CJCE, 2e ch., 1 décembre 2005, n° C-447/04
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Autohaus Ostermann GmbH
Défendeur :
VAV Versicherungs AG
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Timmermans
Avocat général :
M. Léger
Juges :
Mme Silva de Lapuerta, MM. Schintgen, Arestis, Klucka
LA COUR (deuxième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 4, paragraphe 6, de la directive 2000-26-CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 mai 2000, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs et modifiant les directives 73-239-CEE et 88-357-CEE du Conseil (Quatrième directive sur l'assurance automobile) (JO L 181, p. 65).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Autohaus Ostermann GmbH, partie demanderesse au principal (ci-après la "partie demanderesse"), à VAV Versicherungs AG, partie défenderesse au principal (ci-après la "partie défenderesse"), au sujet des dépens d'une procédure relative au règlement des conséquences d'un accident de la circulation.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 Selon le dix-huitième considérant de la directive 2000-26:
"En plus de garantir que l'entreprise d'assurance a un représentant dans l'État de résidence de la personne lésée, il convient de garantir le droit spécifique de la personne lésée d'obtenir le règlement du litige dans les meilleurs délais. En conséquence, les législations nationales doivent prévoir des sanctions financières efficaces et systématiques appropriées ou des sanctions administratives équivalentes, telles que des injonctions combinées à des amendes administratives, l'obligation de présenter régulièrement un rapport aux autorités de surveillance, des contrôles sur place, des publications au Journal officiel national ainsi que dans la presse, la suspension des activités de la société (interdiction de conclure de nouveaux contrats pendant une certaine période), la désignation d'un représentant spécial des autorités de surveillance chargé de vérifier que la conduite des affaires est conforme à la législation en matière d'assurances, le retrait de l'autorisation pour cette branche d'activité, des sanctions à appliquer aux dirigeants responsables et au personnel d'encadrement, les différentes sanctions énumérées ci-dessus pouvant être appliquées à l'encontre de l'entreprise d'assurance dans le cas où celle-ci ou son représentant manquerait à son obligation de présenter une offre d'indemnisation dans un délai raisonnable. Cela ne devrait pas préjuger l'application de toute autre mesure jugée appropriée, notamment en vertu de la loi applicable en matière de surveillance. Néanmoins, la responsabilité et le dommage subi ne devraient pas être sujets à contestation, afin que l'entreprise d'assurance puisse présenter une offre motivée dans les délais prescrits. L'offre d'indemnisation motivée devrait être faite par écrit et contenir les éléments sur la base desquels la responsabilité et le dommage ont été évalués."
4 La directive 2000-26 dispose à son article 1er, intitulé "Champ d'application":
"1. La présente directive a pour objet de fixer des dispositions particulières applicables aux personnes lésées ayant droit à indemnisation pour tout préjudice résultant d'accidents survenus dans un État membre autre que l'État membre de résidence de la personne lésée et causés par la circulation des véhicules assurés dans un État membre et y ayant leur stationnement habituel.
[...]
2. Les articles 4 et 6 ne s'appliquent qu'aux accidents causés par la circulation d'un véhicule:
a) assuré auprès d'un établissement situé dans un État membre autre que l'État de résidence de la personne lésée, et
b) ayant son stationnement habituel dans un État membre autre que l'État de résidence de la personne lésée.
[...]"
5 Aux termes de l'article 4 de la directive 2000-26, intitulé "Représentant chargé du règlement des sinistres", il est prévu:
"[...]
6. Les États membres prévoient des obligations assorties de sanctions financières efficaces et systématiques appropriées ou de sanctions administratives équivalentes afin d'assurer que, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la personne lésée présente sa demande d'indemnisation, soit directement à l'entreprise d'assurance de la personne ayant causé l'accident, soit à son représentant chargé du règlement des sinistres:
a) l'entreprise d'assurance de la personne ayant causé l'accident ou son représentant chargé du règlement des sinistres est tenu de présenter une offre d'indemnisation motivée, dans le cas où la responsabilité n'est pas contestée et où le dommage a été quantifié, ou
b) l'entreprise d'assurance à qui la demande d'indemnisation a été présentée ou son représentant chargé du règlement des sinistres est tenu de donner une réponse motivée aux éléments invoqués dans la demande, dans les cas où la responsabilité est rejetée ou n'a pas été clairement établie ou lorsque le dommage n'a pas été entièrement quantifié.
