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Décisions

CJCE, 15 avril 1986, n° 237-84

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Royaume de Belgique

CJCE n° 237-84

15 avril 1986

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 18 septembre 1984, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater qu'en n'adoptant pas dans le délai prescrit toutes les mesures nécessaires pour se conformer intégralement aux dispositions de la directive 77-187 du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26), le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traite CEE.

2 La directive 77-187, arrêtée sur la base, notamment, de l'article 100 du traité, vise, aux termes de ses considérants, à "protéger les travailleurs en cas de changement de chef d'entreprise, en particulier pour assurer le maintien de leurs droits". Elle est basée sur le principe qu'il convient d'assurer, autant que possible, la continuité de la relation de travail, sans modification, avec le cessionnaire.

3 Plus particulièrement, la directive prévoit, à l'article 3, paragraphe 1, le transfert des droits et obligations résultant, pour le cédant, d'un contrat de travail ou d'une relation de travail. Elle assure la protection des travailleurs concernés contre le licenciement en disposant, à l'article 4, paragraphe 1, alinéa 1, que "le transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'établissement ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire", sans préjudice "des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation impliquant des changements sur le plan de l'emploi". Toutefois, aux termes de l'alinéa 2 de ce même paragraphe, "les Etats membres peuvent prévoir que l'alinéa 1 ne s'applique pas à certaines catégories délimitées de travailleurs qui ne sont pas couverts par la législation ou la pratique des Etats membres en matière de protection contre le licenciement".

4 En ce qui concerne cette dernière disposition, il ressort du dossier que, selon une déclaration inscrite au procès-verbal du Conseil, les Etats membres se sont engagés à communiquer à la Commission, dans un délai de six mois à partir de la notification de la directive, les catégories de travailleurs qui seraient exclues du champ d'application de l'article 4, paragraphe 1, en application de l'alinéa 2 de ce paragraphe. Conformément à cet engagement, le Gouvernement belge a informé la Commission, par lettre du 4 août 1977, que cette exclusion s'appliquerait en Belgique aux "travailleurs à l'essai" et aux "travailleurs licenciés dans la perspective de l'âge de la pension".

5 Les Etats membres étaient tenus de se conformer à la directive 77-187, en vertu de son article 8, dans un délai de deux ans à compter de sa notification. La directive ayant été notifiée au royaume de Belgique le 16 février 1977, ce délai est venu à expiration le 16 février 1979.

6 La Commission a estimé que, malgré l'expiration de ce délai, le royaume de Belgique n'avait pas édicté une législation satisfaisant à l'ensemble des exigences découlant de la directive. En effet, la législation en vigueur, d'une part, n'assurait pas la protection des droits à des prestations de vieillesse au titre de régimes complémentaires de sécurité sociale (article 3, paragraphe 3, alinéa 2, de la directive) et, d'autre part, excluait certaines catégories de travailleurs de la protection contre le licenciement en cas de transferts d'entreprises (article 4, paragraphe 1, de la directive). Par conséquent, la Commission, après un échange de lettres avec le Gouvernement belge et après avoir émis l'avis motivé au sens de l'article 169, alinéa 1, du traité, a introduit le présent recours en manquement.

7 Par acte du 6 janvier 1986, parvenu à la Cour le 8 janvier suivant, la Commission a déclaré se désister de la partie de son recours qui concerne le premier grief tiré d'une violation de l'article 3, paragraphe 3, alinéa 2, de la directive. Elle a exposé à cet égard que, le 1er janvier 1986, trois arrêtés royaux sont entrés en vigueur, qui seraient de nature à rendre le droit belge conforme à la directive, et que, par conséquent, le grief dont il s'agit serait devenu sans objet.

8 Dans ces conditions, il n'y a lieu de statuer que sur le second grief tiré d'un défaut de transposition complète de l'article 4, paragraphe 1, de la directive 77-187 en droit belge.

9 A cet égard, il convient de relever que le royaume de Belgique a adopté le 19 avril 1978, aux fins de la mise en œuvre, entre autres, de l'article 4, paragraphe 1, de la directive, l' "arrêté royal rendant obligatoire la Convention collective de travail n° 32 du 28 février 1978 conclue au sein du Conseil national du travail relative au maintien des droits des travailleurs en cas de changement d'employeur du fait d'un transfert conventionnel d'entreprise" (Moniteur belge du 25.8.1978). L'article 6 de cette convention stipule que "le changement d'employeur ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement". Toutefois, aux termes de l'article 7 de la même convention,

"Sont exclus du bénéfice des dispositions de l'article 6 :

1) les travailleurs qui accomplissent une période d'essai ;

2) les travailleurs licenciés dans la perspective de l'âge de la pension ;

3) les personnes liées par un contrat de travail pour étudiants, conformément à la loi du 9 juin 1970 relative à l'occupation d'étudiants".

10 La Commission fait valoir que le texte précité a pour effet d'exclure du bénéfice de l'article 4, paragraphe 1, de la directive des catégories de travailleurs dont l'exclusion ne serait pas couverte par la disposition dérogatoire de l'alinéa 2 de ce paragraphe. En effet, ladite dérogation devrait être interprétée strictement en ce sens qu'elle ne vise que les travailleurs qui ne bénéficient au plan national d'aucune protection contre le licenciement. Tel ne serait pas le cas des catégories de travailleurs spécifiées à l'article 7 de la Convention collective de travail n° 32, dès lors que chacune de ces trois catégories serait protégée par certains délais de préavis, quand bien même ces délais seraient d'une durée inferieure à celle dont bénéficient d'autres catégories de travailleurs.

