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Décisions

CJCE, 5e ch., 7 décembre 1993, n° C-216/91

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rima Eletrometalurgia (SA)

Défendeur :

Conseil des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents de chambre :

M. Moitinho de Almeida. Juges : MM. Joliet, Rodríguez Iglesias

Avocat général :

M. Lenz

CJCE n° C-216/91

7 décembre 1993

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 14 août 1991, la société Rima Eletrometalurgia SA (ci-après "Rima") a, en vertu de l'article 173 du traité CEE, introduit un recours en annulation de l'article 1er, paragraphe 3, du règlement (CEE) n 1115-91 du Conseil, du 29 avril 1991, instituant des droits antidumping définitifs dans le cadre de la procédure de réexamen des mesures antidumping applicables aux importations de ferrosilicium originaires du Brésil (JO L 111, p. 1, ci-après "règlement litigieux").

2 Rima est une société brésilienne dont le siège est situé à Belo Horizonte et qui a pour activité la production et la vente de ferro-alliages, dont le ferrosilicium. Le 12 septembre 1986, à la suite d'une plainte déposée par les producteurs de ferrosilicium de la Communauté, la Commission a ouvert une procédure concernant les importations de ferrosilicium originaires du Brésil. Rima a transmis une réponse au questionnaire antidumping. Cette réponse a été vérifiée par les services de la Commission dans les locaux de Rima à Belo Horizonte. L'enquête ayant montré l'absence d'un dumping de la part de Rima, dont la raison sociale était alors Electrometalur SA Indústria e Comércio, l'article 1er, paragraphe 3, du règlement (CEE) n 2409-87 de la Commission, du 6 août 1987, instituant un droit antidumping provisoire à l'importation du ferrosilicium originaire du Brésil et portant acceptation des engagements souscrits par Italmagnésio SA au Brésil et Promsyrio-Import en Union soviétique (JO L 219, p. 24), a exclu l'application du droit aux produits fabriqués et exportés par la société requérante. Cette exclusion a été confirmée par l'article 1er, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 3650-87 du Conseil, du 3 décembre 1987, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de ferrosilicium originaire du Brésil (JO L 343, p. 1).

3 Le 3 mai 1990, la Commission, en vertu de l'article 14 du règlement (CEE) n° 2423-88 du Conseil, du 11 juillet 1988, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non-membres de la Communauté économique européenne (JO L 209, p. 1, ci-après "règlement de base"), a ouvert une procédure de réexamen des mesures antidumping prises par le règlement n 3650-87, précité.

4 Cette procédure a été déclenchée par une demande de réexamen présentée par certains exportateurs brésiliens soumis au droit antidumping. Ces entreprises ont fait valoir que leurs exportations en 1989 n'avaient plus été faites à des prix de dumping et que, ainsi, il n'en résultait plus de préjudice matériel pour l'industrie communautaire.

5 La procédure de réexamen n'a pas été limitée aux exportateurs qui en avaient présenté la demande. Elle a été étendue à l'ensemble des exportateurs brésiliens, y compris Rima. L'avis d'ouverture de la procédure de réexamen (JO C 109 du 3.05.1990, p. 5) relevait à cet égard : "Ayant décidé, après consultation, qu'il existe des éléments de preuve suffisants pour justifier un réexamen, la Commission a entamé une enquête conformément à l'article 14 du règlement (CEE) n 2423-88 du Conseil. Comme, en outre, la Commission a des raisons de croire que les circonstances invoquées par certains exportateurs brésiliens s'appliquent aussi aux autres producteurs-exportateurs brésiliens et que, en outre, le marché du ferrosilicium présente une situation nouvelle, résultant de la baisse substantielle des prix de vente sur le marché communautaire engendrée par la surcapacité de production au niveau mondial, la procédure de réexamen est étendue à tous les producteurs-exportateurs brésiliens."

6 La Commission a envoyé un deuxième questionnaire antidumping à la requérante. L'enquête a porté sur la période comprise entre le 1er septembre 1989 et le 30 avril 1990. A réception de la réponse, la Commission a procédé à un contrôle au siège de l'entreprise. Par la suite, la Commission a communiqué ses premiers calculs dont il résultait une marge de dumping de 38,2 % en ce qui concerne la requérante. Après prise de position de celle-ci, le Conseil, sur proposition de la Commission, a adopté le règlement litigieux.

7 En vertu de l'article 1er, paragraphe 3, de ce règlement, disposition dont l'annulation est demandée, Rima s'est vu imposer un droit antidumping définitif de 12,2 % du prix net franco frontière communautaire sur les importations de ferrosilicium.

