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Décisions

CJCE, 1re ch., 24 juillet 2003, n° C-166/02

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Messejana Viegas

Défendeur :

Companhia de Seguros Zurich SA, Mitsubishi Motors de Portugal SA, CGU International Insurance plc - Agência Geral em Portugal, Instituto de Solidariedade e Segurança Social

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Wathelet

Avocat général :

M. Alber

Juges :

MM. Jann, Rosas

CJCE n° C-166/02

24 juillet 2003

LA COUR (première chambre),

1. Par ordonnance du 26 avril 2002, parvenue à la Cour le 2 mai suivant, le Tribunal Judicial da Comarca de Alcácer do Sal a posé, en vertu de l'article 234 CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de la deuxième directive 84-5-CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (JO 1984, L 8, p. 17, ci-après la "deuxième directive").

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Messejana Viegas à la Companhia de Seguros Zurich SA (ci-après "Zurich") et à Mitsubishi Motors de Portugal SA (ci-après "Mitsubishi") au sujet de l'indemnisation du préjudice qu'il a subi lors d'un accident de la circulation.

La réglementation communautaire

3. Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 72-166-CEE du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, et au contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité (JO L 103, p. 1, ci-après la "première directive"):

"Chaque État membre prend toutes les mesures utiles [...] pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance. Les dommages couverts ainsi que les modalités de cette assurance sont déterminés dans le cadre de ces mesures."

4. L'article 1er, paragraphes 1 et 2, de la deuxième directive dispose:

"1. L'assurance visée à l'article 3 paragraphe 1 de la directive 72-166-CEE couvre obligatoirement les dommages matériels et les dommages corporels.

2. Sans préjudice de montants de garantie supérieurs éventuellement prescrits par les États membres, chaque État membre exige que les montants pour lesquels cette assurance est obligatoire s'élèvent au minimum:

- pour les dommages corporels, à 350 000 écus lorsqu'il n'y a qu'une victime; lorsqu'il y a plusieurs victimes lors d'un seul sinistre, ce montant est multiplié par le nombre des victimes,

- pour les dommages matériels, à 100 000 écus par sinistre quel que soit le nombre de victimes.

Les États membres peuvent prévoir en lieu et place des montants minimaux précédents un montant minimal de 500 000 écus pour les dommages corporels, lorsqu'il y a plusieurs victimes lors d'un seul et même sinistre, ou, pour les dommages corporels et matériels, un montant global minimal de 600 000 écus par sinistre quels que soient le nombre de victimes ou la nature des dommages."

5. Aux termes de l'article 5 de la deuxième directive, tel que modifié par l'annexe I, partie IX, F, intitulée "Assurances", de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 23, 218, ci-après l'"acte d'adhésion"):

"1. Les États membres modifient leurs dispositions nationales pour se conformer à la présente directive au plus tard le 31 décembre 1987. [...]

2. Les dispositions ainsi modifiées sont appliquées au plus tard le 31 décembre 1988.

3. Par dérogation au paragraphe 2:

a) le royaume d'Espagne, la République hellénique et la République portugaise disposent d'un délai allant jusqu'au 31 décembre 1995 pour augmenter les montants de garantie jusqu'aux montants prévus à l'article 1er paragraphe 2. [...]"

La réglementation portugaise

6. Le décret-loi n° 522-85, du 31 décembre 1985, établissant l'assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile (Diário da República I, série A, n° 301, du 31 décembre 1985), impose que la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs soit couverte par une assurance respectant les montants minimaux fixés par la deuxième directive.

7. L'article 508, paragraphe 1, du Code civil portugais dispose:

"L'indemnisation fondée sur un accident de la circulation, en l'absence de faute du responsable, est soumise à des limites maximales: au cas où une seule personne décède ou subit un préjudice, le montant correspondant au double du taux du ressort du Tribunal da Relação; au cas où plusieurs personnes décèdent ou subissent un préjudice du fait du même accident, le montant correspondant au double du taux du ressort du Tribunal da Relação pour chacune d'elles, sans dépasser au total le sextuple du taux du ressort du Tribunal da Relação; au cas où des dommages sont infligés à des choses, même relevant de propriétaires différents, le montant correspondant au taux du ressort du Tribunal da Relação."

8. Selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, la limite applicable dans l'espèce au principal s'élève à 29 927,88 euro.

