CA Nouméa, ch. civ., 14 octobre 2002, n° 107-2002
NOUMÉA
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Laucel (SARL)
Défendeur :
Ministre de la Défense - Gendarmerie Nationale, Agent du Trésor public
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Stoltz
Conseillers :
MM. Grafmuller, Mesière
Avocats :
Me Fantozzi, SCP Mansion-Loye
Procédure de première instance
Le 29 janvier 1998, la gendarmerie nationale passait commande auprès de la SARL Laucel de " deux tapis de sol pour transport de chevaux anti-glissant, anti-fatigue en un seul morceau " pour le prix de 361 480 FCFP.
Après livraison, la gendarmerie nationale a refusé le paiement au motif d'une non-conformité aux spécifications demandées.
Par ordonnance du 16 décembre 1998, le juge des référés, saisi par la SARL Laucel suite au refus de la gendarmerie d'acquitter la facture, a ordonné une mesure d'expertise.
L'expert a déposé son rapport le 12 avril 2000. Il a relevé:
"Si l'on se réfère stricto-sensu, aux termes employés, le produit livré est bien un tapis de sol pour transport de chevaux. Le caractère anti-fatigue est indiscutable, le caractère anti-glissant beaucoup plus discutable dans le cas présent.
L'adaptation à l'usage auquel on les destine rentre dans ce même cadre. En effet, si ces tapis sont effectivement destinés à constituer des protections de sol pour véhicules de transport de chevaux, leur utilisation dans le cas présent parait très inadaptée:
Vans de transport de trois chevaux donc tapis inadapté à la taille de ces vans
Chevaux voyageant en épis, facteur aggravant les risques de glissement
Nettoyages fréquents, obligeant une manipulation malaisée du fait du poids important
Taille importante ne permettant pas une stabilité sécurisante par impossibilité de fixation ".
Il a conclu:
Il nous apparaît que ce litige est né:
1) d'une incompréhension ou d'une mauvaise formulation au moment de la commande
2) d'une mauvaise connaissance, par l'importateur, des produits présents sur le marché
3) d'une totale confiance entre l'importateur local et le fournisseur australien, celui-ci envoyant un produit très usité dans ce pays.
il ne nous appartient pas de définir les différentes responsabilités mais l'inadaptation du produit livré étant effective, il faut préciser, à la décharge du fournisseur, que ce type de tapis correspond dans certaines conditions, à l'usage demandé, et, c'est très certainement de bonne foi qu'il a contracté cette commande auprès du fournisseur australien ".
Par requête déposée le 22 juin 2000, la SARL Laucel a sollicité le paiement par la gendarmerie nationale des sommes suivantes:
- 361 480 FCFP au titre de la facture impayée avec intérêts de retard aux taux légal à compter du mois d'avril 1998,
- 400 000 FCFP à titre de dommages et intérêts,
- 200 000 FCFP au titre de l'article 129 du décret du 7 avril 1928 modifié.
Elle a exposé qu'elle avait livré la marchandise le 17 mars 1998 et que l'expert avait constaté que le produit livré était conforme aux caractéristiques annoncées.
L'Agent judiciaire du Trésor, intervenant volontairement, a conclu au débouté en soutenant que le produit livré ne correspondait pas à la commande passée dont les caractéristiques avaient été clairement exprimées à la société Laucel. Il a estimé que le contrat devait être résilié aux torts de la société.
Il a précisé que la gendarmerie souhaitait un tapis plein, à fixer au sol du véhicule de transport avec une colle spéciale assurant une étanchéité totale sur les bords du véhicule. Or, selon lui, le tapis livré était constitué d'un maillage de bandelettes en caoutchouc, ne pouvait être fixé et entraînait de nombreux problèmes d'utilisation.
Il a prétendu en outre que la SARL Laucel n'avait pas respecté l'obligation d'information dont elle était tenue, il a indiqué que la demanderesse avait refusé la restitution des tapis qui lui avaient été portés le 22 novembre 2000.
