CA Paris, 8e ch. A, 22 mai 2001, n° 2000-01567
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Besenval
Défendeur :
Boisson de Chazournes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mazières
Conseillers :
MM. Piquard, Brunet
Avoués :
SCP Menard-Scelle-Millet, Me Moreau
Avocats :
Mes Ozer, N'Diaye
Le 15 janvier 1999, Mlle Boisson de Chazournes a remis un chèque de 30 000 F à M. Besenval artisan-décorateur. Ce dernier l'a encaissé le 25 janvier.
M. Besenval a fait opposition à une ordonnance du 11 juin 1999 lui enjoignant de restituer cette somme.
Suivant jugement contradictoire du 28/10/1999 le Tribunal d'instance de Paris 4e s'est ainsi prononcé:
- dit que M. Besenval doit payer à Mlle Boisson de Chazournes la somme de 30 000 F avec intérêts légaux à compter du 25 janvier 1999 et avec intérêts au taux légal majoré de moitié à compter du 16 avril 1999,
- rejette le surplus des demandes.
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, met les dépens à la charge de M. Besenval.
Le premier juge a estimé que la vente litigieuse n'était pas établie par un engagement exprès et préalable de l'acheteur et que le vendeur devait restituer la somme de 30 000 F encaissée à titre d'acompte.
M. Jean-Pierre Besenval appelant a demandé à la cour de:
- infirmer le jugement intervenu,
- condamner Mlle Boisson de Chazournes
* à payer à M. Besenval le solde du prix de vente, soit une somme de 25 000 F avec intérêts légaux à dater du 6 avril 1999,
* à payer à M. Besenval une somme de 10 000 F, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
* aux entiers dépens de première instance et d'appel,
- à titre subsidiaire, condamner Mlle Boisson de Chazournes à la somme de 18 090 F correspondant au prix des travaux de modifications commandés avec les intérêts légaux à dater du 6 avril 1999.
Mlle Juliette Boisson de Chazournes a ainsi conclu son argumentation en cause d'appel:
- confirmer le jugement entrepris,
- y ajoutant,
- condamner M. Besenval à payer à Mlle Boisson de Chazournes la somme de 4 000 F à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- ordonner, en outre, la capitalisation des intérêts à chaque date anniversaire du 25 janvier 1999 et jusqu'à complet paiement,
- condamner M. Besenval en tous les dépens de première instance et d'appel.
Sur ce,
Considérant qu'il y a lieu d'adopter l'exposé des faits et des moyens des parties du premier juge ainsi que ses motifs non contraires au présent arrêt;
Considérant que la vente est un contrat consensuel, qu'un écrit, tel qu'un bon de commande n'est nécessaire qu'à titre de preuve;
Considérant qu'il y a lieu de transcrire la lettre de Mlle Boisson de Chazournes à M. Besenval du 6/4/1999 laquelle est révélatrice des circonstances de fait de l'espèce:
" Lettre RAR
Objet :
- demande de remboursement d'un chèque d'acompte
- l'énoncé de mes dires
Je vous fais part par la présente de mon non-agrément pour l'achat d'une encoignure estimée par vous à une valeur de 55 000 F (cinquante cinq mille francs)
- Le 15 janvier 1999 j'ai été séduite par ce meuble aperçu dans votre boutique.
- Entrant dans votre boutique j'ai été stupéfaite à l'annonce du prix. Dans ce moment d'ébahissement j'ai évidement reculé devant l'achat tout à fait inapproprié face à mes moyens.
- Plein de zèle et de gentillesse vous m'avez proposé d'en changer la couleur dominante bleu, ainsi que les frises décoratives qui attiraient mon attention. Autant de possibilités et de technicités m'ont totalement subjuguées et ont ébranlé ma curiosité. Je suis tombée sous le charme de votre savoir-faire.
- Vous m'avez alors convaincu de déposer un chèque de trente mille francs qui ne serait encaissé, pour me permettre aussitôt l'acquisition de ce meuble, celui-ci restant à l'atelier pour en faire les transformations qui ne manqueraient pas de me ravir. Il serait alors temps de trouver les solutions financières qui ne devaient pas pour le moment présent, entamer mon enthousiasme. Ma crédulité fut prise là en défaut.
- J'ai quitté votre boutique dans un état d'exaltation peu commun.
- Cette exaltation pris fin quelques heures plus tard devant l'énormité de ce canular et je fus paralysée par ma naïveté.
- Je suis repassée à votre boutique pour vous rencontrer et stopper ce guet-à-pans. Vous n'y étiez pas, le meuble non plus. J'en suis ressortie repentante et angoissée de plus belle.
- J'ai renouvelé cette visite avec le même espoir apprenant cette fois que vous étiez en vacances pour trois semaines.
- J'ai mis alors toute mon énergie pour tenter une explication à votre apprentie en présence, qui m'a rétorquée que seule la date de livraison méritait encore une discussion.
- Je garde encore sur mon répondeur une succession d'appels téléphoniques me harcelant une date de livraison, mon désaccord ne voulant manifestement pas être entendu.
En bref:
n° 1 - Entre votre séduisante prestation du premier jour et le harcèlement pour l'obtention d'une date de livraison aucune place n'a été admise pour me permettre d'exprimer mon désaccord et mon hébétude.
n° 2 - En votre absence votre boutique est restée sans interlocuteurs responsables.
n° 3 - Contrairement à vos dires, vous avez encaissé le chèque de trente mille francs après un appel à ma banque sur ma solvabilité ceci sans m'en avertir ni me fournir aucune forme d'acte de vente me précisant, en particulier, les formes de résiliation".
Considérant que cette lettre constitue avec la remise du chèque d'acompte, ainsi qualifié par l'acquéreur elle-même la preuve de ce que, conformément aux dires de M. Besenval, le 15/01/1999 Mlle Boisson de Chazournes a en vue de son acquisition demandé des modifications dans la décoration du meuble litigieux ;
Considérant que Mlle Boisson de Chazournes n'établit en rien le prétendu harcèlement dont elle se prévaut, que si elle ne voulait pas acheter, il lui suffisait de sortir du magasin et surtout de ne pas remettre le chèque d'acompte de 30 000 F demandé représentant plus de la moitié du prix et en outre de ne pas faire procéder à des modifications de décoration pour que le meuble soit mieux à son goût ;
Considérant qu'il n'existe aucun indice d'une vente forcée relevant des dispositions de l'article L. 122-3 du Code de la consommation s'agissant de surcroît d'une vente en magasin et en rien d'un démarchage à domicile que M. Besenval n'a pas " indûment perçu " la somme de 30 000 F qui lui a été payée par un chèque remis par la cliente en toute liberté ;
Considérant que la preuve n'est en rien rapportée d'une aliénation mentale au sens de l'article 489 du Code civil au moment de l'acte ;
Considérant que cette preuve ne saurait résulter du certificat médical banal remis par le médecin traitant à sa cliente;
Considérant que la preuve est rapportée de la conclusion d'une vente définitive le 15/1/1999 de laquelle Mlle Boisson de Chazournes ne saurait pour des motifs fallacieux, " son exaltation ayant pris fin ", se dédire;
Considérant que l'article L. 114-1 du Code de la consommation est inapplicable à l'espèce alors que la correspondance de l'acquéreur révèle que la livraison a été proposée dans un délai parfaitement raisonnable et que le dépassement du délai de livraison n'est en rien le motif de rétractation invoqué;
Considérant que ce n'est que le 6/04/1999 que la cliente a demandé le remboursement de son chèque d'acompte, démarche totalement tardive;
Considérant que les intérêts légaux sont dus à compter de la mise en demeure du 19/04/1999;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à Mlle Boisson de Chazournes la charge de la totalité de ses frais irrépétibles.
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris; Condamne Mlle Boisson de Chazournes à payer à M. Besenval le solde du prix de vente soit la somme de 25 000 F avec intérêts légaux à compter du 19/04/1999; La condamne à payer la somme de 3 000 F au titre des frais irrépétibles, Condamne Mlle Boisson de Chazournes aux dépens de première instance et d'appel, Admet la SCP Menard-Scelle-Millet, avoués associés, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.