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Décisions

CJCE, 6e ch., 23 novembre 1989, n° C-150/88

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kommanditgesellschaft in Firma Eau de Cologne & Parfümerie-Fabrik, Glockengasse n. 4711

Défendeur :

Provide Srl

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Kakouris

Avocat général :

M. Darmon

Juges :

MM. Schockweiler, Koopmans, Mancini, O'Higgins

Avocats :

Mes Krings, Eidam

CJCE n° C-150/88

23 novembre 1989

LA COUR,

1 Par ordonnance du 4 mai 1988, parvenue à la Cour le 26 du même mois, le Landgericht Koeln a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation de la directive 76-768 du Conseil, du 27 juillet 1976, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques (JO L. 262, p. 169), en vue d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire de la réglementation italienne adoptée pour la mise en œuvre de la directive précitée.

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant la société allemande Kommanditgesellschaft in Firma Eau de Cologne & Parfuemerie-Fabrik Glockengasse n° 4711 (ci-après "société 4711 ") à la société italienne Provide, à propos de l'exécution d'un contrat de vente de produits cosmétiques.

3 Selon l'article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive, les États membres prennent toute disposition utile pour que les produits cosmétiques ne puissent être mis sur le marché que si leurs emballages, récipients ou étiquettes indiquent notamment le nom ou la raison sociale et l'adresse ou le siège social du fabricant ou du responsable de la mise sur le marché, établis à l'intérieur de la Communauté. L'article 6, paragraphe 2, dispose que les États membres doivent également prendre toute disposition utile pour que, dans l'étiquetage, la présentation à la vente et la publication concernant les produits cosmétiques, le texte, les dénominations, marques, images ou autres signes figuratifs ou non ne soient pas utilisés pour attribuer aux produits des caractéristiques qu'ils ne possèdent pas.

4 L'article 8, paragraphe 1, sous a), de la loi italienne n° 713, du 11 octobre 1986, mettant en œuvre l'article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive précitée, tel qu'interprété par circulaire ministérielle, exige la mention du producteur italien ou du responsable en Italie de la mise sur le marché des produits cosmétiques. Pour les produits qui portent déjà l'indication du producteur ou du responsable de la commercialisation établi dans un autre État membre, il suffit que l'indication de l'entreprise italienne responsable de la commercialisation en Italie soit apposée par celle-ci sur l'emballage extérieur du produit, après l'importation et avant la vente au public. D'autre part, l'article 8, paragraphe 1, sous d), de la loi précitée, portant dispositions d'exécution de l'article 6, paragraphe 2, de la directive, exige l'indication des données qualitatives et quantitatives des substances dont il est fait mention sur l'emballage, dans la publicité ou dans la dénomination du produit.

5 Provide a commandé à la société 4711 du Vitamol, produit cosmétique dont l'emballage et la notice d'emploi mentionnaient le nom des vitamines qu'il contenait, et notamment le D. Panthenol. La société 4711 garantissait notamment que le produit en cause était conforme aux lois et dispositions en vigueur, et qu'il pouvait être commercialisé en Italie.

6 Provide a ultérieurement refusé de prendre livraison de la commande au motif que celle-ci n'était pas conforme aux clauses du contrat. Le produit n'aurait pas été commercialisable en Italie, en ce que n'était mentionné, contrairement aux dispositions italiennes précitées, ni l'importateur italien ni la quantité de vitamines contenues dans le produit, alors que le nom de celles-ci était expressément mentionné sur l'emballage.

7 La société 4711 a saisi le Landgericht Koeln, compétent en vertu d'une clause du contrat, d'une action en exécution de celui-ci, en faisant valoir en substance que le produit offert était parfaitement conforme aux dispositions de la directive, et donc commercialisable dans tous les États membres.

8 Le Landgericht Koeln estime que la réglementation italienne est contraire aux dispositions précitées de la directive. La juridiction nationale considère, en particulier, que, si l'obligation de donner une indication qualitative et quantitative des substances constitue bien une manière de remplir l'objectif poursuivi par l'article 6, paragraphe 2, de la directive précitée, à savoir protéger le consommateur de toute tromperie, cette obligation va toutefois trop loin et son efficacité est douteuse.