8 Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

9 A l'appui de son recours, Rima invoque les quatre moyens d'annulation suivants :

- les institutions communautaires ont violé des règles de forme substantielles, en incluant la requérante dans le champ d'application de la procédure de réexamen et en lui imposant un droit antidumping;

- la constatation de l'existence d'un dumping, faite par les institutions, est fondée sur des éléments situés en dehors de la période d'investigation fixée par la Commission;

- la constatation d'un dumping faite par les institutions communautaires résulte d'une comparaison inéquitable entre la valeur normale et le prix à l'exportation, en violation de l'article 2, paragraphe 9, sous a), du règlement de base;

- la requérante n'a pas été entendue sur les mesures antidumping proposées par la Commission, en violation des droits fondamentaux de la défense.

Sur le premier moyen

10 Par ce moyen, tel que précisé à l'audience, Rima fait valoir que, l'enquête initiale ayant abouti à la constatation de l'absence d'un dumping de sa part, la nouvelle enquête effectuée à son égard dans le cadre du réexamen déclenché par la demande de cinq exportateurs soumis à un droit antidumping, est entachée d'illégalité. Elle estime qu'une nouvelle enquête n'aurait été légale qu'en présence d'éléments de preuve de pratiques de dumping de sa part.

11 Le Conseil et la Commission estiment au contraire que cette enquête était parfaitement régulière, étant donné que la procédure antidumping, qui concernait les produits en provenance du Brésil et non pas les produits d'entreprises déterminées, était toujours en cours nonobstant le résultat négatif de la première enquête en ce qui concerne Rima. Ils font valoir que l'existence d'éléments de preuve suffisants d'une pratique de dumping et d'un préjudice pour l'industrie communautaire est nécessaire, selon l'article 7, paragraphe 1, du règlement de base, pour justifier l'ouverture d'une procédure, mais que cette exigence ne s'applique pas lorsque, comme en l'espèce, il s'agit d'ouvrir une nouvelle enquête dans le cadre d'une procédure non close. Conformément à l'article 14, paragraphe 1, du règlement de base, les éléments de preuve requis pour un réexamen ne concernent pas, à la différence de ceux exigés pour l'ouverture d'une procédure antidumping, l'existence de pratiques de dumping et d'un préjudice pour l'industrie communautaire, mais un changement de circonstances de nature à justifier le réexamen.

12 Il convient de rappeler les termes des dispositions pertinentes de l'article 14 du règlement de base, relatif à la procédure de réexamen des mesures antidumping :

"1. Les règlements instituant des droits antidumping ou compensateurs et les décisions d'accepter des engagements font l'objet d'un réexamen, intégral ou partiel, si nécessaire.

Il est procédé à ce réexamen soit à la demande d'un État membre, soit à l'initiative de la Commission. Un réexamen a également lieu à la demande d'une partie intéressée qui présente des éléments de preuve d'un changement de circonstances suffisants pour justifier la nécessité de ce réexamen, à condition qu'une année au moins se soit écoulée depuis la conclusion de l'enquête. Ces demandes sont adressées à la Commission, qui en informe les États membres.

2. Lorsque, après consultations, il apparaît qu'un réexamen est nécessaire, l'enquête est rouverte conformément à l'article 7 si les circonstances l'exigent. Cette réouverture n'affecte pas elle-même les mesures en vigueur.

3. Lorsque le réexamen, mené avec ou sans réouverture de l'enquête, l'exige, les mesures sont modifiées, abrogées ou annulées..."

13 Il résulte de ces dispositions que, dans l'hypothèse où le réexamen comporte la nécessité d'une nouvelle enquête qui a, à l'égard d'une ou de plusieurs entreprises, la même portée que l'enquête initiale, la nouvelle enquête doit être rouverte conformément aux dispositions de l'article 7. Or, le paragraphe 1 de cet article exige des éléments de preuve suffisants qui, en vertu de l'article 5, paragraphe 2, doivent porter sur l'existence d'un dumping et le préjudice qui en résulte.

14 Cette conclusion est corroborée par l'article 5, paragraphe 1, du code antidumping du GATT qui, ainsi que l'a relevé la requérante, subordonne l'ouverture de toute enquête, qu'elle soit ouverte d'office ou sur demande des intéressés, visant à déterminer l'existence, le degré et l'effet de tout dumping allégué, à la présence d'éléments de preuve suffisants de l'existence du dumping, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les importations faisant l'objet d'un dumping et le préjudice allégué.

15 L'objectif des dispositions précitées du règlement de base, comme celui de l'article 5, paragraphe 1, du code antidumping du GATT, est ainsi d'éviter que des exportateurs soient soumis à des enquêtes antidumping non justifiées par des raisons objectives.

16 Il résulte de ce qui précède que l'ouverture d'une enquête, que ce soit à l'ouverture d'une procédure antidumping ou dans le cadre du réexamen d'un règlement instituant des droits antidumping, est toujours subordonnée à l'existence d'éléments de preuve suffisants de l'existence d'un dumping et du préjudice qui en résulte.