La SARL Laucel a répondu que la commande passée était ferme et sans réserve et a ajouté que la gendarmerie n'avait nullement précisé ses besoins réels.
Par jugement du 4 mars 2002 le Tribunal de première instance a:
- mis hors de cause la gendarmerie,
- prononcé la résolution de la vente conclue le 29 janvier 1998,
- débouté la SARL Laucel de toutes ses demandes,
- ordonné la restitution des tapis à la SARL Laucel,
- condamné la SARL Laucel à payer à l'Agent judiciaire du Trésor la somme de 60 000 FCFP en application de l'article 129 du décret du 7 avril 1928 modifié,
- condamné la SARL Laucel aux entiers dépens.
Procédure d'appel
Par requête déposée le 15 mars 2002 la SARL Laucel a interjeté appel de ce jugement, non signifié
A l'appui de son recours, la SARL Laucel fait valoir qu'elle avait, au moment de la commande, proposé des tapis en plusieurs morceaux fixés par des cliquets mais que le militaire interlocuteur avait refusé, maintenant l'exigence d'un tapis en un seul morceau alors que ce type de tapis peu pratique n'existait quasiment plus ; que c'est dans ces conditions que le tapis avait été réalisé en Australie selon la commande, les mesures du van n'ayant pas été précisées au départ.
Elle estime donc avoir respecté les termes de la commande.
Elle relève qu'aux termes de l'expertise, seul le caractère anti-glissant serait litigieux; que l'expert se fonde sur le caractère inadapté du tapis au type de van et au mode de placement en épis des chevaux, éléments qui étaient inconnus au moment de la commande.
Elle estime qu'en se fondant sur des caractéristiques qui n'ont été apportées qu'après la commande, le premier juge a dénaturé le contrat.
Par ailleurs, compte tenu de la bonne foi reconnue par l'expert, elle estime que le premier juge a méconnu l'article 1134 du Code civil;
La SARL Laucel conclut à l'infirmation et demande, sur évocation:
- la résiliation du contrat,
- la condamnation de l'Agent judiciaire du Trésor à lui régler la somme de 361 480 FCFP à titre de restitution avec intérêts de droit à compter du 24 avril 1998 outre une somme de 400 000 FCFP à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et une somme de 200 000 FCFP au titre des frais irrépétibles,
- la condamnation de l'Agent judiciaire du Trésor aux dépens de première instance et d'appel incluant le coût de l'expertise et les frais de l'assignation en référé.
L'Agent judiciaire du Trésor reprend ses arguments et demandes de première instance et conclut à la confirmation outre condamnation de l'appelant à régler la somme de 80 000 FCFP au titre de l'article 129 du décret du 7 avril 1926 modifié.
Il observe les contradictions dans les positions de la SARL Laucel qui reconnaît avoir proposé des tapis en plusieurs morceaux fixés par des cliquets alors que la gendarmerie voulait deux tapis en un seul morceau.
Il rappelle que le responsable des commandes avait précisé les caractéristiques tenant à la fixation du tapis au sol du van pour un nettoyage plus facile.
Il fait valoir que la gendarmerie n'a jamais pu juger des caractéristiques du tapis avant commande ferme à défaut du moindre prospectus ou d'échantillon.
Enfin il soutient être de bonne foi et rappelle avoir, en vain, tenté de restituer le tapis.