9. Il ressort des observations présentées devant la Cour que la victime d'un accident de la circulation peut également se prévaloir d'un régime de responsabilité civile fondé sur la faute. Le Code civil portugais ne prévoit aucune limite à l'indemnisation à laquelle la victime peut prétendre au titre de ce régime.

Le litige au principal et la question préjudicielle

10. Le 20 mars 2000, M. Messejana Viegas a été blessé dans un accident de la circulation lorsque le véhicule dans lequel il se trouvait a dérapé.

11. M. Messejana Viegas soutient qu'il était passager et que le conducteur du véhicule a commis une faute. Pour le cas où il ne pourrait pas rapporter la preuve d'une faute du conducteur, il estime que la responsabilité de ce dernier est engagée au titre de la responsabilité pour risque. C'est sur ce fondement qu'il a assigné Zurich, en qualité d'assureur du conducteur, devant la juridiction de renvoi.

12. M. Messejana Viegas fait également valoir que le véhicule présentait un défaut, dont Mitsubishi doit être tenu pour responsable au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux. C'est sur ce fondement qu'il a aussi assigné Mitsubishi devant la juridiction de renvoi.

13. M. Messejana Viegas demande que les défenderesses soient condamnées à lui verser des dommages et intérêts d'un montant de 523 737,79 euro, ainsi que 12 679,44 euro, au titre de son incapacité de travail et de frais divers, à l'indemniser de tout préjudice matériel ou moral futur, notamment à lui fournir ou à financer toute l'assistance nécessaire et propre à permettre le rétablissement de son état de santé ainsi que l'aide d'une tierce personne, tous montants majorés des intérêts correspondants.

14. Les défenderesses contestent la version des faits et les prétentions de M. Messejana Viegas. Ce dernier fait valoir que, nonobstant l'existence de versions divergentes des circonstances de l'accident, il lui paraît constant qu'il existe à tout le moins une responsabilité objective.

15. La juridiction de renvoi considère que la détermination des éventuels responsables tenus au versement de l'indemnisation demandée par M. Messejana Viegas dépend de l'interprétation qu'il convient de donner à la deuxième directive. Elle relève que cette dernière n'établit aucune distinction entre les régimes de responsabilité et que les montants minimaux de garantie qu'elle prévoit sont supérieurs à la limite maximale fixée par l'article 508, paragraphe 1, du Code civil portugais pour l'indemnisation des victimes d'accidents dans lesquels le responsable n'a commis aucune faute.

Sur la question préjudicielle

16. Considérant que la réponse à la question posée peut être clairement déduite de sa jurisprudence, la Cour a, conformément à l'article 104, paragraphe 3, de son règlement de procédure, informé la juridiction de renvoi qu'elle se proposait de statuer par voie d'ordonnance motivée et invité les intéressés visés à l'article 23 du statut de la Cour de justice à présenter leurs observations éventuelles à ce sujet. Seuls le Gouvernement allemand et la Commission ont répondu à l'invitation de la Cour, en indiquant qu'ils n'avaient pas d'observations à formuler.

17. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que la juridiction de renvoi s'interroge en substance sur le point de savoir si l'article 1er, paragraphe 2, de la deuxième directive s'oppose à une législation nationale qui, connaissant plusieurs régimes de responsabilité civile susceptibles d'être appliqués aux sinistres résultant de la circulation des véhicules automoteurs, prévoit pour l'un d'entre eux des montants maximaux de garantie qui sont inférieurs aux montants minimaux de garantie fixés par ledit article.

18. Les Gouvernements portugais et allemand font valoir que la deuxième directive ne vise pas à harmoniser les régimes de responsabilité civile applicables dans les États membres aux sinistres résultant de la circulation des véhicules automoteurs. Les États membres seraient seulement tenus de prendre toutes les mesures pour que la responsabilité civile résultant d'un régime existant en droit national soit couverte par une assurance respectant les montants minimaux de garantie fixés par la deuxième directive. Un État membre satisferait à cette obligation dès lors qu'il a pris les mesures requises pour que la responsabilité civile pour faute soit couverte par une assurance répondant aux exigences de la deuxième directive. Si le droit national permet au surplus à la victime de se prévaloir d'un régime de responsabilité fondé sur le risque, il ne serait pas nécessaire que la responsabilité civile résultant de ce régime soit également couverte par une assurance dont les montants de garantie correspondent aux niveaux fixés par la deuxième directive.

