CJCE, 5e ch., 11 janvier 2001, n° C-226/99
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Siples Srl
Défendeur :
Ministero delle Finanze, Servizio della Riscossione dei Tributi - Concessione Provincia di Genova - San Paolo Riscossioni Genova SpA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. La Pergola
Avocat général :
M. Ruiz-Jarabo Colomer
Juges :
MM. Wathelet, Edward, Jann, Sevón
Avocats :
Mes Massa, Braguglia
LA COUR (cinquième chambre),
1. Par ordonnance du 25 mai 1999, parvenue à la Cour le 11 juin suivant, le Tribunale civile e penale di Genova a, en vertu de l'article 234 CE, posé une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 244 du règlement (CEE) n° 2913-92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le Code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1, ci-après le "Code des douanes").
2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Siples Srl, en liquidation (ci-après "Siples"), au Ministero delle Finanze (ministère des Finances) et au Servizio della Riscossione dei Tributi - Concessione Provincia di Genova - San Paolo Riscossioni Genova SpA (concessionnaire du service de recouvrement des impôts de la province de Gênes) au sujet du recouvrement de droits de douane et de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la "TVA") perçue à l'importation.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3. Le titre VIII du Code des douanes, intitulé "Droit de recours", comprend les articles 243 à 245.
4. L'article 243 du Code des douanes dispose:
"1. Toute personne a le droit d'exercer un recours contre les décisions prises par les autorités douanières qui ont trait à l'application de la réglementation douanière et qui la concernent directement et individuellement.
A également le droit d'exercer un recours, la personne qui avait sollicité une décision relative à l'application de la réglementation douanière auprès des autorités douanières, mais qui n'a pas obtenu que celles-ci statuent sur cette demande dans le délai visé à l'article 6 paragraphe 2.
Le recours doit être introduit dans l'État membre où la décision a été prise ou sollicitée.
2. Le droit de recours peut être exercé:
a) dans une première phase, devant l'autorité douanière désignée à cet effet par les États membres;
b) dans une seconde phase, devant une instance indépendante qui peut être une autorité judiciaire ou un organe spécialisé équivalent, conformément aux dispositions en vigueur dans les États membres."
5. L'article 244 du Code des douanes prévoit:
"L'introduction d'un recours n'est pas suspensive de l'exécution de la décision contestée.
Toutefois, les autorités douanières sursoient en tout ou en partie à l'exécution de ladite décision lorsqu'elles ont des raisons fondées de douter de la conformité de la décision contestée à la réglementation douanière ou qu'un dommage irréparable est à craindre pour l'intéressé.
Lorsque la décision contestée a pour effet l'application de droits à l'importation ou de droits à l'exportation, le sursis à l'exécution de cette décision est subordonnée à l'existence ou à la constitution d'une garantie. Toutefois, cette garantie peut ne pas être exigée lorsqu'une telle exigence serait de nature, en raison de la situation du débiteur, à susciter de graves difficultés d'ordre économique ou social."
6. L'article 245 du Code des douanes dispose:
"Les dispositions relatives à la mise en œuvre de la procédure de recours sont arrêtées par les États membres."
La réglementation nationale
7. L'article 70 du décret du président de la République n° 633, du 26 octobre 1972, portant instauration et réglementation de la taxe sur la valeur ajoutée (GURI n° 292, du 11 novembre 1972, suppl. ord. n° 1, ci-après le "décret de 1972"), prévoit:
"L'impôt relatif aux importations est fixé, liquidé et perçu pour chaque opération. En ce qui concerne les litiges et les sanctions, les dispositions des lois douanières relatives aux droits perçus à la frontière sont applicables."
8. Le recouvrement forcé des impôts et autres recettes de l'État est régi par le décret du président de la République n° 43, du 28 janvier 1988 (GURI n° 49, du 29 février 1988, suppl. ord. n° 2). S'agissant du recouvrement des droits de douane, la compétence pour surseoir à la procédure d'exécution a été attribuée, par les articles 27 du décret législatif n° 105, du 26 avril 1990 (GURI n° 106, du 9 mai 1990, suppl. ord.), et 32 du décret du président de la République n° 287, du 27 mai 1992 (GURI n° 116, du 20 mai 1992, suppl. ord.), au Direttore compartimentale delle dogane.
9. Le droit national en vigueur à l'époque des faits ne donnait pas compétence aux juridictions ordinaires pour connaître des demandes de sursis à l'exécution aux fins du recouvrement.
Le litige au principal et la question préjudicielle
10. Le 16 septembre 1998, le concessionnaire du service de recouvrement des impôts de la province de Gênes a notifié à Siples un avis de recouvrement aux fins de la perception de la somme de 2 372 083 870 ITL, au titre de droits de douane et de la TVA perçue à l'importation, majorés des intérêts, concernant des opérations d'importation de champignons en provenance de Corée ayant eu lieu en 1993.
11. Siples a introduit une demande devant le Tribunale civile e penale di Genova visant à l'annulation de l'avis de recouvrement. Par acte séparé, elle a demandé à la même juridiction d'ordonner le sursis à l'exécution du recouvrement par voie d'avis jusqu'au prononcé de la décision judiciaire sur le fond.
12. Dans le cadre de cette dernière procédure, le Tribunale considère qu'une interprétation de l'article 244 du Code des douanes lui est nécessaire pour trancher le litige. Il relève à cet égard que l'article 70 du décret de 1972 renvoie, s'agissant des litiges et des sanctions en matière de TVA perçue à l'importation, aux dispositions des lois douanières relatives aux droits perçus à la frontière.
13. La juridiction de renvoi rappelle que, dans son arrêt du 17 juillet 1997, Giloy (C-130-95, Rec. p. I-4291), la Cour a interprété l'article 244 du Code des douanes en ce sens que les conditions prévues pour l'octroi d'un sursis à l'exécution de la décision contestée - à savoir, selon le Tribunale, l'existence de raisons fondées de douter de la conformité de ladite décision avec la réglementation communautaire et la crainte d'un préjudice grave pour l'intéressé - sont alternatives. Or, en l'espèce, un préjudice grave serait à craindre pour la requérante.
14. Considérant qu'il paraît illogique que le recours porté devant l'autorité judiciaire n'offre pas à la partie requérante la possibilité d'obtenir une mesure provisoire que l'autorité douanière peut en revanche consentir, le Tribunale civile e penale di Genova a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"Le pouvoir de surseoir à l'exécution de la décision attaquée, prévu par l'article 244 du Code des douanes communautaire, est-il conféré exclusivement à l'autorité douanière, ou également à l'autorité judiciaire devant laquelle un recours aurait été formé?"
Sur la question préjudicielle
15. À titre liminaire, il convient d'écarter l'argumentation du gouvernement italien, selon laquelle la Cour n'aurait pas compétence pour se prononcer sur la question au motif que le litige au principal se situe en dehors du champ d'application du droit communautaire. Il ressort en effet de l'ordonnance de renvoi que l'avis de recouvrement litigieux porte en partie sur des droits de douane, de sorte que le Code des douanes est directement applicable au litige au principal.
16. Quant au fond de la question préjudicielle, il ressort du libellé clair de l'article 244 du Code des douanes que cette disposition ne donne la faculté de surseoir à l'exécution de la décision attaquée qu'aux seules autorités douanières.
17. Toutefois, cette disposition ne saurait limiter le droit à une protection juridictionnelle effective. En effet, l'exigence d'un contrôle juridictionnel de toute décision d'une autorité nationale constitue un principe général de droit communautaire, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a trouvé sa consécration dans les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (arrêts du 15 octobre 1987, Heylens e.a., 222-86, Rec. p. 4097, point 14, et du 3 décembre 1992, Oleificio Borelli/Commission, C-97-91, Rec. p. I-6313, point 14).
18. Dans l'exercice de leur contrôle, il incombe aux juridictions nationales, par application du principe de coopération énoncé à l'article 5 du traité CE (devenu article 10 CE), d'assurer la protection juridique découlant pour les justiciables de l'effet direct des dispositions du droit communautaire (arrêt du 19 juin 1990, Factortame e.a., C-213-89, Rec. p. I-2433, point 19).
19. En ce qui concerne plus particulièrement la possibilité d'ordonner le sursis à l'exécution d'une décision d'une autorité douanière, il y a lieu de rappeler que le juge saisi d'un litige régi par le droit communautaire doit être en mesure d'accorder des mesures provisoires en vue de garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir sur l'existence des droits invoqués sur la base du droit communautaire (arrêt Factortame e.a., précité, point 21).
20. Il convient par conséquent de répondre à la question préjudicielle que l'article 244 du Code des douanes doit être interprété en ce sens qu'il n'attribue la faculté de surseoir à l'exécution d'une décision attaquée qu'aux seules autorités douanières. Toutefois, cette disposition ne limite pas le pouvoir dont disposent les autorités judiciaires saisies d'un recours en vertu de l'article 243 du même Code d'ordonner un tel sursis pour se conformer à leur obligation d'assurer la pleine efficacité du droit communautaire.
Sur les dépens
21. Les frais exposés par les gouvernements italien et suédois et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
statuant sur la question à elle soumise par le Tribunale civile e penale di Genova, par ordonnance du 25 mai 1999, dit pour droit:
L'article 244 du règlement (CEE) n° 2913-92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le Code des douanes communautaire, doit être interprété en ce sens qu'il n'attribue la faculté de surseoir à l'exécution d'une décision attaquée qu'aux seules autorités douanières. Toutefois, cette disposition ne limite pas le pouvoir dont disposent les autorités judiciaires saisies d'un recours en vertu de l'article 243 du même règlement d'ordonner un tel sursis pour se conformer à leur obligation d'assurer la pleine efficacité du droit communautaire.