CJCE, 6e ch., 11 décembre 1997, n° C-246/96
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Magorrian, Cunningham
Défendeur :
Eastern Health and Social Services Board, Department of Health and Social Services
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schintgen
Avocat général :
M. Cosmas
Juges :
MM. Mancini, Kapteyn, Murray, Hirsch
Avocats :
Mes McCaffrey, Paines
LA COUR (sixième chambre),
1. Par décision du 9 juillet 1996, parvenue à la Cour le 17 juillet suivant, l'Office of the Industrial Tribunals and the Fair Employment Tribunal, Belfast, a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, plusieurs questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 119 du traité CE, ainsi que du protocole n° 2 relatif à cette même disposition, annexé au traité sur l'Union européenne.
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Mmes Magorrian et Cunningham à l'Eastern Health and Social Services Board et au Department of Health and Social Services au sujet de certaines prestations complémentaires dans le cadre d'un régime de pensions de vieillesse conventionnellement exclu.
Les dispositions nationales
3. En vertu de l'article 2, paragraphe 4, de l'Equal Pay Act (Northern Ireland) 1970 (loi sur l'égalité de rémunération pour l'Irlande du Nord, ci-après l'"EPA"), les actions tendant à l'égalité des rémunérations doivent être introduites dans les six mois suivant la fin de la période d'emploi. Le paragraphe 5 du même article prévoit que, dans les procédures engagées pour non-respect d'une clause d'égalité, une femme ne peut obtenir un paiement à titre d'arriérés de rémunération ou de dommages-intérêts pour une période remontant à plus de deux ans avant le début de la procédure.
4. Conformément à l'article 56 du Social Security Pensions (Northern Ireland) Order 1975 (arrêté sur les pensions de sécurité sociale pour l'Irlande du Nord), dans le cas d'un régime de retraite applicable à la fonction publique, le ministre, le service gouvernemental ainsi que la personne ou l'entité chargée de sa gestion sont tenus de prendre toute mesure possible pour mettre la réglementation en conformité avec l'exigence d'égalité d'accès.
5. L'article 12 des Occupational Pension Schemes (Equal Access to Membership) Regulations (Northern Ireland) 1976 n° 238 (règlements sur l'égalité d'accès à l'affiliation aux régimes professionnels de pensions pour l'Irlande du Nord, ci-après les "Occupational Pension Regulations"), qui modifie l'EPA, dispose que, dans les procédures concernant l'accès à l'affiliation aux régimes professionnels de pensions, le droit d'être admis au régime ne peut avoir d'effet pour une période antérieure à deux ans avant la date d'introduction du recours.
6. La troisième règle des Health and Personal Social Services (Superannuation) Regulations (Northern Ireland) 1984 (règlement portant régime de retraite du service de santé et des services sociaux personnels pour l'Irlande du Nord, ci-après les "Superannuation Regulations"), définit un "Mental Health Officer" (ci-après le "MHO") comme un agent à temps plein du personnel médical ou du cadre infirmier d'un hôpital affecté, en tout ou en partie, au traitement de personnes atteintes de troubles mentaux et qui consacre la totalité ou la quasi-totalité de son service au traitement de ces personnes.
7. En vertu du point 50(2) des Superannuation Regulations, lorsqu'une personne ayant atteint ou dépassé l'âge de 50 ans a travaillé en qualité de MHO pendant 20 années et continue de travailler en cette qualité, ses périodes de service ultérieures comptent double aux fins du calcul de sa pension et elle a droit à une pension de retraite à l'âge de 55 ans, au lieu de l'âge normal de 60 ans.
Le litige au principal
8. Mmes Magorrian et Cunningham étaient employées en qualité d'infirmières qualifiées dans le secteur de la santé mentale par un service de santé du secteur public chargé d'assurer la prestation de services médicaux et autres dans une région d'Irlande du Nord.
9. Elles ont commencé leur carrière en travaillant à temps plein sous le statut de MHO. Lorsque leurs charges familiales se sont accrues, elles ont toutes deux travaillé à temps partiel et ont, par conséquent, perdu ce statut. Chacune d'elles a néanmoins été nommée responsable de salle et a donc eu la charge d'encadrer des infirmiers à temps plein.
