CJCE, 4e ch., 9 avril 2003, n° C-424/01
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
CS Communications & Systems Austria GmbH
Défendeur :
Allgemeine Unfallversicherungsanstalt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Timmermans
Avocat général :
M. Alber
Juges :
MM. La Pergola, von Bahr
LA COUR (quatrième chambre),
1. Par décision du 25 octobre 2001, parvenue à la Cour le jour suivant, le Bundesvergabeamt a posé, en application de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 2 de la directive 89-665-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1, ci-après la "directive 89-665").
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant CS Communications & Systems Austria GmbH (ci-après "CS Austria") à l'Allgemeine Unfallversicherungsanstalt (ci-après l'"AUV"), au sujet de la décision prise par cette dernière d'écarter, sans l'examiner au fond, l'offre que CS Austria avait faite dans le cadre d'un marché de fourniture, de montage et de mise en application de divers composants électroniques de réseau, au motif qu'elle ne correspondait pas aux prescriptions de l'appel d'offres.
Le cadre juridique communautaire
3. Ainsi qu'il ressort de son troisième considérant, la directive 89-665 vise à accroître les garanties de transparence et de non-discrimination dans le cadre de l'ouverture des marchés publics à la concurrence communautaire et à assurer, en particulier, qu'existent dans les États membres des moyens de recours efficaces et rapides en cas de violation du droit communautaire en matière de marché public ou des règles nationales transposant ce droit.
4. L'article 2, paragraphe 1, de la directive 89-665 précise dans cette optique que les États membres doivent veiller "à ce que les mesures prises aux fins [de garantir l'existence de telles voies de recours efficaces et rapides] prévoient les pouvoirs permettant :
a) de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d'empêcher d'autres dommages d'être causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou de l'exécution de toute décision prise par les pouvoirs adjudicateurs;
b) d'annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l'appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause;
c) d'accorder des dommages-intérêts aux personnes lésées par une violation."
5. En ce qui concerne l'adoption de mesures provisoires, l'article 2, paragraphe 4, de la directive 89-665 dispose :
"Les États membres peuvent prévoir que, lorsque l'instance responsable examine s'il y a lieu de prendre des mesures provisoires, celle-ci peut tenir compte des conséquences probables de ces mesures pour tous les intérêts susceptibles d'être lésés, ainsi que l'intérêt public, et décider de ne pas accorder ces mesures lorsque des conséquences négatives pourraient dépasser leurs avantages. Une décision de ne pas accorder des mesures provisoires ne porte pas préjudice aux autres droits revendiqués par la personne requérant ces mesures."
6. Enfin, aux termes de l'article 2, paragraphe 8, premier alinéa, de la directive 89-665 :
"Lorsque les instances responsables des procédures de recours ne sont pas de nature juridictionnelle, leurs décisions doivent toujours être motivées par écrit. En outre, dans ce cas, des dispositions doivent être prises pour garantir les procédures par lesquelles toute mesure présumée illégale prise par l'instance de base compétente ou tout manquement présumé dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés doit pouvoir faire l'objet d'un recours juridictionnel ou d'un recours auprès d'une autre instance qui soit une juridiction au sens de l'article [234] du traité et qui soit indépendante par rapport au pouvoir adjudicateur et à l'instance de base."
Le cadre juridique national
7. La directive 89-665 a été transposée en droit autrichien par le Bundesgesetz über die Vergabe von Aufträgen (Bundesvergabegesetz) (loi fédérale sur la passation des marchés publics, BGBl. 1993-462). Cette loi a été remplacée, en 1997, par une loi portant le même intitulé (BGBl. I, 1997-56, ci-après le "BVergG").
8. L'article 113 du BVergG dispose :
"1. Le Bundesvergabeamt est compétent pour instruire les procédures de recours dont il est saisi conformément aux dispositions suivantes.
2. Jusqu'à l'attribution du marché, le Bundesvergabeamt est compétent :
a) pour adopter des ordonnances de référé, ainsi que
b) pour annuler des décisions illégales du pouvoir adjudicateur
en vue de mettre fin aux violations de la présente loi fédérale et de ses règlements d'application.
