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Décisions

CJCE, 14 mai 2002, n° C-2/00

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Michael Hölterhoff

Défendeur :

Ulrich Freiesleben

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jann

Présidents de chambre :

Mmes Macken, Colneric, M. von Bahr

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Gulmann, La Pergola, Puissochet, Wathelet, Skouris

Avocats :

Mes Samer, Keller, Alexander, Brinker, Berg

CJCE n° C-2/00

14 mai 2002

LA COUR,

1. Par ordonnance du 23 décembre 1999, parvenue à la Cour le 5 janvier 2000, l'Oberlandesgericht Düsseldorf a, en application de l'article 234 CE, posé une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la "directive").

2. Cette question a été posée dans le cadre d'un litige opposant M. Freiesleben, titulaire de deux marques enregistrées, à M. Hölterhoff, à propos de l'usage par ce dernier de ces marques à des fins descriptives dans la vie des affaires.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3. L'article 5, paragraphe 1, de la directive dispose:

"La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a) d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b) d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque."

La réglementation allemande

4. La directive a été transposée en Allemagne par le Gesetz über den Schutz von Marken und sonstigen Kennzeichen (loi sur la protection des marques et des autres signes distinctifs), du 25 octobre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 3082, ci-après la "loi allemande sur les marques"). L'article 14, paragraphe 2, de celle-ci reprend, en des termes presque identiques, les dispositions de l'article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive.

Le litige au principal et la question préjudicielle

5. M. Freiesleben est titulaire de deux marques, Spirit Sun et Context Cut, enregistrées en Allemagne et couvrant, respectivement, des "diamants destinés à être transformés en bijoux" et des "pierres précieuses destinées à être transformées en bijoux".

6. Les deux types de produits commercialisés sous ces marques se distinguent par des tailles particulières. La marque Spirit Sun est utilisée pour une taille ronde avec facettes rayonnant autour du centre et la marque Context Cut pour une taille carrée avec une croix effilée en diagonale.

7. M. Hölterhoff traite des pierres précieuses de toutes sortes, qu'il taille lui-même ou qu'il achète auprès d'autres opérateurs. Il commercialise aussi bien des pierres de sa propre fabrication que des produits acquis auprès de tiers.

8. Le 3 juillet 1997, dans le cadre de tractations commerciales, il a proposé à un orfèvre-joaillier d'acheter des pierres semi-précieuses et ornementales qu'il a désignées sous les appellations "Spirit Sun" et "Context Cut". Ce dernier a commandé à M. Hölterhoff deux pierres grenat "selon la taille Spirit Sun". Sur le bon de livraison et la facture relatifs à la vente desdites pierres, il n'a pas été fait référence aux marques Spirit Sun et Context Cut, les produits étant désignés comme des "rhodolites".

9. À la suite de cette vente, M. Freiesleben a introduit contre M. Hölterhoff, devant le Landgericht Düsseldorf (Allemagne), une action fondée sur l'article 14 de la loi allemande sur les marques, en invoquant une atteinte à ses marques enregistrées. Par jugement du 19 août 1998, ladite juridiction a fait droit à la demande dont elle était saisie. M. Hölterhoff a interjeté appel de ce jugement devant l'Oberlandesgericht Düsseldorf, tandis que M. Freiesleben a conclu au rejet de l'appel.

10. La juridiction de renvoi considère comme établi que, au cours des tractations commerciales du 3 juillet 1997, M. Hölterhoff n'a utilisé les désignations "Spirit Sun" et "Context Cut" qu'à la seule fin de décrire les qualités et, plus précisément, le type de taille des pierres précieuses offertes à la vente et que, partant, une telle désignation n'avait pas pour objet de suggérer que celles-ci provenaient de l'entreprise de M. Freiesleben.

11. Estimant que la solution du litige dépend de l'interprétation de l'article 5, paragraphe 1, de la directive, l'Oberlandesgericht Düsseldorf a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Y a-t-il également atteinte à la marque au sens de l'article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive sur les marques dans le cas où le défendeur révèle que le produit provient de sa propre fabrication et n'utilise la marque dont le demandeur est titulaire qu'à la seule fin de décrire les propriétés spécifiques du produit qu'il propose, si bien qu'il est tout à fait exclu que la marque utilisée soit interprétée comme se référant à l'entreprise de provenance des produits?"

12. La question d'interprétation soumise à la Cour concerne l'article 5, paragraphe 1, de la directive, qui permet au titulaire d'une marque d'interdire à tout tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d'un signe identique à la marque pour des produits identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée [article 5, paragraphe 1, sous a)] et d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits en cause, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion [article 5, paragraphe 1, sous b)].

13. La question posée demande en substance si, en application de l'article 5, paragraphe 1, de la directive, le titulaire de la marque peut faire interdire à un tiers l'usage de celle-ci dans une situation factuelle telle que celle décrite de manière précise par la juridiction de renvoi.

14. Il est constant que, dans une telle situation, l'usage de la marque est bien un usage qui a lieu dans la vie des affaires pour des produits identiques ou similaires à ceux pour lesquels cette marque a été enregistrée.

15. En conséquence, la question posée est celle de savoir si un usage de la marque tel que celui qui est en cause dans le litige au principal constitue l'un des usages violant le droit exclusif conféré au titulaire de cette marque mentionnés à l'article 5, paragraphe 1, de la directive.

16. À cet égard, il suffit de constater que, dans une situation telle que celle décrite par la juridiction de renvoi, l'usage de la marque ne porte atteinte à aucun des intérêts que vise à protéger ledit article 5, paragraphe 1. En effet, ces intérêts ne sont pas affectés par une situation dans laquelle:

- le tiers fait référence à la marque dans le cadre d'une tractation commerciale avec un client potentiel, qui est un professionnel de la joaillerie,

- la référence est faite à des fins purement descriptives, à savoir pour faire connaître les caractéristiques du produit offert à la vente au client potentiel, qui connaît celles des produits revêtus de la marque concernée,

- la référence à la marque ne peut pas être interprétée par le client potentiel comme indiquant la provenance du produit.

17. Dans ces conditions, sans qu'il soit nécessaire, dans le cadre de la présente affaire, de développer davantage ce que constitue l'usage d'une marque au sens de l'article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive, il y a lieu de répondre à la question posée que l'article 5, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que le titulaire d'une marque ne peut pas invoquer son droit exclusif lorsqu'un tiers, dans le cadre de tractations commerciales, révèle que le produit provient de sa propre fabrication et n'utilise la marque en cause qu'à la seule fin de décrire les propriétés spécifiques du produit qu'il propose, si bien qu'il est exclu que la marque utilisée soit interprétée comme se référant à l'entreprise de provenance dudit produit.

Sur les dépens

18. Les frais exposés par les gouvernements français et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur la question à elle soumise par l'Oberlandesgericht Düsseldorf, par ordonnance du 23 décembre 1999, dit pour droit:

L'article 5, paragraphe 1, de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que le titulaire d'une marque ne peut pas invoquer son droit exclusif lorsqu'un tiers, dans le cadre de tractations commerciales, révèle que le produit provient de sa propre fabrication et n'utilise la marque en cause qu'à la seule fin de décrire les propriétés spécifiques du produit qu'il propose, si bien qu'il est exclu que la marque utilisée soit interprétée comme se référant à l'entreprise de provenance dudit produit.