Les États membres adoptent des dispositions garantissant que, lorsque l'offre n'est pas présentée dans le délai de trois mois, des intérêts sont dus sur le montant de l'indemnisation offerte par l'entreprise d'assurance ou octroyée par le juge à la personne lésée.
[...]"
6 L'article 10, paragraphe 4, de la directive 2000-26, intitulé "Transposition en droit national", précise:
"Les États membres peuvent, conformément au traité, maintenir et mettre en vigueur des dispositions qui sont plus favorables à la personne lésée que les dispositions nécessaires pour se conformer à la présente directive."
La réglementation nationale
7 La loi sur l'assurance de la responsabilité civile des véhicules automobiles (Kraftfahrzeug-Haftpflichtversicherungsgesetz, BGBl. 651-1994, dans sa version modifiée et publiée au BGBl. I, 11-2002), du 19 août 1994 (ci-après le "KHVG"), prévoit à son article 29a:
"(1) L'assureur ou son représentant chargé du règlement des sinistres désigné conformément à l'article 12a [de la loi sur la surveillance des assurances (Versicherungsaufsichtsgesetz)] est tenu de présenter à la partie lésée, dans les trois mois suivant la date à laquelle celle-ci lui a déclaré le sinistre, une offre d'indemnisation, dès lors que celle-ci n'est contestée ni dans son principe ni dans son montant.
(2) Si l'assureur ou son représentant chargé du règlement des sinistres conteste l'obligation d'indemnisation ou si les recherches nécessaires à la constatation de l'obligation d'indemnisation ne sont pas encore terminées à l'issue du délai fixé au paragraphe 1, il doit le motiver par écrit à la personne lésée dans le délai fixé au paragraphe 1.
[...]
(4) Si l'assureur ou son représentant chargé du règlement des sinistres ne respecte pas ses obligations en vertu des paragraphes 1 et 2, la personne lésée a droit aux intérêts de retard légaux au plus tard à l'expiration du délai visé au paragraphe 1."
Le litige au principal et la question préjudicielle
8 Le 3 février 2004 a eu lieu dans l'agglomération d'Innsbruck un accident de la circulation impliquant deux véhicules automobiles immatriculés en Autriche. La propriétaire de l'un desdits véhicules a fait réparer celui-ci par la partie demanderesse qu'elle a subrogée dans ses droits vis-à-vis de la partie défenderesse. Cette dernière est une entreprise d'assurance ayant son siège à Vienne.
9 Par lettre du représentant de la partie demanderesse, en date du 19 février 2004, la partie défenderesse s'est vu réclamer le paiement, pour le 2 mars 2004, de différentes sommes, à savoir 2 206,39 euro au titre de frais de réparation, 156 euro au titre de frais d'expertise, 36 euro au titre de frais annexes liés à l'accident, ainsi que les frais du représentant de ladite partie demanderesse.
10 La partie défenderesse n'ayant pas réagi dans le délai qui lui était imparti, le Bezirksgericht Innsbruck a, le 19 mars 2004, sur requête de la partie demanderesse, émis une injonction de payer la somme de 2 407,39 euro, majorée des intérêts au taux de 5,5 % depuis le 2 mars 2004. Cette injonction de payer a été notifiée le 23 mars 2004 à la partie défenderesse, qui avait toutefois, quelques jours auparavant, fait procéder au virement de l'intégralité du montant au principal sur le compte du représentant de ladite partie demanderesse, lequel a été crédité le 24 mars 2004.