3. Après l'attribution du marché, ou après la clôture de la procédure d'adjudication, le Bundesvergabeamt est compétent pour déterminer si le marché n'a pas été attribué au mieux-disant en raison d'une infraction à la présente loi fédérale ou à ses règlements d'application. [...]"
9. L'article 116 du BVergG, relatif à l'adoption des ordonnances de référé, prévoit :
"1. Dès que la procédure de recours est engagée, le Bundesvergabeamt est tenu, en cas de requête en ce sens, de prendre sans délai, par voie d'ordonnance de référé, les mesures provisoires qui apparaissent nécessaires et appropriées pour supprimer ou empêcher un préjudice, né ou imminent, portant atteinte aux intérêts du demandeur en raison de l'illégalité alléguée.
[...]
3. Avant d'adopter une ordonnance de référé, le Bundesvergabeamt doit peser les conséquences probables de la mesure à prendre pour tous les intérêts du demandeur, des autres candidats ou soumissionnaires et du pouvoir adjudicateur, susceptibles d'être lésés, ainsi qu'un éventuel intérêt public particulier à la poursuite de la procédure d'adjudication. S'il ressort de cette analyse que les conséquences négatives d'une ordonnance de référé dépassent ses avantages, elle ne doit pas être accordée.
4. Une ordonnance de référé peut suspendre provisoirement l'ensemble de la procédure de passation du marché ou certaines décisions du pouvoir adjudicateur jusqu'à l'éventuelle décision d'annulation du Bundesvergabeamt, ou peut prescrire toute autre mesure appropriée. À cet égard, il convient d'ordonner la mesure provisoire la moins rigoureuse en fonction du but poursuivi.
[...]
6. Les ordonnances de référé sont immédiatement exécutoires. Leur exécution est régie par le Verwaltungsvollstreckungsgesetz 1991 [loi relative à l'exécution forcée des décisions administratives, BGBl. 1991-53]."
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10. Le 9 juillet 2001, l'AUV a publié un appel d'offres pour un marché de fourniture, de montage et de mise en application de divers composants électroniques de réseau et de logiciels de gestion de réseau. La valeur de ce marché, qui comprenait également la formation à l'utilisation de ces logiciels, était estimée à un million d'euros.
11. Par lettre du 10 septembre 2001, CS Austria a déposé une offre dans le cadre de ce marché, en précisant toutefois que les produits qu'elle entendait fournir n'étaient pas des produits neufs, mais qu'ils avaient fait l'objet d'une révision générale.
12. Par lettre du 19 septembre 2001, l'AUV lui a fait savoir que son offre avait été écartée, sans que son contenu ait été examiné, au motif qu'elle ne correspondait pas aux prescriptions de l'appel d'offres. L'AUV a invoqué, à cet égard, la jurisprudence des juridictions civiles autrichiennes selon laquelle, en cas de doute et à défaut de disposition expresse en sens contraire, seuls de nouveaux produits peuvent être proposés dans le cadre d'un marché public de fournitures.
13. CS Austria a introduit un recours devant le Bundesvergabeamt visant à obtenir, au titre de l'article 113 du BVergG, l'annulation de cette décision de rejet et l'adoption d'une mesure provisoire consistant à interdire au pouvoir adjudicateur d'attribuer le marché jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond de sa demande d'annulation. À l'appui de son recours, CS Austria a fait valoir, d'une part, que l'appel d'offres ne comportait aucune indication selon laquelle les produits fournis devaient être neufs, mais requérait seulement que lesdits produits répondent à toutes les normes de sécurité en vigueur, ce qui était le cas en l'espèce puisque les produits qu'elle proposait avaient fait l'objet d'une révision générale et, s'agissant d'unités électroniques de connexion, n'étaient sujets à aucune forme d'usure. D'autre part, CS Austria a soutenu qu'elle avait présenté l'offre la moins chère, quoique pleinement équivalente, au plan technique, aux offres des autres soumissionnaires, et que le marché devait dès lors lui être attribué, de sorte que la décision de l'AUV d'écarter son offre sans l'examiner au fond était illégale et risquait de lui causer un grave préjudice financier.
