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Décisions

CJCE, 5e ch., 17 juin 1999, n° C-260/97

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Unibank

Défendeur :

Flemming G. Christensen

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Puissochet

Avocat général :

M. La Pergola

Juges :

MM. Moitinho de Almeida, Edward, Sevón, Wathelet

Avocats :

Mes Klingelhöffer, Rüdiger Stäglich

CJCE n° C-260/97

17 juin 1999

LA COUR (cinquième chambre),

1. Par ordonnance du 26 juin 1997, parvenue à la Cour le 18 juillet suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en application du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 32, 36 et 50 de cette Convention (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la Convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77) et par la Convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1, ci-après la "Convention de Bruxelles").

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Unibank A/S (ci-après "Unibank") à M. Christensen, à propos d'une demande de cette dernière tendant à ce que soient déclarés exécutoires trois titres de créance.

Le cadre juridique

3. L'article 32, deuxième alinéa, de la Convention de Bruxelles prévoit:

"La juridiction territorialement compétente est déterminée par le domicile de la partie contre laquelle l'exécution est demandée. Si cette partie n'est pas domiciliée sur le territoire de l'État requis, la compétence est déterminée par le lieu de l'exécution."

4. L'article 36 de la Convention de Bruxelles énonce:

"Si l'exécution est autorisée, la partie contre laquelle l'exécution est demandée peut former un recours contre la décision dans le mois de sa signification.

Si cette partie est domiciliée dans un État contractant autre que celui où la décision qui autorise l'exécution a été rendue, le délai est de deux mois et court du jour où la signification a été faite à personne ou à domicile. Ce délai ne comporte pas de prorogation à raison de la distance."

5. L'article 50 de la Convention de Bruxelles dispose:

"Les actes authentiques reçus et exécutoires dans un État contractant sont, sur requête, revêtus de la formule exécutoire dans un autre État contractant, conformément à la procédure prévue aux articles 31 et suivants. La requête ne peut être rejetée que si l'exécution de l'acte authentique est contraire à l'ordre public de l'État requis.

L'acte produit doit réunir les conditions nécessaires à son authenticité dans l'État d'origine.

Les dispositions de la section 3 du titre III sont, en tant que de besoin, applicables."

6. L'article 50, premier alinéa, première phrase de la Convention de Bruxelles a été modifié par l'article 14 de la Convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1, ci-après la "troisième Convention d'adhésion") comme suit:

"Les actes authentiques reçus et exécutoires dans un État contractant sont, sur requête, déclarés exécutoires dans un autre État contractant, conformément à la procédure prévue aux articles 31 et suivants."

7. A la suite de cette modification, l'article 50 de la Convention de Bruxelles est libellé en des termes identiques à ceux de l'article 50 de la Convention du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matières civile et commerciale (JO L 319, p. 9, ci-après la "Convention de Lugano").

8. Selon l'article 478, paragraphe 1, point 5, de la retsplejelov (code de procédure civile danois), l'exécution forcée peut intervenir sur la base de titres de créance, à condition que ceux-ci le prévoient expressément.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

9. Entre 1990 et 1992, M. Christensen a signé en faveur d'Unibank, qui est une banque de droit danois établie à Arhus (Danemark), trois titres de créance (Gældsbrev) s'élevant respectivement à 270 000 DKR, 422 000 DKR et 138 000 DKR, intérêts en sus. Ces trois titres sont dactylographiés et portent également la signature d'une tierce personne, apparemment un employé d'Unibank, intervenue en qualité de témoin de la signature du débiteur. Il est expressément prévu dans lesdits titres qu'ils peuvent, conformément à l'article 478 de la retsplejelov, servir de fondement à l'exécution forcée.

10. Lorsque les titres de créance ont été établis, le débiteur résidait au Danemark. Par la suite, il s'est installé à Weiterstadt, en Allemagne, où Unibank lui a notifié ces titres de créance. A la demande de cette dernière, le Landgericht Darmstadt, compétent pour Weiterstadt, a autorisé l'exécution desdits titres. M. Christensen a interjeté appel de cette décision devant l'Oberlandesgericht Frankfurt am Main. Considérant que M. Christensen avait indiqué, en cours d'instance, qu'il avait quitté l'Allemagne, sans toutefois communiquer sa nouvelle adresse, la juridiction d'appel a jugé que désormais Unibank était dépourvue d'intérêt à agir dès lors qu'elle ne pouvait plus obtenir qu'il soit procédé à l'exécution des titres de créance en Allemagne et a, en conséquence, fait droit à l'appel porté devant elle.

11. Unibank s'est pourvue devant le Bundesgerichtshof qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Un titre de créance - tel que le Gældsbrev du droit danois (article 478, paragraphe 1, point 5, de la retsplejelov) -, qu'un débiteur a signé sans l'intervention d'un officier public ou ministériel, est-il un acte authentique au sens de l'article 50 de la Convention de Bruxelles lorsque ce titre fait expressément mention qu'il peut servir de base à l'exécution forcée et que, en vertu du droit de l'État d'origine, il est de nature à constituer la base d'une exécution, étant toutefois entendu que le juge de l'exécution est en droit de rejeter une demande en ce sens formée par le créancier s'il ressort des objections soulevées contre la base de l'exécution que la poursuite de l'exécution est critiquable?

