CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 7 mars 2002, n° 2001-00088
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sakata Seed France (Sté)
Défendeur :
de Saint-Marcel (SARL), 2M Distribution (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brignol
Conseillers :
MM. Vergne, Grimaud
Avoués :
SCP Rives Podesta, SCP Nidecker Prieu, Me de Lamy
Avocats :
Mes Léonard, Dugast, Barthet
Attendu que suivant facture d'achat en date du 12 mars 1998, la SARL de Saint-Marcel qui exerce une activité de maraîcher à Saint-Sylvestre-sur-Lot (47), a acquis auprès de la SARL 2M Distribution à Castelmaurou (31) des semences de radis blanc d'origine chinoise dénommées Gentoku et Mikura Cross lesquelles avaient été vendues à la société 2M Distribution par la société Sakata Seed France;
Attendu qu'il est constant que ces semis ont été mis en place mais que les radis sont rapidement montés en graines mais sans donner de racines;
Que saisi par la SARL de Saint-Marcel, le Président du Tribunal de commerce de Toulouse a ordonné une expertise confiée à Monsieur de Warren;
Attendu qu'au résultat de l'expertise dont le rapport a été établi le 20 mai 1999, la SARL de Saint-Marcel a, par actes d'huissier de justice en dates des 17 et 21 septembre 1999, assigné les sociétés 2M Distribution et Sakata Seed France devant le Tribunal de commerce de Toulouse en vue d'obtenir réparation de son entier préjudice ainsi que des dommages-intérêts complémentaires pour résistance abusive et une indemnité en application de l'article 700 du NCPC;
Attendu que par jugement en date du 11 décembre 2000, le Tribunal de commerce de Toulouse a :
* dit que la société Sakata Seed, en omettant pour un produit nouveau d'effectuer une information complète et précise sur ledit produit, avait manqué gravement à son obligation d'information et condamné en conséquence la société Sakata Seed à payer à la SARL de Saint-Marcel la somme de 19 500 F (2 972,76 euro)
* dit que la SARL 2M Distribution en se limitant à un rôle de distributeur matériel des produits de la société Sakata Seed en ne s'assurant pas de la réalité de l'information et de la véracité de l'information transmise par cette société a commis une faute et qu'elle devrait payer à la SARL de Saint-Marcel la somme de 9 750 F (1 486,38 euro)
* dit que ces deux sommes produiraient intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 1999, date de l'assignation introductive d'instance
* condamné la société 2M Distribution à verser à la société de Saint-Marcel la somme de 5 000 F de dommages-intérêts pour résistance abusive et une indemnité de 7 500 F en application de l'article 700 du NCPC
* condamné la société 2M Distribution aux entiers dépens et 75 % des frais d'huissier et d'expertise
* dit que les dommages-intérêts pour résistance abusive, l'indemnité de l'article 700 du NCPC et les dépens prononcés contre la SARL 2M Distribution seraient remboursés à sa première demande par la société Sakata Seed
Attendu que la société Sakata Seed France, appelante de ce jugement, en sollicite la réformation et demande à la cour de débouter la SARL de Saint-Marcel et la société 2M Distribution de toutes leurs demandes dirigées contre elle et de constater qu'en toute hypothèse elle est en droit d'opposer à la société 2M Distribution ainsi qu'à la société de Saint-Marcel la clause limitative de garantie réduisant ainsi toutes condamnations possibles contre elle-même à 3 164,50 F
Qu'elle sollicite en outre la condamnation de la société de Saint-Marcel et de la société 2M Distribution à lui verser une indemnité de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC;
Attendu que la société 2M Distribution conclut également à la réformation du jugement déféré et demande à la cour, à titre principal, de débouter la SARL de Saint-Marcel, dont le comportement est seul entièrement à l'origine du préjudice qu'elle a subi, de toutes ses demandes;
Qu'à titre subsidiaire, elle demande à la cour de :
* dire qu'en toute hypothèse, la plupart des dommages de la SARL de Saint-Marcel devront rester à la charge de cette dernière
