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Décisions

CJCE, 6e ch., 5 avril 2001, n° C-518/99

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Gaillard

Défendeur :

Chekili

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Gulmann

Avocat général :

M. Léger

Juges :

MM. Skouris, Puissochet, Schintgen, Mme Colneric

Avocats :

Mes Dabin-Serlez, Defalque, Lombart

CJCE n° C-518/99

5 avril 2001

LA COUR (sixième chambre),

1. Par arrêt du 22 décembre 1999, parvenu à la Cour le 31 décembre suivant, la Cour d'appel de Bruxelles a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 16, point 1, de cette Convention (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la Convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77) et par la Convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1, ci-après la "Convention de Bruxelles").

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Gaillard à M. Chekili, tous deux domiciliés en Belgique, au sujet d'un contrat de vente de plusieurs propriétés immobilières sises en France.

La Convention de Bruxelles

3. L'article 2, premier alinéa, de la Convention de Bruxelles, qui fait partie de la section 1, intitulée "Dispositions générales", du titre II, relatif à la "Compétence", prévoit:

"Sous réserve des dispositions de la présente Convention, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État."

4. L'article 16, qui forme la section 5, intitulée "Compétences exclusives" dudit titre II de la Convention de Bruxelles, dispose:

"Sont seuls compétents, sans considération de domicile:

1. en matière de droits réels immobiliers et de baux d'immeubles, les tribunaux de l'État contractant où l'immeuble est situé;

[...]"

5. Aux termes de l'article 12, paragraphe 1, de la Convention du 25 octobre 1982, précitée:

"La Convention de 1968 et le protocole de 1971, modifiés par la Convention de 1978 et par la présente Convention, ne sont applicables qu'aux actions judiciaires intentées [...] postérieurement à l'entrée en vigueur de la présente Convention dans l'État d'origine [...]"

6. La Convention du 25 octobre 1982, précitée, est entrée en vigueur en Belgique le 1er avril 1989.

Le litige au principal

7. Il ressort du dossier de l'affaire au principal que, par un compromis de vente conclu le 4 octobre 1991, M. Gaillard a vendu à M. Chekili deux immeubles bâtis ainsi que plusieurs terrains situés en France pour un montant total de 30 millions de BEF. Le même jour, l'acheteur a versé au vendeur un acompte d'un montant de 10 % du prix de vente. Aux termes des conditions générales dudit compromis, l'acte authentique devait être signé dans les quatre mois au plus tard de la conclusion du contrat.

8. L'acte authentique de vente n'ayant cependant pas été passé à la suite de cette transaction, M. Gaillard a, le 14 décembre 1992, cité M. Chekili devant le Tribunal de première instance de Bruxelles (Belgique) en vue de la résolution du contrat de vente et de l'allocation de dommages et intérêts conformément aux conditions générales du compromis de vente conclu entre les parties. Il y est en effet prévu que, d'une part, si l'une des parties reste en défaut de remplir ses obligations contractuelles et après une mise en demeure restée sans suite pendant quinze jours, l'autre partie peut demander soit l'exécution forcée du compromis, soit la résolution de la vente, les sommes versées à titre d'acompte restant acquises au vendeur lorsque c'est l'acquéreur qui est défaillant, et, d'autre part, en cas de retard du paiement, l'acquéreur doit verser au vendeur des intérêts au taux annuel de 10 % sur le solde restant dû.

9. Cette juridiction s'étant déclarée incompétente pour connaître de ladite demande sur le fondement de l'article 16, point 1, de la Convention de Bruxelles, au motif que les immeubles faisant l'objet de la vente sont situés en France, M. Gaillard a porté le litige devant la Cour d'appel de Bruxelles, qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"L'action en résolution de la vente d'un immeuble et en paiement de dommages et intérêts suite à cette résolution constitue-t-elle une action 'en matière de droits réels immobiliers', au sens de l'article 16 de la Convention signée à Bruxelles le 27 septembre 1968 entre les États membres de la Communauté économique européenne concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale?"

Sur la question préjudicielle

10. Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'action en résolution d'un contrat de vente portant sur un immeuble et en paiement de dommages et intérêts en raison de cette résolution relève du champ d'application de la règle de compétence exclusive, en matière de droits réels immobiliers, prévue à l'article 16, point 1, de la Convention de Bruxelles.

11. Considérant que, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, la réponse à ladite question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour a, conformément à l'article 104, paragraphe 3, de son règlement de procédure, informé la juridiction de renvoi qu'elle se proposait de statuer par voie d'ordonnance motivée et invité les États membres ainsi que les autres parties visées à l'article 20 du statut CE de la Cour de justice à présenter leurs observations éventuelles à ce sujet.

12. M. Gaillard, le gouvernement allemand et la Commission n'ont émis aucune objection quant à l'intention de la Cour de statuer par voie d'ordonnance motivée; en revanche, le gouvernement espagnol a exprimé un avis contraire.

13. Afin de statuer sur la question posée, force est, d'une part, de constater qu'il résulte d'une jurisprudence constante que, en vue d'assurer, dans la mesure du possible, l'égalité et l'uniformité des droits et obligations qui découlent de la Convention de Bruxelles pour les États contractants et les personnes intéressées, il convient de déterminer de manière autonome, en droit communautaire, le sens de l'expression "en matière de droits réels immobiliers", au sens de l'article 16, point 1, de ladite Convention (voir, notamment, arrêt du 10 janvier 1990, Reichert et Kockler, C-115-88, Rec. p. I-27, point 8).