17 Toutefois, contrairement à ce qui a été soutenu par la requérante, les éléments de preuve exigés ne doivent pas porter nécessairement sur l'existence de pratiques de dumping de la part de chacune des entreprises objet de l'enquête. En effet, ainsi que les institutions défenderesse et intervenante l'ont relevé à juste titre, les procédures antidumping concernent en principe toutes les importations d'une certaine catégorie de produits à partir d'un pays tiers et non pas les importations des produits d'entreprises déterminées.

18 Par conséquent, on ne saurait exclure que, en présence d'éléments de preuve suffisants quant à l'existence d'un dumping en ce qui concerne les importations de certains produits en provenance d'un pays tiers, la Commission décide l'ouverture d'une enquête à l'égard d'entreprises qui produisent ou exportent les marchandises en cause, même si elle ne dispose pas d'éléments de preuve quant à l'existence d'une pratique de dumping de la part de chacune des entreprises concernées par l'enquête.

19 Au vu de ces éléments, il convient d'examiner si, en l'espèce, l'enquête ouverte par la Commission à l'égard de Rima était justifiée par l'existence d'éléments de preuve suffisants.

20 A cet égard, les institutions défenderesse et intervenante se réfèrent aux éléments indiqués dans l'avis d'ouverture de la procédure de réexamen, à savoir, d'une part, les preuves fournies par les cinq exportateurs qui avaient demandé le réexamen et, d'autre part, la situation nouvelle du marché du ferrosilicium résultant de la baisse substantielle des prix de vente sur le marché communautaire, engendrée par la surcapacité de production au niveau mondial.

21 En ce qui concerne les preuves fournies par les cinq exportateurs, on ne saurait admettre, en l'absence d'indications plus précises, qu'elles constituent des éléments de preuve suffisants de l'existence d'un dumping, au sens de l'article 7, paragraphe 1, du règlement de base, alors que, présentées à l'appui de la demande de réexamen, elles avaient au contraire pour objet de démontrer que les entreprises formulant cette demande n'avaient plus exporté à des prix de dumping pendant l'année 1989.

22 S'agissant de la nouvelle situation du marché du ferrosilicium, résultant de la baisse substantielle des prix de vente sur le marché communautaire engendrée par la surcapacité de production au niveau mondial, il convient d'observer que cette surcapacité pouvait aussi bien être à l'origine d'une baisse des prix pratiqués sur d'autres marchés, y compris sur le marché brésilien. Cet argument a été d'ailleurs invoqué par les exportateurs qui ont introduit la demande de réexamen pour étayer leur affirmation selon laquelle ils n'exporteraient plus à des prix de dumping.

23 La notion de dumping impliquant que le prix pratiqué sur le marché communautaire est inférieur à celui pratiqué sur le marché du pays d'exportation ou d'origine, la nouvelle situation du marché du ferrosilicium, résultant de la baisse substantielle des prix de vente sur le marché communautaire, ne pouvait pas être considérée comme un élément de preuve suffisant de l'existence d'un dumping.

24 Il ressort de ce qui précède qu'en l'absence de tout élément de preuve quant à l'existence d'un dumping, les conditions exigées par l'article 7, paragraphe 1, du règlement de base pour l'ouverture d'une enquête n'étaient pas remplies.

25 Les institutions défenderesse et intervenante font encore valoir qu'elles étaient tenues d'inclure la requérante dans la procédure de réexamen, sous peine de lui faire subir un traitement inégal.

26 Cet argument ne saurait être admis. Si des exigences d'égalité pouvaient justifier l'extension de la procédure de réexamen à l'égard des producteurs ou exportateurs frappés par le droit antidumping qui n'avaient pas demandé ce réexamen, une telle considération ne pouvait justifier l'ouverture d'une nouvelle enquête à l'encontre de la requérante, alors que ses produits avaient été exclus de l'application du droit antidumping à la suite de la première enquête.

27 Il résulte ainsi des éléments qui précèdent que les institutions communautaires, pour soumettre la requérante à un droit antidumping, n'ont pas respecté les conditions établies à cet effet par le règlement de base.

28 Par conséquent, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens présentés par la requérante, l'article 1er, paragraphe 3, du règlement attaqué doit être annulé.

Sur les dépens

29 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le Conseil ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. En application du paragraphe 4, premier alinéa, de ce même article, la Commission, qui est intervenue au litige, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1) L'article 1er, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 1115-91 du Conseil, du 29 avril 1991, instituant des droits antidumping définitifs dans le cadre de la procédure de réexamen des mesures antidumping applicables aux importations de ferrosilicium originaires du Brésil, est annulé.

2) Le Conseil est condamné aux dépens.

3) La Commission supportera ses propres dépens.