CJCE, 4e ch., 14 juillet 2005, n° C-141/04
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Peros
Défendeur :
Techniko Epimelitirio Ellados
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Lenaerts
Avocat général :
M. Geelhoed
Juges :
Mme Colneric, M. Schiemann
Avocats :
Mes Chatzopoulos, Krystallidis
LA COUR (quatrième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur les conditions dans lesquelles certaines dispositions de la directive 89-48-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans (JO 1989, L 19, p. 16), peuvent être invoquées en l'absence de transposition de cette directive, après l'expiration de son délai de transposition, par le titulaire d'un diplôme relevant de son champ d'application. Subsidiairement, la demande porte sur l'interprétation des articles 48 et 52 du traité CE (devenus, après modification, articles 39 CE et 43 CE).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant M. Peros au Techniko Epimelitirio Ellados (Chambre technique de Grèce, ci-après le "TEE"), organisme grec tenant les registres des ingénieurs, au sujet du rejet par ce dernier d'une demande de M. Peros visant à son enregistrement, en qualité d'ingénieur mécanicien. Le requérant avait présenté sa demande en se fondant sur son habilitation à exercer cette profession en Allemagne.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 Il ressort des troisième et quatrième considérants de la directive 89-48 que celle-ci a pour objet de mettre en œuvre un système général de reconnaissance des diplômes visant à faciliter aux citoyens européens l'exercice de toutes les activités professionnelles qui sont subordonnées dans un État membre d'accueil à la possession d'une formation postsecondaire, pour autant qu'ils possèdent de tels diplômes qui les préparent à ces activités, sanctionnent un cycle d'études d'au moins trois ans et aient été délivrés dans un autre État membre.
4 L'article 3, premier alinéa, de la directive 89-48 prévoit:
"Lorsque, dans l'État membre d'accueil, l'accès à une profession réglementée ou son exercice est subordonné à la possession d'un diplôme, l'autorité compétente ne peut refuser à un ressortissant d'un État membre, pour défaut de qualification, d'accéder à cette profession ou de l'exercer dans les mêmes conditions que les nationaux:
a) si le demandeur possède le diplôme qui est prescrit par un autre État membre pour accéder à cette même profession sur son territoire ou l'y exercer et qui a été obtenu dans un État membre, [...]
[...]"
5 Nonobstant l'article 3 de cette directive, l'article 4 de celle-ci permet à l'État membre d'accueil d'exiger du demandeur, dans certaines conditions qui y sont définies, qu'il prouve qu'il possède une expérience professionnelle d'une durée déterminée, qu'il accomplisse un stage d'adaptation pendant trois ans au maximum ou se soumette à une épreuve d'aptitude (ci-après les "mesures de compensation"). Ce même article fixe certaines règles et conditions applicables aux mesures de compensation pouvant être exigées.
6 L'article 6 de la directive 89-48 énumère les documents relatifs à l'honorabilité, à la moralité, à l'absence de faillite ainsi qu'à la santé physique ou psychique qui peuvent être exigés à titre de preuves par l'autorité compétente de l'État membre d'accueil et contient quelques dispositions quant aux formules de serment ou de déclaration solennelle qui peuvent être imposées aux ressortissants d'autres États membres.
7 Aux termes de l'article 9, paragraphe 1, de la directive 89-48, les États membres désignent, dans le délai prévu à l'article 12 de celle-ci, à savoir avant le 4 janvier 1991, les autorités compétentes habilitées à recevoir les demandes ainsi qu'à prendre les décisions visées dans cette même directive et ils en informent les autres États membres et la Commission des Communautés européennes.
La réglementation nationale
8 En Grèce, la profession d'ingénieur est une profession réglementée dont l'exercice est réservé aux membres du TEE. Celui-ci fut institué par le décret présidentiel du 27 novembre-14 décembre 1926 portant codification des dispositions et textes relatifs à la composition du TEE (FEK A' 430), tel que modifié par la loi nº 1486-1984 (FEK A' 161), et par le décret présidentiel nº 512-1991, du 30 novembre/12 décembre 1991 (FEK A' 190, ci-après le "décret TEE").