11 Le montant au principal ayant été acquitté par la partie défenderesse, la demande devant le Bezirksgericht Innsbruck a été limitée à la question des dépens de la procédure. Cette juridiction a, par décision du 18 juin 2004, mis les dépens à la charge de la partie défenderesse pour un montant de 531,01 euro au motif que les assureurs en matière de responsabilité civile disposent, selon une jurisprudence constante, d'un délai raisonnable d'environ 10 à 14 jours calendaires pour procéder au règlement du sinistre, délai dans lequel la partie demanderesse pouvait escompter obtenir satisfaction de la part de l'entreprise d'assurance dans l'hypothèse d'un traitement normal du dossier. L'exception soulevée par la partie défenderesse selon laquelle celle-ci disposait, en vertu de l'article 29a, paragraphe 1, du KHVG, d'un délai de trois mois pour le règlement du sinistre a été rejetée par ladite juridiction.
12 La partie défenderesse a formé un recours devant le Landesgericht Innsbruck. Elle a demandé que la décision du Bezirksgericht Innsbruck soit modifiée de sorte que la partie demanderesse soit condamnée aux dépens pour un montant de 404,02 euro. Elle demande subsidiairement l'annulation de ladite décision.
13 La juridiction de renvoi explique que les articles 41 et suivants du Code de procédure civile (Zivilprozessordnung, ci-après le "ZPO") posent, pour l'essentiel, le principe de l'attribution des dépens au vainqueur, la partie qui succombe devant rembourser à son adversaire ayant obtenu gain de cause les dépens de la procédure. Toutefois, en vertu de l'article 45 du ZPO, c'est au demandeur, même si sa demande est justifiée, qu'il appartient d'assumer les dépens du défendeur, dès lors que ce dernier n'a pas, par son comportement, provoqué le recours et a reconnu immédiatement les prétentions de la demande.
14 Selon la juridiction de renvoi, si la thèse de la partie défenderesse, selon laquelle l'assureur dispose, en vertu de l'article 4, paragraphe 6, de la directive 2000-26, en tout état de cause d'un délai de traitement de trois mois, était correcte, la partie demanderesse devrait, en vertu de l'article 45 du ZPO, supporter les dépens. En revanche, si l'analyse de la partie demanderesse, selon laquelle la disposition susmentionnée de cette directive doit être interprétée en ce sens que la victime peut invoquer l'exigibilité de sa créance plus tôt et fixer à l'entreprise d'assurance un délai de paiement raisonnable, inférieur audit délai de trois mois, devait prévaloir, il y aurait lieu de considérer que c'est la partie défenderesse qui aurait provoqué le recours et qui, de ce fait, devrait supporter les dépens.
15 C'est dans ces conditions que le Landesgericht Innsbruck a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"L'article 4, paragraphe 6, de la directive 2000-26 [...] doit-il être interprété en ce sens que l'entreprise d'assurance saisie d'une demande d'indemnisation dispose toujours d'un délai de traitement de trois mois, même dans un cas ne présentant aucune difficulté d'ordre factuel ou juridique, ou bien doit-on l'interpréter simplement comme une disposition relative à l'exigibilité, qui n'exclut pas qu'un recours soit formé à l'encontre de l'entreprise d'assurance plus tôt, après la fixation d'un délai 'raisonnable' de paiement, également inférieur au délai de trois mois ?"
Sur la question préjudicielle
16 Considérant que la réponse à la question posée ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour a, conformément à l'article 104, paragraphe 3, second alinéa, de son règlement de procédure, informé la juridiction de renvoi qu'elle se proposait de statuer par voie d'ordonnance motivée et a invité les intéressés visés à l'article 23 du statut de la Cour de justice à présenter leurs observations éventuelles à ce sujet.
17 Aucune observation n'a été formulée par les intéressés.
18 À titre liminaire, le Gouvernement autrichien s'interroge sur la compétence de la Cour pour répondre à la question posée. En effet, la directive 2000-26 s'applique, en vertu de son article 1er, paragraphe 1, à tout préjudice résultant d'accidents survenus dans un État membre autre que l'État membre de résidence de la personne lésée. Or, les faits au principal ne concerneraient que l'Autriche.
19 À cet égard, il convient de relever que, ainsi qu'il ressort de la décision de renvoi, le législateur autrichien, lors de la transposition de la directive 2000-26 en droit national, a décidé de traiter de manière égale les situations de caractère purement national et celles relevant de la directive.