* condamner la société Sakata Seed France à la relever et garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre elle au profit de la société de Saint-Marcel
* dire et juger que la société Sakata Seed France ne peut lui opposer la clause limitative de garantie
Qu'elle sollicite l'allocation d'une indemnité de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC;
Attendu que la SARL de Saint-Marcel conclut quant à elle à la confirmation du jugement déféré ainsi qu'au rejet de toutes les prétentions de la société Sakata Seed France et à la condamnation de cette dernière à lui verser une indemnité de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC;
Sur quoi
Vu les conclusions signifiées et déposées par la SARL Sakata Seed France, par la SARL 2M Distribution et par la SARL de Saint-Marcel, respectivement le 14 décembre 2001, le 3 décembre 2001 et le 14 décembre 2001,
Attendu que les dispositions de l'article 1615 du Code civil font peser sur le fabricant d'un produit ainsi que sur le revendeur professionnel de ce produit une obligation de renseignement et de conseil à l'égard de leur acquéreur même si celui-ci est lui-même un professionnel lorsque les compétences de cet acquéreur ne lui permettent pas d'apprécier très précisément toutes les caractéristiques techniques du produit qui lui est vendu;
Qu'il en est notamment ainsi lorsque le produit vendu est un produit nouveau ou récemment commercialisé ce qui impose au fabricant et au revendeur spécialisé d'apporter à leur acheteur tous renseignements et conseils utiles pour son utilisation;
Attendu, en outre, que le droit pour l'acheteur d'obtenir ainsi les conseils et renseignements utiles quant au produit nouveau ou récent dont il fait l'acquisition constitue un droit directement attaché à la chose vendue et que, dès lors, l'acheteur peut exercer, lorsqu'il a subi un préjudice à raison de l'absence de tels conseils et renseignements, non seulement une action en réparation à l'encontre de son revendeur mais également, et directement, une action en réparation, qui est également de nature contractuelle, à l'égard du fabricant du produit nouveau vendu à raison des manquements de ce dernier à sa propre obligation contractuelle de conseil et de renseignement;
Attendu qu'en l'espèce, il résulte des constatations et investigations de l'expert Monsieur de Warren, et qu'il n'est pas contesté, que les semences, dénommées Gentoku et Mikura Cross constituent des variétés de radis blanc récentes et qu'il n'existait pas d'antériorité significative de leur culture dans la vallée de la Garonne de sorte que leur comportement était mal connu;
Qu'il apparaît en outre, au résultat des investigations de l'expert, que la société Sakata Seed, hormis une fiche catalogue, qui est produite aux débats et annexée au rapport d'expertise et dont l'expert indique à juste titre qu'elle est "des plus succinctes", n'a remis à ses distributeurs, parmi lesquels la société 2M Distribution, aucun document technique relatif à ses produits et comportant des conseils de conduite de production, Monsieur de Warren soulignant notamment qu'aucune information n'était donnée quant à la densité des plants, la date des semis, la conduite de la culture;
Or, attendu que, bien qu'il n'ait pu procéder lui-même à des constatations techniques (la SARL de Saint-Marcel ayant en effet, avant les opérations d'expertise, retourné les parcelles semées sans laisser de témoin) Monsieur de Warren a néanmoins bien mis en lumière, sur la base du constat d'huissier du 19 juin 1998 et de l'audition de témoins et sachants techniciens, que le fait que les semences dont il s'agit soient rapidement montées en graines et n'aient donc pas permis la production de racines de qualité marchande était imputable d'abord à des dates de semis à l'évidence inadaptées et à des densités de plan insuffisantes (en tout cas sur ce dernier point pour la variété Gentoku), tous éléments qui sont manifestement la conséquence directe du défaut d'information et de renseignements techniques dont la SARL de Saint-Marcel a été la victime relativement à des semences qui étaient pour elle des produits entièrement nouveaux;
Attendu dans ces conditions que c'est par une juste et exacte appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont retenu d'une part que la société Sakata Seed, ayant mis des produits nouveaux sur le marché avait manifestement manqué à ses obligations d'information auxquelles elle était tenue en tant qu'obtenteur professionnel de variétés végétales à l'égard des acquéreurs de ces produits, d'autre part que la société 2M Distribution qui ne pouvait, certes, donner à ses clients plus d'informations que celles dont elle-même disposait, mais qui s'est contentée, ainsi que l'ont révélé les investigations de l'expert, à un rôle de simple distributeur ayant simplement présenté les nouvelles semences à la société de Saint-Marcel sans jamais aborder avec sa cliente les questions techniques relatives à la conduite de la culture de ces nouvelles variétés, avait ainsi manqué, elle aussi, à son obligation de renseignement et de conseil en se contentant de jouer un rôle de simple répartiteur de produits sans réunir toutes les informations techniques nécessaires à leur utilisation;
Attendu que c'est donc à bon droit, au regard des règles et principes ci-dessus rappelés, que la société de Saint-Marcel fait valoir que la responsabilité des sociétés Sakata Seed et 2M Distribution était engagée à raison de leurs manquements à leurs obligations respectives de renseignements et de conseils et que ces sociétés lui devaient donc, chacune pour leur part, réparation de son préjudice consécutif à l'échec de la mise en culture des semences nouvelles qu'elles lui avaient vendues;
Attendu, par ailleurs, que l'expert Monsieur de Warren a parfaitement mis en lumière, au résultat de ses investigations, que la société de Saint-Marcel était également responsable, pour une part, de son propre préjudice à raison de ses propres fautes et négligences dans la conduite de la culture des nouvelles semences dont il s'agit;
Que l'expert a notamment, et entre autres, souligné l'insuffisance, eu égard aux conditions météorologiques particulièrement sèches du début de l'année 1998, de l'arrosage des parcelles concernées, étant ici observé que la société de Saint-Marcel, dans ses écritures en cause d'appel n'entend pas remettre en cause l'analyse de ses négligences qui a été effectuée, sur la base des investigations de Monsieur de Warren, par les premier juges ni d'ailleurs la part de responsabilité que ces derniers lui ont en définitive attribuée;
Attendu qu'il convient d'ajouter, pour être complet et pour répondre aux arguments et prétentions formulées par les sociétés Sakata Seed et 2M Distribution dans leurs écritures,
* que s'agissant de semences nouvelles, ce n'est nullement à la société de Saint-Marcel qu'il appartenait de solliciter de son fournisseur direct ou du fabricant les éléments d'information technique relatifs à ces semences et que c'était bien aux sociétés Sakata Seed et 2M Distribution de fournir ces éléments d'information aux utilisateurs ou, en tout cas pour la société 2M Distribution, de prendre les initiatives nécessaires pour que leurs clients soient effectivement en possession de tous les renseignements et conseils utiles
* que les négligences commises par la société de Saint-Marcel, maraîcher professionnel, au regard en particulier des conditions climatiques particulières de la période considérée, ne peuvent être considérées comme la seule cause de son préjudice et ne sauraient en aucune manière exonérer les sociétés Sakata Seed et 2M Distribution de leur responsabilité à raison de leurs manquements manifestes à leurs propres obligations contractuelles, lesquels manquements ont, en réalité, pris une part prépondérante dans la production du préjudice subi par la société de Saint-Marcel
* que le fait que la société 2M Distribution, contractant direct de la société de Saint-Marcel, ait elle-même manqué à l'égard de cette dernière à son obligation d'information et de conseil n'enlève rien au fait que, ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges, les manquements à ses obligations de la société Sakata Seed France, qui a commercialisé ses produits en France sans fournir aucun véritable document technique à destination de ses revendeurs et des utilisateurs de ces produits, constituent bien la cause principale des déboires de la société de Saint-Marcel, étant ici, et au surplus, à nouveau souligné que cette dernière est bien en droit de venir réclamer directement à la société Sakata Seed, pour la part qui lui incombe, réparation du préjudice qu'elle a subi en conséquence de ces manquements;
* qu'enfin, le fait que la société Sakata Seed ait fait preuve de manquements à son obligation de renseignements et de conseils n'a pas empêché la société 2M Distribution, ainsi que cela a été ci-dessus montré, de commettre elle-même des fautes dans l'exécution de son obligation de conseil et de renseignement, fautes dont tout ce qui précède montre qu'elles sont parfaitement distinctes de celles commises par la société Sakata Seed, de sorte que la société 2M Distribution ne peut prétendre à être relevée et garantie par la société Sakata Seed des condamnations qui seront prononcées contre elle;
Attendu qu'en considération de tous ces éléments et de tous les éléments d'appréciation fournis à la cour, il apparaît en définitive que la décision des premiers juges qui a attribué à la société Sakata Seed, à la société 2M Distribution et à la société de Saint-Marcel, respectivement 50 %, 25 % et 25 % de responsabilité dans la production du préjudice subi par la société de Saint-Marcel, correspond à une juste et exacte appréciation des éléments de la cause;
Attendu que s'agissant de l'évaluation de l'indemnisation de ce préjudice, la décision des premiers juges sur ce point, qui ont repris l'évaluation proposée par Monsieur de Warren, apparaît en définitive raisonnable et correspond bien à l'importance réelle du préjudice subi, étant en outre, et surtout, observé que cette évaluation n'apparaît pas en elle-même véritablement et sérieusement discutée par les parties en cause d'appel;
Attendu, enfin, que la société Sakata Seed invoque une clause limitative de garantie dont elle indique dans ses écritures qu'elle est ainsi libellée:
"Nos garanties sont que la semence contenue dans ce sachet correspond à la description qui en est faite sur l'étiquette dans le cadre de la tolérance admise.
Aucune autre garantie n'est donnée expresse ou implicite. Notre responsabilité est limitée à la garantie ci-dessus et dans tous les cas strictement limitée au montant facturé des semences".
Or, attendu que contrairement à ce qu'indique dans ses écritures, de façon manifestement inexacte, la société Sakata Seed, cette phrase ainsi rédigée n'apparaît nullement dans les conditions générales de vente figurant au verso de la facture des semences qu'elle avait établie, mais simplement (selon les annexes du rapport d'expertise) sur le sachet qui contenait ces semences;
Que l'on ne peut donc raisonnablement soutenir qu'une telle " limite de garantie " aurait véritablement valeur contractuelle;
Attendu en outre qu'il ya lieu de souligner, bien que les parties n'évoquent pas elles-mêmes directement cet aspect des choses dans leurs écritures, que c'est sur le terrain de son obligation de conseil et de renseignement résultant de l'article 1615 du Code civil (obligation constituant un accessoire de l'obligation de délivrance) que la responsabilité de la société Sakata Seed est présentement recherchée et que ni la qualité même des semences dont il s'agit, ni la conformité des semences livrées par rapport à ce qui avait été commandé ne sont présentement en cause, de sorte qu'en toute hypothèse l'on ne voit pas ce en quoi la "limitation de garantie", telle qu'elle est rédigée et telle qu'elle est invoquée par la société Sakata Seed, trouverait à s'appliquer en l'espèce;
Attendu, au total, que le jugement déféré doit être confirmé en toutes ses dispositions;
Attendu que l'équité ne commande pas de faire application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du NCPC;
Par ces motifs, LA COUR, Confirme en son intégralité le jugement déféré ; Déboute les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires ; Condamne la société Sakata Seed France, appelante principal qui succombe, aux entiers dépens d'appel et accorde à la SCP Nidecker & Prieu Philippot et à Maître de Lamy, qui le demandent, le bénéfice de l'article 699 du NCPC.