9 Conformément à l'article 2, paragraphe 1, du décret TEE, sont obligatoirement enregistrés comme membres du TEE les ressortissants des États membres "dès lors qu'ils sont diplômés de l'école nationale polytechnique metsovienne, des écoles polytechniques du pays ou des écoles étrangères équivalentes après obtention de l'autorisation d'exercer la profession". Les professionnels sont répartis dans neuf spécialités énumérées à l'article 2, paragraphe 5, de ce décret, parmi lesquelles figure, sous c), la spécialité d'ingénieur mécanicien.
10 L'article 4, paragraphe 3, du même décret prévoit, notamment, que le TEE organise les examens, délivre les autorisations d'exercer la profession d'ingénieur conformément aux dispositions en vigueur et tient les registres des ingénieurs.
11 Le TEE avait, en vertu de l'article 1er, paragraphe 1, de la loi nº 1225-1981, du 30-31 décembre 1981 (FEK A' 340), "compétence pour délivrer l'autorisation d'exercer la profession en Grèce aux ingénieurs diplômés d'établissements supérieurs équivalents de l'étranger".
12 Sur le fondement de la loi nº 1225-1981, un arrêté interministériel nº ED 5/4/339, du 14 septembre 1984 (FEK B' 713), adopté par le ministre des Travaux publics et le ministre de l'Éducation nationale et des Cultes, a défini la procédure de délivrance, par le TEE, de l'autorisation d'exercer la profession d'ingénieur.
13 Cet arrêté interministériel a prévu à son paragraphe 1 que "l'autorisation d'exercer la profession est délivrée par le TEE, à l'issue d'épreuves orales, aux ingénieurs diplômés des écoles supérieures nationales ou d'écoles équivalentes de l'étranger".
14 Le paragraphe 2, sous d), de ce même arrêté dispose que, pour participer à ces épreuves, les personnes ayant obtenu un diplôme à l'étranger doivent, notamment, présenter au TEE une "attestation d'équivalence du diplôme joint", délivrée par le centre inter-universitaire de reconnaissance de diplômes étrangers (Diapanepistimiako Kentro Anagnoriseos Titlon Spoudon tis Allodapis, ci-après le "Dikatsa") institué par la loi nº 741-1977, du 12/14 octobre 1977 (FEK A' 314), telle que modifiée par la loi nº 1566-1985, du 30 septembre 1985 (FEK A' 167, ci-après la "loi Dikatsa").
15 Le Dikatsa est, en vertu de l'article 2 de la loi Dikatsa, compétent pour homologuer les écoles supérieures de l'étranger comme étant d'un niveau d'enseignement équivalent à celui des écoles supérieures nationales et reconnaître l'équivalence entre les diplômes des premières et ceux délivrés par les établissements grecs d'enseignement supérieur. Il est également compétent pour reconnaître l'équivalence des titres d'études délivrés par les établissements étrangers de même niveau avec les titres d'études des établissements grecs d'enseignement supérieur dans les cas où il n'existe pas en Grèce de spécialité équivalente.
16 Par ailleurs, à son article 4, paragraphe 8, la loi Dikatsa établit que, par acte du président du conseil d'administration du Dikatsa, "les diplômés d'établissements d'enseignement supérieur de l'étranger, dont le diplôme n'a pas le même contenu, au niveau des connaissances, que le diplôme délivré en Grèce par l'école ou le département dont l'enseignement est le plus proche, sont soumis à un examen complémentaire dans certaines matières de l'école ou du département considéré". En vertu de la même disposition "s'il n'est pas possible de reconnaître l'équivalence du diplôme, l'intéressé est placé dans l'école ou le département approprié, précisément déterminé par le président du conseil d'administration" en vue d'y compléter sa formation.