Motifs de la décision
Sur la mise en cause du ministère de la Défense
Attendu que la SARL Laucel appelle à nouveau en la cause le ministère de la Défense - gendarmerie nationale alors même qu'elle n'articule aucune demande contre elle et que le premier juge a mis cette partie hors de cause pour des motifs non discutés;
Que la cour mettra également hors de cause, étant rappelé que les actions indemnitaires imposent la mise en cause de l'Agent judiciaire du Trésor;
Au fond
Attendu qu'il incombe au vendeur de délivrer une chose conforme aux spécifications prévues;
Qu'une obligation de conseil et de renseignements pèse sur lui qui a toutefois pour limite la propre compétence de l'acheteur, et l'obligation d'informations qui en découle;
Attendu qu'en l'espèce le seul élément contractuel utile est la facture pro forma n° 93 qui porte la désignation suivante " Tapis de sol pour transport de chevaux anti-glissant, anti-fatigue en un seul morceau 3400 x 2200 x 25 mm. - 170 Kgs";
Attendu que les exigences spécifiques dont la gendarmerie s'est prévalue par la suite ne résultent d'aucun document écrit approuvé par le vendeur;
Attendu qu'il résulte de l'expertise que le tapis livré, constitué de bandelettes reliées entre elles par un système d'auto-assemblage, est un produit "largement utilisé pour la protection des petits vans à une ou deux places" ; qu'il constitue un "sol de transport connu pour son confort";
Que selon l'expert " le produit livré est bien un tapis de sol pour transport de chevaux; que le caractère anti-fatigue est indiscutable ";
Attendu, en fait, que seul le caractère anti-glissant est discuté;
Que selon l'expert c'est la destination particulière de ce tapis (taille du van - disposition des chevaux en épis, obligation de nettoyage fréquent) qui le rend inadapté, son caractère anti-glissant n'étant pas discuté dans des configurations plus classiques;
Attendu qu'il apparaît en réalité, et c'est d'ailleurs ce que retient l'expert, que cette inadaptation relative du produit tient à une " incompréhension ou une mauvaise formulation au moment de la commande " ;
Attendu que le vendeur - et ceci vaut encore plus pour un produit très spécifique - doit s'informer des besoins de son acheteur et le renseigner sur les contraintes techniques de la chose vendue et son aptitude à atteindre le but recherché;
Attendu cependant que cette obligation de moyens trouve sa limite dans la propre compétence de l'acheteur surtout lorsque celui-ci, professionnel dans le domaine considéré, désire un produit avec des caractéristiques techniques différentes de celles habituelles du marché en raison de conditions d'usage spécifiques que lui seul est à même de pouvoir expliciter au vendeur;
Attendu qu'en l'espèce la commande a été passée pour le compte du PSIG qui comprend des spécialistes issus de la garde républicaine lesquels avaient, sans conteste, des connaissances en matière de transport de chevaux supérieures à celles de la société Laucel, simple importateur;
Qu'à la défaillance du vendeur dans son obligation de se renseigner s'oppose donc de manière équivalente la carence de la gendarmerie dans son obligation d'informer précisément le vendeur des caractéristiques du bien commandé en raison de conditions d'usage particulières pour lesquelles il était destiné;
Qu'en conséquence, par voie de réformation, la cour dira n'y avoir lieu à résolution du contrat ni à restitution du tapis litigieux et retiendra une responsabilité partagée des parties justifiant que la demande en paiement de la SARL Laucel soit réduite à hauteur de 180 740 FCFP ;
Que les parties seront déboutées de leurs demandes au titre des dommages et intérêts ou des frais irrépétibles;
Que les dépens, incluant les frais d'expertise, seront partagés par moitié;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement; Dit l'appel recevable et partiellement fondé; Met hors de cause le ministère de la Défense; Infirmant le jugement déféré et statuant à nouveau; Vu le rapport d'expertise; Constate que le tapis de sol livré présente une non-conformité partielle à l'usage prévu; Dit que la SARL Laucel d'une part et la Gendarmerie Nationale d'autre part, en qualité d'acquéreur professionnel, ont manqué à leurs obligations respectives de conseil et de renseignements pour l'une, d'information sur les spécificités de l'usage particulier prévu pour l'autre ; Condamne l'Agent judiciaire du Trésor à payer à la SARL Laucel la somme de cent quatre vingt mille sept cent quarante (180 740) FCFP; Déboute la SARL Laucel pour le surplus de ses demandes; Déboute l'Agent judiciaire du Trésor de sa demande au titre des frais irrépétibles; Fait masse des dépens incluant les frais d'expertise et dit qu'ils seront supportés par moitié par chaque partie avec distraction au profit des avocats de la cause.