11 Le Gouvernement belge objecte à cette interprétation que la notion de protection contre le licenciement, au sens de l'article 4, paragraphe 1, alinéa 2, de la directive, implique une mesure destinée à dissuader l'employeur de licencier le travailleur, de sorte que ce dernier ne subisse pas le préjudice d'une interruption de sa carrière professionnelle. Or, cet effet dissuasif ferait défaut en ce qui concerne les catégories exclues par la législation belge et, notamment, les travailleurs licenciés dans la perspective de l'âge de la pension et les travailleurs à l'essai. En effet, les premiers se trouveraient dans une situation de fin de carrière dans laquelle un effet dissuasif ne jouerait plus. Quant aux seconds, ils ne bénéficieraient que d'un délai de préavis fort réduit, pour la raison que l'employeur devrait conserver toute liberté quant à leur renvoi lorsqu'ils ne conviennent pas à l'emploi.

12 Cette objection du Gouvernement belge ne saurait être retenue. Il résulte à la fois des termes de l'article 4, paragraphe 1, et de l'économie de la directive que la disposition considérée vise à réaliser le maintien des droits des travailleurs en étendant leur protection contre le licenciement par l'employeur, assurée en vertu du droit national, également à l'hypothèse d'un changement de cet employeur intervenant dans le cadre d'un transfert d'entreprise.

13 Par conséquent, cette disposition s'applique à toute situation dans laquelle les travailleurs concernés par le transfert font l'objet d'une protection quelconque, même réduite, contre le licenciement au titre du droit national, avec l'effet qu'en application de la directive cette protection ne peut ni leur être enlevée ni être diminuée en raison du seul fait du transfert.

14 En l'espèce, la loi belge du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail (Moniteur belge du 22. 8. 1978) subordonne le licenciement des trois catégories de travailleurs mentionnées à l'article 7 de la Convention collective de travail n° 32 à l'observation de délais de préavis minimaux déterminés. En effet, il est constant qu'en vertu de cette loi les travailleurs accomplissant une période d'essai ne peuvent être licenciés valablement qu'à condition de respecter un délai de préavis d'au moins sept jours, en l'absence de motif grave, la résiliation de leur contrat de travail ne pouvant toutefois prendre effet avant le dernier jour du premier mois de la période d'essai, lorsqu'il s'agit de contrats de travail d'employé ou de représentant de commerce (articles 48, paragraphe 4, 60 et 81, en liaison avec l'article 87 de la loi du 3 juillet 1978). Par ailleurs, les travailleurs licenciés dans la perspective de l'âge de la pension bénéficient d'un délai de préavis allant, selon le cas, de vingt-huit jours à six mois (articles 59 et 83 en liaison avec l'article 87 de la loi du 3 juillet 1978). Enfin, le licenciement des personnes liées par un contrat de travail pour étudiant est soumis à un délai de préavis de trois ou de sept jours, selon la durée de l'engagement (article 130 de la loi du 3 juillet 1978), sous réserve, toutefois, que les dispositions plus favorables aux travailleurs, relatives au contrat de travail d'ouvrier à l'essai, sont d'application lorsque le contrat de travail pour étudiant comporte une clause d'essai (article 48, paragraphe 4, en liaison avec l'article 127 de la loi du 3 juillet 1978).

15 L'article 4, paragraphe 1, de la directive 77-187 exige donc que les délais susmentionnés soient respectés également dans le cas où le cédant ou le cessionnaire procède au licenciement des travailleurs concernés en liaison avec un transfert d'entreprise.

16 Le Gouvernement belge objecte encore sous ce rapport que le royaume de Belgique était fondé à exclure du bénéfice de l'article 4, paragraphe 1, de la directive 77-187, à tout le moins, les travailleurs à l'essai et ceux licenciés dans la perspective de l'âge de la pension. En effet, ces deux catégories auraient fait l'objet d'une notification à la Commission, le 4 août 1977, conformément à la déclaration inscrite à cet effet au procès-verbal du Conseil. La Commission n'ayant pas fait connaitre son désaccord dans un délai raisonnable, elle aurait ainsi laissé croire que les catégories indiquées pouvaient effectivement relever de l'exception prévue à l'alinéa 2 de la disposition considérée.

17 Cet argument n'est pas pertinent. Il est de jurisprudence constante de la Cour que la portée objective des règles du droit communautaire ne peut résulter que de ces règles elles-mêmes, compte tenu de leur contexte. Elle ne saurait donc être affectée par une telle déclaration.

18 Il s'ensuit que le royaume de Belgique ne peut utilement se prévaloir d'une telle notification non contestée aux fins de modifier la portée de ses obligations découlant de l'article 4, paragraphe 1, de la directive 77-187.

19 Pour ces raisons, il y a lieu de conclure qu'en n'adoptant pas dans le délai prescrit toutes les mesures nécessaires pour se conformer intégralement à l'article 4, paragraphe 1, de la directive 77-187 du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26), le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE.

Sur les dépens

20 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ; selon le paragraphe 4 de ce même article, la partie qui se désiste est condamnée aux dépens, sauf si ce désistement est justifié par l'attitude de l'autre partie. En l'espèce, la partie défenderesse a succombé en ses moyens en ce qui concerne le second grief du recours et le désistement concernant le premier grief est justifié par son attitude. Il y a donc lieu de la condamner à l'ensemble des dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête :

1) En n'adoptant pas dans le délai prescrit toutes les mesures nécessaires pour se conformer intégralement à l'article 4, paragraphe 1, de la directive 77-187 du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26), le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE.

2) Le royaume de Belgique est condamné aux dépens.