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Décisions

CA Colmar, 3e ch. B, 19 février 1998, n° 9701448

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Beutelstetter & Fils (SARL)

Défendeur :

Lorentz

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leiber

Conseillers :

M. Cuenot, Mme Schirer

Avocats :

Mes Zolty, Bigot

TI Schiltigheim, du 23 avr. 1996

23 avril 1996

Attendu que dans le cadre d'un litige relatif à la livraison d'un secrétaire et d'une table, Monsieur Roger Lorentz a assigné le 24 juillet 1995 la société Beutelstetter pour faire annuler, et subsidiairement résoudre la vente litigieuse, et pour obtenir la restitution de l'acompte versé ;

Qu'au soutien de sa demande, il invoquait essentiellement une non-conformité du bon de commande à un décret du 14 mars 1986, et subsidiairement l'absence de livraison du secrétaire dans les délais convenus ;

Attendu que la SARL Beutelstetter a résisté à cette demande, en indiquant essentiellement qu'elle avait voulu livrer le secrétaire, et avait adressé en vain une lettre à Monsieur Lorentz à cette fin le 28 février 1995 ;

Qu'elle a demandé reconventionnellement le paiement d'une indemnité égale à 50 % du prix des meubles, soit en l'espèce une somme de 8 000 F ;

Attendu que par jugement du 23 avril 1996, le Tribunal d'instance de Schiltigheim a considéré comme nulle la vente en cause, à défaut pour le bon de commande de respecter les spécifications imposées par le décret du 14 mars 1986 ;

Qu'il a condamné la SARL Beutelstetter à restituer l'acompte de 2 000 F versé, et Monsieur Lorentz à restituer la table reçue ;

Que la SARL Beutelstetter a été condamnée en outre à verser au demandeur 2 000 F sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que la SARL Beutelstetter a relevé appel le 31 juillet 1996 de ce jugement, dans des conditions de recevabilité qui ne sont pas discutées ;

Attendu qu'au soutien de son recours, la SARL Beutelstetter a indiqué que le bon de commande comportait des spécifications précises, encore complétées par une facture pro forma du 1er décembre 1994 ;

Qu'elle a indiqué ensuite qu'elle n'avait pas fabriqué le meuble en cause, pour revenir sur cette indication dans des conclusions ultérieures, avec la précision que l'erreur résultait d'une mauvaise interprétation des documents commerciaux par son conseil ;

Qu'elle a conclu à l'infirmation du jugement, et à la condamnation de Madame Dieblod veuve Lorentz, aux droits de son mari, à lui payer 8 000 F conformément aux conditions générales de la commande ;

Attendu que Madame Lorentz née Dieblod a conclu à la confirmation du jugement entrepris, en reprenant ses moyens tendant à l'annulation et subsidiairement à la résolution de la vente d'un ensemble de meubles ;

Qu'elle a indiqué subsidiairement que la clause prévoyant l'indemnisation du vendeur en cas de dédit de l'acheteur constituait une clause abusive, lorsqu'elle n'était pas accompagnée, comme dans le cas d'espèce, d'une indemnisation corrélative de l'acquéreur en cas de manquement du vendeur ;

Qu'elle a demandé reconventionnellement 4 000 F sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Sur quoi, LA COUR :

Attendu qu'en cet état, la cour observe que par bon de commande du 3 septembre 1994, Monsieur Roger Lorentz a commandé aux meubles des Trois Fontaines, ébénisterie d'art à Ittenheim, un scriban en bois de chêne fond plaqué au prix de 18 000 F, et une table de salon au prix de 1 700 F ;

Attendu que les croquis manuels étaient joints à sa commande, ce qui permet de penser que comme la SARL Beutelstetter l'indique dans ses dernières conclusions, elle a bien fabriqué elle-même les meubles en cause ;

Attendu cependant qu'un problème a surgi après la livraison du meuble scriban, puisque la SARL Beutelstetter l'a repris le 3 janvier 1995 ;

Attendu que par courrier recommandé du 16 janvier 1995, Monsieur Lorentz s'est inquiété de la tenue de la promesse de réparation du meuble par son vendeur ;

Que le 20 janvier 1995, celui-ci lui a répondu qu'il serait contacté dès que le meuble serait terminé, afin qu'il puisse passer le voir dans les ateliers ;

Attendu que par la suite, Monsieur Lorentz a saisi un conseil, qui le 5 avril 1995 a mis en demeure la SARL Beutelstetter de reprendre la table et de restituer l'acompte de 2 000 F versé lors de la commande ;

Que la SARL Beutelstetter a répliqué le 17 juin 1995, en mettant en demeure Monsieur Lorentz de prendre livraison du secrétaire ;

Attendu que peu après, Monsieur Lorentz a saisi le Tribunal d'instance de Schiltigheim de l'action actuellement soumise à la cour ;

Attendu que cette cour n'estime pas pouvoir suivre le demandeur et le premier juge sur le moyen de nullité tiré du décret du 14 mars 1986 ;

Attendu que ce décret impose effectivement de faire figurer sur les documents commerciaux, spécialement sur le bon de commande, les matières, essences ou matériaux ainsi que les procédés de mise en œuvre et la nature de la finition des meubles vendus ;

Attendu cependant qu'il faut rappeler que ce décret a été pris pour l'application de ce qui était alors la loi du 1er août 1905, actuellement codifiée dans le Code de la consommation ;

Attendu que sur la base de cette loi, des poursuites étaient possibles contre le vendeur dans le cas où l'absence de spécifications avait trompé l'acquéreur sur les qualités substantielles de la chose vendue ;