17 Selon une jurisprudence constante du Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d'État), il résulte de ces dispositions que le Dikatsa doit, en examinant l'équivalence entre un diplôme étranger et un diplôme correspondant d'un établissement d'enseignement supérieur grec, apprécier les caractéristiques de l'établissement d'enseignement étranger délivrant le titre en cause, le type d'études suivies et le contenu de ces études. Cet examen par le Dikatsa ne prend pas en compte la question de savoir si le titre en cause constitue la qualification formelle nécessaire à l'exercice d'une profession donnée. En d'autres termes, le Dikatsa est, selon cette jurisprudence, compétent pour apprécier uniquement l'équivalence académique et non l'équivalence professionnelle du titre d'études étranger qui lui est soumis.
18 La directive 89-48 n'avait pas été transposée dans l'ordre juridique grec à l'expiration du délai de transposition (voir, à cet égard, arrêt du 23 mars 1995, Commission/Grèce, C-365-93, Rec. p. I-499). Postérieurement aux faits qui ont donné lieu au litige au principal, le décret présidentiel nº 165-2000, du 28 juin 2000 (FEK A' 149), visant à transposer cette directive dans l'ordre juridique grec, modifié par la suite par le décret présidentiel nº 373-2001, du 22 octobre 2001 (FEK A' 251), a été adopté.
19 Ce décret a, par son article 10, attribué une compétence exclusive au conseil chargé de la reconnaissance de l'équivalence des diplômes d'enseignement supérieur (Symvoulio Anagnoriseos Epangelmatikis Isotimias Titlon Tritovathmias Ekpaidefsis, ci-après le "Saeitte"), organe étatique ad hoc, à l'effet de statuer sur les demandes de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur entrant dans le champ d'application de la directive 89-48. Cet organe est, par conséquent, seul compétent pour reconnaître à un demandeur le droit d'exercer en Grèce la profession réglementée correspondante et il a été désigné, en vertu de l'article 9, paragraphe 1, de la directive 89-48, comme l'autorité compétente habilitée à recevoir les demandes et à prendre les décisions visées dans la directive 89-48.
20 L'article 11, paragraphe 6, du même décret dispose en outre que, lorsqu'une disposition législative nationale prévoit la tenue d'un registre des personnes habilitées à exercer une profession, la décision du Saeitte oblige l'organisation professionnelle ou l'autorité administrative qui contrôle le registre à procéder à l'enregistrement du demandeur.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
21 M. Peros, ressortissant grec, est titulaire d'un diplôme délivré en 1980 par la Fachhochschule Wiesbaden (Allemagne). Ce diplôme lui permet d'accéder à la profession d'ingénieur mécanicien en Allemagne ("Diplom-Ingenieur im Fachbereich Maschinenbau").
22 Souhaitant exercer cette profession en Grèce, M. Peros a introduit une demande d'attestation d'équivalence de son diplôme auprès du Dikatsa. Cette demande a été rejetée le 28 mai 1993, par décision nº 296 du Dikatsa, au motif que l'établissement d'enseignement qui avait délivré le titre étranger en cause n'avait pas un niveau d'enseignement équivalent à celui des établissements d'enseignement supérieur grecs.
23 Le 21 février 1995, M. Peros a soumis une demande au TEE visant à obtenir son inscription dans ses registres afin de pouvoir exercer la profession d'ingénieur mécanicien en Grèce et de bénéficier des autres avantages attachés à cet enregistrement. Cette demande, qui a été complétée par une demande ultérieure corrélative, déposée le 21 mars 1995, a été rejetée par la décision nº 6372, du 4 mai 1995, du TEE pour les motifs suivants:
"L'enregistrement au TEE a lieu dans les conditions prévues par [le décret TEE]. Pour les personnes ayant terminé leurs études à l'étranger, la condition essentielle est qu'elles aient accompli des études de cycle polytechnique et que leur titre soit équivalent à ceux délivrés par l'école nationale polytechnique metsovienne et les écoles polytechniques des établissements d'enseignement supérieur de Grèce. L'équivalence des titres d'études étrangers est délivrée par le [Dikatsa]. Conformément à ce qui précède, vous ne pouvez pas devenir membre du TEE et le titre que vous possédez (Fachhochschule) ne vous confère pas le droit d'être inscrit au TEE."
24 M. Peros a introduit un recours contre cette décision de rejet devant le Dioikitiko Protodikeio Rodou (tribunal administratif de première instance de Rhodes). Par décision nº 249-1998, cette juridiction a estimé que l'action du requérant était un recours en annulation relevant par conséquent de la compétence du Symvoulio tis Epikrateias, auquel il a renvoyé l'affaire.
25 Entre-temps, à la suite de la transposition de la directive 89-48 dans l'ordre juridique grec, le Saeitte a, par sa décision nº 4, du 5 décembre 2000, fait droit à la demande de M. Peros visant à la reconnaissance de son diplôme. Il lui a accordé le droit d'exercer en Grèce la profession d'ingénieur mécanicien sans lui imposer un stage d'adaptation ou une épreuve d'aptitude préalable. M. Peros a, par la suite, obtenu son inscription dans les registres du TEE.
26 Dans le litige au principal, une majorité au sein du Symvoulio tis Epikrateias estime que la décision de rejet du TEE, du 4 mai 1995, n'était pas légalement motivée. Selon cette majorité, le TEE aurait dû examiner la demande de M. Peros en recherchant si les conditions prévues par les dispositions inconditionnelles et suffisamment précises des articles 3, 4, paragraphe 1, sous a) et b), et paragraphe 2, ainsi que 6, paragraphes 1 à 4, de la directive 89-48 étaient réunies. Dans l'affirmative, le TEE aurait dû reconnaître au requérant au principal le droit d'exercer en Grèce la profession d'ingénieur mécanicien, en lui délivrant l'autorisation correspondante et en l'inscrivant dans son registre. Dans la négative, il aurait dû rejeter la demande par une décision motivée. En tout état de cause, à la lumière des dispositions de la directive 89-48, le TEE ne pouvait exiger une attestation d'équivalence, de la part du Dikatsa, du diplôme du requérant.
27 Toutefois, selon l'avis d'une minorité au sein du Symvoulio tis Epikrateias, le rejet de la demande d'enregistrement était justifié aux motifs, d'une part, que les dispositions pertinentes de la directive 89-48 ne pouvaient pas être invoquées par un particulier devant le TEE au moment où la demande litigieuse a été présentée et, d'autre part, parce que l'autorité compétente pour traiter des demandes n'avait pas encore été désignée en vertu de l'article 9, paragraphe 1, de cette directive.
28 Le Symvoulio tis Epikrateias se demande en outre si, dans la mesure où les dispositions de la directive 89-48 ne pouvaient pas être invoquées devant le TEE, ce dernier aurait été néanmoins obligé, en vertu des articles 48 et 52 du traité, de rechercher si le titre obtenu par le requérant en Allemagne était équivalent aux diplômes grecs.
29 Dans ces conditions, le Symvoulio tis Epikrateias a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Dans leur version initiale, les dispositions de l'article 3, de l'article 4, paragraphe 1, sous a) et b), et paragraphe 2, ainsi que de l'article 6, paragraphes 1 à 4, de la directive 89-48 [...], sont-elles inconditionnelles et suffisamment précises, de telle sorte que, entre la date d'expiration du délai de transposition de la directive et celle de sa transposition tardive dans l'ordre juridique interne (de l'État membre d'accueil), un particulier pouvait - sur la base d'un diplôme obtenu dans un autre État membre et relevant du champ d'application des dispositions précitées - se prévaloir desdites dispositions devant un organe administratif compétent en vertu de la législation nationale, pour obtenir de cet organe l'autorisation d'accéder à une profession réglementée et d'exercer cette profession dans l'État membre d'accueil ?
2) Dans l'hypothèse où, entre la date d'expiration du délai de transposition et celle de la transposition tardive dans l'ordre juridique national, un particulier ne pouvait se prévaloir des dispositions de la directive devant un organe administratif de l'État d'accueil chargé par la législation nationale de délivrer les autorisations d'exercer une profession à la suite d'examens ouverts aux candidats diplômés d'un établissement d'enseignement supérieur de l'État d'accueil ou titulaires d'un diplôme étranger reconnu comme équivalent (dans le cadre d'une procédure générale d'homologation aux caractéristiques semblables à celles qui sont décrites dans l'exposé des motifs de la présente demande de décision préjudicielle), l'organe administratif précité pouvait-il - eu égard aux [articles 48 et 52 du traité] [...] - subordonner l'autorisation d'accès à la profession en question et d'exercice de cette profession demandée au cours de la période susmentionnée par le titulaire d'un diplôme obtenu dans un autre État membre à la reconnaissance préalable, selon la procédure générale visée ci-dessus, de l'équivalence académique de ce diplôme ainsi qu'à la réussite aux examens prévus par la législation nationale, ou cet organe devait-il lui-même procéder à un examen comparatif des qualifications attestées par le diplôme en cause d'une part et des connaissances et qualifications exigées par la législation nationale d'autre part pour, en fonction des résultats de cet examen, accorder à l'intéressé une dispense partielle ou totale de l'obligation de participer à ces examens ?"
Sur la première question préjudicielle
30 L'article 3, premier alinéa, sous a), de la directive 89-48 dispose que l'autorité compétente de l'État membre d'accueil ne peut refuser à un ressortissant d'un État membre, pour défaut de qualification, d'accéder à une profession réglementée, ou de l'exercer dans les mêmes conditions que les nationaux, si le demandeur possède le diplôme qui est prescrit par un autre État membre pour accéder à cette même profession ou l'exercer sur son territoire et si ce diplôme a été obtenu dans un État membre.
31 M. Peros est titulaire d'un diplôme obtenu dans un État membre, en l'occurrence la République fédérale d'Allemagne. Ce diplôme lui permet d'exercer la profession réglementée d'ingénieur mécanicien dans cet État membre et sa situation relève donc du champ d'application de l'article 3, premier alinéa, sous a), de la directive 89-48. Il n'y a, par conséquent, pas lieu pour la Cour de se prononcer sur l'interprétation de l'article 3, premier alinéa, sous b), de cette même directive, qui est d'application seulement si la profession en cause n'est pas réglementée dans l'État membre d'origine.
32 En ce qui concerne l'article 3, premier alinéa, sous a), de la directive 89-48, la Cour a déjà jugé qu'il constitue une disposition dont le contenu est inconditionnel et suffisamment précis pour que les particuliers soient fondés à l'invoquer devant le juge national à l'encontre de l'État lorsque celui-ci s'est abstenu de transposer dans les délais la directive en droit national (arrêt du 29 avril 2004, Beuttenmüller, C-102-02, Rec. p. I-5405, point 55).
33 S'agissant de la possibilité de subordonner l'accès à une profession réglementée à la condition que le demandeur satisfasse préalablement à des mesures de compensation prévues à l'article 4 de la directive 89-48, il est constant que, dans l'affaire au principal, aucune mesure de compensation n'a été imposée à M. Peros par le Saeitte lors de l'examen de sa situation en 2000. De plus, aucun élément du dossier ne laisse entendre que les qualifications dont justifiait M. Peros lors du dépôt de sa demande initiale étaient différentes de celles examinées en 2000, de manière à influer sur la décision de lui permettre d'exercer sa profession en Grèce sans lui imposer des mesures de compensation.
34 En tout état de cause, il résulte de la jurisprudence qu'un État membre pourrait, en l'absence d'une transposition dans l'ordre juridique national, imposer des mesures de compensation, telles que visées à l'article 4, paragraphe 1, de la directive 89-48, seulement dans la mesure où elles sont prévues par la législation nationale en vigueur lors du traitement de la demande en question (voir, en ce sens, arrêts du 19 novembre 1991, Francovich e.a., C-6-90 et C-9-90, Rec. p. I-5357, point 21, et du 14 juillet 2005, Aslanidou, C-142-04, non encore publié au Recueil, points 35 à 37).
35 La Cour a en outre déjà jugé que, lorsque l'une ou l'autre des directives 89-48 et 92-51-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, relative à un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles, qui complète la directive 89-48 (JO L 209, p. 25), est applicable, un organisme public d'un État membre, tenu de respecter les normes prévues par la directive concernée, ne peut plus exiger l'homologation des titres d'un intéressé par les autorités nationales compétentes (arrêt du 8 juillet 1999, Fernández de Bobadilla, C-234-97, Rec. p. I-4773, point 27).
36 L'article 6 de la directive 89-48 ne fait qu'énumérer les documents relatifs à l'honorabilité, à la moralité, à l'absence de faillite ainsi qu'à la santé physique ou psychique qui peuvent être exigés à titre de preuves par l'autorité compétente et contient quelques dispositions quant aux formules de serment ou de déclaration solennelle qui peuvent être imposées aux ressortissants d'autres États membres. Étant donné que, dans l'affaire au principal, aucune de ces preuves ou déclarations n'a été exigée par l'autorité compétente de l'État membre d'accueil, la Cour n'est pas tenue de se prononcer sur l'interprétation de cette disposition, laquelle, en tout état de cause, ne pourrait influer sur la possibilité d'invoquer l'article 3, premier alinéa, sous a), de cette directive.
37 L'obligation pour les États membres de désigner, en vertu de l'article 9, paragraphe 1, de la directive 89-48, les autorités compétentes habilitées à recevoir les demandes et à prendre les décisions visées dans cette directive ne fait pas non plus obstacle à la possibilité d'invoquer l'article 3, premier alinéa, sous a), de cette même directive. En effet, il ressort de la lecture dudit article 9, paragraphe 1, à la lumière des autres paragraphes du même article, que l'objectif visé par cette disposition est de faciliter l'application du régime de reconnaissance des diplômes instauré par la directive 89-48 en rendant plus transparent le processus décisionnel applicable au sein d'un État membre. En revanche, une désignation en vertu de cet article 9, paragraphe 1, n'est pas nécessaire afin de pouvoir identifier les autorités compétentes visées audit article 3, qui sont les autorités contrôlant l'accès aux professions réglementées.
38 Il ressort de la jurisprudence qu'un État membre ne saurait opposer à un individu le défaut d'avoir pris les dispositions destinées, précisément, à faciliter l'application d'un régime établi par la directive en cause (voir en ce sens, notamment, arrêts du 10 septembre 2002, Kügler, C-141-00, Rec. p. I-6833, point 52, et du 6 novembre 2003, Dornier, C-45-01, Rec. p. I-12911, point 79). L'absence de désignation d'une autorité compétente en vertu de l'article 9, paragraphe 1, de la directive 89-48 ne fait donc pas obstacle à ce que l'article 3, premier alinéa, sous a), de cette directive soit invoqué à l'encontre de l'autorité en fait compétente pour réglementer l'accès à une profession déterminée en vertu de la législation nationale applicable.
39 Dans le litige au principal, l'accès à la profession d'ingénieur étant réservé aux membres du TEE, il apparaît que ce dernier est une autorité compétente au sens de l'article 3, premier alinéa, sous a), de la directive 89-48. Partant, il ne saurait refuser à une personne dans la position de M. Peros l'accès à la profession d'ingénieur en se fondant sur un défaut de qualification.
40 Il convient donc de répondre à la première question que, à défaut de mesures de transposition adoptées dans le délai prescrit à l'article 12 de la directive 89-48, un ressortissant d'un État membre peut se fonder sur l'article 3, premier alinéa, sous a), de cette directive pour obtenir, dans l'État membre d'accueil, l'autorisation d'exercer une profession réglementée telle que celle d'ingénieur mécanicien. Cette possibilité ne peut pas être subordonnée à l'homologation des titres de l'intéressé par les autorités nationales compétentes.
41 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n'y a pas lieu de répondre à la seconde.
Sur les dépens
42 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (quatrième chambre) dit pour droit:
À défaut de mesures de transposition adoptées dans le délai prescrit à l'article 12 de la directive 89-48-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans, dans sa version en vigueur jusqu'au 31 juillet 2001, un ressortissant d'un État membre peut se fonder sur l'article 3, premier alinéa, sous a), de cette directive pour obtenir, dans l'État membre d'accueil, l'autorisation d'exercer une profession réglementée telle que celle d'ingénieur mécanicien.
Cette possibilité ne peut pas être subordonnée à l'homologation des titres de l'intéressé par les autorités nationales compétentes.