19. Le demandeur au principal, le Gouvernement hellénique et la Commission sont d'avis contraire. Ils reconnaissent que le choix du régime de responsabilité civile applicable aux sinistres résultant de la circulation des véhicules automoteurs relève de la compétence des États membres. Toutefois, ils estiment qu'il ressort de l'arrêt du 14 septembre 2000, Mendes Ferreira et Delgado Correia Ferreira (C-348-98, Rec. p. I-6711), que, dès lors que le droit national permet d'engager la responsabilité civile d'une personne pour un tel sinistre, cette responsabilité, quels que soient sa nature ou son fondement, doit être couverte par une assurance respectant les exigences fixées par la deuxième directive.

20. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans l'arrêt Mendes Ferreira et Delgado Correia Ferreira, précité, la Cour a dit pour droit que l'article 1er, paragraphe 2, de la deuxième directive s'oppose à une législation nationale qui prévoit des montants maximaux de garantie qui sont inférieurs aux montants minimaux de garantie fixés par lesdits articles lorsque, en l'absence de faute du conducteur du véhicule ayant provoqué l'accident, seule la responsabilité civile pour risque est engagée.

21. Il s'ensuit que, s'il n'a pas entendu imposer l'adoption d'un régime déterminé de responsabilité, le législateur communautaire a, en revanche, certainement entendu exiger la couverture de toute responsabilité civile découlant de la circulation des véhicules automoteurs, que cette responsabilité soit fondée sur la faute ou sur le risque. Contrairement à ce qu'ont soutenu les Gouvernements portugais et allemand, les États membres, dans le cas où ils connaissent plusieurs régimes de responsabilité civile susceptibles d'être appliqués aux sinistres résultant de la circulation des véhicules automoteurs, ne sauraient donc limiter la protection découlant de la deuxième directive à un seul ou à certains de ces régimes, mais doivent l'étendre à tous les régimes.

22. Toute autre interprétation priverait les articles 3, paragraphe 1, de la première directive et 1er, paragraphe 2, de la deuxième directive de leur effet utile. Celui-ci, qui est de protéger les victimes d'accidents de la circulation au moyen de l'assurance obligatoire de la responsabilité civile, serait en effet mis en péril si la couverture de cette responsabilité par l'assurance était laissée à la discrétion du législateur national.

23. Selon une jurisprudence établie, l'obligation pour le juge national d'écarter une loi nationale contraire à une directive n'a pas pour effet de lui permettre d'opposer à un particulier une obligation prévue par une directive non transposée (voir, notamment, arrêts du 14 juillet 1994, Faccini Dori, C-91-92, Rec. p. I-3325, point 20, et du 26 septembre 1996, Arcaro, C-168-95, Rec. p. I-4705, point 42).

24. Il convient à cet égard de rappeler que, selon l'arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C-6-90 et C-9-90, Rec. p. I-5357, point 39), le droit communautaire impose aux États membres de réparer les dommages qu'ils ont causés aux particuliers en raison de l'absence de transposition d'une directive pour autant que trois conditions soient remplies. Tout d'abord, la directive doit avoir pour objectif que des droits soient attribués à des particuliers. Le contenu de ces droits doit, ensuite, pouvoir être identifié sur la base des dispositions de la directive. Enfin, il doit y avoir un lien de causalité entre la violation de l'obligation qui incombe à l'État et le dommage subi (arrêt Faccini Dori, précité, point 27).

25. Sous le bénéfice de ces considérations, il y a lieu de répondre à la question posée que l'article 1er, paragraphe 2, de la deuxième directive s'oppose à une législation nationale qui, connaissant plusieurs régimes de responsabilité civile susceptibles d'être appliqués aux sinistres résultant de la circulation des véhicules automoteurs, prévoit, pour l'un d'entre eux, des montants maximaux de garantie qui sont inférieurs aux montants minimaux de garantie fixés par ledit article.

Sur les dépens

26. Les frais exposés par les Gouvernements portugais, allemand et hellénique, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre),

statuant sur la question à elle soumise par le Tribunal Judicial da Comarca de Alcácer do Sal, par ordonnance du 26 avril 2002, dit pour droit:

1) L'article 1er, paragraphe 2, de la deuxième directive 84-5-CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, s'oppose à une législation nationale qui, connaissant plusieurs régimes de responsabilité civile susceptibles d'être appliqués aux sinistres résultant de la circulation des véhicules automoteurs, prévoit, pour l'un d'entre eux, des montants maximaux de garantie qui sont inférieurs aux montants minimaux de garantie fixés par ledit article.