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Décisions

TPICE, président, 1 août 2001, n° T-132/01 R

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Euroalliages, Péchiney électrométallurgie, Vargön Alloys AB, Ferroatlántica

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vesterdorf

Avocats :

Mes Voillemot, Prost

TPICE n° T-132/01 R

1 août 2001

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Cadre juridique

1. L'article 11, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) n° 384-96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1, ci-après le "règlement de base"), intitulé "Durée, réexamens et restitutions", dispose:

"1. Une mesure antidumping ne reste en vigueur que le temps et dans la mesure nécessaires pour contrebalancer un dumping qui cause un préjudice.

2. Une mesure antidumping expire cinq ans après son institution ou cinq ans après la date de la conclusion du réexamen le plus récent ayant couvert à la fois le dumping et le préjudice, à moins qu'il n'ait été établi lors d'un réexamen que l'expiration de la mesure favoriserait la continuation ou la réapparition du dumping et du préjudice. Un réexamen de mesures parvenant à expiration a lieu soit à l'initiative de la Commission, soit sur demande présentée par des producteurs communautaires ou en leur nom et la mesure reste en vigueur en attendant les résultats du réexamen.

[...]"

2. L'article 21, paragraphe 1, du même règlement, intitulé "Intérêt de la Communauté", est libellé comme suit:

"Il convient, afin de déterminer s'il est de l'intérêt de la Communauté que des mesures soient prises, d'apprécier tous les intérêts en jeu pris dans leur ensemble, y compris ceux de l'industrie communautaire et des utilisateurs et consommateurs, et une telle détermination ne peut intervenir que si toutes les parties ont eu la possibilité de faire connaître leur point de vue conformément au paragraphe 2. Dans le cadre de cet examen, une attention particulière est accordée à la nécessité d'éliminer les effets de distorsion des échanges d'un dumping préjudiciable et de restaurer une concurrence effective. Des mesures déterminées sur la base du dumping et du préjudice établis peuvent ne pas être appliquées, lorsque les autorités, compte tenu de toutes les informations fournies, peuvent clairement conclure qu'il n'est pas dans l'intérêt de la Communauté d'appliquer de telles mesures."

Antécédents du litige

3. Des mesures antidumping définitives ont été instituées sur les importations de ferrosilicium originaires de plusieurs pays, d'une part, par le règlement (CE) n° 3359-93 du Conseil, du 2 décembre 1993, modifiant les mesures antidumping instituées sur les importations de ferrosilicium originaires de Russie, du Kazakhstan, d'Ukraine, d'Islande, de Norvège, de Suède, du Venezuela et du Brésil (JO L 302, p. 1), et, d'autre part, par le règlement (CE) n° 621-94 du Conseil, du 17 mars 1994, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de ferrosilicium originaires d'Afrique du Sud et de la république populaire de Chine (JO L 77, p. 48).

4. Le 10 juin 1998, la Commission a publié un avis d'expiration prochaine de certaines mesures antidumping (JO C 177, p. 4).

5. À la suite de la publication de cet avis, Euroalliages, comité de liaison des industries de ferro-alliages, a déposé, au titre de l'article 11, paragraphe 2, du règlement de base, une demande de réexamen des mesures parvenant à expiration relatives aux importations en provenance du Brésil, de Chine, du Kazakhstan, de Russie, d'Ukraine et du Venezuela.

6. Ayant conclu, après consultation du comité consultatif, à l'existence d'éléments de preuve suffisants pour justifier l'ouverture d'un réexamen au titre de l'article 11, paragraphe 2, du règlement de base, la Commission a publié un avis d'ouverture d'une telle procédure au Journal officiel des Communautés européennes (JO 1998,C 382, p. 9) et a entamé une enquête. L'enquête relative aux pratiques de dumping a couvert la période comprise entre le 1er octobre 1997 et le 30 septembre 1998. L'examen du préjudice a couvert la période allant de 1994 jusqu'à la fin de la période d'enquête.

7. Le 21 février 2001, la Commission a adopté la décision 2001-230-CE clôturant la procédure antidumping concernant les importations de ferrosilicium originaires du Brésil, de la république populaire de Chine, du Kazakhstan, de Russie, d'Ukraine et du Venezuela (JO L 84, p. 36, ci-après la "décision litigieuse").

Décision litigieuse

8. La décision litigieuse expose que le réexamen effectué a amené la Commission à conclure que, s'agissant des importations de ferrosilicium en provenance de Chine, du Kazakhstan, de Russie et d'Ukraine, l'expiration des mesures favoriserait la continuation ou la réapparition du dumping et du préjudice.

9. Le considérant 129 de la décision litigieuse est ainsi formulé:

"Compte tenu des conclusions selon lesquelles il existe une probabilité de continuation et de réapparition du dumping et d'une augmentation sensible des importations faisant l'objet d'un dumping originaires de Chine, du Kazakhstan, de Russie [et d'Ukraine] en cas d'expiration des mesures, il est conclu que la situation de l'industrie communautaire risque de se détériorer. Même si l'ampleur de cette détérioration est difficile à évaluer, il est probable qu'on assistera à une réapparition du préjudice compte tenu des tendances à la baisse des prix et de la rentabilité de cette industrie. En ce qui concerne le Venezuela, on ne s'attend pas à ce que l'expiration des mesures ait un effet préjudiciable important."

10. La Commission a ensuite examiné si le maintien des mesures antidumping était dans l'intérêt général de la Communauté. Dans le cadre de cette appréciation, elle a tenu compte de plusieurs éléments, à savoir, premièrement, du fait que l'industrie communautaire n'a pas été en mesure de profiter suffisamment des mesures en vigueur depuis 1987 ni n'a pu profiter, en termes de part de marché, de la cessation d'activités d'anciens producteurs communautaires (considérant 151 de la décision litigieuse) et, deuxièmement, de la circonstance que les producteurs communautaires d'acier ont dû supporter des coûts supplémentaires liés aux mesures antidumping durant la période d'application de ces mesures (considérant 152).

11. Aux considérants 153 et 154 de la décision litigieuse, elle a conclu comme suit:

"153 Dès lors, même si l'incidence précise de l'expiration des mesures sur l'industrie communautaire est incertaine et si l'expérience passée montre qu'il n'est pas sûr que le maintien des mesures aura d'importantes retombées profitables à l'industrie communautaire, il est clair que l'industrie sidérurgique a subi des effets négatifs cumulés à long terme, qui seraient indûment prolongés si les mesures étaient maintenues.

154 Par conséquent, après avoir apprécié l'incidence de la prorogation ou de l'expiration des mesures sur les différents intérêts en jeu, conformément aux dispositions de l'article 21 du règlement de base, la Commission peut clairement conclure que le maintien des mesures actuelles est contraire aux intérêts de la Communauté. La venue à expiration des mesures devrait donc être autorisée."

12. Pour ces raisons, le dispositif de la décision litigieuse porte clôture de la procédure antidumping en cause et, par voie de conséquence, expiration des mesures concernant les importations sous examen.

Procédure

13. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 juin 2001, les requérantes ont introduit, en vertu de l'article 230, quatrième alinéa, CE, un recours visant à l'annulation de l'article unique de la décision litigieuse.

14. Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, elles ont également introduit une demande visant, à titre principal, à ce que soit ordonné le sursis à l'exécution de la décision litigieuse en ce qu'elle clôt la procédure antidumping concernant les importations de ferrosilicium originaires de Chine, du Kazakhstan, de Russie et d'Ukraine et à ce qu'il soit enjoint à la Commission de rétablir les droits antidumping institués par les règlements nos 3359-93 et 621-94, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit enjoint à la Commission d'exiger des importateurs de ferrosilicium originaire de ces quatre pays qu'ils fournissent une caution correspondant aux droits antidumping institués par les règlements nos 3359-93 et 621-94 et qu'ils soumettent leurs importations à enregistrement, ou, plus subsidiairement encore, à ce qu'il soit enjoint à la Commission d'exiger desdits importateurs qu'ils soumettent leurs importations à enregistrement.

15. La Commission a présenté ses observations écrites sur la demande en référé le 5 juillet 2001.

16. Les parties ont été entendues en leurs explications le 11 juillet 2001.

En droit

17. Il convient de préciser, au préalable, que, du fait d'une erreur de plume reconnue par la Commission dans ses observations écrites et orales, la mention de l'Ukraine a été omise du considérant 129 de la version française de la décision litigieuse. Les parties ayant été entendues sur l'incidence de cette erreur sur l'objet de la présente demande, il y a lieu de comprendre les mesures provisoires sollicitées comme visant également la décision litigieuse en ce qu'elle clôt la procédure antidumping concernant les importations de ferrosilicium originaires d'Ukraine.

18. En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE et de l'article 4 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), tel que modifié par la décision 93-350-Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

19. L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue (fumus boni juris) l'octroi des mesures auxquelles elles concluent. Ces conditions sont cumulatives, de sorte qu'une demande relative à de telles mesures doit être rejetée dès lors que l'une d'elles fait défaut [ordonnances du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C-268-96 P(R), Rec. p. I-4971, point 30, et du président du Tribunal du 1er février 2001, Free Trade Foods/Commission, T-350-00 R, Rec. p. II-493, point 32]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C-445-00 R, Rec. p. I-1461, point 73).

20. Les mesures demandées doivent en outre être provisoires en ce sens qu'elles ne préjugent pas les points de droit ou de fait en litige ni ne neutralisent par avance les conséquences de la décision à rendre ultérieurement au principal [ordonnance du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C-149-95 P(R), Rec. p. I-2165, point 22].

Arguments des parties

Sur le fumus boni juris

21. Pour établir l'existence d'un fumus boni juris, les requérantes invoquent deux moyens.

22. Le premier moyen, tiré d'une violation des dispositions du règlement de base et des droits de la défense dans la détermination de l'intérêt de la Communauté, se compose de cinq branches.

23. Dans le cadre de la première branche, les requérantes soutiennent que la Commission a violé les articles 11, paragraphe 2, et 21 du règlement de base en procédant à une analyse de l'intérêt de la Communauté sur une période allant de 1987 à la période d'enquête (considérant 132 de la décision litigieuse). En effet, les mesures en vigueur, à l'analyse desquelles la Commission était tenue de procéder, n'ont été instituées qu'en 1993 et en 1994 respectivement par les règlements nos 3359-93 et 621-94. Par ailleurs, elles font valoir que l'analyse des mesures appliquées au Venezuela et au Brésil ne devait pas entrer en ligne de compte dans le raisonnement de la Commission sur l'intérêt de la Communauté (considérant 149 de la décision litigieuse) puisqu'elle a conclu que, s'agissant de ces pays, le risque d'une continuation ou d'une réapparition d'un dumping préjudiciable n'existe pas.

24. Dans le cadre de la deuxième branche, elles exposent que la Commission a violé l'article 21, paragraphes 2 et 5, du règlement de base en utilisant des soumissions présentées par des utilisateurs après que le délai prévu par l'avis d'ouverture de la procédure de réexamen des mesures eut expiré.

25. Dans le cadre de la troisième branche du moyen, il est soutenu que la Commission a violé l'article 21, paragraphes 2 et 5, du règlement de base en considérant que les soumissions présentées par les utilisateurs étaient représentatives.

26. Selon la quatrième branche du moyen, la Commission aurait violé l'article 21, paragraphe 7, du règlement de base en tenant compte de soumissions présentées par les utilisateurs non étayées par des éléments de preuve concrets.

27. Enfin, dans le cadre de la dernière branche, les requérantes considèrent que l'article 6, paragraphe 6, du règlement de base a été méconnu, ainsi que les droits de la défense, en refusant d'organiser une réunion de confrontation entre elles et les utilisateurs.

28. Le second moyen est tiré d'une violation des articles 11, paragraphe 2, 21 et 6, paragraphe 6, du règlement de base, ainsi que des droits de la défense, dans la détermination de l'intérêt de la Communauté. Des erreurs manifestes auraient été commises par la Commission dans l'appréciation, premièrement, de la situation de l'industrie communautaire, du fait qu'elle se serait méprise sur l'incidence du maintien des mesures et sur celle de leur expiration, deuxièmement, de l'impact des mesures sur les utilisateurs et, troisièmement, de la balance des intérêts.

29. Dans ses observations écrites, la Commission n'a pas traité l'apparence de bon droit des moyens d'annulation.

Sur la condition relative à l'urgence

30. Selon les requérantes, la condition relative à l'urgence serait également remplie dans la mesure où, en l'absence de mesures provisoires, elles subiraient un préjudice grave et irréparable. En l'occurrence, le maintien de la disparition des droits conduirait à une évolution de l'industrie communautaire qu'il serait très difficile, sinon impossible de renverser ultérieurement (en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 10 mars 1995, Atlantic Container e.a./Commission, T-395-94 R, Rec. p. II-595).

31. La gravité du préjudice serait établie. En effet, renvoyant au considérant 129 de la décision litigieuse (voir ci-dessus point 9), les requérantes estiment que le risque que l'industrie communautaire doive, de nouveau, faire face à un préjudice grave causé par les importations faisant l'objet d'un dumping originaires de Chine, du Kazakhstan, de Russie et d'Ukraine est expressément reconnu par la Commission.

32. Le caractère irréparable du préjudice serait également démontré, dès lors que, à défaut d'octroi des mesures provisoires demandées, les entreprises concernées se trouveront dans une situation susceptible de mettre en péril leur existence même (ordonnance du président du Tribunal du 17 janvier 2001, Petrolessence et SG2R/Commission, T-342-00 R, Rec. p. II-67, point 47).

33. À cet égard, les requérantes, qui se prévalent de l'ordonnance du président du Tribunal du 2 octobre 1997, Eurocoton e.a./Conseil (T-213-97 R, Rec. p. II-1609), produisent des données relatives à l'évolution comparée de la situation financière des trois entreprises requérantes, productrices de ferrosilicium, en fonction de baisses du prix de vente du ferrosilicium dans la Communauté de 10 et 15 % que provoquerait le maintien de l'abrogation des mesures antidumping.

34. Les projections financières démontreraient que les baisses du prix de vente, retenues par hypothèse, conduiraient à de très sévères dégradations des résultats d'exploitation des sociétés concernées, de nature à mettre en péril leur activité de production de ferrosilicium.

35. Enfin, elles exposent que la possibilité pour les producteurs communautaires d'obtenir réparation du préjudice subi est aléatoire et, en tout état de cause, incompatible avec le maintien de la viabilité des producteurs communautaires en raison des délais inhérents à toute procédure d'indemnisation.

36. La Commission soutient que la condition de l'urgence n'est pas satisfaite en l'espèce dans la mesure où le préjudice ne présenterait pas un caractère irréparable.

37. En premier lieu, la perspective d'une baisse de prix du ferrosilicium de 10 ou 15 % consécutive à l'expiration des mesures antidumping ne reposerait sur aucun fait avéré. La baisse de prix du ferrosilicium de 15 % sur le marché des États-Unis d'Amérique après la suppression des mesures antidumping de cet État en 1999 ne prouverait aucunement que les prix évolueront de manière identique dans la Communauté européenne. L'examen de l'effet sur l'industrie communautaire d'une baisse de prix de 15 % serait une simple hypothèse, ainsi qu'il ressortirait du libellé du considérant 147 de la décision litigieuse. Il ne serait donc pas prouvé qu'une baisse de cette ampleur est prévisible avec un degré de probabilité suffisant. À supposer qu'une telle preuve soit rapportée, elle ne suffirait d'ailleurs pas à démontrer qu'il est urgent d'adopter les mesures provisoires demandées. En effet, les requérantes auraient également dû prouver qu'elles ne sont pas en mesure d'absorber les pertes subies jusqu'à l'issue de l'affaire au principal, compte tenu du caractère durable de la baisse de prix causée par l'expiration des mesures antidumping.

38. En second lieu, les projections d'évolution des résultats d'exploitation établies sur la base des coûts d'exploitation encourus historiquement et en considération de baisses de prix hypothétiques seraient dénuées de toute valeur probante. À cet égard, la Commission met l'accent sur plusieurs éléments dont les requérantes n'auraient nullement tenu compte.

39. Tout d'abord, elles n'auraient pas envisagé qu'une baisse de leurs prix face à une concurrence accrue pourrait leur permettre d'augmenter les quantités vendues et, partant, de réduire les coûts unitaires de production.

40. Ensuite, elles n'expliqueraient pas pourquoi elles ne considèrent pas l'adoption des mesures de rationalisation normalement adoptées par les entreprises en période de difficulté.

41. En outre, Péchiney électrométallurgie et Vargön Alloys AB n'expliqueraient pas la raison pour laquelle les données fournies font apparaître un niveau de rentabilité pour l'année 1998 nettement inférieur à celui que la Commission a déterminé pendant la période d'enquête relative aux pratiques de dumping (considérant 105 de la décision litigieuse), soit du 1er octobre 1997 au 30 septembre 1998. S'agissant de Ferroatlántica, aucune donnée comptable relative à l'activité concernée ne serait produite pour les années 1998 à 2000. Au cours de l'enquête antidumping, la Commission aurait même reconsidéré à la hausse le résultat de cette société. L'ensemble de ces éléments nourrirait des doutes quant à la valeur probante des données fournies par les requérantes.

42. Enfin, Péchiney électrométallurgie et Vargön Alloys n'avanceraient aucune donnée chiffrée permettant au juge des référés d'apprécier leur situation financière actuelle. En ce qui concerne Ferroatlántica, les données relatives au mois de mai 2001 démontreraient que les pertes qu'elle subit ne représentent qu'un très faible pourcentage de son chiffre d'affaires, pertes qui, proportionnellement au chiffre d'affaires, sont inférieures à celles de Péchiney électrométallurgie et Vargön Alloys au titre de l'année 2000.

43. En troisième lieu, la Commission conteste qu'il soit "évident" que la baisse hypothétique des résultats ne permettra pas à l'outil de production de ferrosilicium de continuer à être viable. En l'occurrence, il s'agirait seulement de déterminer si les requérantes sont incapables de survivre jusqu'au jugement dans l'affaire au principal du fait de la décision litigieuse. L'opinion du commissaire aux comptes de Vargön Alloys confirmerait que cette société peut survivre pendant une période limitée, même au niveau de bénéfices présentés dans les projections. En outre, les requérantes n'auraient pas envisagé la possibilité d'adopter des mesures derationalisation visant à réduire les coûts et à assurer leur survie jusqu'à l'arrêt qui mettra fin à la procédure au principal.

44. La Commission fait également observer que l'activité de production du ferrosilicium ne représente qu'une partie relativement réduite de l'ensemble des activités des entités économiques auxquelles appartiennent les requérantes. Or, le juge des référés devrait tenir compte des ressources financières auxquelles chaque requérante peut faire appel, même si ces ressources ne proviennent pas de l'activité visée dans l'acte attaqué. Elle relève que, pendant la période d'enquête, le chiffre d'affaires des sociétés Péchiney électrométallurgie, Vargön Alloys et Ferroatlántica dans le secteur du ferrosilicium a représenté en moyenne 15 % de leurs chiffres d'affaires totaux. En particulier, l'activité de Péchiney électrométallurgie représenterait seulement 4 % de l'activité du groupe Péchiney. Cela aurait pour conséquence qu'une baisse hypothétique de 15 % du chiffre d'affaires réalisé par les ventes de ferrosilicium n'entraînerait qu'une baisse de 2,25 % du chiffre d'affaires total des requérantes.

45. La preuve que la suspension de la décision litigieuse est nécessaire pour assurer leur survie serait également nécessaire dans la mesure où deux des requérantes étaient déjà déficitaires lorsque les mesures antidumping étaient en vigueur. En effet, des pertes ont été subies par Vargön Alloys en 1998, en 1999 et en 2000, ainsi que par Péchiney électrométallurgie en 1999 et en 2000. Ferroatlántica ne fournirait aucune donnée pour la période ayant précédé l'adoption de la décision litigieuse.

46. Il aurait donc dû être démontré que les mesures de rationalisation, qui leur permettaient de poursuivre l'activité en cause malgré des pertes subies avant l'adoption de la décision litigieuse, ne suffisent pas à assurer leur survie après ladite adoption.

47. Enfin, les requérantes n'attesteraient pas que leur situation financière s'est gravement dégradée depuis que les mesures antidumping ont été abrogées, ni ne démontreraient le lien de causalité entre une supposée détérioration et l'adoption de la décision litigieuse.

48. Au vu de ce qui précède, la Commission conclut que les requérantes n'ont pas produit de données économiques et/ou comptables de nature à permettre au juge des référés d'établir une prévision suffisamment fondée quant à leurs chances de survie pendant la période précédant le prononcé de l'arrêt devant intervenir dans la procédure principale.

Sur la mise en balance des intérêts

49. Les requérantes procèdent à une mise en balance, d'une part, de leur intérêt à obtenir les mesures sollicitées et, d'autre part, des intérêts des utilisateurs communautaires regroupés dans la notion d'intérêt de la Communauté (ordonnance du président de la Cour du 9 avril 1987, Technointorg/Conseil, 77-87 R, Rec. p. 1793). Elles soulignent que l'adoption des mesures antidumping n'aurait eu sur ces derniers qu'un effet négligeable, soit 0,1 % de leurs coûts de production. Elles en concluent que leur intérêt prévaut sur ceux des utilisateurs.

50. La Commission soutient que les mesures provisoires sollicitées préjugent la décision qui sera rendue au fond et leur éventuel effet fait pencher la balance en faveur du défaut d'octroi de telles mesures.

51. En effet, lorsqu'un importateur ou exportateur obtient la suspension provisoire de mesures antidumping dans le cadre d'une procédure judiciaire en référé, il prend le risque de devoir payer rétroactivement les droits antidumping en cas de rejet de son recours au principal, ce qui aurait tendance à freiner le rythme des importations. À l'inverse, lorsque la mesure provisoire visant au maintien provisoire des droits antidumping (ou à la mise en place d'une procédure d'enregistrement avec ou sans le dépôt de garanties par les importateurs) est sollicitée par un producteur communautaire, le risque n'est pas supporté par le demandeur mais par des tiers, à savoir les importateurs. Il s'ensuivrait que, même si l'industrie communautaire concernée n'obtient pas gain de cause dans l'affaire au principal, elle aura bénéficié d'une protection car, même dans l'hypothèse d'un simple enregistrement des importations, les importateurs seront exposés à la possibilité de devoir payer rétroactivement les droits antidumping, circonstance de nature à ralentir le rythme des importations.

52. La réduction irrévocable des importations qui serait supportée par les importateurs au cas où il serait fait droit à la présente demande devrait être prise en compte lors de la mise en balance des intérêts en présence.

Appréciation du juge des référés

53. Il convient d'abord d'examiner si les griefs soulevés par les requérantes à l'encontre de la décision litigieuse sont de nature à justifier à première vue l'octroi de l'une ou de l'autre des mesures provisoires demandées.

54. Dans ses observations écrites, la Commission s'est abstenue d'examiner si les moyens avancés par les requérantes paraissent, à première vue, fondés.

55. Lors de l'audition, la Commission a expressément indiqué qu'elle ne contestait pas le caractère sérieux des moyens soulevés par les requérantes.

56. Le juge des référés estime que certains des griefs avancés ne semblent pas, prima facie, dénués de tout fondement et sont de nature à soulever des doutes sur la légalité de la décision litigieuse. Ces doutes n'ont pu, à ce stade, être levés par les observations présentées par la Commission lors de l'audition.

57. Ainsi, dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen, les requérantes exposent que la Commission a violé l'article 21, paragraphes 2 et 5, du règlement de base en utilisant des soumissions présentées par des utilisateurs après que le délai prévu par l'avis d'ouverture de la procédure de réexamen des mesures eut expiré. Interrogée sur ce point lors de l'audition, la Commission a admis que des soumissions ont été présentées tardivement et que, en dépit de cette circonstance, elle les a effectivement prises en considération.

58. En outre, la dernière branche du premier moyen, dans laquelle les requérantes font valoir que la Commission a violé l'article 6, paragraphe 6, du règlement de base en refusant d'organiser une réunion visant à permettre de confronter leur thèse à celles des utilisateurs et de les réfuter, soulève une délicate question relative au champ d'application des articles 6 et 21 du règlement de base et, in fine, celle de l'étendue des droits reconnus aux plaignants dans le cadre de l'examen de l'intérêt de la Communauté. La réponse à cette question ne résulte pas de façon manifeste de la jurisprudence actuelle du Tribunal ou de la Cour.

59. Dans ces conditions, la présente demande ne saurait être rejetée pour défaut de fumus boni juris, de sorte qu'il y a lieu d'examiner si elle satisfait à la condition de l'urgence.

60. À cet égard, il ressort d'une jurisprudence constante que le caractère urgent d'une demande en référé doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement, afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. C'est à cette dernière qu'il appartient d'apporter la preuve qu'elle ne saurait attendre l'issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice de cette nature (ordonnances du président de la Cour du 12 octobre 2000, Grèce/Commission, C-278-00 R, Rec. p. I-8787, point 14, et du président du Tribunal du 28 mai 2001, Poste Italiane/Commission, T-53-01 R, non encore publiée au Recueil, point 110).

61. L'imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue, mais il suffit, particulièrement lorsque la réalisation du préjudice dépend de la survenance d'un ensemble de facteurs, qu'elle soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant (ordonnance du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., précitée, point 38, et ordonnance du président du Tribunal du 8 décembre 2000, BP Nederland e.a./Commission, T-237-99 R, Rec. p. II-3849, point 49). Toutefois, le requérant demeure tenu de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d'un préjudice grave et irréparable [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C-335-99 P(R), Rec. p. I-8705, point 67].

62. En l'occurrence, la perspective que les trois entreprises requérantes subiront un préjudice grave en l'absence de mesures provisoires est établie.

63. En effet, au considérant 129 de la décision litigieuse, la Commission conclut que, en cas d'expiration des mesures antidumping, la situation de l'industrie communautaire "risque de se détériorer". Elle relève à cet égard que, "[m]ême si l'ampleur de cette détérioration est difficile à évaluer, il est probable qu'on assistera à une réapparition du préjudice compte tenu des tendances à la baisse des prix et de la rentabilité de cette industrie".

64. Certes, la Commission ne qualifie pas de grave le préjudice que subira probablement l'industrie communautaire en cas d'expiration des mesures antidumping. Toutefois, selon l'article 3, paragraphe 1, du règlement de base, le terme "préjudice" s'entend, notamment, d'un "préjudice important causé à une industrie communautaire". Exprimé dans ce contexte, le qualificatif "important" ne saurait être compris autrement que comme synonyme de "grave". En l'espèce, le caractère grave du préjudice doit donc être considéré comme admis par la Commission dans la décision litigieuse. Cette interprétation est confortée par l'absence de contestation de la part de la Commission, tant dans les observations écrites que lors de l'audition, de la gravité du préjudice que subiront probablement les requérantes du fait de l'expiration des mesures antidumping.

65. Quant au caractère irréparable du préjudice allégué par les requérantes, il est bien établi qu'un préjudice de caractère financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu'il peut faire l'objet d'une compensation financière ultérieure [ordonnances du président de la Cour du 18 octobre 1991, Abertal e.a./Commission, C-213-91 R, Rec. p. I-5109, point 24, et du 11 avril 2001, Commission/Cambridge Healthcare Supplies, C-471-00 P(R), non encore publiée au Recueil, point 113; ordonnances du président du Tribunal du 30 juin 1999, Alpharma/Conseil, T-70-99 R, Rec. p. II-2027, point 128; du 20 juillet 2000, Esedra/Commission, T-169-00 R, Rec. p. II-2951, point 44, et du 15 juin 2001, Bactria Industriehygiene-Service/Commission, T-339-00 R, non encore publiée au Recueil, point 94]. Cette jurisprudence repose sur la prémisse qu'un préjudice d'ordre financier, qui ne disparaîtrait pas du simple fait de l'exécution par l'institution concernée de l'arrêt intervenu au principal, constitue une perte économiquement susceptible d'être réparée dans le cadre des voies de recours prévues par le traité, notamment par les articles 235 CE et 288 CE (notamment, ordonnances du président du Tribunal du 3 mars 1997, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T-6-97 R, Rec. p. II-291, point 49; du 1er octobre 1997, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T-230-97 R, Rec. p. II-1589, point 38, et Esedra/Commission, précitée, point 47).

66. En application de ces principes, une mesure provisoire se justifierait s'il apparaissait que, en l'absence de cette mesure, la partie requérante se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence avant l'intervention de l'arrêt mettant fin à la procédure au principal (notamment, ordonnance Poste Italiane/Commission, précitée, point 120). En effet, dans un tel cas de figure, la disparition de la partie requérante, avant qu'il soit statué sur le fond, rendrait impossible l'engagement par cette dernière d'une quelconque action judiciaire en réparation.

67. En l'occurrence, les requérantes ne sont pas parvenues à démontrer que l'atteinte à leur viabilité financière serait telle que des mesures de rationalisation ne suffiraient pas à leur permettre de poursuivre leur activité de production du ferrosilicium jusqu'au prononcé de l'arrêt mettant fin à la procédure au principal.

68. En outre, il est bien établi que l'appréciation de la situation matérielle d'une partie requérante peut être effectuée en prenant notamment en considération les caractéristiques du groupe auquel elle se rattache par son actionnariat [ordonnances du président de la Cour du 15 avril 1998, Camar/Commission et Conseil, C-43-98 P(R), Rec. p. I-1815, point 36, et du 11 avril 2001, Commission/Roussel et Roussel Diamant, C-477-00 P(R), non encore publiée au Recueil, point 105; ordonnances du président du Tribunal du 4 juin 1996, SCK et FNK/Commission, T-18-96 R, Rec. p. II-407, point 35; du 10 décembre 1997, Camar/Commission et Conseil, T-260-97 R, Rec. p. II-2357, point 50, et du 30 juin 1999, Pfizer Animal Health/Conseil, T-13-99 R, Rec. p. II-1961, point 155].

69. À ce propos, les requérantes n'ont pas infirmé, lors de l'audition, les allégations de la Commission selon lesquelles, d'une part, chacune d'elles fait partie d'un groupe important de sociétés et, d'autre part, leurs chiffres d'affaires correspondant aux ventes de ferrosilicium représentent, en moyenne, 15 % des chiffres d'affaires globaux des groupes en cause. Dans ces conditions, les pertes financières qui découleraient pour les sociétés requérantes de la mise en œuvre de la décision litigieuse pourraient vraisemblablement être compensées, au sein du groupe, par les bénéfices générés par les ventes d'autres produits et ne sont donc pas de nature à mettre en péril leur existence même.

70. Toutefois, il doit être tenu compte des circonstances propres à la présente espèce.

71. Tout d'abord, s'agissant des importations sous examen, le risque que les requérantes subissent un préjudice grave en cas d'expiration des mesures antidumping est admis par la Commission dans la décision litigieuse.

72. Ensuite, il convient de souligner que la réapparition probable du préjudice en cas d'expiration des mesures, combinée à la probabilité de continuation ou de réapparition du dumping, auxquelles conclut la Commission dans la décision litigieuse à l'égard des importations en cause, caractérisent cette décision en ce qu'elles ne sont pas des effets inhérents à toute décision clôturant un réexamen de mesures antidumping venant à expiration. En effet, en vertu de l'article 11, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de base, une décision clôturant un réexamen peut être justifiée par le seul constat que l'expiration de mesures antidumping en vigueur ne favorisera pas la continuation ou la réapparition du dumping ou celle du préjudice causé à l'industrie communautaire.

73. Enfin, le préjudice subi par les requérantes pourrait ne pas disparaître du simple fait de l'exécution par la Commission d'un arrêt annulant la décision litigieuse. Il ne resterait alors aux requérantes que la voie du recours en indemnité pour obtenir réparation de leur préjudice en vertu des articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE.

74. À cet égard, il convient de rappeler que l'engagement de la responsabilité de la Communauté dans le cadre de l'article 288, deuxième alinéa, CE est subordonné à la réunion d'un ensemble de conditions en ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché aux institutions communautaires, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice allégué (arrêts de la Cour du 7 mai 1992, Pesquerias De Bermeo et Naviera Laida/Commission, C-258-90 et C-259-90, Rec. p. I-2901, point 42, et du Tribunal du 15 juin 1999, Ismeri Europa/Cour des comptes, T-277-97, Rec. p. II-1825, point 95). S'agissant de la première de ces trois conditions, il a été précisé que, lorsque les dommages sont causés aux particuliers, le comportement reproché à l'institution doit constituer une violation suffisamment caractérisée d'une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. En l'occurrence, il incomberait alors aux requérantes de démontrer que la Commission a méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s'imposent à son pouvoir lors de l'appréciation de l'intérêt de la Communauté (en ce sens, arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C-352-98 P, Rec. p. I-5291, points 41 à 43). Or, compte tenu du large pouvoir d'appréciation dont dispose, en l'espèce, la Commission, notamment, pour l'évaluation de l'intérêt de la Communauté (arrêts de la Cour du 14 mars 1990, Gestetner Holdings/Conseil et Commission, C-156-87, Rec. p. I-781, point 63, et du 10 mars 1992, Sharp Corporation/Conseil, C-179-87, Rec. p. I-1635, point 58; arrêt du Tribunal du 15 octobre 1998, Industrie des poudres sphériques/Conseil, T-2-95, Rec. p. II-3939, point 292), la réparation ultérieure du préjudice subi s'avèrerait, pour le moins, incertaine.

75. Il résulte de ce qui précède (points 71 à 74) que les requérantes risquent de subir un préjudice grave, dont il n'est pas certain qu'il serait ultérieurement compensé. En présence d'une telle situation, l'incertitude ainsi identifiée conduit à conclure que le préjudice présente également un caractère irréparable.

76. La preuve du risque de préjudice grave et irréparable ayant été considérée comme rapportée par les trois entreprises requérantes, elle doit également l'être pour Euroalliages, association en charge de l'étude des problèmes rencontrés par les fabricants de ferro-alliages et autres produits électrométallurgiques dans au moins un des États membres de l'Union européenne.

77. Le problème, envisagé du seul point de vue des requérantes, amène donc à conclure qu'il y a urgence. Il est néanmoins nécessaire, dans le cadre d'une procédure d'application des articles 242 CE et 243 CE, de mettre en balance l'ensemble des intérêts en cause.

78. Il incombe, à cet égard, de mettre en balance, d'une part, l'intérêt des requérantes à obtenir l'une ou l'autre des mesures provisoires sollicitées et, d'autre part, l'intérêt des importateurs, des exportateurs et des utilisateurs au maintien des effets de la décision litigieuse. La Commission relève, plus spécifiquement, que l'octroi de l'une ou de l'autre des mesures provisoires serait de nature à freiner les importations de ferrosilicium originaires des pays concernés.

79. Il est incontestable qu'un sursis à exécution ne tiendrait pas compte des intérêts des importateurs, des exportateurs et des utilisateurs et réduirait à néant l'effet recherché par la décision litigieuse. Un enregistrement des importations en exigeant des importateurs qu'ils déposent une garantie pourrait également être de nature à freiner sensiblement les importations et, partant, créer une situation irréversible.

80. Dès lors, afin de limiter tout à la fois la création d'une situation irréversible et la survenance du préjudice dans le chef des requérantes, les effets de la mesure provisoire doivent être circonscrits à ce qui est strictement indispensable à la préservation des intérêts de ces dernières jusqu'à l'intervention d'un arrêt au principal.

81. À titre très subsidiaire, les requérantes demandent à obtenir que les importations de ferrosilicium soient soumises à une procédure d'enregistrement, sans constitution de garanties par les importateurs. La seule obligation de procéder à l'enregistrement des importations contribuerait à instaurer une certaine discipline sur le marché en ce qui concerne les pratiques de dumping.

82. Lors de l'audition, la Commission a objecté que l'enregistrement des importations produirait des effets identiques à ceux de mesures antidumping. Elle a soutenu qu'une annulation de la décision litigieuse aurait pour conséquence que les montants de droits antidumping initiaux seraient perçus, auprès des importateurs, sur les importations enregistrées, alors même que les produits importés n'auraient pas fait l'objet de pratiques de dumping.

83. L'article 233 CE dispose que l'institution dont émane l'acte annulé est tenue de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt. À cet égard, il a été jugé dans l'arrêt Industrie des poudres sphériques/Conseil, précité (points 87 à 95), que l'article 233 CE laisse à la Commission le choix soit de reprendre la procédure en se fondant sur tous les actes de celle-ci n'ayant pas été affectés par la nullité prononcée par le Tribunal, soit de mener une nouvelle enquête qui porterait sur une autre période de référence, à condition de respecter les conditions découlant du règlement de base (arrêt du Tribunal du 20 juin 2001, Euroalliages/Commission, T-188-99, non encore publié au Recueil, point 28).

84. En outre, il a été jugé que la règle selon laquelle les renseignements relatifs à une période postérieure à la période d'enquête ne sont pas, normalement, pris en compte, s'applique aux enquêtes de réexamen de mesures venant à expiration. Une exception à cette règle a cependant été admise lorsque les données relevant d'une période postérieure à celle de l'enquête révèlent de nouveaux développements rendant manifestement inadaptée l'institution ou le maintien des droits antidumping (arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, Sinochem/Conseil, T-161-94, Rec. p. II-695, point 88, et Euroalliages/Commission, précité, points 70 à 77).

85. Dès lors, la perception rétroactive des droits antidumping aux taux institués par les règlements nos 3359-93 et 621-94 sur les importations de ferrosilicium originaires de Chine, du Kazakhstan, de Russie et d'Ukraine ne saurait être considérée comme la seule mesure d'exécution possible d'un arrêt du Tribunal annulant la décision litigieuse. L'allégation de la Commission revêt donc un caractère non inéluctable et ne peut, par conséquent, être accueillie.

86. Au vu de l'ensemble de ce qui précède, il y a lieu d'ordonner que les importations de ferrosilicium originaires de Chine, du Kazakhstan, de Russie et d'Ukraine soient soumises à une procédure d'enregistrement, sans constitution de garanties par les importateurs.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne:

1) Les importations de ferrosilicium originaires de la république populaire de Chine, du Kazakhstan, de Russie et d'Ukraine sont soumises à enregistrement sans constitution de garanties par les importateurs.

2) Les dépens sont réservés.