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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 25 mars 2003, n° 01-04016

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bauer (Sté)

Défendeur :

Les Vignerons de la Méditerranée (SA), ADS (Sté), Some (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roche

Conseillers :

MM. Derdeyn, Grison

Avoués :

SCP Touzery-Cottalorda, SCP Jougla-Jougla, SCP Argellies-Travier-Watremet, SCP Capdevila-Vedel-Salles

Avocats :

Mes Geelhaar, Daumas, Pech de la Clause, Mennesson, Benet

T. com. Narbonne, du 23 mai 2001

23 mai 2001

Faits et procédure

La SA ADS a vendu à la Société Nouvelle des Chais du Languedoc, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la SA Les Vignerons de la Méditerranée une "souffleuse de bouteilles plastiques ADS équipée d'un compresseur Bauer B 28-2-55-3", ce compresseur ayant été commandé auprès de la SARL Bauer compresseurs France, filiale de la société Bauer Kompressoren de nationalité Allemande. L'ensemble du matériel a été livré le 9 juin 1993 et a correctement fonctionné pendant plus de quatre années, sa maintenance ayant été assurée par l'acheteur ainsi que par la SARL Some pour quelques opérations d'entretien ponctuelles.

A la suite de deux pannes successives, respectivement intervenues le 19 décembre 1997 et le 24 juin 1998, la SA Les Vignerons de la Méditerranée a assigné, en référé, la SA ADS et la SARL Bauer et le 27 janvier 1999, le Président du Tribunal de commerce de Narbonne rendait une ordonnance nommant Robert Lafon en qualité d'expert.

L'expert a déposé son rapport le 30 septembre 1999.

La SA Les Vignerons de la Méditerranée a, par acte du 14 juin 2000, assigné la SA ADS, la SARL Bauer ainsi que la SARL Some devant le Tribunal de commerce de Narbonne aux fins de condamnation solidaire à lui payer la somme de 353 142, 70 F de dommages et intérêts.

Par jugement du 23 mai 2001, le Tribunal de commerce de Narbonne mettait hors de cause les sociétés ADS et Some, condamnait la société Bauer à payer à la SA Les Vignerons de la Méditerranée la somme de 270 810,61 F avec intérêt au taux légal à compter du 14 juin 2000, et ordonnait l'exécution provisoire du jugement. Le tribunal condamnait en outre la société Bauer à payer à la SA Les Vignerons de la Méditerranée la somme de 7 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et la condamnait aux dépens.

La SARL Bauer a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Vu les conclusions des parties, respectivement déposées au greffe de la mise en état le 18 décembre 2001 pour la SARL Bauer, le 29 mars 2002 pour la SARL Some, le 3 avril 2002 pour la SA ADS et le 11 octobre 2002 pour la SA Les Vignerons de la Méditerranée.

Motifs de la décision

Il n'est pas contesté que les deux pannes ayant affecté le fonctionnement de la souffleuse de bouteilles vendue et installée par la SA ADS à la SA Les Vignerons de la Méditerranée trouvaient leur origine, comme l'a démontré le rapport d'expertise, dans le mauvais entretien des échangeurs thermiques du compresseur équipant la souffleuse, lequel avait été vendu à la SA ADS par la société Bauer.

S'agissant de la deuxième panne, intervenue au mois de juin 1998, la SARL Bauer reconnaît que sa responsabilité est engagée (page 8 de ses conclusions) dans la mesure où elle est intervenue sur le compresseur défectueux à la suite de la première panne du mois de décembre 1997 mais a été dans l'incapacité d'offrir une solution technique appropriée et fiable à son client. La SARL Bauer reconnaît en effet qu'elle avait une exacte connaissance à cette époque des préconisations d'entretien des échangeurs thermiques qu'avaient édicté sa maison mère concernant ce modèle de compresseur.

Elle accepte donc d'assumer les conséquences totales et exclusives de cette seconde panne, tenant son absence de diligences appropriées lors des réparations effectuées, mais conteste toutefois l'évaluation du préjudice subi par SA Les Vignerons de la Méditerranée telle qu'elle a été retenue par l'expertise et par le premier juge.

En revanche, la SARL Bauer fait grief au jugement déféré d'avoir retenu sa responsabilité exclusive dans la survenance de la première panne de décembre 1997 et soutient que, s'agissant de cette panne, sa responsabilité doit être totalement écartée.

Le fabricant et vendeur d'un matériel technique et complexe est débiteur, tant à l'égard de son acquéreur direct que de l'utilisateur, lorsqu'ils ne sont pas des professionnels de la même spécialité, d'une obligation de renseignement, laquelle l'oblige à délivrer les informations nécessaires afin que ceux-ci soient informés des conditions d'utilisation et d'entretien du matériel.

Le compresseur acquis par la SA Vignerons de la Méditerranée pour équiper la souffleuse de bouteille est un produit d'une haute complexité technique, nécessitant d'importantes précautions d'utilisation et d'entretien. Ces caractéristiques justifient d'ailleurs la remise à l'utilisateur d'une imposante documentation technique établie par la société Bauer.

Il n'est pas contesté qu'au moment de la livraison du compresseur, soit au mois de juin 1993, une documentation technique ayant pour date d'édition janvier 1991 et de révision février 1992 a bien été fournie à l'utilisateur, la SA Vignerons de la Méditerranée.

La SARL Bauer reconnaît cependant dans ses écritures que dès le mois de janvier 1994, une nouvelle documentation technique a été éditée par la société mère Bauer Allemagne. Cette nouvelle documentation préconisait expressément aux utilisateurs le débouchage des refroidisseurs du compresseur toutes les 6 000 heures d'utilisation. Il a été établi par l'expertise que cet absence d'entretien des échangeurs thermiques avait bien contribué au dommage constitué par la panne du mois de décembre 1997, après 10 000 heures de fonctionnement du compresseur.

La SARL Bauer soutient néanmoins qu'elle ne pouvait délivrer au moment de la vente, soit en juin 1993, une information dont elle n'avait eu connaissance qu'au mois de janvier 1994.

Cependant, en présence d'un matériel de haute technicité, pour lequel le fabricant procède à de fréquentes révisions des prescriptions d'entretien et d'utilisation, la bonne exécution de son obligation de renseignement par le fabricant suppose qu'il entreprenne les démarches nécessaires pour fournir aux utilisateurs les informations essentielles concernant les conditions d'emploi et les préconisations d'entretien du matériel dont il a pu acquérir la connaissance. Cette obligation existe de plus fort à la charge du fabricant lorsque le délai qui sépare le jour de la vente du jour où les informations nouvelles ont été portées à la connaissance du fabricant n'a pas excédé 7 mois, comme c'est le cas en l'espèce.

Or, il est démontré que la SARL Bauer n'a fourni aucune autre documentation technique et n'a jamais informé la SA Vignerons de la Méditerranée des nouvelles préconisations essentielles d'entretien du compresseur, ni même la SA ADS, mettant cette dernière dans l'impossibilité de répercuter ces renseignements à son acquéreur.

Il convient en conséquence de retenir la responsabilité de la SARL Bauer pour manquement à son obligation de renseignement dans le dommage subi par la SA Vignerons de la Méditerranée en raison de la panne de décembre 1997.

A cet égard, la SARL Bauer ne saurait se retrancher derrière sa qualité de filiale et derrière le déficit d'information dont elle aurait elle-même souffert de la part de sa société mère.

En revanche, il convient de débouter la SA Les Vignerons de la Méditerranée de ses demandes à l'encontre de la SA ADS au titre de sa participation à la réalisation de ce dommage. En effet, outre que la panne trouvait son origine dans le compresseur fabriqué par la SARL Bauer, partie de la souffleuse vendue par la SA ADS et dont elle avait spécialement confié la fourniture à ce professionnel, il est démontré que ni au moment de la vente, ni ultérieurement, la SA ADS n'a été en mesure de fournir l'information portant sur le nécessaire entretien des échangeurs thermiques à la SA Les Vignerons de la Méditerranée. Comme l'écrit Bauer dans ses conclusions, et contrairement aux allégations de la SA Vignerons de la Méditerranée, la SA ADS ne pouvait donner, au moment de la vente, une information qu'elle ne connaissait pas. De plus fort, la SARL Bauer, ne lui ayant jamais par la suite communiqué les informations essentielles concernant les conditions d'emploi et les préconisations d'entretien du compresseur, elle se trouvait dans l'impossibilité de renseigner son propre contractant.

De même, la responsabilité de la SARL Some, recherchée tant par la SA Vignerons de la Méditerranée que par la SARL Bauer, doit être écartée. Il est démontré que la SARL Some n'avait conclu aucun contrat de maintenance avec la SA Vignerons de la Méditerranée, mais n'est intervenue que ponctuellement pour procéder à des révisions et des échanges de pièces, telles que préconisées par la documentation technique délivrée par Bauer. Ces opérations élémentaires et ponctuelles de maintenance n'ont eu aucune conséquence sur la défectuosité du matériel, laquelle ne saurait donc lui être imputée.

En outre, il convient de relever que la SARL Some, alertée par la SA Vignerons de la Méditerranée lors de la panne de décembre 1997, a immédiatement appelé la SARL Bauer lorsqu'elle s'est aperçu de la gravité de cette panne et que la SARL Some s'est contenté de fournir sa main-d'œuvre à la SARL Bauer pour la réalisation des opérations de réparations. A cet égard, il est remarquable que son intervention lui ait été directement réglée par la SARL Bauer, laquelle en a ensuite répercuté le coût sur la facture adressée à la SA Les Vignerons de la Méditerranée.

Il convient donc de confirmer le jugement déféré sur ces points.

Néanmoins, si la responsabilité de la SARL Bauer pour manquement à son obligation de renseignement est établie, celle-ci n'est pas exclusive et doit être tempérée en raison de la faute commise par l'utilisateur, la SA Vignerons de la Méditerranée. Il ressort en effet des correspondances échangées par la SA Vignerons de la Méditerranée avec la SA ADS que cette dernière lui a adressé dès le 9 septembre 1993, soit à peine plus de 3 mois après la fourniture et l'installation du matériel, un courrier la mettant en garde contre la mauvaise utilisation qu'elle faisait du compresseur. Ce courrier est rédigé dans les termes suivants: " Comme vous le constatez notre collaboration vous est acquise afin de vous aider à assumer votre production.

Par contre, le fonctionnement du compresseur s'effectue dans des conditions impossibles, ce n'est pas un matériel de chantier, malgré la filtration vous raccourcissez sa durée de vie, la qualité de l'air ambiant constitue une pollution que vous injectez dans les bouteilles et nuit à son fonctionnement.

Avec la meilleure volonté du monde, nous ne pouvons plus vous assurer de notre garantie sur ce matériel."

Ce courrier démontre que la cause du dommage, que l'expert avait trouvé dans l'absence d'information délivrée par la SARL Bauer quant à l'entretien des échangeurs thermiques, doit être également trouvée dans les conditions exécrables d'utilisation du compresseur par la SA Vignerons de la Méditerranée, et ce au mépris des injonctions que lui avait adressé son vendeur.

En conséquence de cette faute de l'utilisateur, la responsabilité de la SARL Bauer dans la réalisation du dommage ne saurait être retenue qu'à hauteur de 50 %.

Il conviendra de réformer partiellement le jugement déféré sur ce point.

S'agissant des préjudices, il convient de distinguer celui consécutif à la première panne de décembre 1997 de celui consécutif à la seconde panne de mai 1998, seule panne pour laquelle la SARL Bauer engage sa responsabilité exclusive.

Pour le premier dommage, ni la SARL Bauer, ni la SA Vignerons de la Méditerranée ne contestent le mode de calcul retenu par l'expert et que le montant total de la facture, soit 166 130,20 F, ne devait être retenu que pour un montant de 109 777,20 F, correspondant uniquement aux frais de réparation du compresseur, à l'exclusion du prix des pièces liés à l'entretien courant et du prix des fournitures consommables.

La SA Vignerons de la Méditerranée conteste cependant l'évaluation de l'expert et la condamnation prononcée par le tribunal, lesquels ont considéré que cette panne étant survenue après une longue période d'utilisation du compresseur, il y avait lieu de réduire cette somme de 75 % pour la porter au montant de 27 440,30 F.

C'est à tort que l'expert a appliqué un pareil coefficient de vétusté au bien endommagé et il convient de retenir la somme correspondant exactement aux réparations, soit 109 777,20 F, comme composante du dommage.

En outre, la SARL Bauer a été condamnée à payer à la SA Vignerons de la Méditerranée la somme de 70 322,81 F correspondant à la facturation de la société Air Liquide pour la livraison à la SA Vignerons de la Méditerranée d'azote gazeux. L'expert a exactement considéré que l'immobilisation de souffleuse consécutive à la panne du compresseur a obligé l'utilisateur à avoir recours à une source d'énergie extérieure. Ce chef de préjudice, consécutif à la panne de décembre 1997, doit être retenu. Cependant, il est produit aux débats deux factures, l'une du 29 décembre 1997 pour un montant HT de 50 700 F, l'autre du 31 décembre 1997 pour un montant HT de 10 600 F. Le préjudice s'élève donc à la somme de 61 300 F, et non de 70 322, 81 F.

En conséquence, le dommage souffert par la SA Vignerons de la Méditerranée s'élève, pour la panne de décembre 1997 à un montant total de 171 017,20 F, soit 26 080,55 euro.

Tenant la responsabilité de la SARL Bauer à hauteur de 50 % dans la réalisation de ce dommage, il convient de condamner celle-ci à payer à la SA Vignerons de la Méditerranée la somme de 13 040,30 euro.

Si la SARL Bauer reconnaît sa responsabilité exclusive pour la seconde panne du mois de juin 1998, celle-ci conteste cependant le montant du préjudice retenu par le tribunal de commerce, lequel s'élève, au titre des frais de réparation du compresseur, à 82 943,50 F et au titre des frais engendrés par le recours à une source d'énergie extérieure, à 90 100 F.

S'agissant des frais de réparation, la SARL Bauer soutient que ne doivent être pris en compte que les frais liés à la casse pour un montant de 27 063 F et non ceux engendrés par l'entretien. Cependant, il a été montré que c'est bien ce mode de calcul qu'a appliqué l'expert, celui-ci ayant exactement chiffré ces frais à 82 943,50 F sur un total facturé de 132 995,70 F.

Il conviendra de confirmer le montant évalué par l'expert et retenu par le tribunal de commerce, la SARL Bauer ne proposant aucun décompte détaillé pour justifier le chiffre qu'elle avance.

En outre, la SARL Bauer soutient que, compte tenu de la relation entre les frais de casse et les frais d'entretien, les frais de main-d'œuvre doivent être répartis entre ces différents postes.

Il conviendra de faire droit à ce dernier argument et de ne compter les frais de main-d'œuvre qu'au prorata des opérations de réparation, en laissant à la charge de la SA Vignerons de la Méditerranée les frais de main-d'œuvre exposés pour les opérations d'entretien.

En conséquence, les travaux de réparation constituant 0,62 % de la facture globale et les frais de main d'œuvre facturés s'élevant à 38 521 F, ceux-ci ne doivent être compris dans le préjudice réparable qu'à hauteur de 23 883,02 F. Il conviendra donc de déduire de la condamnation prononcée la somme de 14 637,98 F, soit 2 231,55 euro.

Le préjudice résultant des frais de réparation consécutif à la panne de juin 1998 s'élève donc à la somme de 68 305,52 F, soit 10 413,11 euro.

En outre, et à la suite de cette deuxième panne, c'est à bon droit que la SARL Bauer a été condamnée à payer à la SA Vignerons de la Méditerranée la somme de 90 100 F (13 735,66 euro) correspondant à la facturation de la société Air Liquide pour la livraison d'azote gazeux.

En conséquence, il convient de condamner la SARL Bauer à payer à la SA Vignerons de la Méditerranée la somme de 24 148,77 euro au titre de la réparation du dommage consécutif à la seconde panne.

En définitive, la SARL Bauer sera condamnée à payer à la SA Vignerons de la Méditerranée la somme totale de 37 189,07 euro, avec intérêts au taux légaux à compter du 14 juin 2000.

Il conviendra de réformer la décision déférée en ce sens.

La SARL Bauer, qui succombe pour l'essentiel de ses prétentions en cause d'appel, sera condamnée aux dépens d'appel.

La SARL Bauer sera en outre condamnée à payer à la SA Les Vignerons de la Méditerranée la somme complémentaire de 600 euro. En revanche, l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 au profit de la SA ADS et de la SARL Some.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Réformant le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Narbonne le 23 mai 2001, Condamne la SARL Bauer à payer à la SA Les Vignerons de la Méditerranée la somme de 37 189,07 euro, avec intérêts au taux légaux à compter du 14 juin 2000 ; Rejette toutes autres prétentions comme contraires ou non fondées Condamne la SARL Bauer aux dépens ; Condamne la SARL Bauer à payer à la SA Les Vignerons de la Méditerranée la somme de 600 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.