9 Le Landgericht a décidé, en conséquence, de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour, conformément à l'article 177 du traité CEE, les questions préjudicielles suivantes :

"1) L'article 8, paragraphe 1, sous d), de la loi italienne n° 713, du 11 octobre 1986, est-il compatible avec l'article 6, paragraphe 2, de la directive du Conseil du 27 juillet 1976 et avec l'article 30 du traité CEE, dans la mesure où il exige l'indication des 'données qualitatives et quantitatives des substances dont il est fait mention sur l'emballage, dans la publicité ou dans la dénomination du produit' ?

2) L'article 8, paragraphe 1, sous a), de la loi italienne n° 713, dans l'interprétation qui lui est donnée dans le paragraphe 3 de la circulaire du 2 février 1987 du ministre de la Santé italien, est-il compatible avec l'article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive du Conseil du 27 juillet 1976 et avec l'article 30 du traité CEE, dans la mesure où, également dans le cas de produits importés en Italie fabriqués par un fabricant résidant dans la Communauté, le 'nom de l'entreprise italienne qui est responsable de la commercialisation doit figurer sur les emballages, boîtes ou étiquettes' ?"

10 Pour un plus ample exposé du cadre juridique et des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la compétence de la Cour

11 Le Gouvernement italien relève que les questions préjudicielles ont été posées dans le cadre d'un litige entre particuliers, dont le caractère réel n'est pas certain, et tendent à faire apprécier par le juge d'un État membre la compatibilité avec le droit communautaire de la réglementation d'un autre État membre. Se référant à l'arrêt de la Cour du 16 décembre 1981, Foglia-Novello (244-80, Rec. p. 3045), le Gouvernement italien doute, par conséquent, de l'utilisation correcte de la procédure préjudicielle. Il soutient en outre que, dans le cadre de l'application de l'article 177, la Cour n'est pas compétente pour statuer sur la compatibilité de dispositions nationales avec le droit communautaire.

12 Il y a lieu d'écarter ces objections. D'une part, les éléments du dossier ne permettent pas de mettre en doute le caractère réel du litige au principal ni, par conséquent, l'utilisation correcte de la procédure préjudicielle. D'autre part, il résulte d'une jurisprudence constante (voir notamment, l'arrêt du 9 octobre 1984, Heineken, 91 et 127-83, Rec. p. 3435) que, en présence de questions destinées à permettre à la juridiction nationale d'apprécier la conformité au droit communautaire de dispositions nationales, la Cour peut fournir les éléments d'interprétation du droit communautaire qui permettront à la juridiction nationale de résoudre le problème juridique dont elle se trouve saisie. Il en est de même lorsqu'il s'agit de l'appréciation de la compatibilité avec le droit communautaire des dispositions d'un État membre autre que celui de la juridiction de renvoi.

Sur la première question

13 Cette question tend en substance à savoir si l'article 6, paragraphe 2, précité, de la directive s'oppose à ce qu'une réglementation nationale exige l'indication des données qualitatives et quantitatives des substances mentionnées sur l'emballage, dans la publicité ou dans la dénomination des produits cosmétiques.

14 Il convient de rappeler à cet égard qu'aux termes de l'un des considérants de la directive celle-ci s'inspire de la nécessité de "déterminer au niveau communautaire les règles qui doivent être observées en ce qui concerne la composition, l'étiquetage et l'emballage des produits cosmétiques". Elle vise ainsi à supprimer les divergences existant entre les législations nationales, ces divergences ayant pour effet de contraindre les entreprises communautaires à différencier leur production selon l'État membre de destination et d'entraver ainsi les échanges portant sur ces produits.

15 A cet effet, l'article 6, paragraphe 1, de la directive énumère les différentes mentions que doivent comporter les emballages, récipients ou étiquettes des produits cosmétiques; au nombre de ces mentions ne figurent pas les données qualitatives et quantitatives des substances mentionnées dans la présentation de ces produits.

16 En outre, l'article 7 de la directive interdit aux États membres, en son paragraphe 1, de refuser, d'interdire ou de restreindre la mise sur le marché des produits cosmétiques répondant aux prescriptions de la directive sous la seule réserve, énoncée au paragraphe 2, qu'ils peuvent exiger que certaines des mentions prescrites par l'article 6, paragraphe 1, soient libellées dans leurs langues nationales ou officielles.

17 Il s'ensuit que la liste de ces mentions est exhaustive et qu'un État membre ne saurait exiger l'indication, non expressément prévue par la directive, des données qualitatives et quantitatives des substances mentionnées dans la présentation des produits cosmétiques.