20 Or, la Cour s'est à maintes reprises déclarée compétente pour statuer sur des demandes préjudicielles portant sur des dispositions communautaires dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situaient en dehors du champ d'application du droit communautaire, mais dans lesquelles lesdites dispositions de ce droit avaient été rendues applicables par le droit national (voir, notamment, arrêt du 17 mars 2005, Feron, C-170-03, Rec. p. I-2299, point 11 et jurisprudence citée).
21 Il y a donc lieu de répondre à la question posée.
22 Par celle-ci, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 4, paragraphe 6, de la directive 2000-26 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une règle de droit national permettant à la partie lésée de former un recours à l'encontre de l'entreprise d'assurance après la fixation d'un délai raisonnable de paiement inférieur au délai de trois mois prévu par ladite disposition.
23 La partie défenderesse estime qu'il convient de répondre par l'affirmative à la question posée alors que la partie demanderesse, les Gouvernements autrichien et allemand ainsi que la Commission des Communautés européennes sont d'un avis contraire.
24 À cet égard, il convient de constater que l'objectif de l'article 4, paragraphe 6, de la directive 2000-26 est non pas, comme le soutient la partie défenderesse, de faire bénéficier l'assureur d'un délai raisonnable pour régler le sinistre, mais, ainsi qu'il ressort du dix-huitième considérant de la même directive, de garantir le droit spécifique de la personne lésée d'obtenir le règlement du litige dans les meilleurs délais.
25 Ledit objectif coïncide avec celui de la protection des victimes qui sous-tend déjà les directives que la directive 2000-26 entend compléter, ainsi qu'il résulte de son huitième considérant, à savoir la directive 72-166-CEE du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, et au contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité (JO L 103, p. 1), la deuxième directive 84-5-CEE du Conseil, du 30 décembre 1983 (JO 1984, L 8, p. 17), et la troisième directive 90-232-CEE du Conseil, du 14 mai 1990 (JO L 129, p. 33), concernant, l'une et l'autre, le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 1996, Ruiz Bernáldez, C-129-94, Rec. p. I-1829, point 18, et du 30 juin 2005, Candolin e.a., C-537-03, non encore publié au Recueil, point 18).
26 Or, il serait contraire à un tel objectif de protection de la partie lésée d'interpréter le délai de trois mois, prévu à l'article 4, paragraphe 6, de la directive 2000-26, en ce sens qu'il n'existe aucune possibilité pour cette partie, même dans une situation ne présentant aucune difficulté d'ordre factuel ou juridique, d'obtenir le règlement du litige de la part de l'assureur avant l'expiration dudit délai.
27 Au demeurant, l'interprétation selon laquelle l'article 4, paragraphe 6, de la directive 2000-26 s'oppose à une règle de droit national permettant à la partie lésée de demander le paiement dans un délai raisonnable, inférieur audit délai de trois mois, serait contraire à l'article 10, paragraphe 4, de la même directive, qui prévoit que les États membres peuvent, conformément au traité CE, maintenir et mettre en vigueur des dispositions qui sont plus favorables à la personne lésée que les dispositions nécessaires pour se conformer à la directive 2000-26.
28 Dans ces conditions, il convient de répondre à la question posée que l'article 4, paragraphe 6, de la directive 2000-26 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une règle de droit national permettant à la partie lésée de former un recours à l'encontre de l'entreprise d'assurance après la fixation d'un délai raisonnable de paiement inférieur au délai de trois mois prévu par ladite disposition.
Sur les dépens
29 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs,
LA COUR (deuxième chambre)
dit pour droit:
L'article 4, paragraphe 6, de la directive 2000-26-CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 mai 2000, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs et modifiant les directives 73-239-CEE et 88-357-CEE du Conseil (Quatrième directive sur l'assurance automobile), doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une règle de droit national permettant à la partie lésée de former un recours à l'encontre de l'entreprise d'assurance après la fixation d'un délai raisonnable de paiement inférieur au délai de trois mois prévu par ladite disposition.