14. D'autre part, la Cour a itérativement jugé que, en tant qu'exception à la règle générale de compétence inscrite à l'article 2, premier alinéa, de la Convention de Bruxelles, l'article 16 de celle-ci ne doit pas être interprété dans un sens plus étendu que ne le requiert son objectif, dès lors qu'il a pour effet de priver les parties du choix du for qui autrement serait le leur et, dans certains cas, de les attraire devant une juridiction qui n'est la juridiction propre du domicile d'aucune d'entre elles (voir arrêts du 14 décembre 1977, Sanders, 73-77, Rec. p. 2383, points 17 et 18; Reichert et Kockler, précité, point 9; du 9 juin 1994, Lieber, C-292-93, Rec. p. I-2535, point 12, et du 27 janvier 2000, Dansommer, C-8-98, Rec. p. I-393, point 21).

15. La Cour a, dans ces conditions, jugé que l'article 16, point 1, de la Convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens que la compétence exclusive des tribunaux de l'État contractant où l'immeuble est situé n'englobe pas l'ensemble des actions qui concernent des droits réels immobiliers, mais seulement celles d'entre elles qui, tout à la fois, entrent dans le champ d'application de cette Convention et sont au nombre de celles qui tendent à déterminer l'étendue, la consistance, la propriété, la possession d'un bien immobilier ou l'existence d'autres droits réels sur ces biens et à assurer aux titulaires de ces droits la protection des prérogatives qui sont attachées à leur titre (arrêt Reichert et Kockler, précité, point 11).

16. Aussi est-il de jurisprudence constante qu'il ne suffit pas qu'un droit réel immobilier soit concerné par l'action ou que l'action ait un lien avec un immeuble pour que l'article 16, point 1, de la Convention de Bruxelles s'applique. Il faut, au contraire, que l'action soit fondée sur un droit réel et non, sauf l'exception prévue pour les baux d'immeubles, sur un droit personnel (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 1994, Webb, C-294-92, Rec. p. I-1717, point 14, et arrêts précités Lieber, point 13, et Dansommer, point 22).

17. À cet égard, il ressort du rapport de M. Schlosser sur la Convention relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord à la Convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu'au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice (JO 1979, C 59, p. 71, p. 120, ci-après le "rapport Schlosser") que la différence entre un droit réel et un droit personnel réside dans le fait que le premier, grevant un bien corporel, produit ses effets à l'égard de tous, alors que le second ne peut être invoqué que contre le débiteur (voir arrêt Lieber, précité, point 14).

18. Or, l'action en résolution d'un contrat de vente portant sur un immeuble, même si elle a, le cas échéant, une incidence sur la propriété dudit immeuble, n'en trouve pas moins son fondement dans un droit personnel que le demandeur tire du contrat conclu entre les parties et, en conséquence, elle ne peut être exercée qu'à l'encontre du cocontractant. En effet, par cette action, l'une des parties au contrat entend être libérée de ses obligations contractuelles envers l'autre partie en raison de l'inexécution du contrat par celle-ci et, en outre, la décision juridictionnelle statuant sur cette action n'est susceptible de produire des effets qu'à l'égard de la partie à l'encontre de laquelle la résolution a été prononcée. Ladite action n'a donc pas pour objet des prérogatives qui porteraient directement sur un immeuble et qui seraient opposables à tous.

19. Dès lors, l'action en résolution en cause au principal n'est pas une action en matière de droits réels immobiliers au sens de l'article 16, point 1, de la Convention de Bruxelles, mais elle est une action personnelle.

20. Il en va de même de l'action en dommages et intérêts qui tend à l'indemnisation du préjudice qu'une partie prétend avoir subi du fait de la résolution d'un contrat de vente portant sur un immeuble en raison de l'inexécution de ses obligations contractuelles par l'autre partie au contrat (voir également, en ce sens, le rapport Schlosser, p. 120, et l'arrêt Lieber, précité).

21. Cette interprétation est, au demeurant, corroborée par le rapport Schlosser (p. 122) qui précise que, s'agissant d'actions mixtes, telle celle en restitution d'un immeuble intentée par une partie lorsque son cocontractant ne remplit pas les obligations qui lui incombent au titre du contrat de vente de cet immeuble, de très nombreux éléments militent en faveur de la prédominance du caractère personnel de ces actions et, partant, de l'inapplicabilité de l'article 16, point 1, de la Convention de Bruxelles.

22. Il convient dès lors de répondre à la question posée que l'action en résolution d'un contrat de vente portant sur un immeuble et en paiement de dommages et intérêts en raison de cette résolution ne relève pas du champ d'application de la règle de compétence exclusive, en matière de droits réels immobiliers, prévue à l'article 16, point 1, de la Convention de Bruxelles.

Sur les dépens

23. Les frais exposés par les Gouvernements allemand, espagnol et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par la Cour d'appel de Bruxelles, par arrêt du 22 décembre 1999, dit pour droit:

L'action en résolution d'un contrat de vente portant sur un immeuble et en paiement de dommages et intérêts en raison de cette résolution ne relève pas du champ d'application de la règle de compétence exclusive, en matière de droits réels immobiliers, prévue à l'article 16, point 1, de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la Convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et par la Convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique.