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Décisions

CJCE, 3e ch., 15 décembre 2005, n° C-232/04

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Güney-Görres, Demir

Défendeur :

Securicor Aviation (Germany) Ltd, Kötter Aviation Security GmbH & Co. KG

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Rosas

Avocat général :

M. Poiares Maduro

Juges :

MM. Puissochet, von Bahr, Barthet (rapporteur), Lõhmus

Avocats :

Mes Kasper, Wegmann, Kolks, Berger

CJCE n° C-232/04

15 décembre 2005

LA COUR (troisième chambre),

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l'interprétation de l'article 1er de la directive 2001-23-CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements (JO L 82, p. 16).

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant Mmes Güney-Görres et Demir à Kötter Aviation Security GmbH & Co. KG (ci-après "Kötter"), société chargée par contrat du contrôle des passagers et des bagages à l'aéroport de Düsseldorf, ainsi qu'à leur ancien employeur, Securicor Aviation (Germany) Ltd (ci-après "Securicor"), société chargée, précédemment, des mêmes prestations en vertu d'un contrat ayant fait l'objet d'une résiliation. Ces salariées ont saisi l'Arbeitsgericht Düsseldorf (tribunal du travail) d'un recours dirigé contre Kötter, afin de faire constater que la relation de travail existant entre elles et Securicor s'est poursuivie avec Kötter sur le fondement de l'article 613 a du Code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch, ci-après le "BGB") par lequel a été assurée la transposition en droit allemand de la directive 2001-23.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 La directive 2001-23 codifie la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements (JO L 61, p. 26), telle que modifiée par la directive 98-50-CE du Conseil, du 29 juin 1998 (JO L 201, p. 88).

4 Le champ d'application de la directive 2001-23 est déterminé à l'article 1er de celle-ci qui prévoit:

"1. a) La présente directive est applicable à tout transfert d'entreprise, d'établissement ou de partie d'entreprise ou d'établissement à un autre employeur résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion.

b) Sous réserve du point a) et des dispositions suivantes du présent article, est considéré comme transfert, au sens de la présente directive, celui d'une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d'une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire.

[...]"

5 La rédaction de l'article 1er de la directive 2001-23 est identique à celle de l'article 1er de la directive 77-187 telle que modifiée par la directive 98-50 dont le quatrième considérant est libellé comme suit:

"[...] la sécurité et la transparence juridiques requièrent une clarification de la notion de transfert à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice; [...] cette clarification ne modifie pas le champ d'application de la directive 77-187-CEE telle qu'elle a été interprétée par la Cour de justice".

6 Les articles 3 et 4 de la directive 2001-23 contiennent les dispositions suivantes:

"Article 3

1. Les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.

[...]

Article 4

1. Le transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'entreprise ou d'établissement ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire. Cette disposition ne fait pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation impliquant des changements sur le plan de l'emploi.

[...]"

Le droit national

7 Le transfert des relations de travail en raison d'un transfert d'établissement et l'interdiction de licencier qui en est le corollaire sont régis par l'article 613 a du BGB, intitulé "Droits et obligations en cas de transfert d'établissement". Cette disposition est ainsi rédigée:

"1) Lorsqu'un établissement ou une partie d'établissement est transféré par acte juridique à un autre propriétaire, celui-ci succède aux droits et obligations nés des contrats de travail en vigueur à la date du transfert. Si ces droits et obligations sont régis par les règles juridiques d'une convention collective ou par un accord d'entreprise, ils deviennent le contenu de la relation de travail entre le nouveau propriétaire et le travailleur et ne peuvent être modifiés au détriment de ce dernier avant l'expiration d'une année à compter de la date du transfert. La deuxième phrase ne s'applique pas lorsque les droits et obligations du nouveau propriétaire sont régis par les dispositions d'une autre convention collective ou par un autre accord d'entreprise. Avant l'expiration du délai prévu dans la deuxième phrase, ces droits et obligations peuvent être modifiés si la convention collective ou l'accord d'entreprise n'est plus applicable ou à défaut d'obligation réciproque de se conformer à une autre convention collective dont l'application est convenue entre le nouveau propriétaire et le travailleur.

2) L'ancien employeur est solidairement responsable avec le nouveau propriétaire des obligations visées au paragraphe 1, pour autant qu'elles soient nées avant la date du transfert et arrivent à échéance au plus tard un an après cette date. Toutefois, lorsque ces obligations arrivent à échéance après la date du transfert, l'ancien employeur n'est responsable que dans la mesure correspondant à la période écoulée à la date du transfert.

3) Le paragraphe 2 ne s'applique pas en cas d'extinction par transformation d'une personne morale ou d'une société de personnes.

4) Le licenciement d'un travailleur par l'ancien employeur ou par le nouveau propriétaire en raison du transfert d'un établissement ou d'une partie d'établissement est nul et de nul effet. Le droit de dénoncer la relation de travail pour d'autres raisons reste entier.

5) L'ancien employeur ou le nouveau propriétaire est tenu de faire connaître aux salariés concernés, par écrit et avant le transfert:

1. la date fixée ou proposée pour le transfert,

2. le motif du transfert,

3. les conséquences juridiques, économiques et sociales du transfert pour les travailleurs,

4. les mesures envisagées à l'égard des travailleurs.

6) Le travailleur peut s'opposer par écrit au transfert de la relation de travail dans le délai d'un mois à compter de la réception des informations prévues au paragraphe 5. L'opposition peut être signifiée à l'ancien employeur ou au nouveau propriétaire."

Les faits

8 Mmes Güney-Görres et Demir étaient employées par Securicor, pour une durée indéterminée, en tant qu'agents de sécurité affectés au contrôle des passagers et de leurs bagages à l'aéroport de Düsseldorf.

9 Aux termes d'un contrat conclu le 5 avril 2000 avec l'État allemand, représenté par le Bundesministerium des Inneren (ministère fédéral de l'Intérieur, ci-après le "BMI"), Aviation Defence International Germany Ltd a été chargée du contrôle des passagers et de leurs bagages à l'aéroport de Düsseldorf conformément aux termes de la troisième phrase de l'article 29 c, paragraphe 1, de la loi sur le transport aérien (Luftverkehrsgesetz), dans sa version du 27 mars 1999 (BGBl. 1999 I, p. 550). Securicor a repris l'exécution de ce contrat, lequel expirait le 31 décembre 2003.

10 Selon les stipulations dudit contrat, l'État allemand mettait à la disposition de Securicor les équipements de sûreté aérienne nécessaires à l'exécution des contrôles des passagers, ces équipements comprenant notamment des portiques de détection, un tapis roulant muni d'un système d'inspection automatique à rayons X (installation de contrôle des bagages et appareils de détection radioscopique), des détecteurs manuels ainsi que des détecteurs d'explosifs.

11 Securicor employait 306 salariés dont 295 étaient affectés exclusivement au contrôle des passagers. Les agents affectés à cette dernière tâche avaient bénéficié d'une formation spécifique de quatre semaines au moins, et avaient dû subir un examen d'assistant de sécurité aérienne et obtenir une délégation de puissance publique les habilitant à exercer les activités de contrôle. Ces salariés étaient placés sous l'autorité du service compétent du Bundesgrenzschutz (police fédérale de protection des frontières) lors de l'exécution des opérations de contrôle des passagers.

12 Par lettre du 5 juin 2003, le BMI a fait savoir à Securicor que les relations contractuelles résultant du marché passé en vue du contrôle des passagers à l'aéroport de Düsseldorf ne seraient pas prorogées au-delà du 31 décembre suivant. Le 16 septembre 2003, le BMI a informé Securicor de l'attribution de ce marché à Kötter.

13 En réponse à une demande présentée par Securicor, le gérant de Kötter a déclaré ne pas être intéressé par un transfert d'établissement. En outre, par lettre du 17 novembre 2003, Kötter a fait savoir à Securicor qu'elle n'envisageait de reprendre les salariés de cette dernière que dans une mesure très limitée.

14 Par lettres du 26 novembre 2003, Securicor a dénoncé, à compter du 31 décembre 2003, les contrats de travail qui la liaient respectivement à Mme Güney-Görres et à Mme Demir. Elle a également résilié les contrats de tous les autres salariés employés dans le cadre du marché passé avec l'État allemand.

15 Le 31 décembre 2003, Securicor a cessé d'accomplir, à l'aéroport de Düsseldorf, les tâches de contrôle qui lui avaient été confiées par cet État.

16 À compter du 1er janvier 2004, Kötter a assuré, en vertu du contrat conclu avec l'État allemand, le contrôle des passagers fréquentant ledit aéroport et de leurs bagages. L'objet du contrat était en substance identique à celui du marché conclu avec Securicor. Kötter utilisait également les équipements de sûreté aérienne appartenant audit État.

17 Kötter a repris, à la même date, 167 salariés précédemment employés par Securicor, Mmes Güney-Görres et Demir n'étant toutefois pas au nombre de ceux-ci. Les salariés repris par Kötter et affectés au contrôle des passagers étaient également placés sous la surveillance du service compétent du Bundesgrenzschutz.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

18 Les litiges au principal portent sur le point de savoir si la dénonciation par Securicor, à compter du 31 décembre 2003, des contrats de travail en cause, a mis fin aux relations de travail entre les demanderesses au principal et Securicor et/ou entre celles-ci et Kötter ou si, au contraire, cette dénonciation s'inscrivant dans le cadre d'un transfert d'établissement, les relations de travail ont été transférées à Kötter par la voie d'un transfert d'établissement au sens de l'article 1er de la directive 2001-23.

19 D'après l'Arbeitsgericht Düsseldorf, l'issue des litiges dépend de l'interprétation à donner à la notion de "transfert d'établissement" au sens de l'article 1er de la directive 2001-23.

20 La juridiction de renvoi relève que, selon la jurisprudence de la Cour, l'existence d'un transfert des éléments d'exploitation à l'attributaire du marché constitue l'une des circonstances caractérisant un transfert d'établissement. Ladite juridiction se demande si le droit communautaire permet de subordonner l'existence d'un transfert des éléments d'exploitation à leur utilisation dans le cadre d'une gestion économique propre, critère introduit par la jurisprudence du Bundesarbeitsgericht (tribunal fédéral du travail).

21 L'Arbeitsgericht Düsseldorf estime qu'il sera déterminant, aux fins de la solution des litiges au principal, de savoir si un transfert, de Securicor à Kötter, des équipements de sûreté aérienne constituant des éléments d'exploitation, notamment des portiques de détection, d'un tapis roulant muni d'un système d'inspection automatique à rayons X (installation de contrôle des bagages), des détecteurs manuels ainsi que des détecteurs d'explosifs, a été réalisé.

22 La juridiction de renvoi considère que ces équipements ne faisaient pas l'objet d'une gestion économique propre, dans la mesure où leur entretien incombait à l'État allemand, le donneur d'ordre, qui devait également en supporter le coût. Les adjudicataires concernés n'avaient d'ailleurs en aucune manière la possibilité d'utiliser ces équipements pour leur propre compte. Ils ne pouvaient ni en tirer un avantage économique supplémentaire, ni déterminer la nature et l'étendue de la mise en œuvre desdits équipements. En outre, le cahier des charges prévoyait l'obligation d'utiliser ces équipements.

23 Dans ces circonstances, l'Arbeitsgericht Düsseldorf a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1) Lors du contrôle de l'existence d'un transfert d'établissement en application de l'article 1er de la directive 2001-23-CE - indépendamment de la question de la propriété -, en cas de nouvelle attribution d'un marché et dans le cadre d'une évaluation d'ensemble, la constatation du transfert des éléments d'exploitation de l'adjudicataire initial au nouvel adjudicataire est-elle subordonnée à la condition que ces éléments soient cédés à ce dernier aux fins d'une gestion économique propre ? Par conséquent, pour admettre l'existence du transfert des éléments d'exploitation, est-il nécessaire de reconnaître à l'adjudicataire la faculté de décider de leur mode d'utilisation dans son intérêt économique propre? Partant, faut-il distinguer selon que les éléments d'exploitation du donneur d'ordre constituent l'"objet" ou le "moyen" de la prestation fournie par l'adjudicataire ?

2) Au cas où la Cour de justice répondrait affirmativement à la première question :

a) L'affectation à la gestion économique propre des éléments d'exploitation doit-elle être écartée lorsque le donneur d'ordre ne les met à la disposition de l'adjudicataire qu'aux fins d'une simple utilisation et qu'il prend en charge l'entretien, y compris les coûts y afférents ?

b) Y a-t-il gestion économique propre par l'adjudicataire lorsque, dans le cadre du contrôle des passagers dans les aéroports, il utilise les portiques de détection, les détecteurs manuels et les équipements de détection radioscopique mis à sa disposition par le donneur d'ordre ?"

24 Par ordonnance du président de la Cour du 9 juillet 2004, les affaires C-232-04 et C-233-04 ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt.

Sur les questions préjudicielles

25 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si, dans le contexte d'une appréciation de l'existence d'un transfert d'établissement en application de l'article 1er de la directive 2001-23, la constatation du transfert des éléments d'exploitation de l'adjudicataire initial du marché au nouvel adjudicataire est subordonnée à la condition que ces éléments soient cédés à ce dernier aux fins d'une gestion économique propre. Par une seconde question, que ladite juridiction pose en cas de réponse affirmative à sa première question, il est demandé à la Cour de définir les contours de cette notion de gestion économique propre.

26 Securicor fait valoir que, selon la jurisprudence de la Cour, il est satisfait au critère de la reprise des principaux éléments d'exploitation corporels dès lors que le nouvel exploitant utilise ces derniers. Le fait que celui-ci les utilise dans le cadre de pouvoirs de disposition propre ou selon les instructions du donneur d'ordre est sans pertinence. Par conséquent, Securicor fait valoir que le critère de gestion économique propre ne saurait être maintenu.

27 Le Gouvernement allemand et Kötter font valoir que le critère décisif pour caractériser l'existence d'un transfert des éléments d'exploitation de l'adjudicataire initial au nouvel adjudicataire réside dans le fait que ces éléments ont été cédés à ce dernier aux fins d'une gestion économique propre. Ils soutiennent que ce critère est conforme à la jurisprudence de la Cour. Selon ledit Gouvernement, cette notion doit être comprise en ce sens que le nouvel adjudicataire met en œuvre les éléments d'exploitation dans le cadre d'un pouvoir de disposition propre et de calculs de coûts propres en vue d'obtenir un avantage économique supplémentaire. En revanche, le Gouvernement allemand considère que la question de savoir si les éléments d'exploitation mis à disposition par le donneur d'ordre constituent l'"objet" ou le "moyen" de la prestation fournie par l'adjudicataire ne permet pas à elle seule d'opérer une délimitation claire.

28 La Commission des Communautés européennes estime qu'il convient de répondre à la première question par la négative. Elle considère que la question de l'interprétation de la notion de "transfert des éléments d'exploitation" ne peut pas être traitée séparément des autres critères qu'il faut examiner lors du contrôle de l'existence d'un transfert d'entreprise ou d'établissement. S'agissant du critère du transfert des éléments d'exploitation matériels, la Commission constate qu'il est incontestable que les salariés employés par Kötter utilisaient à partir du 1er janvier 2004, tout comme les employés de Securicor, les éléments d'exploitation matériels, tels que les portiques, les installations de contrôle des bagages, les détecteurs manuels et les détecteurs d'explosifs. Elle rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle il importe peu que ces éléments appartiennent ou non à l'adjudicataire. La Commission estime que la jurisprudence du Bundesarbeitsgericht, qui restreint l'imputation des éléments d'exploitation à l'établissement d'un adjudicataire en ce sens qu'elle n'est possible qu'à la condition que "les éléments d'exploitation soient mis à la disposition de l'ayant droit aux fins d'une gestion économique propre", n'est pas conforme à la directive 2001-23.

Appréciation par la Cour

29 Aux termes de l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2001-23, cette "directive est applicable à tout transfert d'entreprise, d'établissement ou de partie d'entreprise ou d'établissement à un autre employeur résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion".

30 Aux termes du paragraphe 1, sous b) de ce même article, "est considéré comme transfert, au sens de la présente directive, celui d'une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d'une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire". D'après le quatrième considérant de la directive 98-50, cette précision a été introduite afin de clarifier la notion de transfert à la lumière de la jurisprudence de la Cour.

31 Selon cette jurisprudence, la directive 2001-23 vise à assurer la continuité des relations de travail existant dans le cadre d'une entité économique, indépendamment d'un changement du propriétaire. Le critère décisif pour établir l'existence d'un transfert au sens de cette directive est donc de savoir si l'entité en question garde son identité, ce qui résulte notamment de la poursuite effective de l'exploitation ou de sa reprise (voir, notamment, arrêts du 18 mars 1986, Spijkers, 24-85, Rec. p. 1119, points 11 et 12; du 11 mars 1997, Süzen, C-13-95, Rec. p. I-1259, point 10, et du 20 novembre 2003, Abler e.a., C-340-01, Rec. p. I-14023, point 29).

32 Pour que la directive 2001-23 soit applicable, le transfert doit porter sur une entité économique organisée de manière stable, dont l'activité ne se borne pas à l'exécution d'un ouvrage déterminé (voir, notamment, arrêt du 19 septembre 1995, Rygaard, C-48-94, Rec. p. I-2745, point 20). La notion d'entité renvoie ainsi à un ensemble organisé de personnes et d'éléments permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre (voir, notamment, arrêt Süzen, précité, point 13, et Abler e.a., précité, point 30).

33 Pour déterminer si les conditions d'un transfert d'une entité économique organisée de manière stable sont remplies, il y a lieu de prendre en considération l'ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l'opération en cause, au nombre desquelles figurent notamment le type d'entreprise ou d'établissement dont il s'agit, le transfert ou non d'éléments corporels, tels que les bâtiments et les biens mobiliers, la valeur des éléments incorporels au moment du transfert, la reprise ou non de l'essentiel des effectifs par le nouveau chef d'entreprise, le transfert ou non de la clientèle, ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert et la durée d'une éventuelle suspension de ces activités (voir, notamment, arrêt du 19 mai 1992, Redmond Stichting, C-29-91, Rec. p. I-3189, point 24, ainsi que arrêts précités Spijkers, point 13, Süzen, point 14, et Abler e.a., point 33).

34 Ces éléments ne constituent toutefois que des aspects partiels de l'évaluation d'ensemble qui s'impose et ne sauraient, de ce fait, être appréciés isolément (voir arrêts précités Spijkers, point 13; Süzen, point 14, et Abler e.a., point 34).

35 Le juge national, dans son appréciation des circonstances de fait qui caractérisent l'opération en cause, doit tenir compte du type d'entreprise ou d'établissement dont il s'agit. Il en résulte que l'importance respective à accorder aux différents critères caractérisant l'existence d'un transfert au sens de la directive 2001-23 varie nécessairement en fonction de l'activité exercée, voire des méthodes de production ou d'exploitation utilisées dans l'entreprise, dans l'établissement ou dans la partie d'établissement en cause (voir arrêts Süzen, précité, point 18; du 10 décembre 1998, Hidalgo e.a., C-173-96 et C-247-96, Rec. p. I-8237, point 31, et Abler e.a., précité, point 35).

36 Les questions posées par l'Arbeitsgericht Düsseldorf visent à définir les conditions dans lesquelles il peut être estimé qu'il est satisfait à l'un de ces éléments à prendre en considération, à savoir celui relatif au transfert d'éléments d'exploitation. La juridiction de renvoi demande si la constatation du transfert des éléments d'exploitation est subordonnée à la condition que ces éléments soient cédés aux fins d'une gestion économique propre.

37 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu'il ressort des termes mêmes de l'article 1er de la directive 2001-23 que le champ d'application de cette dernière couvre toutes les hypothèses de changement, dans le cadre de relations contractuelles, de la personne physique ou morale responsable de l'exploitation de l'entreprise ou de l'établissement et qui, de ce fait, contracte les obligations d'employeur vis-à-vis des employés de l'entreprise ou de l'établissement, sans qu'il importe de savoir si la propriété des éléments corporels est transférée (arrêt Abler e.a., précité, point 41 et jurisprudence citée).

38 Au point 42 de l'arrêt Abler e.a., précité, la Cour a jugé que la circonstance que les éléments corporels repris par le nouvel entrepreneur n'appartenaient pas à son prédécesseur mais étaient mis à disposition par le donneur d'ordre ne peut conduire à exclure l'existence d'un transfert d'entreprise ou d'établissement au sens de la directive 77-187.

39 À cet égard, il n'apparaît pas que la poursuite d'une gestion économique propre des éléments d'exploitation repris par un adjudicataire soit un élément déterminant lors de la vérification de l'existence d'un transfert des éléments d'exploitation.

40 Un tel critère ne résulte ni des termes de la directive 2001-23, ni de ses objectifs qui sont d'assurer la protection des travailleurs en cas de changement d'entreprise ou d'établissement et de permettre la réalisation du marché intérieur.

41 Ainsi, la circonstance que les éléments corporels soient repris par le nouvel adjudicataire sans que ces éléments lui aient été cédés aux fins d'une gestion économique propre ne peut conduire à exclure ni l'existence d'un transfert des éléments d'exploitation, ni l'existence d'un transfert d'entreprise ou d'établissement au sens de la directive 2001-23.

42 Il y a donc lieu de répondre à la première question posée par la juridiction de renvoi que l'article 1er de la directive 2001-23 doit être interprété en ce sens que lors du contrôle de l'existence d'un transfert d'entreprise ou d'établissement en application de cet article, en cas de nouvelle attribution d'un marché et dans le cadre d'une évaluation d'ensemble, la constatation du transfert des éléments d'exploitation aux fins d'une gestion économique propre ne constitue pas une condition nécessaire pour la constatation d'un transfert de ces éléments de l'adjudicataire initial au nouvel adjudicataire.

43 Étant donné que la réponse de la Cour à la première question est négative, il n'y a pas lieu de répondre à la seconde question.

44 Il appartient à la juridiction nationale de déterminer, à la lumière de l'ensemble des éléments qui précèdent et dans le cadre d'une appréciation globale, si un transfert d'entreprise ou d'établissement a été opéré dans l'affaire au principal. À cet égard, il convient de rappeler que le transfert d'éléments d'exploitation ne représente qu'un aspect partiel de l'évaluation d'ensemble qui s'impose au juge national lors d'un contrôle de l'existence d'un transfert d'entreprise ou d'établissement au sens de l'article 1er de la directive 2001-23.

Sur les dépens

45 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs,

LA COUR (troisième chambre) dit pour droit:

L'article 1er de la directive 2001-23-CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des État membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements, doit être interprété en ce sens que lors du contrôle de l'existence d'un transfert d'entreprise ou d'établissement en application de cet article, en cas de nouvelle attribution d'un marché et dans le cadre d'une évaluation d'ensemble, la constatation du transfert des éléments d'exploitation aux fins d'une gestion économique propre ne constitue pas une condition nécessaire pour la constatation d'un transfert de ces éléments de l'adjudicataire initial au nouvel adjudicataire.