CJCE, 14 juillet 1977, n° 9-77
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bavaria Fluggesellschaft Schwabe & Co. KG, Germanair Bedarfsluftfahrt GmbH & Co. KG
Défendeur :
Eurocontrol
LA COUR,
1 Attendu que, par ordonnances du 22 décembre 1976, parvenues à la Cour le 25 janvier 1977, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu de l'article 3 du 'protocole concernant l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale' (ci-après dénommée la 'convention') du 3 juin 1971, la question de savoir si, aux termes de l'article 56 de la convention, les traités et conventions mentionnés à l'article 55 continuent à produire leurs effets pour les décisions qui, sans relever de l'article 1, alinéa 2, de la convention, sont exclues du champ d'application de celle-ci ;
2 Que la question a été soulevée dans le cadre de procédures relatives à l'exécution en République fédérale d'Allemagne de deux décisions rendues par le Tribunal commercial de Bruxelles quant au recouvrement par Eurocontrol des sommes dues respectivement par Bavaria et Germanair à titre de redevances pour l'utilisation des installations et services d'Eurocontrol ;
Que, dans son arrêt du 14 octobre 1976 rendu dans l'affaire 29-76 (Lufttransportunternehmen Gmbh & Co. kg/Eurocontrol Recueil, 1976, p. 1541), sur renvoi de la Cour d'appel de Düsseldorf, à l'occasion d'un litige pendant devant cette juridiction au sujet de redevances de même nature que celles de l'espèce, la Cour de justice a statué en ces termes :
1) Pour l'interprétation de la notion de 'matière civile et commerciale' aux fins de l'application de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution en matière civile et commerciale, notamment de son titre III, il convient de se référer non au droit d'un quelconque des états concernés, mais, d'une part, aux objectifs et au système de la convention et, d'autre part, aux principes généraux qui se dégagent de l'ensemble des systèmes de droit nationaux ;
2) Est exclue du champ d'application de la convention une décision rendue dans un litige, opposant une autorité publique à une personne privée, ou l'autorité publique a agi dans l'exercice de la puissance publique ;
Que le Bundesgerichtshof a posé sa question, compte tenu notamment de l'arrêt susdit de la Cour et de l'existence entre la République fédérale d'Allemagne et le Royaume de Belgique de la convention' concernant la reconnaissance et l'exécution réciproque, en matière civile ou commerciale, des décisions judiciaires, sentences arbitrales et actes authentiques', signée a Bonn le 30 juin 1958 ;
Que la question tend essentiellement à savoir si et dans quelle mesure les notions juridiques définies par la Cour dans le cadre de la convention lient les juridictions nationales aux fins de l'application éventuelle d'un accord bilatéral, tel que celui précité, dans des matières qui sont exclues du champ d'application de la convention ;
Qu'il ressort des ordonnances de renvoi qu'en droit allemand, la question de savoir si, aux fins de la reconnaissance et de l'exécution d'un jugement étranger, un litige concerne une affaire civile ou commerciale, a traditionnellement été appréciée selon le droit de l'état du jugement ;
3 Attendu qu'aux termes de l'article 55 de la convention, celle-ci 'remplace entre les états qui y sont parties les conventions conclues entre deux ou plusieurs de ces états';
Que, parmi ces conventions, ladite disposition mentionne, a son alinéa 6, la convention bilatérale germano-belge précitée, du 30 juin 1958 ;
Que, toutefois, l'article 56, alinéa 1, de la convention précise que lesdites conventions 'continuent à produire leurs effets dans les matières auxquelles la présente convention n'est pas applicable';
Qu'en vertu de son article 1, alinéa 1, celle-ci 's'applique en matière civile et commerciale', alors que la convention germano-belge du 30 juin 1958 règle, aux termes de son article 1, paragraphe 1, la reconnaissance des 'décisions rendues en matière civile ou commerciale' dans le cadre du système propre de cette convention ;
4 Que, dans son arrêt précité du 14 octobre 1976, la Cour a défini le champ d'application de la convention à l'égard d'une décision telle que celle de l'espèce, en interprétant la notion de 'matière civile et commerciale' comme une notion autonome et non comme un renvoi au droit interne de l'un ou de l'autre des états concernés ;
Que cette interprétation s'inspire du souci d'assurer, dans le cadre du droit communautaire, l'égalité et l'uniformité des droits et obligations qui découlent de la convention pour les états contractants et les personnes intéressées ;
Que le principe de la sécurité juridique dans l'ordre communautaire et les objectifs poursuivis par la convention en vertu de l'article 220 du traité, sur lequel elle se fonde, exigent une application uniforme dans tous les Etats membres des notions et qualifications juridiques dégagées par la Cour dans le cadre de la convention ;
5 Qu'en vertu de cette exigence, le juge national ne saurait appliquer la convention pour assurer la reconnaissance et l'exécution de décisions exclues du champ d'application de celle-ci, tel qu'il a été défini par la Cour, mais n'est pas pour autant empêché d'appliquer à ces mêmes décisions l'un ou l'autre des accords particuliers prévus à l'article 55 de la convention, susceptible de régler la reconnaissance et l'exécution de telles décisions ;
Qu'en effet, l'article 56, alinéa 1, de la convention reconnait que ces accords continuent à produire leurs effets pour des décisions qui ne relèvent pas du champ d'application de la convention ;
Que, l'article 1 du protocole du 3 juin 1971 ne conférant à la Cour que la compétence pour interpréter la convention ainsi que le protocole, il appartient exclusivement aux juridictions nationales d'apprécier la portée des accords précités à l'égard de décisions exclues du champ d'application de la convention ;
Que la compétence laissée à cet effet aux juridictions nationales peut d'autant plus se justifier que l'application complémentaire de ces accords bilatéraux contribue à l'objectif de faciliter la reconnaissance et l'exécution des décisions judiciaires entre les Etats membres, objectif visé par la convention ;
6 Que, pour ces raisons, il y a lieu de répondre que l'article 56, alinéa 1, de la convention ne fait pas obstacle à ce qu'une convention bilatérale, telle que la convention germano-belge mentionnée à l'article 55, alinéa 6, continue à produire ses effets pour les décisions qui, sans relever de l'article 1, alinéa 2, de la convention, sont exclues du champ d'application de celle-ci ;
7 Que si cette conclusion peut conduire à des interprétations divergentes d'une même expression dans la convention européenne et dans une convention bilatérale, cet effet est du à la différence des systèmes dans lesquels cette expression 'matière civile et commerciale' se trouve insérée ;
Qu'en effet, dans le cadre d'une convention bilatérale, l'acceptation, par les juridictions d'un état, d'une qualification opérée par la juridiction qui s'est prononcée en premier lieu, est susceptible d'aboutir à un résultat pratique, compte tenu de l'indépendance réciproque des juridictions nationales ;
Qu'une telle méthode, par contre, aurait pour effet de provoquer des divergences indésirables dans un système tel que celui de la convention européenne, dont l'interprétation est confiée à une juridiction commune à toutes les parties ;
Sur les dépens
8 Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement ;
Que la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur la question à elle soumise par le Bundesgerichtshof par ordonnances du 22 décembre 1976, dit pour droit :
l'article 56, alinéa 1, de la convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ne fait pas obstacle à ce qu'une convention bilatérale, telle que la convention germano-belge mentionnée à l'article 55, alinéa 6, continue à produire ses effets pour les décisions qui, sans relever de l'article 1, alinéa 2, de la convention, sont exclues du champ d'application de celle-ci.