14. L'AUV a conclu au rejet de la mesure provisoire au motif, premièrement, qu'un retard de deux mois dans l'attribution du marché l'exposerait à un préjudice financier considérable et mettrait en péril les capacités de traitement des établissements hospitaliers auxquels les fournitures en cause étaient destinées et, deuxièmement, que la demande de mesure provisoire était abusive puisque la demande d'annulation de la décision du pouvoir adjudicateur - que la demande de mesure provisoire avait pour but de préserver - était, en tout état de cause, vouée à l'échec. L'AUV a rappelé, à cet égard, que CS Austria admettait n'avoir proposé que des produits d'occasion révisés alors que, selon une jurisprudence constante des juridictions civiles autrichiennes, faute de stipulation expresse en sens contraire, les marchandises à fournir dans le cadre d'un marché doivent toujours être neuves. Les appareils usagés n'ayant pas été expressément autorisés dans l'appel d'offres, il convenait, selon l'AUV, d'écarter purement et simplement l'offre de CS Austria.
15. Par décision du 25 octobre 2001, le Bundesvergabeamt a fait partiellement droit à la demande de CS Austria en ce qu'il a interdit au pouvoir adjudicateur d'attribuer le marché avant le 25 novembre 2001. Toutefois, il a réservé sa décision sur les autres aspects de la demande en référé, au motif que celle-ci dépendait d'une interprétation de l'article 2 de la directive 89-665. Le Bundesvergabeamt observe, à cet égard, que, si le législateur autrichien a adopté - à l'article 116, paragraphe 3, du BVergG - les mesures nécessaires à la transposition de l'article 2, paragraphe 4, de la directive 89-665, cette dernière disposition ne prévoit pas de manière explicite la prise en compte, par l'instance responsable des procédures de recours en matière de passation des marchés publics, des perspectives de succès de la demande d'annulation de la décision du pouvoir adjudicateur.
16. En effet, selon le Bundesvergabeamt, d'une part, cette disposition pourrait être interprétée en ce sens que seuls les inconvénients factuels qu'impliquerait l'adoption de la mesure provisoire, tels le retard dans l'attribution du marché et les inconvénients qui en résultent, seraient pris en compte par ladite instance. Pareille interprétation pourrait être justifiée par des considérations liées à l'efficacité même de la procédure en référé, au sens de la directive 89-665, la prise en compte des perspectives de succès de la demande au fond, dès le stade de la décision relative à la mesure provisoire, anticipant, en fait, sur l'issue de la procédure au fond.
17. D'autre part, le Bundesvergabeamt relève que l'article 2, paragraphe 4, de la directive 89-665 autorise explicitement l'instance responsable des procédures de recours en matière de passation des marchés publics à prendre en compte les conséquences probables des mesures provisoires pour tous les intérêts susceptibles d'être lésés, ainsi que l'intérêt public. Il ne serait donc pas exclu que, dans le cadre de cette mise en balance des intérêts en présence, ladite instance examine également les chances d'aboutissement de la demande d'annulation de la décision du pouvoir adjudicateur.
18. Estimant, dans ces circonstances, que la solution du litige pendant devant lui dépendait d'une interprétation du droit communautaire, le Bundesvergabeamt a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
"1) L'instance responsable des procédures de recours au sens de l'article 2, paragraphe 8, de la directive 89-665-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, dans la version de la directive 92-50-CEE, du 18 juin 1992, est-elle tenue, dans le cadre de la mise en balance des intérêts à effectuer, conformément à l'article 2, paragraphe 4, de la directive 89-665-CEE, avant de statuer sur une demande de mesures provisoires, de prendre en compte les perspectives de succès d'une demande d'annulation d'une décision illégale d'un pouvoir adjudicateur au sens de l'article 2, paragraphe 1, sous b), de ladite directive ?
2) En cas de réponse négative à la première question :
L'instance responsable des procédures de recours au sens de l'article 2, paragraphe 8, de la directive 89-665-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, dans la version de la directive 92-50-CEE, du 18 juin 1992, est-elle en droit, dans le cadre de la mise en balance des intérêts à effectuer, conformément à l'article 2, paragraphe 4, de la directive 89-665-CEE, avant de statuer sur une demande de mesures provisoires, de prendre en compte les perspectives de succès d'une demande d'annulation d'une décision illégale d'un pouvoir adjudicateur au sens de l'article 2, paragraphe 1, sous b), de ladite directive ?"
19. La juridiction de renvoi a également demandé à la Cour de soumettre le renvoi préjudiciel à une procédure accélérée, conformément à l'article 104 bis de son règlement de procédure, aux motifs que ces questions se posent dans le cadre d'une procédure en référé et concernent une passation de marché encore en cours que le pouvoir adjudicateur souhaiterait attribuer dans les meilleurs délais, eu égard au fait qu'un éventuel retard dans l'attribution dudit marché risquerait d'entraîner une réduction des capacités de traitement radiologique de deux grands établissements hospitaliers autrichiens.
20. Par décision du 20 novembre 2001, cette dernière demande a toutefois été rejetée par le président de la Cour, sur proposition du juge rapporteur, l'avocat général entendu, au motif que les circonstances invoquées par la juridiction de renvoi n'établissaient pas l'urgence extraordinaire à statuer sur les questions posées à titre préjudiciel.
Sur la recevabilité des questions préjudicielles
21. Se fondant sur la décision de renvoi du Bundesvergabeamt, du 11 juillet 2001, rendue dans le cadre d'une autre affaire de passation d'un marché public, enregistrée au greffe de la Cour sous le numéro C-314-01 et actuellement pendante devant celle-ci, la Commission exprime des doutes quant au caractère juridictionnel de l'instance de renvoi, au motif que celle-ci aurait reconnu, dans ladite décision, que ses décisions "ne comportent pas d'injonctions au pouvoir adjudicateur, susceptibles d'exécution". Dans ces conditions, la Commission s'interroge sur la recevabilité des questions posées par le Bundesvergabeamt dans la présente affaire au regard de la jurisprudence de la Cour, et notamment des arrêts du 12 novembre 1998, Victoria Film (C-134-97, Rec. p. I-7023, point 14), et du 14 juin 2001, Salzmann (C-178-99, Rec. p. I-4421, point 14), aux termes desquels les juridictions nationales ne sont habilitées à saisir la Cour que si un litige est pendant devant elles et si elles sont appelées à statuer dans le cadre d'une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel.
22. À cet égard, il convient de relever, d'une part, qu'il résulte des termes mêmes de l'article 116, paragraphe 4, du BVergG que le Bundesvergabeamt, statuant en référé, peut suspendre la procédure d'adjudication dans son ensemble ou seulement certaines décisions du pouvoir adjudicateur, ou ordonner d'autres mesures appropriées.
23. D'autre part, il résulte du paragraphe 6 du même article que les ordonnances adoptées par le Bundesvergabeamt dans le cadre d'une procédure en référé sont immédiatement exécutoires et qu'elles sont régies, à ce titre, par la loi de 1991 relative à l'exécution forcée des décisions administratives.
24. La Commission n'ayant présenté aucun argument permettant de douter de la nature contraignante desdites ordonnances, il n'y a, eu égard aux dispositions de l'article 116, paragraphes 4 et 6, du BVergG, aucune raison de remettre en cause le caractère juridictionnel du Bundesvergabeamt.
25. Il s'ensuit que les questions posées par cette instance sont recevables.
Sur les questions préjudicielles
26. Par ses deux questions, qu'il y a lieu d'examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, s'il découle de la directive 89-665, et plus particulièrement de son article 2, paragraphe 4, que, lorsqu'une instance responsable des procédures de recours en matière de passation des marchés publics statue sur une demande de mesures provisoires, elle est tenue ou, le cas échéant, autorisée à prendre en compte les perspectives de succès d'une demande d'annulation d'une décision du pouvoir adjudicateur fondée sur l'illégalité de celle-ci.
27. Considérant que la réponse aux questions préjudicielles ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour a, conformément à l'article 104, paragraphe 3, de son règlement de procédure, informé la juridiction de renvoi qu'elle se proposait de statuer par voie d'ordonnance motivée et invité les intéressés visés à l'article 23 du statut de la Cour de justice à présenter leurs observations éventuelles à ce sujet.