18 En effet, une telle exigence serait précisément de nature à entraver les échanges intracommunautaires par l'obligation qu'elle implique de modifier le conditionnement sous lequel les produits sont légalement commercialisés dans certains États membres. Un distributeur établi dans un de ces États peut même éprouver des difficultés à exporter des produits cosmétiques dans un autre État membre, dès lors que celui-ci exige la mention en question et que le producteur ne donne pas au distributeur les informations requises.

19 Il convient d'ajouter que, si l'article 6, paragraphe 2, de la directive oblige les États membres à prendre les dispositions utiles pour éviter que dans l'étiquetage et la présentation à la vente les textes, dénominations, marques, images et autres signes ne soient utilisés pour attribuer aux produits cosmétiques en cause des caractéristiques qu'ils n'ont pas, il n'autorise pas les États membres à exiger les mentions non prévues par la directive dans l'étiquetage ou l'emballage de ces produits.

20 Par ailleurs, l'objectif de protection des consommateurs, qui est à la base de l'article 6, paragraphe 2, de la directive, peut être atteint par des moyens moins restrictifs des échanges communautaires. Il ressort en effet d'un examen comparatif des dispositions nationales édictées à cette fin que certains États membres ont interdit, de manière générale, toute indication de nature à induire le consommateur en erreur. Or, il n'apparaît pas qu'une telle interdiction générale soit insuffisante pour atteindre le but recherché.

21 Il y a donc lieu de répondre à la première question que l'article 6, paragraphe 2, de la directive 76-768 s'oppose à ce qu'une réglementation nationale exige l'indication des données qualitatives et quantitatives des substances mentionnées sur l'emballage, dans la publicité ou dans la dénomination des produits cosmétiques couverts par la directive.

Sur la seconde question

22 Cette question tend en substance à savoir si l'article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive interdit à un État membre d'exiger, dans le cas de produits cosmétiques importés, fabriqués par un producteur établi dans la Communauté, que le nom de l'entreprise installée et responsable de leur commercialisation dans cet État figure sur les emballages, boîtes ou étiquettes des produits.

23 Il ressort de ses termes mêmes que l'article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive exige seulement l'indication soit du fabricant, soit du responsable de la mise sur le marché du produit cosmétique, pour autant que l'un ou l'autre soit établi dans la Communauté.

24 Il s'ensuit que cette disposition interdit à un État membre d'exiger, dans le cas de produits importés, fabriqués par un producteur établi dans la Communauté, que le nom du distributeur installé et responsable de leur commercialisation dans cet État figure sur les emballages, boîtes ou étiquettes des produits.

25 Il est à cet égard indifférent que l'État membre se borne à exiger que l'indication du distributeur puisse être apposée sur l'emballage extérieur du produit après l'importation, avant sa vente au public, et selon des modalités n'exigeant pas l'ouverture de l'emballage du produit.

26 En effet, une telle obligation rend, en tout état de cause, plus onéreuse la commercialisation des produits et entraîne, par conséquent, une entrave aux échanges, que la directive a pour objet d'éliminer.

27 Il y a donc lieu de répondre à la seconde question que l'article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive interdit à un État membre d'exiger, dans le cas de produits cosmétiques importés, fabriqués par un producteur établi dans la Communauté, que le nom de l'entreprise établie et responsable de la commercialisation dans cet État membre figure sur les emballages, boîtes ou étiquettes des produits.

28 La directive ayant procédé à une harmonisation exhaustive des règles nationales d'emballage et d'étiquetage des produits cosmétiques, il n'est pas nécessaire de statuer sur l'interprétation de l'article 30 du traité sollicitée par la juridiction nationale.

Sur les dépens

29 Les frais exposés par les Gouvernements du royaume d'Espagne et de la République italienne ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Landgericht Koeln, par ordonnance du 4 mai 1988, dit pour droit :

1) L'article 6, paragraphe 2, de la directive 76-768 du Conseil, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques, s'oppose à ce qu'une réglementation nationale exige l'indication des données qualitatives et quantitatives des substances mentionnées sur l'emballage, dans la publicité ou dans la dénomination des produits cosmétiques couverts par la directive.

2) L'article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive précitée interdit à un État membre d'exiger, dans le cas de produits cosmétiques importés, fabriqués par un producteur établi dans la Communauté, que le nom de l'entreprise établie et responsable de la commercialisation dans cet État membre figure sur les emballages, boîtes ou étiquettes des produits.