'achat de ce bien par Monsieur Le Carpentier, après avoir pris connaissance des conditions de sa vente à l'occasion de l'exercice de son mandat, peu important, au demeurant, que Madame Gérard n'ait pas recueilli de mandat de vente à cette époque; que cette présomption est corroborée par les attestations de Madame Girolet et de Madame Brault à qui Madame Méry avait confié avoir dissimulé ces circonstances à la responsable de l'agence immobilière,
Que le comportement de Madame Méry qui s'est abstenue de faire signer un mandat de recherche, ou à tout le moins un bon de visite, traduit un manquement à son obligation de bonne foi dans la mise en œuvre de son mandat et caractérise la cause légitime de révocation sans indemnité, et que le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions;
Sur la demande reconventionnelle de Madame Gérard
Attendu, comme il a déjà été dit, que le préjudice consécutif à la diminution d'une commission n'est pas établi ; que s'agissant de la vente du Château du Portail, Madame Gérard ne bénéficiait pas de mandat de vente; qu'elle a donc simplement perdu une chance de percevoir une commission et la réparation de cette perte ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée; que Madame Méry sera, en conséquence, condamnée à verser à Madame Gérard la somme de 1 500 euro correspondant à 10 % de la commission qui aurait pu lui revenir;
Sur les demandes accessoires
Attendu que Madame Méry supportera les dépens de première instance et d'appel et à ce titre, versera une indemnité de 1 500 euro à Madame Gérard sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort; Infirme le jugement entrepris; Et statuant à nouveau; Déboute Madame Méry de ses demandes indemnitaires ; Condamne Madame Méry à payer à Madame Gérard la somme de 1 500 euro au titre de la perte de chance de percevoir une commission, Condamne Madame Méry aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Madame Gérard la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que les dépens seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle; Accorde à la SCP Laval-Lueger, titulaire d'un office d'avoué, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.