Que dans le cas où il n'y a pas de tromperie sur les qualités substantielles, le vendeur est passible de l'application de pénalités de nature contraventionnelle en cas de violation des décrets d'application de ce qui était alors la loi du 1er août 1905 ;

Attendu qu'en l'espèce, le bon de commande mentionnait bien les spécifications essentielles de la chose vendue, puisqu'il était indiqué bois chêne, fond plaqué ;

Attendu que l'absence des autres spécifications prévues par le décret du 14 mars 1986 ne peut dans ce cas présenter un caractère substantiel ;

Attendu qu'au plan civil, l'absence de spécifications conformément au décret précité entraîne la nullité de la vente lorsqu'il y a dol ou erreur sur les qualités substantielles, ce qui n'est pas démontré dans le cas d'espèce ;

Qu'il ne suffit pas d'invoquer abstraitement une non-conformité au décret du 14 mars 1986 pour faire annuler une vente de mobilier ;

Attendu que de même, il n'est pas du tout établi que la SARL Beutelstetter n'ait pas fabriqué elle-même les meubles en cause, et que de toute façon, l'acquéreur n'a pas démontré que l'origine du meuble était une condition essentielle de la transaction ;

Attendu qu'il reste que le demandeur avait invoqué l'article L. 114-1 du Code de la consommation, qui impose au vendeur d'objets mobiliers d'une valeur supérieure à 3 000 F d'indiquer la date limite de livraison du bien, et qui permet à l'acquéreur de dénoncer le contrat à défaut de livraison dans le délai stipulé ;

Attendu que là réside en réalité l'essentiel du problème posé par ce dossier ;

Attendu que le bon de commande prévoyait une livraison en janvier ou février 1995 ;

Que c'est donc au plus tard fin février 1995 que devait avoir lieu la livraison du meuble repris par la SARL Beutelstetter ;

Que la défectuosité de celui-ci est attestée par son courrier du 20 janvier 1995, dans lequel la SARL Beutelstetter indiquait qu'elle contacterait l'acquéreur lorsque le meuble serait terminé ;

Que la constatation du bon état de la marchandise sur le bon de livraison du 1er décembre 1994 attestait seulement de l'absence de dégâts consécutifs au transport ;

Attendu que la SARL Beutelstetter produit un courrier du 28 février 1995, mais que les époux Lorentz contestent l'avoir reçu ;

Attendu que la cour n'a aucune certitude quant à la réalité de l'expédition de ce courrier, dont la date coïncide un peu curieusement avec le terme du délai de livraison ;

Attendu que l'on ne comprendrait guère par ailleurs que les époux Lorentz aient été consulté un avocat s'ils avaient réellement été invités à réceptionner le meuble ;

Attendu donc que la cour observe qu'il n'y a pas eu de livraison du meuble dans le délai convenu, ni de mise en demeure avec date certaine adressée aux acquéreurs pour leur demander de le réceptionner ;

Attendu que conformément à l'article L. 114-1 du Code de la consommation, l'acquéreur d'un bien mobilier peut dénoncer la vente à défaut de respect du délai de livraison et dans les soixante jours du terme de celui-ci ;

Attendu que cet article n'est qu'en fait [qu']une application particulière du principe de résolution des contrats pour inexécution contenu dans l'article 1184 du Code civil ;

Attendu que la mise en demeure du 5 avril 1995 du conseil des époux Lorentz vaut dénonciation de la vente, dont la résolution est demandée à défaut de totale exécution des obligations prises par le vendeur ;

Attendu que la cour considère donc que Monsieur Lorentz a normalement dénoncé la vente, faute d'avoir eu livraison de l'objet vendu dans les délais stipulés ;

Qu'elle confirme donc pour d'autres motifs la condamnation des parties à restituer l'une l'acompte versé, l'autre la table livrée ;

Qu'elle confirme également la condamnation de la SARL Beutelstetter à payer 2 000 F sur le fondement de l'article 700 au demandeur, et actuellement à Madame Lorentz aux droits de son mari ;

Qu'elle estime suffisante cependant cette compensation dans cette instance, et n'alloue rien de plus à Madame Lorentz en cause d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, dernier ressort, après en avoir délibéré, reçoit l'appel de la SARL Beutelstetter contre le jugement du Tribunal d'instance de Schiltigheim du 23 avril 1996 ; Au fond, réforme pour partie le jugement entrepris, et statuant à nouveau, déclare résolue la vente de mobilier par la SARL Beutelstetter à Monsieur Lorentz ; Confirme la condamnation de la SARL Beutelstetter à restituer l'acompte de 2 000 F (deux mille francs) avec ses intérêts au taux légal à compter du 24 juillet 1995, et dit que cette condamnation est actuellement au profit de Madame Veuve Lorentz née Dieblod, aux droits de son époux décédé ; Confirme la mesure de restitution de la table vendue à la SARL Beutelstetter sous astreinte de 150 F (cent cinquante francs) par jour de retard dans les quinze jours de la signification du jugement de première instance, l'astreinte courant en tant que de besoin contre Madame Lorentz née Dieblod aux droits de son mari ; Confirme la condamnation de la SARL Beutelstetter à payer 2 000 F (deux mille francs) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, cette condamnation étant actuellement au profit de Madame Veuve Lorentz née Dieblod aux droits de son époux ; Rejette toutes autres demandes plus amples émises en cause d'appel ; Confirme la condamnation de la SARL Beutelstetter à payer les dépens de première instance et la condamne également aux dépens de l'instance d'appel.