Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 6 septembre 2005, n° ECEC0812911X

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

JC Decaux (SA), Commune de Mouvaux

Défendeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard (faisant fonction)

Avoués :

SCP Duboscq & Pellerin, SCP Narrat-Peytavi

Avocats :

Mes Winckler, Cabanes

CA Paris n° ECEC0812911X

6 septembre 2005

Nous, Agnès Mouillard, conseillère de la Cour d'appel de Paris, déléguée par le premier Président de ladite cour pour exercer les attributions résultant de l'article 8 du décret du 19 octobre 1987, assistée de Benoit Truet-Callu, greffier lors des débats et du prononcé de l'ordonnance.

Après avoir entendu à l'audience du 31 août 2005 :

La société JC Decaux SA : représentée par son président du directoire M. Jean-Charles Decaux dont le siège social est : 17, rue Soyer, 92200 Neuilly-sur-Seine ; représentée par la SCP Duboscq & Pellerin, avoués associés près la cour ; assistée de Me Antoine Winckler, avocat au barreau de Paris, 12, rue de Tilsitt, 75008 Paris.

La commune de Mouvaux : représentée par son maire en exercice sise hôtel de ville, 42, boulevard Carnot, 59420 Mouvaux, représentée par la SCP Narrat-Peytavi, avoués associés près la cour assistée de Me Christophe Cabanes, avocat au barreau de Paris, toque R.262, 60, rue La Boétie, 75008 Paris

En présence du :

Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, 59, boulevard Vincent-Auriol, 75703 Paris, représenté par Mme Laurence Nguyen-Nied, muni d'un pouvoir régulier ; Ministère public représenté lors des débats par M. Woirhaye, avocat général.

Les débats ayant été clôturés avec l'indication que l'affaire était mise en délibéré au 6 septembre 2005 par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.

Avons rendu l'ordonnance ci-après :

Saisi par le maire de la commune de Mouvaux du non-respect d'injonctions par le groupe Decaux, le Conseil de la concurrence a, par une décision n° 05-D-36 du 30 juin 2005, retenu que la société JC Decaux, notamment, n'avait pas exécuté les injonctions contenues dans sa décision n° 98-D-52 du 7 juillet 1998 (art. 1er de la décision), a prononcé en conséquence une sanction pécuniaire à son encontre (art. 2) et lui a enjoint :

Dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, d'adresser une lettre - en format A4 et en caractères Times New Roman de dimension 12, noirs sur fond blanc - à chacune des collectivités avec lesquelles les sociétés du groupe Decaux entretiennent des relations contractuelles, dont le texte comporter exclusivement les visas de la décision et le texte énoncé aux paragraphes n° 114 à n° 119 et le dispositif, sous le titre : " Décision n° 05-D-36 du 30 juin 2005 relative au respect par le groupe Decaux des injonctions prononcées par le Conseil de la concurrence le 7 juillet 1998 ", (art. 3) ;

- de faire publier les visas de la décision, le texte énoncé aux paragraphes n° 113 à n° 119 et les articles 1er et 2 du dispositif, dans " La Gazette des communes, des départements et des régions ", cette publication devant être effectuée en caractères gras, noirs sur fond blanc de 5 millimètres de hauteur dans un encadré sous le titre : " Décision n° 05-D-36 du 30 juin 2005 relative au respect par le groupe Decaux des injonctions prononcées par le Conseil de la concurrence le 7 juillet 1998 ", (art. 4), et de justifier de cette publication au plus tard le 20 octobre 2005.

Après avoir, le 1er août 2005, formé un recours contre cette décision, la société JC Decaux a, suivant assignations délivrées le 8 août 2005 à la commune de Mouvaux et au ministre de l'Economie et des Finances, saisi la cour d'une demande de sursis partiel de l'exécution de cette décision, pour ce qui concerne l'injonction d'adresser une lettre d'information aux collectivités territoriales cocontractantes des sociétés du groupe Decaux dans les conditions fixées à l'article 3 de la décision et d'assurer une publication à La Gazette des communes, des départements et des régions dans les conditions fixées à l'article 4 de la décision, proposant subsidiairement de publier intégralement la décision avec la mention de l'exercice d'un recours devant la Cour d'appel de Paris et, très subsidiairement, de compléter l'information des collectivités territoriales et la publication de La Gazette des communes, des départements et des régions par l'insertion des paragraphes 48, 50, 53, 59, 70, 71, 81 et 83 de la décision et par la mention de l'exercice d'un recours devant la Cour d'appel de Paris contre cette décision.

La commune de Mouvaux s'oppose à la demande et réclame à la société JC Decaux une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le représentant de M. le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie ainsi que M. le représentant le Ministère public ont fait connaître leurs avis.

Sur ce :

Attendu qu'aux termes de l'article L. 464-8 du Code de commerce, le recours n'est pas suspensif mais le premier Président de la Cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou s'il est intervenu postérieurement à sa notification des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité ;

Attendu qu'au soutien de sa demande, la société JC Decaux fait valoir que l'exécution des articles 2 et 3 de la décision entraînerait des conséquences manifestement excessives, l'atteinte à son crédit et à sa réputation qui en résulterait ne pouvant être réparée en cas de réformation de la décision ; qu'elle fait valoir à cet égard qu'il lui est imposé de reproduire les paragraphes les plus négatifs de la décision, à l'exclusion de ceux où le Conseil de la concurrence relève qu'elle s'était conformée en partie aux injonctions en cause, et que la diffusion de telles appréciations, particulièrement pénalisante en ce qu'elle s'adresse à toutes les collectivités avec lesquelles son groupe entretient des relations contractuelles y compris lorsque celles-ci ne sont pas critiquables, risque de produire un effet néfaste sur les vingt-quatre collectivités locales qui doivent se prononcer prochainement sur l'attribution de contrats de mobilier urbain pour lesquelles elle a soumissionné, comme sur celles qui se disposent à organiser une mise en concurrence ; qu'elle ajoute qu'elle a également postulé dans le cadre de onze appels d'offres internationaux, notamment à New York, Kobe, New Delhi, qu'elle se prépare à présenter sa candidature pour un contrat concernant le métro de Londres, et que l'exploitation de cette publication, qui ne manquera pas de se produire dans un contexte concurrentiel très tendu, serait de nature à compromettre ses activités, durablement s'agissant de contrats d'une durée supérieure à dix ans, et donc de manière irréversible.

Attendu qu'en effet l'exécution de l'injonction visée à l'article 3, dont la société JC Decaux conteste la légalité dans le cadre de son recours au fond, est de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives dès lors qu'ayant pour objet d'informer spécialement toutes les collectivités territoriales partenaires commerciales du groupe Decaux du comportement répréhensible de ce dernier, elle porte une atteinte sérieuse à son image et risque ainsi de le priver de la conclusion de contrats de longue durée ; que la mesure de complément proposée très subsidiairement par la requérante - qui rendrait le texte incompréhensible - étant inadaptée et aucune circonstance n'imposant que cette injonction soit exécutée avant que la décision statuant sur le bien-fondé du recours ne soit rendue, la demande principale doit être accueillie en ce qui concerne cette injonction.

Attendu en revanche que la publication forcée, qui procède du principe fondamental de la publicité des décisions à forme et à contenu juridictionnel n'est pas de nature à porter atteinte au crédit et à la considération des personnes visées, dès lors, d'une part, que les paragraphes 114 à 119 constituent un résumé objectif des éléments retenus par le Conseil pour entrer en voie de sanction, que, d'autre part, dans un souci de cohérence avec la présente ordonnance et ainsi que le Conseil l'avait lui-même prévu dans ses motifs, le paragraphe 113 qui fait état de l'injonction relative à la lettre d'information- sera exclu de la publication, et qu'enfin, il sera fait droit à la demande d'insertion complémentaire de la mention du recours formé.

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application en la cause des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs : Disons que, jusqu'à ce que la cour ait statué sur le recours formé le 1er août 2005 par la société JC Decaux contre la décision n° 05-D-36 du 30 juin 2005 du Conseil de la concurrence : il sera sursis à l'exécution de l'article 3 de cette décision ; en ce qui concerne l'article 4 de cette décision, le paragraphe 113 sera exclu du texte publié et la société JC Decaux est autorisée à faire ajouter, dans la publication, la mention que la décision dont s'agit fait l'objet de recours ; Rejette la demande de la commune de Mouvaux fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Disons que les dépens de la présente instance suivront le sort des dépens de l'instance principale.

(*) Décision n° 05-D-36 du Conseil de la concurrence en date du 30 juin 2005 parue dans le BOCCRF n° 4 du 14 mars 2006.