28. Seule la Commission a déposé des observations dans le délai imparti. Tout en réitérant ses doutes sur la recevabilité des questions posées, elle a exprimé son accord quant à l'intention de la Cour de statuer par voie d'ordonnance motivée.
29. Il convient de relever que les perspectives de succès du recours au fond ne figurent pas parmi les éléments dont l'instance responsable des procédures de recours en matière de passation des marchés publics doit ou peut tenir compte lorsqu'elle statue sur une demande de mesures provisoires au titre de l'article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 89-665, mais que cette dernière n'interdit pas non plus qu'elles soient prises en compte. En effet, l'article 2, paragraphe 4, de cette directive se contente de préciser que les États membres peuvent prévoir la faculté, pour cette instance, de tenir compte des conséquences probables des mesures provisoires pour tous les intérêts susceptibles d'être lésés, ainsi que de l'intérêt public, et décider de ne pas accorder ces mesures lorsque des conséquences négatives pourraient dépasser leurs avantages.
30. En l'absence de réglementation communautaire spécifique en la matière, il appartient donc à l'ordre juridique interne de chaque État membre de déterminer les modalités d'adoption des mesures provisoires par les instances responsables des procédures de recours en matière de passation des marchés publics, en tenant compte de la finalité de la directive 89-665, qui est de garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs puissent faire l'objet de recours efficaces et aussi rapides que possible en cas de violation du droit communautaire en matière de marchés publics ou des règles nationales transposant ce droit.
31. Il convient toutefois de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les États membres doivent veiller à ce que les règles nationales applicables ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d'équivalence) et qu'elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire (principe d'effectivité) (voir, notamment, en ce sens, arrêts du 18 juin 2002, HI, C-92-00, Rec. p. I-5553, point 67; du 11 juillet 2002, Marks & Spencer, C-62-00, Rec. p. I-6325, point 34, et du 24 septembre 2002, Grundig Italiana, C-255-00, Rec. p. I-8003, point 33).
32. En ce qui concerne ce dernier principe, force est de constater que la circonstance qu'une disposition nationale prévoit que l'instance responsable des procédures de recours en matière de passation des marchés publics est tenue ou, le cas échéant, autorisée à prendre en compte les perspectives de succès d'une demande d'annulation d'une décision du pouvoir adjudicateur fondée sur l'illégalité de celle-ci n'est pas de nature à porter atteinte à l'effectivité des droits conférés par les directives communautaires relatives à la coordination des procédures de passation des marchés publics et, notamment, du droit à une voie de recours efficace et rapide prévu par la directive 89-665, puisqu'une telle disposition nationale se borne à envisager la prise en compte, dans chaque cas particulier, du degré de vraisemblance d'une violation alléguée du droit communautaire en matière de marchés publics ou des règles nationales transposant ce droit.
33. Dès lors, il y a lieu de répondre aux questions posées que l'article 2 de la directive 89-665 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce que les États membres prévoient que, lorsqu'une instance responsable des procédures de recours en matière de passation des marchés publics statue sur une demande de mesures provisoires, elle est tenue ou autorisée à prendre en compte les perspectives de succès d'une demande d'annulation d'une décision du pouvoir adjudicateur fondée sur l'illégalité de celle-ci, pour autant que les règles nationales ainsi applicables à l'adoption de ces mesures provisoires ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne et qu'elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire.
Sur les dépens
34. Les frais exposés par les Gouvernements autrichien et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (quatrième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesvergabeamt, par décision du 25 octobre 2001, dit pour droit :
L'article 2 de la directive 89-665-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce que les États membres prévoient que, lorsqu'une instance responsable des procédures de recours en matière de passation des marchés publics statue sur une demande de mesures provisoires, elle est tenue ou autorisée à prendre en compte les perspectives de succès d'une demande d'annulation d'une décision du pouvoir adjudicateur fondée sur l'illégalité de celle-ci, pour autant que les règles nationales ainsi applicables à l'adoption de ces mesures provisoires ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne et qu'elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire.