TPICE, président, 27 février 2002, n° T-132/01 R
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Euroalliages, Péchiney électrométallurgie, Vargön Alloys AB, Ferroatlántica, Royaume d'Espagne
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, TNC Kazchrome, Alloy 2000 SA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vesterdorf
Avocats :
Mes Voillemot, Prost, Bentley, Flynn, Magnin
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
rend la présente
Ordonnance
Cadre juridique
1. L'article 11, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) n° 384-96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1, ci-après le "règlement de base"), intitulé "Durée, réexamens et restitutions", dispose:
"1. Une mesure antidumping ne reste en vigueur que le temps et dans la mesure nécessaires pour contrebalancer un dumping qui cause un préjudice.
2. Une mesure antidumping expire cinq ans après son institution ou cinq ans après la date de la conclusion du réexamen le plus récent ayant couvert à la fois le dumping et le préjudice, à moins qu'il n'ait été établi lors d'un réexamen que l'expiration de la mesure favoriserait la continuation ou la réapparition du dumping et du préjudice. Un réexamen de mesures parvenant à expiration a lieu soit à l'initiative de la Commission, soit sur demande présentée par des producteurs communautaires ou en leur nom et la mesure reste en vigueur en attendant les résultats du réexamen.
[...]"
2. L'article 21, paragraphe 1, du même règlement, intitulé "Intérêt de la Communauté", est libellé comme suit:
"Il convient, afin de déterminer s'il est de l'intérêt de la Communauté que des mesures soient prises, d'apprécier tous les intérêts en jeu pris dans leur ensemble, y compris ceux de l'industrie communautaire et des utilisateurs et consommateurs, et une telle détermination ne peut intervenir que si toutes les parties ont eu la possibilité de faire connaître leur point de vue conformément au paragraphe 2. Dans le cadre de cet examen, une attention particulière est accordée à la nécessité d'éliminer les effets de distorsion des échanges d'un dumping préjudiciable et de restaurer une concurrence effective. Des mesures déterminées sur la base du dumping et du préjudice établis peuvent ne pas être appliquées, lorsque les autorités, compte tenu de toutes les informations fournies, peuvent clairement conclure qu'il n'est pas dans l'intérêt de la Communauté d'appliquer de telles mesures."
Antécédents du litige
3. Des mesures antidumping définitives ont été instituées sur les importations de ferrosilicium originaires de plusieurs pays, d'une part, par le règlement (CE)n° 3359-93 du Conseil, du 2 décembre 1993, modifiant les mesures antidumping instituées sur les importations de ferrosilicium originaires de Russie, du Kazakhstan, d'Ukraine, d'Islande, de Norvège, de Suède, du Venezuela et du Brésil (JO L 302, p. 1), et, d'autre part, par le règlement (CE) n° 621-94 du Conseil, du 17 mars 1994, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de ferrosilicium originaires d'Afrique du Sud et de la république populaire de Chine (JO L 77, p. 48).
4. Le 10 juin 1998, la Commission a publié un avis d'expiration prochaine de certaines mesures antidumping (JO C 177, p. 4).
5. À la suite de la publication de cet avis, Euroalliages, comité de liaison des industries de ferro-alliages, a déposé, au titre de l'article 11, paragraphe 2, du règlement de base, une demande de réexamen des mesures parvenant à expiration relatives aux importations en provenance du Brésil, de Chine, du Kazakhstan, de Russie, d'Ukraine et du Venezuela.
6. Ayant conclu, après consultation du comité consultatif, à l'existence d'éléments de preuve suffisants pour justifier l'ouverture d'un réexamen au titre de l'article 11, paragraphe 2, du règlement de base, la Commission a publié un avis d'ouverture d'une telle procédure au Journal officiel des Communautés européennes (JO 1998, C 382, p. 9) et a entamé une enquête. L'enquête relative aux pratiques de dumping a couvert la période comprise entre le 1er octobre 1997 et le 30 septembre 1998. L'examen du préjudice a couvert la période allant de 1994 jusqu'à la fin de la période d'enquête.
7. Le 21 février 2001, la Commission a adopté la décision 2001-230-CE clôturant la procédure antidumping concernant les importations de ferrosilicium originaires du Brésil, de la république populaire de Chine, du Kazakhstan, de Russie, d'Ukraine et du Venezuela (JO L 84, p. 36, ci-après la "décision litigieuse").
Décision litigieuse
8. La décision litigieuse expose que le réexamen effectué a amené la Commission à conclure que, s'agissant des importations de ferrosilicium en provenance de Chine, du Kazakhstan, de Russie et d'Ukraine, l'expiration des mesures favoriserait la continuation ou la réapparition du dumping et du préjudice.
9. Le considérant 129 de la décision litigieuse est ainsi formulé:
"Compte tenu des conclusions selon lesquelles il existe une probabilité de continuation et de réapparition du dumping et d'une augmentation sensible des importations faisant l'objet d'un dumping originaires de Chine, du Kazakhstan, de Russie [et d'Ukraine] en cas d'expiration des mesures, il est conclu que la situation de l'industrie communautaire risque de se détériorer. Même si l'ampleur de cette détérioration est difficile à évaluer, il est probable qu'on assistera à une réapparition du préjudice compte tenu des tendances à la baisse des prix et de la rentabilité de cette industrie. En ce qui concerne le Venezuela, on ne s'attend pas à ce que l'expiration des mesures ait un effet préjudiciable important."
10. La Commission a ensuite examiné si le maintien des mesures antidumping était dans l'intérêt général de la Communauté. Dans le cadre de cette appréciation, elle a tenu compte de plusieurs éléments, à savoir, premièrement, du fait que l'industrie communautaire n'a pas été en mesure de profiter suffisamment des mesures en vigueur depuis 1987 ni n'a pu profiter, en termes de part de marché, de la cessation d'activités d'anciens producteurs communautaires (considérant 151 de la décision litigieuse) et, deuxièmement, de la circonstance que les producteurs communautaires d'acier ont dû supporter des coûts supplémentaires liés aux mesures antidumping durant la période d'application de ces mesures (considérant 152).
11. Aux considérants 153 et 154 de la décision litigieuse, elle a conclu comme suit:
"153 Dès lors, même si l'incidence précise de l'expiration des mesures sur l'industrie communautaire est incertaine et si l'expérience passée montre qu'il n'est pas sûr que le maintien des mesures aura d'importantes retombées profitables à l'industrie communautaire, il est clair que l'industrie sidérurgique a subi des effets négatifs cumulés à long terme, qui seraient indûment prolongés si les mesures étaient maintenues.
154 Par conséquent, après avoir apprécié l'incidence de la prorogation ou de l'expiration des mesures sur les différents intérêts en jeu, conformément aux dispositions de l'article 21 du règlement de base, la Commission peut clairement conclure que le maintien des mesures actuelles est contraire aux intérêts de la Communauté. La venue à expiration des mesures devrait donc être autorisée."
12. Pour ces raisons, le dispositif de la décision litigieuse porte clôture de la procédure antidumping en cause et, par voie de conséquence, expiration des mesures concernant les importations sous examen.
Procédure
13. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 juin 2001, Euroalliages, Péchiney électrométallurgie, Vargön Alloys AB et Ferroatlántica (ci-après "Euroalliages e.a." ou les "requérantes") ont introduit, en vertu de l'article 230, quatrième alinéa, CE, un recours visant à l'annulation de l'article unique de la décision litigieuse.
14. Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérantes ont également introduit une demande visant, à titre principal, à ce que soit ordonné le sursis à l'exécution de la décision litigieuse en ce qu'elle clôt la procédure antidumping concernant les importations de ferrosilicium originaires de Chine, du Kazakhstan, de Russie et d'Ukraine et à ce qu'il soit enjoint à la Commission de rétablir les droits antidumping institués par les règlements nos 3359-93 et 621-94, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit enjoint à la Commission d'exiger des importateurs de ferrosilicium originaire de ces quatre pays qu'ils fournissent une caution correspondant aux droits antidumping institués par les règlements nos 3359-93 et 621-94 et qu'ils soumettent leurs importations à enregistrement ou, plus subsidiairement encore, à ce qu'il soit enjoint à la Commission d'exiger desdits importateurs qu'ils soumettent leurs importations à enregistrement.
15. La Commission a présenté ses observations écrites sur la demande en référé le 5 juillet 2001.
16. Les parties ont été entendues en leurs explications le 11 juillet 2001.
17. Par ordonnance du 1er août 2001, Euroalliages e.a./Commission (T-132-01 R, Rec. p. II-2307, ci-après l'"ordonnance du 1er août 2001"), le Président du Tribunal a ordonné que les importations de ferrosilicium originaires de Chine, du Kazakhstan, de Russie et d'Ukraine soient soumises à une procédure d'enregistrement, sans constitution de garanties par les importateurs.
18. Par plusieurs lettres reçues au greffe du Tribunal durant le mois d'août 2001, et, formellement, par lettre du 30 août 2001, les requérantes ont, sur le fondement de l'article 108 du règlement de procédure du Tribunal, demandé la modification du dispositif de l'ordonnance du 1er août 2001 en vue de clarifier la situation juridique qui aurait dû, à leur sens, exister à cette date.
19. Après que la Commission a été entendue sur ce point, le Président du Tribunal a rejeté la demande du 30 août 2001 par ordonnance du 12 septembre 2001, Euroalliages e.a./Commission (T-132-01 R, non publiée au Recueil) et a réservé les dépens.
20. Sur pourvoi formé par la Commission, l'ordonnance du 1er août 2001 a été annulée par ordonnance du Président de la Cour du 14 décembre 2001, Commission/Euroalliages e.a. [C-404-01 P(R), non encore publiée au Recueil, ci-après l'"ordonnance du 14 décembre 2001"]. Cette ordonnance porte renvoi de l'affaire devant le Tribunal et réserve des dépens.
21. À la suite de ce renvoi devant le Tribunal, Euroalliages e.a. ont demandé le traitement confidentiel de certaines données du dossier vis-à-vis des parties ayant été admises à intervenir dans la procédure devant le Président de la Cour, à savoir le Royaume d'Espagne, TNC Kazchrome (ci-après "Kazchrome") et Alloy 2000 SA (ci-après "Alloy 2000").
22. La demande de traitement confidentiel présentée par les requérantes a été communiquée à la Commission le 14 janvier 2002.
23. Euroalliages e.a. et la Commission ont respectivement présenté leurs observations écrites postérieures au renvoi de l'affaire devant le Tribunal les 10 et 25 janvier 2002.
24. Le Royaume d'Espagne, qui intervient au soutien des conclusions des requérantes, a présenté ses observations le 15 février 2002.
25. Kazchrome et Alloy 2000, qui interviennent au soutien des conclusions de la Commission, ont déposé leurs observations le même jour.
Conclusions présentées par les parties dans l'instance après renvoi
26. Euroalliages e.a. concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
- ordonner l'enregistrement des importations de ferrosilicium originaires de Chine, du Kazakhstan, de Russie et d'Ukraine, sans constitution de garanties par les importateurs;
- condamner la Commission aux dépens.
27. Le Royaume d'Espagne conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- ordonner l'enregistrement des importations de ferrosilicium originaires de Chine, du Kazakhstan, de Russie et d'Ukraine, sans constitution de garanties par les importateurs;
- condamner la Commission aux dépens.
28. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter la demande en référé;
- condamner les requérantes aux dépens, y compris ceux afférents à la première procédure devant le Tribunal et à la procédure de pourvoi devant le Président de la Cour.
29. Kazchrome et Alloy 2000 concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter la demande en référé;
- condamner les requérantes aux dépens occasionnés par l'intervention de Kazchrome et d'Alloy 2000, y compris ceux afférents à leur intervention dans la procédure de pourvoi devant le Président de la Cour.
En droit
30. En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE et de l'article 4 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), tel que modifié par la décision 93-350-Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.
31. L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue (fumus boni juris) l'octroi des mesures auxquelles elles concluent. Ces conditions sont cumulatives, de sorte qu'une demande relative à de telles mesures doit être rejetée dès lors que l'une d'elles fait défaut [ordonnances du Président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C-268-96 P(R), Rec. p. I-4971, point 30, et du Président du Tribunal du 1er février 2001, Free Trade Foods/Commission, T-350-00 R, Rec. p. II-493, point 32].
32. Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu'il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande, sans qu'il soit utile d'entendre, une nouvelle fois, les parties en leurs explications orales.
Observations présentées par les parties après le renvoi
33. Euroalliages e.a. soutiennent que l'ordonnance du 14 décembre 2001 ne remet pas en cause leur droit d'obtenir des mesures provisoires dans le cas d'espèce.
34. Ainsi qu'il ressortirait de cette ordonnance (points 68, 71 et 75), l'erreur de droit commise dans l'ordonnance du 1er août 2001 tiendrait à ce qu'il a été conclu au caractère irréparable du préjudice en considérant "exclusivement" l'incertitude d'un éventuel recours en dommages et intérêts.
35. Or, selon les requérantes, le caractère irréparable du préjudice n'aurait pas été fondé uniquement sur cette incertitude, mais sur trois circonstances propres à l'espèce, dont cette incertitude, mentionnées aux points 71 à 74 de l'ordonnance du 1er août 2001.
36. Tout d'abord, s'agissant des importations concernées par la décision litigieuse, le risque que les requérantes subissent un préjudice grave en cas d'expiration des mesures antidumping n'aurait pas été remis en cause par le Président de la Cour. Dans la mesure où tout préjudice important, au sens de l'article 3 du règlement de base, ne constituerait pas nécessairement un préjudice grave (point 59 de l'ordonnance du 14 décembre 2001), la reconnaissance du préjudice grave rendrait singulière la situation des requérantes et signifierait que le préjudice présente une telle gravité qu'il en serait difficilement réparable. En outre, la reconnaissance dela gravité du préjudice dans la décision litigieuse elle-même serait particulièrement rare.
37. Ensuite, se référant au point 72 de l'ordonnance du 1er août 2001, elles relèvent que la décision litigieuse se distingue effectivement des autres décisions de clôture de réexamen fondées sur l'intérêt communautaire en ce que, comme cela aurait été mentionné par le Président du Tribunal, il y serait fait référence à la continuation du dumping. Elles ajoutent que l'ordonnance du 1er août 2001 renvoie implicitement au considérant 129 de la décision litigieuse, selon lequel le risque de détérioration concernerait la "situation" de l'industrie communautaire dans son ensemble. En outre, au considérant 147 de la décision litigieuse, la Commission retiendrait comme une hypothèse probable une baisse de prix du ferrosilicium de 15 % en cas d'expiration des mesures, ce qui contribuerait à caractériser cette décision. Les conclusions de la Commission quant à l'accroissement significatif des importations et quant à la baisse des prix se seraient concrétisées. En effet, selon les données fournies par l'Office statistique des Communautés européennes (Eurostat), et s'agissant du Kazakhstan, de la Russie et de l'Ukraine, les volumes d'importations seraient passés de 1 739 tonnes au premier trimestre de l'année 2001 à 9 354 tonnes au deuxième trimestre de la même année et seraient estimées à 18 469 tonnes pour le troisième trimestre. Quant au prix moyen des importations en provenance de ces trois pays, il aurait été inférieur de 28,14 % au prix moyen intracommunautaire et de 23,7 % au prix moyen des autres importations en provenance des pays tiers, pour le deuxième trimestre de l'année 2001. Le préjudice subi serait donc particulièrement grave et, partant, difficilement réparable.
38. Enfin, la circonstance tenant à l'incertitude du caractère réparable du préjudice à la suite d'un recours en indemnité n'aurait pas, en elle-même, été remise en cause par le Président de la Cour. Elle ne l'aurait été que dans la mesure où elle semblait fonder "exclusivement" la conclusion quant au caractère irréparable du préjudice, ce que contestent les requérantes.
39. Le Royaume d'Espagne partage largement l'argumentation des requérantes. Il estime que l'ordonnance du 14 décembre 2001 ne remet pas en cause leur droit d'obtenir des mesures provisoires. En particulier, le caractère grave et irréparable du préjudice serait démontré eu égard, notamment, aux chiffres communiqués durant la phase ayant précédé l'adoption de la décision litigieuse et à l'augmentation importante du volume des importations en Espagne de ferrosilicium en provenance du Kazakhstan depuis l'adoption de ladite décision.
40. La Commission conteste l'argumentation des requérantes.
41. Plus particulièrement, elle soutient, en premier lieu, que celles-ci n'ont pas indiqué en quoi le préjudice découlant d'une décision de clôture de réexamen, adoptée au motif que le maintien des mesures antidumping n'est pas dans l'intérêt de la Communauté, ne constituerait pas un effet inhérent à une telle décision.
42. Elle estime, en second lieu, que les requérantes n'ont pas démontré en quoi leur préjudice financier serait irréparable ou difficilement réparable sur la base d'un critère autre que celui - censuré par le Président de la Cour - de l'incertitude du succès d'un éventuel recours en dommages et intérêts.
43. Kazchrome et Alloy 2000 souscrivent à l'analyse de la Commission. Elles ajoutent qu'aucune des requérantes n'a apporté d'élément nouveau ou de début de preuve du préjudice allégué, de sorte qu'il ne saurait être conclu à l'existence de leur caractère grave et irréparable. En ce qui concerne plus spécifiquement la gravité du préjudice en cause, il ne saurait être considéré que la Commission l'a reconnue dans la décision litigieuse. À titre surabondant, elles soutiennent que l'octroi de la mesure provisoire sollicitée produirait des effets définitifs et contreviendrait à une mise en balance correcte des intérêts en présence.
Appréciation du juge des référés
44. Le caractère urgent d'une demande en référé doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement, afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire.
45. Dans son ordonnance du 1er août 2001, le Président du Tribunal avait estimé que la condition relative à l'urgence était remplie. Les motifs de cette ordonnance concernant la condition relative à l'urgence sont reproduits, en substance, aux points 26 à 28 de l'ordonnance du 14 décembre 2001, à laquelle il y a donc lieu de se reporter. Il convient cependant de souligner qu'il avait été constaté que le préjudice subi par les requérantes présentait un caractère irréparable eu égard à trois circonstances propres au cas d'espèce (points 70 et 75 de l'ordonnance du 1er août 2001), à savoir, premièrement, l'admission par la Commission dans la décision litigieuse du fait que les requérantes risquent de subir un préjudice grave en cas d'expiration des mesures antidumping litigieuses (point 71 de l'ordonnance du 1er août 2001), deuxièmement, la conclusion de la Commission dans la décision litigieuse d'une réapparition probable du préjudice en cas d'expiration des mesures, combinée à la probabilité de continuation ou de réapparition du dumping (point 72 de l'ordonnance du 1er août 2001), et, troisièmement, la réparation pour le moins incertaine du préjudice, qui ne disparaîtrait pas du simple fait de l'exécution par la Commission d'un arrêt annulant la décision litigieuse, en vertu des articles 235 CE et 288 CE (points 73 et 74 de l'ordonnance du 1er août 2001).
46. L'appréciation relative à deux (point 64 de l'ordonnance du 14 décembre 2001) des trois circonstances a été censurée par le Président de la Cour au motif qu'elle était entachée d'une erreur de droit.
47. Ce dernier estime, tout d'abord, que, "lorsqu'une décision clôturant un réexamen de mesures antidumping est adoptée au motif que le maintien de telles mesures n'est pas dans l'intérêt de la Communauté, le préjudice en découlant pour l'industrie communautaire constitue un effet inhérent à une telle décision" (point 66).
48. Il juge, ensuite, que "l'incertitude liée à la réparation d'un préjudice pécuniaire dans le cadre d'un éventuel recours en dommages et intérêts ne saurait être considérée, en elle-même, comme une circonstance de nature à établir le caractère irréparable d'un tel préjudice, au sens de la jurisprudence de la Cour" (point 71).
49. Il conclut, enfin, que, "en se fondant exclusivement sur l'incertitude du succès d'un éventuel recours en dommages et intérêts compte tenu de la nature de la décision litigieuse pour conclure au caractère irréparable du préjudice et donc à l'octroi de mesures provisoires, l'ordonnance [du 1er août 2001] est entachée d'une erreur de droit" (point 75).
50. Eu égard aux considérations du Président de la Cour, il convient d'examiner si le préjudice financier allégué par les requérantes revêt un caractère irréparable.
51. À ce sujet, il convient de rappeler que, préalablement à la prise en considération des trois circonstances susmentionnées, le Président du Tribunal a rappelé la jurisprudence selon laquelle le préjudice pécuniaire ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu'il peut faire l'objet d'une compensation financière ultérieure [notamment, ordonnance du Président de la Cour du 11 avril 2001, Commission/Cambridge Healthcare Supplies, C-471-00 P(R), Rec. p. I-2865, point 113]. Une telle compensation financière ultérieure résulte soit de l'exécution par l'institution concernée de l'arrêt d'annulation intervenu au principal (ordonnance du Président de la Cour du 14 octobre 1977, NTN Toyo Bearing/Conseil, 113-77 R et 113-77 R-INT, Rec. p. 1721, point 5), soit, si tel n'est pas le cas en tout ou partie, d'une réparation au titre de la voie de recours prévue par les articles 235 CE et 288 CE (ordonnance du Président de la Cour du 26 septembre 1988, Cargill e.a./Commission, 229-88 R, Rec. p. I-5183, point 18). En l'espèce, ayant estimé qu'aucune des deux branches de l'alternative n'était à même de permettre la compensation effective du préjudice d'ordre financier, le Président du Tribunal avait conclu, en considération de deux autres circonstances spécifiques, que la réparation dudit préjudice, après l'arrêt mettant fin à l'instance au principal, était pour le moins incertaine.
52. Toutefois, il ressort du point 70 de l'ordonnance du 14 décembre 2001 que, si la Cour a parfois relevé dans ses ordonnances en référé qu'une compensation pécuniaire pourrait être obtenue dans le cadre d'un recours en indemnité introduit par le requérant, cette juridiction n'a, en revanche, "jamais examiné les probabilités concrètes de succès d'un éventuel recours en dommages et intérêts qui pourrait être intenté en cas d'annulation de l'acte attaqué". Il découle de ce point 70 que la seule possibilité de former un recours indemnitaire suffit à attester du caractère en principe réparable d'un préjudice financier. Dans le cadre de la présente procédure de référé, il n'y a dès lors pas lieu de tenir compte de l'incertitude du succès de l'éventuel recours indemnitaire - que les requérantes pourraient former si l'acte attaqué était annulé - pour établir le caractère réparable ou non du préjudice d'ordre financier que subiront les requérantes.
53. Il s'ensuit que, eu égard aux allégations des requérantes visant à démontrer l'urgence, ce préjudice ne revêt en l'espèce un caractère irréparable que s'il apparaît que, en l'absence de la mesure provisoire sollicitée après le renvoi, Euroalliages e.a. se trouveraient dans une situation susceptible de mettre en péril leur existence avant l'intervention de l'arrêt mettant fin à la procédure au principal. En effet, la finalité de la procédure de référé étant de "garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d'éviter une lacune dans la protection juridique assurée par [le juge communautaire]" (ordonnance du 14 décembre 2001, point 61), cette pleine efficacité doit être considérée comme garantie dès lors que les requérantes sont en mesure de supporter le préjudice financier jusqu'à la date de la décision juridictionnelle statuant au principal.
54. En l'occurrence, il convient donc de vérifier que les requérantes ont démontré que leur existence même sera mise en péril, avant l'arrêt au principal, s'il n'est pas sursis à l'exécution de la décision litigieuse.
55. À ce sujet, force est de relever que les requérantes ne remettent pas en cause les conclusions contenues aux points 67 et 69 de l'ordonnance du 1er août 2001, dont il n'a pas été constaté qu'elles étaient entachées d'une erreur de droit.
56. Il y a donc lieu de constater, de nouveau, que, en l'occurrence, les requérantes ne sont pas parvenues à démontrer que l'atteinte à leur viabilité financière serait telle que des mesures de rationalisation ne suffiraient pas à leur permettre de poursuivre leur activité de production du ferrosilicium jusqu'au prononcé de l'arrêt mettant fin à la procédure au principal.
57. En outre, il est bien établi que l'appréciation de la situation matérielle d'une partie requérante peut être effectuée en prenant notamment en considération les caractéristiques du groupe auquel elle se rattache par son actionnariat [ordonnance du Président de la Cour du 15 avril 1998, Camar/Commission et Conseil, C-43-98 P(R), Rec. p. I-1815, point 36; ordonnance du Président du Tribunal du 30 juin 1999, Pfizer Animal Health/Conseil, T-13-99 R, Rec. p. II-1961, point 155].
58. À ce propos, les requérantes n'ont pas infirmé, lors de l'audition du 11 juillet 2001, les allégations de la Commission selon lesquelles, d'une part, chacune d'elles fait partie d'un groupe important de sociétés et, d'autre part, leurs chiffres d'affaires correspondant aux ventes de ferrosilicium représentent, en moyenne, moins de 20 % des chiffres d'affaires globaux des groupes auxquels elles se rattachent. Dans ces conditions, les pertes financières qui découleraient pour les requérantes de la mise en œuvre de la décision litigieuse pourraient vraisemblablement être compensées, au sein du groupe, par les bénéfices générés par les ventes d'autres produits [voir, en ce sens, ordonnance du Président de la Cour du 11 avril 2001,Commission/Roussel et Roussel Diamant, C-477-00 P(R), Rec. p. I-3037, point 105] et ne sont donc pas de nature à mettre en péril leur existence même.
59. La condition relative à l'urgence faisant défaut, la présente demande doit être rejetée.
Par ces motifs,
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
ordonne:
1) La demande en référé est rejetée.
2) Les dépens sont réservés.