S'il est répondu par l'affirmative à la première question:

2) Une demande tendant à la reconnaissance d'une décision ou d'un acte authentique et formée devant une juridiction territorialement compétente, au sens de l'article 32, deuxième alinéa, de la Convention de Bruxelles, devient-elle irrecevable ou non fondée au motif que le débiteur quitte, lors de la procédure de recours (article 36 de la Convention de Bruxelles), l'État dans lequel la procédure a été introduite et que le lieu de sa nouvelle résidence est inconnu?"

Sur la première question

12. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un titre de créance exécutoire qui a été établi sans l'intervention d'une autorité publique constitue un acte authentique au sens de l'article 50 de la Convention de Bruxelles.

13. Unibank prétend que cette question appelle une réponse affirmative. En revanche, M. Christensen, les gouvernements allemand et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission, soutiennent que l'adjectif "authentique" signifie que les facilités d'exécution prévues par la Convention de Bruxelles ne s'appliquent pas à n'importe quel acte, mais sont réservées à ceux dont l'authenticité a été établie par une autorité publique compétente.

14. A cet égard, il convient de rappeler d'emblée que l'article 50 de la Convention de Bruxelles assimile les "actes authentiques reçus et exécutoires dans un État contractant", eu égard à leur force exécutoire dans les autres États contractants, aux décisions judiciaires au sens de l'article 25 de cette même Convention, en déclarant applicables les dispositions relatives à l'exécution prévues par les articles 31 et suivants de celle-ci. Lesdites dispositions visent en effet à réaliser l'un des objectifs fondamentaux de la Convention de Bruxelles, à savoir faciliter, dans toute la mesure du possible, la libre circulation des jugements en prévoyant une procédure d'exequatur simple et rapide (voir arrêts du 2 juillet 1985, Deutsche Genossenschaftsbank, 148-84, Rec. p. 1981, point 16, et du 2 juin 1994, Solo Kleinmotoren, C-414-92, Rec. p. I-2237, point 20).

15. Dès lors qu'il est procédé à l'exécution des actes relevant de l'article 50 de la Convention de Bruxelles dans des conditions identiques à celle des décisions judiciaires, le caractère authentique de ces actes doit être établi de manière incontestable de façon telle que la juridiction de l'État requis est en mesure de s'en remettre à l'authenticité de ceux-ci. Or, les actes établis entre particuliers ne possédant pas, par eux-mêmes, un tel caractère, l'intervention d'une autorité publique ou de toute autre autorité habilitée par l'État d'origine est, par conséquent, nécessaire pour leur conférer la qualité d'actes authentiques.

16. Cette interprétation de l'article 50 de la Convention de Bruxelles est corroborée par le rapport Jenard-Möller sur la Convention de Lugano (JO 1990, C 189, p. 57, ci-après le "rapport Jenard-Möller").

17. En effet, le rapport Jenard-Möller rappelle, à son paragraphe 72, que les représentants des États membres de l'Association européenne de libre-échange (AELE) avaient demandé que soient précisées les conditions auxquelles un acte authentique doit satisfaire pour être considéré comme authentique au sens de l'article 50 de la Convention de Lugano. Il mentionne à ce sujet trois conditions, qui sont les suivantes : "l'authenticité de l'acte doit avoir été établie par une autorité publique, cette authenticité doit porter sur son contenu et non pas seulement, par exemple, sur la signature, l'acte doit être exécutoire par lui-même dans l'État dans lequel il a été établi".

18. Selon ce même rapport, l'intervention d'une autorité publique est donc indispensable pour qu'un acte puisse être qualifié d'acte authentique au sens de l'article 50 de la Convention de Lugano.

19. Il est vrai que les articles 50 des conventions de Bruxelles et de Lugano n'étaient pas libellés en termes identiques à la date des faits au principal et que le rapport Jenard sur la Convention de Bruxelles (JO 1979, C 59, p. 1) n'indique pas les critères auxquels doivent répondre les actes authentiques, mais se borne à reproduire les conditions énoncées par l'article 50 de cette dernière Convention.

20. Toutefois, la seule différence de formulation sur ce point entre les textes des deux conventions consistait en ce que la Convention de Bruxelles employait l'expression "revêtus de la formule exécutoire" tandis que figurait dans la Convention de Lugano l'expression "déclarés exécutoires". En outre, il ressort du point 29 du rapport De Almeida Cruz, Desantes Real et Jenard sur la troisième Convention d'adhésion (JO 1990, C 189, p. 35) que cette dernière, en adoptant pour l'article 50 de la Convention de Bruxelles le même libellé que celui de l'article 50 de la Convention de Lugano, voulait aligner sur ce point la rédaction des deux

conventions l'une sur l'autre, les expressions précitées étant considérées comme pratiquement équivalentes.

21. Compte tenu de tout de ce qui précède, il convient de répondre à la première question qu'un titre de créance exécutoire en vertu du droit de l'État d'origine dont l'authenticité n'a pas été établie par une autorité publique ou toute autre autorité habilitée à ce faire par cet État ne constitue pas un acte authentique au sens de l'article 50 de la Convention de Bruxelles.

Sur la seconde question

22. Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n'y a pas lieu de statuer sur la seconde question.

Sur les dépens

23. Les frais exposés par les Gouvernements allemand et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 26 juin 1997, dit pour droit:

Un titre de créance exécutoire en vertu du droit de l'État d'origine dont l'authenticité n'a pas été établie par une autorité publique ou toute autre autorité habilitée à ce faire par cet État ne constitue pas un acte authentique au sens de l'article 50 de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la Convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et par la Convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique.