CA Amiens, 1re ch. sect. 1, 9 juin 2005, n° 01-00183
AMIENS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Chambard
Défendeur :
Hamalian
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lannuzel
Conseillers :
M. Florentin, Mme Corbel
Avoués :
SCP Le Roy, SCP Millon-Plateau
Avocats :
Mes Katalan-Drai, Kerverseau, Le Portz
Vu le jugement réputé contradictoire rendu le 6 septembre 2000 par le Tribunal de grande instance d'Amiens;
Vu l'appel formé par M. Christophe Chambard le 4 janvier 2001 ;
Vu l'arrêt avant dire droit du 31 octobre 2002;
Vu les dernières conclusions déposées pour M. Christophe Chambard le 4 novembre 2004;
Vu les dernières conclusions déposées pour M. Edgard Hamalian le 3 août 2004;
Vu l'ordonnance de clôture du 2 mars 2005;
Attendu qu'il n'est pas contesté qu'à la suite d'une annonce parue dans le magazine Top's Cars, M. Christophe Chambard a vendu à M. Edgard Hamalian le 19 août 1999 un véhicule d'occasion Porsche 911 portant le millésime 1992 et immatriculé GPU 766 (Belgique) pour le prix de 160 000 F (24 391,84 euro);
Que M. Edgard Hamalian a fait immatriculer ce véhicule sous le numéro 795 NBQ 75;
Attendu qu'au vu d'un rapport d'expertise amiable en date du 20 octobre 1999 établi par M. Arnaud Sene, expert en automobiles de collection, et par assignation du 2 février 2000, M. Edgard Hamalian a saisi le Tribunal de grande instance d'Amiens d'une demande contre M. Christophe Chambard en annulation, sur le fondement de l'article 1116 du Code civil, subsidiairement en résolution, de la vente du 19 août 1999 et en restitution du prix de vente, soit 160 000 F (24 391,84 euro) ; qu'il demandait, en outre, la somme de 50 096 F (7 637,05 euro) à titre de dommages-intérêts représentant le coût du remplacement du moteur et des frais annexes, ainsi que celle de 40 000 F (6 097,96 euro) à titre de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice de jouissance;
Que par le jugement susvisé, le tribunal a statué en ces termes:
- prononce la nullité de la convention contenant vente d'un véhicule Porsche immatriculé GPU 766 (Belgique) dont le prix a été versé le 23 août 1999,
- condamne M. Christophe Chambard à payer à M. Edgard Hamalian:
* 160 000 F,
* 60 116 F à titre de dommages-intérêts,
* 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamne M. Edgard Hamalian à restituer à M. Christophe Chambard le véhicule Porsche immatriculé GPU 766 dans le délai de 8 jours après le paiement des condamnations ci-dessus prononcées;
Attendu que par arrêt avant dire droit du 31 octobre 2002, la cour a ordonné une expertise et a désigné pour y procéder M. Sylvain Lemaire, spécialiste en automobiles, inscrit sur la liste des experts de la Cour d'appel d'Amiens, avec mission de dire si le véhicule en cause est conforme tant aux normes du constructeur qu'au texte de l'annonce parue dans le magazine Top's Cars, si le kilométrage indiqué lors de la vente correspond au kilométrage réel à la date de celle-ci et si ce véhicule est affecté de défauts et, le cas échéant, les décrire en indiquant s'ils empêchent ou diminuent notablement un usage conforme à sa destination, de rechercher l'origine et la date d'apparition de tous les défauts retenus, notamment les causes du changement du moteur et s'ils existaient lors de la vente, de rechercher pour chacun des vices retenus s'il a fait l'objet d'une tentative matérielle de dissimulation et s'il était décelable par un acquéreur profane, ainsi que de dire qu'elle était l'activité professionnelle de M. Christophe Chambard à l'époque de la vente;
Attendu qu'ensuite du dépôt du rapport de M. Sylvain Lemaire en date du 15 mars 2004, M. Edgard Hamalian ne demande plus l'annulation de la vente du 19 août 1999 et conclut à l'infirmation du jugement entrepris en ses dispositions qui ont prononcé la nullité de cette vente sur le fondement de l'article 1116 du Code civil;
Qu'aux termes de ses dernières écritures susvisées, il demande à la cour de condamner M. Christophe Chambard, sur le fondement des articles 1147 et 1641 et suivants du Code civil, à lui payer la somme de 7 640,14 euro à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 2 février 2000, date de son assignation, correspondant au montant des frais de réparation qu'il a exposés depuis l'acquisition du véhicule en cause, celle de 12 000 euro correspondant à la moins-value que ce véhicule a, selon lui, subie, ainsi que celle de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de jouissance;
Qu'il sollicite la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Attendu que M. Christophe Chambard conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour, à titre principal, de déclarer M. Edgard Hamalian irrecevable en ses demandes et subsidiairement, de constater que le préjudice allégué se limite au remplacement du moteur et que le coût de cette opération se compense avec la réfaction de 20 000 F sur le prix de vente qu'il lui a consentie, ainsi qu'avec la plus-value que ce changement de moteur a apportée à ce véhicule;
Qu'il sollicite la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
- Attendu que dans le dernier état de ses écritures M. Christophe Chambard conclut à l'infirmation du jugement en demandant à la cour de " déclarer M. Edgard Hamalian irrecevable en sa demande indemnitaire ";
Qu'il ne ressort cependant ni de la motivation ni du dispositif de ses écritures que M. Christophe Chambard ait opposé une fin de non-recevoir aux demandes de M. Edgard Hamalian;
Qu'en effet, selon la motivation de ses écritures, M. Christophe Chambard conteste successivement avoir failli à une obligation de conseil, l'existence d'un vice caché susceptible de fonder l'action estimatoire exercée par le demandeur et, à titre subsidiaire, le montant des sommes réclamées;
Qu'il ne résulte ainsi de cette motivation aucune cause d'irrecevabilité des demandes formées par M. Edgard Hamalian;
Qu'il y a donc lieu de déclarer recevables les demandes formées par M. Edgard Hamalian;
II - Attendu que selon le rapport de M. Sylvain Lemaire, l'examen du véhicule précédemment immatriculé GPU 766, et à présent 795 NBQ 75, révèle:
- une trace de choc léger sur le dessous de la face avant, ce dommage est récent,
- une trace de réparation dans le compartiment du coffre avant, témoignage d'un choc antérieur léger,
- la présence de mastic sur le plancher, séquelle d'une réparation mal effectuée suite à un léger choc sur les soubassements,
- une trace de redressage de l'embout de longeron arrière droit et de soudure plus grossière de l'aile arrière droite que d'origine, ce qui est le témoignage d'un choc arrière droit avec remplacement de l'aile arrière droite,
- le demi-train arrière gauche présente un aspect plus récent que le côté droit,
- le pare-chocs arrière est cassé, M. Edgard Hamalian indique qu'il est à l'origine de ce dommage,
- le compteur de vitesse avec le totaliseur de kilomètres présente des traces de démontage;
Qu'il conclut en indiquant que " les traces de démontage du compteur kilométrique témoignent d'une intervention qui n'a aucune raison d'être que de modifier le kilométrage, cette constatation est confortée par l'absence d'historique du véhicule jusqu'en 1999, ce qui, sur ce genre de véhicule, où la traçabilité est un élément déterminant de la valeur, constitue un manquement sérieux. En l'état, le véhicule n'est pas dangereux et les anomalies constatées relèvent du défaut d'aspect, la structure n'est pas en cause mais porte les traces de plusieurs accidents. Il s'agît bien d'un véhicule mis en circulation en 1992, l'annonce est conforme. Je ne peux me prononcer sur les motifs du remplacement du moteur par Raes Racing. Les anomalies constatées n'étaient pas décelables par un acheteur profane ";
Attendu que M. Edgard Hamalian recherche la responsabilité de M. Christophe Chambard sur le fondement des articles 1147 et 1641 du Code civil au motif qu'en sa qualité de professionnel de l'automobile, il ne pouvait ignorer les défauts du véhicule qu'il lui a vendu, ni la modification du kilométrage et la moins-value en résultant sur un véhicule qu'il a présenté comme étant en parfait état;
Attendu que pour l'application de l'article 1641 du Code civil, M. Edgard Hamalian doit rapporter la preuve que les défauts cachés du véhicule vendu le rendent impropre à l'usage auquel il le destinait ou qu'ils diminuent tellement cet usage qu'il ne l'aurait pas acquis ou n'en aurait donné qu'un moindre prix;
Attendu que l'expert n'indique nullement que la Porsche 911 en cause est impropre à son usage, ce qu'admet d'ailleurs M. Edgard Hamalian en renonçant à demander l'annulation ou la résolution de la vente, ni même que les anomalies qu'il a constatées diminuent cet usage, puisqu'il ne fait état que de défauts d'aspect, n'ayant pas été en mesure de préciser la cause du remplacement du moteur;
Que le simple doute exprimé sur le kilométrage affiché au compteur en raison du démontage de celui-ci sans justification ni explication d'une nécessité technique ne suffît pas à diminuer notablement l'usage de ce véhicule;
Attendu, en conséquence, que M. Edgard Hamalian n'est pas fondé à rechercher la garantie de M. Christophe Chambard du fait des défauts de la chose vendue, sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil.
Attendu qu'en vertu de l'article 1147 du Code civil, M. Christophe Chambard, professionnel de l'automobile, était tenu d'une obligation de renseignement et d'information à l'égard de M. Edgard Hamalian;
Attendu que M. Christophe Chambard n'est pas fondé à contester qu'il soit un professionnel de l'automobile:
Qu'en effet, même s'il a vendu à titre personnel le véhicule Porsche 911 immatriculé GPU 766 à M. Edgard Hamalian et non en sa qualité de gérant de la SARL Elite Auto, exploitant un fonds de négoce et de réparation de véhicules automobiles d'occasion, d'une part, il résulte de " l'attestation d'identification d'un véhicule importé conforme à un type national " délivrée le 18 mai 1999 par la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement de Picardie, que le véhicule en cause a été importé de Belgique en France par la SARL Elite Auto, de sorte que c'est bien en sa qualité de vendeur professionnel d'automobiles d'occasions que M. Christophe Chambard, gérant de cette société, a acquis ce véhicule en vue de sa revente 3 mois plus tard, et, d'autre part, il ne peut valablement dénier sa qualité de professionnel et les connaissances techniques qui sont présumées s'y attacher lorsqu'il a négocié ce véhicule pour son propre compte à M. Edgard Hamalian;
Qu'en conséquence M. Christophe Chambard est présumé avoir eu connaissance des accidents subis par ce véhicule et des réparations de fortune qui ont été réalisées pour réparer les dommages qu'ils avaient causés, ainsi que des suspicions relatives au kilométrage parcouru en présence de traces d'un démontage inexplicable du compteur kilométrique, étant observé que le technicien de l'industrie et des mines qui a établi l'attestation d'identification du 18 mai 1999 précitée, a tenu à mentionner sur ce document administratif que la filiation de propriété était à vérifier, ce qui ne pouvait qu'inciter un professionnel de la vente de véhicules d'occasion à la plus grande vigilance quant au kilométrage affiché au compteur ;
Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise judiciaire que les traces d'accident et les réparations mal effectuées ne sont pas récentes, hormis le choc qui a cassé le pare-chocs arrière dont M. Edgard Hamalian est à l'origine, ce qui est au demeurant confirmé par le rapport d'expertise amiable de M. Arnaud Sene qui a constaté les mêmes défauts le 20 octobre 1999, soit exactement deux mois après la vente;
Attendu qu'en sa qualité de professionnel de l'automobile, M. Christophe Chambard a failli à son obligation de renseignement et de conseil en omettant d'appeler l'attention de M. Edgard Hamalian sur les différents défauts ou anomalies affectant le véhicule litigieux ; qu'en tout cas, il ne rapporte pas la preuve d'avoir satisfait à cette obligation;
Qu'il s'ensuit qu'il doit réparer le préjudice subi par M. Edgard Hamalian;
Attendu que M. Edgard Hamalian n'est pas fondé à demander à M. Christophe Chambard le paiement du coût du remplacement du moteur, ni celui des frais accessoires à ce remplacement, l'expert n'ayant pas été en mesure d'expliquer le motif d'un tel changement et la preuve n'étant donc pas rapportée qu'il soit en relation avec les défauts constatés;
Qu'il n'est pas davantage fondé, pour le même motif, à lui demander le remboursement d'un préjudice d'immobilisation qui est directement lié à la panne du moteur;
Attendu que M. Christophe Chambard est seulement tenu de la moins-value du véhicule vendu du fait des accidents qu'il a subis antérieurement à la vente et des doutes quant au kilométrage parcouru;
Attendu que la cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour fixer cette moins-value à la somme de 4 000 euro, étant observé que M. Christophe Chambard ne prouve pas que la diminution de 20 000 F (3 048,96 euro) qu'il a consentie sur le prix de vente par rapport au prix demandé dans l'annonce était justifiée par cette moins-value;
Attendu qu'il serait inéquitable que M. Edgard Hamalian conserve la charge des frais irrépétibles qu'il a exposés devant la cour; qu'il y a donc lieu de lui allouer la somme de 1 000 euro sur le fondement de 700 du nouveau Code de procédure civile;
Attendu que M. Christophe Chambard, qui succombe, doit supporter les dépens de première instance et d'appel;
Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, Déclare recevables les demandes formées par M. Edgard Hamalian; Infirme le jugement entrepris; Statuant à nouveau, Constate que M. Edgard Hamalian renonce en cause d'appel à demander l'annulation de la vente litigieuse; Déboute M. Edgard Hamalian de sa demande au titre de l'action estimatoire pour vices cachés de la chose vendue; Déclare M. Christophe Chambard responsable sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, pour manquement à son obligation de conseil, du préjudice causé à M. Edgard Hamalian et consistant en une moins-value de ce véhicule; Condamne, en conséquence, M. Christophe Chambard à payer à M. Edgard Hamalian la somme de 4 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice; Condamne M. Christophe Chambard à payer à M. Edgard Hamalian la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne M. Christophe Chambard aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.