10. La différence entre le service à temps partiel et celui à temps plein était très réduite. En effet, à la suite d'une réorganisation du travail en 1981, les horaires des infirmiers à temps partiel ont été portés à 31 heures et 5 minutes par semaine, alors que les horaires à temps plein ont été simultanément ramenés de 40 heures à 37 heures et 30 minutes par semaine.
11. Les demanderesses au principal étaient toutes deux affiliées et cotisaient au Health and Personal Social Services Superannuation Scheme (régime de retraite du service de santé et des services sociaux personnels, ci-après le "Superannuation Scheme"), qui est un régime de pensions volontaire conventionnellement exclu auquel tant l'employeur que le travailleur cotisent. Depuis 1973, ce régime est ouvert aux travailleurs à temps partiel dont l'horaire atteint un nombre déterminé d'heures et, depuis 1991, tout le personnel à temps partiel peut s'y affilier, indépendamment du nombre d'heures accomplies. En vertu de ce régime, les affiliés reçoivent une somme forfaitaire au moment du départ à la retraite, puis des versements mensuels.
12. Le 18 octobre 1992, Mme Magorrian a pris sa retraite à l'âge de 59 ans et 355 jours, ayant accompli 9 ans et 111 jours de service à temps plein comme MHO entre 1951 et 1963, et l'équivalent de 11 ans et 25 jours sous le régime du temps partiel entre 1979 et 1992. Elle avait aussi travaillé à temps partiel entre 1969 et 1979, mais selon un horaire ne donnant pas accès au régime de retraite.
13. Mme Cunningham a, quant à elle, pris sa retraite en avril 1994 à l'âge de 56 ans et 80 jours, après avoir accompli 15 ans et 175 jours de service à temps plein comme MHO entre 1956 et 1974, et l'équivalent de 11 ans et 105 jours sous le régime du temps partiel entre 1980 et 1994. Elle avait aussi travaillé à temps partiel entre 1974 et 1980 selon un horaire ne donnant pas accès au régime de retraite et elle avait choisi de ne pas cotiser au régime de pensions pendant cette période.
14. Mme Magorrian a donc interrompu sa carrière entre le moment où elle travaillait à temps plein et celui où elle a commencé à travailler à temps partiel, tandis que Mme Cunningham est passée directement d'un emploi à temps plein à un emploi à temps partiel, sans interruption de carrière.
15. Lors de leur départ à la retraite, les demanderesses au principal ont reçu la somme forfaitaire à laquelle elles avaient droit ainsi que la pension de retraite de base, mais elles n'ont pas obtenu certaines prestations complémentaires auxquelles elles auraient pu prétendre conformément au point 50(2) des Superannuation Regulations si elles avaient eu le statut de MHO au moment de leur retraite. Il a été précisé lors de l'audience que, si les demanderesses au principal avaient bénéficié de ce statut, elles auraient obtenu les prestations complémentaires sans devoir payer de contributions supplémentaires.
16. Par requête du 22 septembre 1992, les demanderesses au principal ont saisi la juridiction nationale, en invoquant l'article 119 du traité pour bénéficier des prestations complémentaires sur la base de leur durée de service à compter du 8 avril 1976, date de l'arrêt Defrenne (43-75, Rec. p. 455), ou, subsidiairement, à compter du 13 mai 1986, date de l'arrêt Bilka (170-84, Rec. p. 1607). Elles soutiennent qu'il ne serait pas justifié de limiter le calcul de leur durée de service aux deux années fixées par l'EPA, ni au 17 mai 1990, date de l'arrêt Barber (C-262-88, Rec. p. 1889), car cela les priverait d'une protection juridique efficace.
17. Il ressort de la demande préjudicielle que toutes les parties reconnaissent que le versement de ces prestations au titre du régime professionnel de pensions des demanderesses constitue une "rémunération" au sens de l'article 119 du traité et de la directive 75-117-CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19). Il ressort également du dossier de l'affaire au principal que les intéressées ont toutes deux introduit leur recours avant de quitter leur emploi.
18. Dans son arrêt interlocutoire du 12 septembre 1995, la juridiction nationale a constaté que l'exclusion des infirmières psychiatriques travaillant à temps partiel du statut de MHO constituait une discrimination indirecte fondée sur le sexe, dans la mesure où une proportion sensiblement plus faible de femmes que d'hommes travaillant dans le secteur de la santé mentale en Irlande du Nord sont en mesure de satisfaire aux exigences imposées par le travail à temps plein. En outre, elle a constaté que cette discrimination n'était pas justifiée.
Les questions préjudicielles
19. Estimant que l'issue du litige dépendait de l'interprétation du droit communautaire, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
"Dans l'hypothèse où :
a) des travailleurs ont été employés par un Health Board, qui est un organismed'État, dans des fonctions qui concernent le traitement des malades mentaux et auxquelles un régime professionnel de pensions s'applique;
b) ces travailleurs ont toujours soit été affiliés à ce régime de pensions, soit été dans les conditions pour y être affiliés;
c) ce régime de pensions comporte une disposition en vertu de laquelle les personnes qui travaillent à temps plein et consacrent la totalité ou la quasi-totalité de leurs heures de travail au traitement des malades mentaux (ces personnes ont le statut de 'Mental Health Officer') ont droit à des prestations complémentaires dont ne bénéficient pas les personnes qui font le même travail à temps partiel; cette disposition est libellée comme suit :
Lorsqu'une personne a atteint ou dépassé l'âge de 50 ans, a travaillé en qualité de Mental Health Officer pendant 20 années (ci-après la 'durée de service donnant droit aux prestations complémentaires') et continue de travailler en cette qualité, alors
i) ses périodes de service ultérieures comptent double aux fins du calcul de sa pension (ci-après les 'périodes de service qui comptent double'); et
ii) elle a droit à une pension de retraite à l'âge de 55 ans, au lieu de l'âge normal de 60 ans;
d) le statut de Mental Health Officer et les prestations complémentaires qui y sont liées sont refusées à ces travailleurs, au seul motif qu'ils travaillaient à temps partiel;
e) la juridiction nationale a constaté que les dispositions décrites aux points c) et d) ci-dessus constituaient une discrimination fondée sur le sexe à l'égard des femmes travaillant à temps partiel dans le secteur du traitement des malades mentaux;
f) la pension de retraite que les travailleurs concernés perçoivent et les prestations complémentaires auxquelles ils prétendent ne leur sont payables qu'à partir de leurs départs respectifs à la retraite, en 1992 et 1994, après l'introduction de leurs recours devant la juridiction nationale; et
g) le calcul des prestations complémentaires à partir de leurs dates respectives de départ à la retraite, en 1992 et en 1994, impliquerait la comptabilisation de leurs années de service antérieures à 1992;
Quelle réponse y-a-t-il lieu de donner aux questions suivantes:
Question 1: A partir de quelle date les périodes de service de ces travailleurs doivent-elles être comptabilisées aux fins du calcul des prestations complémentaires auxquelles ils ont droit:
i) le 8 avril 1976
ii) le 17 mai 1990
iii) une autre date et, dans ce cas, laquelle ?
Question 2: Lorsque, en vertu de la législation nationale applicable, les effets du droit dans le temps, en cas de succès du recours, sont limités à une période dont le point de départ est situé deux ans avant la date d'introduction de ce même recours, cela revient-il à priver ces travailleurs de tout recours effectif au regard du droit communautaire, et l'Industrial Tribunal est-il tenu d'écarter une telle disposition de droit interne s'il estime nécessaire de le faire ?"
Sur la première question
20. Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir à partir de quelle date les périodes de service des travailleurs travaillant à temps partiel et victimes d'une discrimination indirecte fondée sur le sexe doivent être prises en compte aux fins du calcul des prestations complémentaires auxquelles ils ont droit.
21. A cet égard, il y a lieu de souligner d'abord qu'il n'est pas contesté que le versement de prestations complémentaires au titre d'un régime professionnel tel que celui visé dans l'espèce au principal entre, en principe, dans la notion de rémunération au sens de l'article 119 du traité.
22. Il y a lieu de rappeler ensuite, d'une part, que, dans l'arrêt Defrenne, précité, la Cour a dit pour droit que le principe de l'égalité de rémunération de l'article 119 est susceptible d'être invoqué devant les juridictions nationales et que celles-ci ont le devoir d'assurer la protection des droits que cette disposition confère aux justiciables. Toutefois, aux points 74 et 75 dudit arrêt, la Cour a également précisé que des considérations impérieuses de sécurité juridique tenant à l'ensemble des intérêts en jeu, tant publics que privés, impliquent que l'effet direct de l'article 119 ne peut être invoqué à l'appui de revendications relatives à des périodes de rémunération antérieures à la date dudit arrêt, à savoir le 8 avril 1976, sauf en ce qui concerne les travailleurs qui ont introduit antérieurement un recours en justice ou soulevé une réclamation équivalente.
23. D'autre part, dans l'arrêt Bilka, précité, points 20 et 22, la Cour a déjà reconnu que, dans la mesure où un régime de pensions, bien qu'adopté en conformité avec les dispositions prévues par la législation nationale, trouve son origine dans un accord avec les travailleurs ou leurs représentants et dans la mesure où les pouvoirs publics n'interviennent pas dans son financement, un tel régime ne constitue pas un régime de sécurité sociale directement réglé par la loi et soustrait, de ce fait, au champ d'application de l'article 119, et que les prestations servies aux employés en vertu d'un tel régime constituent un avantage payé par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier, au sens de l'article 119, deuxième alinéa.
24. Même si ces principes ont été confirmés par l'arrêt Barber à propos des régimes de pensions professionnels "conventionnellement exclus", la Cour a également précisé aux points 44 et 45 dudit arrêt que, pour des considérations impérieuses de sécurité juridique, l'effet direct de l'article 119 du traité ne peut être invoqué pour demander l'ouverture, avec effet à une date antérieure au prononcé dudit arrêt, d'un droit à pension, exception faite pour les personnes qui auraient pris en temps utile des initiatives en vue de sauvegarder leurs droits.
25. Ainsi que la Cour l'a précisé dans l'arrêt du 6 octobre 1993, Ten Oever (C-109-91, Rec. p. I-4879, points 19 et 20), en vertu de l'arrêt Barber, précité, l'effet direct de l'article 119 du traité ne peut être invoqué, afin d'exiger l'égalité de traitement en matière de pensions professionnelles, que pour les prestations dues au titre de périodes d'emploi postérieures au 17 mai 1990, date dudit arrêt, sous réserve de l'exception prévue en faveur des travailleurs ou de leurs ayants droit qui ont, avant cette date, engagé une action en justice ou introduit une réclamation équivalente selon le droit national applicable.
26. Cette limitation figure également dans le protocole n° 2 annexé au traité sur l'Union européenne, qui prévoit que, "Aux fins de l'application de l'article 119, des prestations en vertu d'un régime professionnel de sécurité sociale ne seront pas considérées comme rémunération si et dans la mesure où elles peuvent être attribuées aux périodes d'emploi antérieures au 17 mai 1990, exception faite pour les travailleurs ou leurs ayants droit qui ont, avant cette date, engagé une action en justice ou introduit une réclamation équivalente selon le droit national applicable".
27. Toutefois, dans les arrêts du 28 septembre 1994, Vroege (C-57-93, Rec. p. I-4541, points 20 à 27), et Fisscher (C-128-93, Rec. p. I-4583, points 17 à 24), la Cour a considéré que la limitation des effets dans le temps de l'arrêt Barber ne concernait que les types de discriminations que, en raison des exceptions transitoires prévues par le droit communautaire susceptible d'être appliqué en matière de pensions professionnelles, les employeurs et les régimes de pensions ont pu raisonnablement considérer comme tolérées (arrêt du 24 octobre 1996, Dietz, C-435-93, Rec. p. I-5223, point 19).
28. En ce qui concerne le droit à l'affiliation aux régimes professionnels, elle a également constaté qu'aucun élément ne permettrait d'estimer que les milieux professionnels concernés avaient pu se méprendre quant à l'applicabilité de l'article 119.
29. En effet, depuis l'arrêt Bilka, précité, il est évident qu'une discrimination fondée sur le sexe dans la reconnaissance dudit droit enfreint l'article 119 (arrêts précités Vroege, point 29; Fisscher, point 26, et Dietz, point 20).
30. Dès lors, puisque l'arrêt Bilka n'a prévu aucune limitation dans le temps, l'effet direct de l'article 119 peut être invoqué afin d'exiger rétroactivement l'égalité de traitement quant au droit à l'affiliation à un régime professionnel de pensions, et ce depuis le 8 avril 1976, date de l'arrêt Defrenne, précité, qui a reconnu pour la première fois l'effet direct dudit article (arrêt Dietz, précité, point 21).
31. Selon le Gouvernement du Royaume-Uni, l'affaire au principal porte sur le montant d'une pension de retraite servie au titre d'un régime professionnel de sécurité sociale et non sur le droit d'affiliation à un tel régime. Par conséquent, l'article 119 n'interviendrait que pour modifier l'ampleur des prestations auxquelles a droit une personne se trouvant dans la situation des demanderesses au principal et seules les périodes postérieures au 17 mai 1990 pourraient être prises en compte pour ce calcul.
32. S'agissant du droit de percevoir des prestations complémentaires à une pension de retraite au titre d'un régime professionnel tel que celui dont il s'agit dans l'affaire au principal, il y a lieu de relever que, même si les intéressées ont toujours eu droit à une pension de retraite dans le cadre du Superannuation Scheme, il n'en reste pas moins qu'elles n'ont été que partiellement admises à cotiser audit régime. En effet, du seul fait qu'elles ont travaillé à temps partiel, elles ont été spécifiquement exclues du statut de MHO qui permet d'accéder à un régime spécifique dans le cadre du Superannuation Scheme.
33. A cet égard, il suffit de rappeler que, au point 23 de l'arrêt Dietz, précité, la Cour a déjà précisé que l'affiliation à un régime serait dépourvue de tout intérêt pour le travailleur si elle ne lui conférait pas un droit à la perception des prestations fournies par le régime en question. Dans une situation telle que celle visée dans ledit litige, elle a considéré que le droit de percevoir une pension de retraite au titre d'un régime professionnel est indissolublement lié au droit à l'affiliation à un tel régime.
34. Il en va de même lorsque la discrimination subie par les travailleurs travaillant à temps partiel est la conséquence d'une discrimination relative à l'accès à un régime spécifique qui donne droit à des prestations complémentaires.
35. Eu égard à ces considérations, il y a lieu de répondre à la première question que les périodes de service des travailleurs travaillant à temps partiel et victimes d'une discrimination indirecte fondée sur le sexe doivent être prises en compte à partir du 8 avril 1976, date de l'arrêt Defrenne, précité, aux fins du calcul des prestations complémentaires auxquelles ils ont droit.
Sur la seconde question
36. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi se demande en substance si le droit communautaire s'oppose à l'application à une demande fondée sur l'article 119 du traité d'une règle nationale selon laquelle les effets du droit dans le temps, en cas de succès du recours, sont limités à une période dont le point de départ est situé deux ans avant la date d'introduction de ce même recours.
37. A cet égard, il convient d'abord de rappeler que, selon une jurisprudence constante, en l'absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent del'effet direct du droit communautaire, à condition toutefois que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des réclamations semblables de nature interne et qu'elles ne soient pas aménagées de manière à rendre en pratique impossible l'exercice des droits reconnus par l'ordre juridique communautaire (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1976, Rewe, 33-76, Rec. p. 1989, points 5 et 6; Comet, 45-76, Rec. p. 2043, point 13; Fisscher, précité, point 39, et du 6 décembre 1994, Johnson, C-410-92, Rec. p. I-5483, point 21).
38. Selon les demanderesses au principal, rien dans l'arrêt Fisscher, précité, ne justifie que soit imposée une limitation aux prestations pouvant leur être octroyées, au moins pour la période postérieure à 1976. En fait, il semblerait peu utile de décider que des personnes se trouvant dans leur situation ont le droit d'être affiliées à un régime professionnel de sécurité sociale mais que les prestations qui découlent de cette affiliation ne peuvent être calculées que par référence aux services effectués par ces personnes à partir de 1990.
39. Lors de l'audience, la Commission a soutenu que l'article 12 des Occupational Pension Regulations empêche effectivement les demanderesses au principal de faire valoir leurs droits au titre de l'article 119 du traité et que, en conséquence, l'application de cette règle est contraire au principe de la protection juridique.
40. En revanche, le Gouvernement du Royaume-Uni soutient qu'une règle nationale restrictive du type de celle en cause en l'espèce au principal a pour effet de limiter la portée d'une revendication rétroactive portant sur une période antérieure à l'introduction de l'action et qu'elle est donc comparable à celle en cause dans l'arrêt Johnson, précité.
41. A cet égard, il y a lieu de constater que l'application d'une règle de procédure telle que l'article 12 des Occupational Pension Regulations, selon laquelle, dans les procédures concernant l'accès à l'affiliation aux régimes professionnels de pensions, le droit d'être admis à un régime ne peut avoir d'effet pour une période antérieure à deux ans avant la date d'introduction du recours, est de nature à priver les demanderesses au principal du bénéfice des prestations complémentaires découlant du régime auquel elles ont le droit d'être affiliées, puisque lesdites prestations ne pourraient être calculées que par référence aux services effectués par elles à partir de 1990, à savoir deux ans avant l'introduction de leurs demandes.
42. Cependant, il convient de relever que, dans un tel cas, la demande ne vise pas à obtenir certaines prestations complémentaires avec effet rétroactif, mais tend à faire reconnaître le droit des intéressées à s'affilier pleinement à un régime professionnel en accédant au statut de MHO qui donne droit à des prestations complémentaires.
43. Ainsi, tandis que les règles litigieuses dans les arrêts du 27 octobre 1993, Steenhorst-Neerings (C-338-91, Rec. p. I-5475), et Johnson, précité, se bornaient à limiter la période, préalable à l'introduction de la demande, pour laquelle des arriérés de prestations pouvaient être obtenus, la règle litigieuse dans l'affaire au principal empêche la prise en compte de tous les états de service des intéressées depuis le 8 avril 1976 jusqu'à 1990 aux fins du calcul des prestations complémentaires qui seraient dues même après la date de la demande.
44. En conséquence, à la différence des règles en cause dans les arrêts précités, qui se bornaient à limiter, dans l'intérêt de la sécurité juridique, la portée rétroactive d'une demande visant à obtenir certaines prestations et ne portaient donc pas atteinte à l'essence même des droits conférés par l'ordre juridique communautaire, une règle telle que celle qui fait l'objet de l'affaire au principal rend l'action des justiciables qui invoquent le droit communautaire pratiquement impossible.
45. Par ailleurs, il y a lieu de souligner que cette dernière règle nationale revient à limiter dans le temps l'effet direct de l'article 119 du traité dans des cas où une telle limitation n'a été prévue ni par la jurisprudence de la Cour ni par le protocole n° 2 annexé au traité sur l'Union européenne.
46. Enfin, l'argument du Gouvernement du Royaume-Uni selon lequel la fonction d'une limitation dans le temps est de contribuer à la sécurité juridique en encourageant les demandeurs à faire preuve de diligence n'est pas de nature à infirmer cette conclusion. Il suffit à cet égard de relever que les règles nationales en question s'appliquent même à des personnes qui, comme Mmes Magorrian et Cunningham, ont introduit leurs recours avant de quitter leur emploi et d'être admises à bénéficier du régime professionnel de pensions de vieillesse en cause.
47. Dès lors, il convient de répondre à la seconde question que le droit communautaire s'oppose à l'application à une demande fondée sur l'article 119 du traité et visant à faire reconnaître le droit des demandeurs de s'affilier à un régime professionnel de pensions d'une règle nationale selon laquelle les effets du droit dans le temps, en cas de succès du recours, sont limités à une période dont le point de départ est situé deux ans avant la date d'introduction de ce même recours.
Sur les dépens
48. Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par l'Office of the Industrial Tribunals and the Fair Employment Tribunal, Belfast, par décision du 9 juillet 1996, dit pour droit:
1) Les périodes de service des travailleurs travaillant à temps partiel et victimes d'une discrimination indirecte fondée sur le sexe doivent être prises en compte à partir du 8 avril 1976, date de l'arrêt Defrenne (43-75), aux fins du calcul des prestations complémentaires auxquelles ils ont droit.
2) Le droit communautaire s'oppose à l'application à une demande fondée sur l'article 119 du traité CE et visant à faire reconnaître le droit des demandeurs de s'affilier à un régime professionnel de pensions d'une règle nationale selon laquelle les effets du droit dans le temps, en cas de succès du recours, sont limités à une période dont le point de départ est situé deux ans avant la date d'introduction de ce même recours.