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Décisions

CJCE, gr. ch., 11 mars 2003, n° C-40/01

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

Question préjudicielle

PARTIES

Demandeur :

Ansul BV

Défendeur :

Ajax Brandbeveiliging BV

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Puissochet, Wathelet, Timmermans

Avocat général :

M. Ruiz-Jarabo Colomer

Juges :

MM. Gulmann, La Pergola, Jann, Skouris, von Bahr, Mmes Macken, Colneric

Avocats :

Mes Louwers, Cohen Jehoram, Ranitz

CJCE n° C-40/01

10 mars 2003

LA COUR,

1. Par arrêt du 26 janvier 2001, parvenu à la Cour le 31 janvier suivant, le Hoge Raad der Nederlanden a posé, en application de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 12, paragraphe 1, de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la "directive").

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant les sociétés de droit néerlandais Ansul BV (ci-après "Ansul") et Ajax Brandbeveiliging BV (ci-après "Ajax") à propos de l'usage de la marque Minimax pour des produits et des services qu'elles commercialisent.

Le cadre juridique

Le droit communautaire

3. L'article 10, paragraphes 1 à 3, de la directive dispose:

"1. Si, dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la procédure d'enregistrement est terminée, la marque n'a pas fait l'objet par le titulaire d'un usage sérieux dans l'État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque est soumise aux sanctions prévues dans la présente directive, sauf juste motif pour le non-usage.

2. Sont également considérés comme usage aux fins du paragraphe 1:

a) l'usage de la marque sous une forme qui diffère par des éléments n'altérant pas son caractère distinctif dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée;

b) l'apposition de la marque sur les produits ou sur leur conditionnement dans l'État membre concerné dans le seul but de l'exportation.

3. L'usage de la marque avec le consentement du titulaire ou par toute personne habilitée à utiliser une marque collective ou une marque de garantie ou de certification est considéré comme usage fait par le titulaire."

4. Aux termes de l'article 12, paragraphe 1, de la directive:

"Le titulaire d'une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n'a pas fait l'objet d'un usage sérieux dans l'État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu'il n'existe pas de justes motifs pour le non-usage; toutefois, nul ne peut faire valoir que le titulaire d'une marque est déchu de ses droits si, entre l'expiration de cette période et la présentation de la demande en déchéance, la marque a fait l'objet d'un commencement ou d'une reprise d'usage sérieux; cependant, le commencement ou la reprise d'usage qui a lieu dans un délai de trois mois avant la présentation de la demande de déchéance, ce délai commençant à courir au plus tôt à l'expiration de la période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n'est pas pris en considération lorsque les préparatifs pour le commencement ou la reprise de l'usage interviennent seulement après que le titulaire a appris que la demande de déchéance pourrait être présentée."

La législation interne

5. L'article 5, paragraphe 3, de la loi uniforme Benelux sur les marques, du 19 mars 1962, entrée en vigueur le 1er janvier 1971 (Bulletin Benelux, 1962-2, p. 59, ci-après la "LBM"), était libellé comme suit dans sa version applicable jusqu'au 31 décembre 1995:

"Le droit à la marque s'éteint:

[...]

3. dans la mesure où il n'y a eu, sans juste motif, aucun usage normal de la marque sur le territoire Benelux, ni par le titulaire, ni par un licencié, soit dans les trois années qui suivent le dépôt, soit pendant une période ininterrompue de cinq années; en cas de litige, le tribunal peut mettre, en tout ou partie, le fardeau de la preuve de l'usage à charge du titulaire de la marque; toutefois, le non-usage à une époque précédant l'assignation de plus de six années doit être prouvé par celui qui s'en réclame.

[...]"

6. Dans sa version applicable à compter du 1er janvier 1996, issue du protocole signé le 2 décembre 1992 (Nederlands Traktatenblad 1993, n° 12, p. 1), lequel était destiné à assurer la transposition de la directive, la LBM dispose, en son article 5, paragraphes 2 et 3:

"2. Le droit à la marque est déclaré éteint dans les limites fixées à l'article 14, C:

a) dans la mesure où il n'y a eu, sans juste motif, aucun usage normal de la marque sur le territoire Benelux pour les produits pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq années; en cas de litige, le tribunal peut mettre, en tout ou en partie, le fardeau de la preuve de l'usage à charge du titulaire de la marque;

[...]

3. Pour l'application du deuxième [paragraphe], sous a), on entend également par usage de la marque:

a) l'usage de la marque sous une forme qui diffère par des éléments n'altérant pas son caractère distinctif dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée;

b) l'apposition de la marque sur les produits ou sur leur conditionnement dans le seul but de l'exportation;

c) l'usage de la marque par un tiers avec le consentement du titulaire de la marque."

7. L'article 14, C, de la LBM définit les conditions dans lesquelles la déclaration de la déchéance de l'enregistrement d'une marque peut être demandée aux juridictions nationales compétentes.

8. Les dispositions de la LBM mentionnées aux points 5 à 7 du présent arrêt s'appliquent mutatis mutandis, en vertu de l'article 39 de ce texte, aux marques désignant des services.

Le litige au principal

9. Depuis le 15 septembre 1971, Ansul est titulaire de la marque verbale Minimax, enregistrée auprès du bureau Benelux des marques sous le n° 052713 pour diverses classes de produits, à savoir essentiellement des extincteurs et des produits connexes.

10. En 1988, l'agrément des extincteurs commercialisés par Ansul sous la marque Minimax est venu à expiration. Depuis le 2 mai 1989 au plus tard, Ansul ne commercialise donc plus d'extincteurs sous cette marque.

11. De mai 1989 à 1994, Ansul a cependant vendu des pièces détachées et des substances extinctrices pour des extincteurs de cette marque à des entreprises chargées d'entretenir ceux-ci. Elle a également, durant la même période, entretenu, révisé et réparé elle-même des appareils portant la marque Minimax, fait figurer ladite marque sur les factures afférentes à ces prestations et apposé sur lesdits appareils des étiquettes autocollantes portant la même marque, ainsi que des bandelettes où apparaissaient les mots "Gebruiksklaar Minimax" (prêt à l'emploi Minimax). Ansul a, par ailleurs, vendu de telles étiquettes autocollantes et bandelettes aux entreprises d'entretien d'extincteurs.

12. Ajax est une filiale de la société de droit allemand Minimax GmbH. Elle commercialise aux Pays-Bas des matériels de protection contre le feu et des articles apparentés, notamment des extincteurs, qui proviennent de Minimax GmbH.

13. En Allemagne, Minimax GmbH est titulaire depuis plus de 50 ans de la marque Minimax. Depuis le 16 mars 1992, elle est également titulaire au Benelux de la marque verbale et figurative enregistrée sous le n° 517006 et composée du mot "Minimax", dessiné et agencé d'une certaine manière, pour divers produits, en particulier des extincteurs et des substances extinctrices, ainsi que pour certains services, notamment l'installation, la réparation, l'entretien et le remplissage d'extincteurs.

14. En 1994, Ajax et Minimax GmbH ont effectivement commencé à utiliser la marque Minimax au Benelux. Ansul s'y est opposée, par une lettre du 19 janvier 1994.

15. Le 13 juin 1994, Ansul a déposé la marque verbale Minimax pour certains services, notamment des services d'entretien et de réparation d'extincteurs. Cette marque a été enregistrée par le bureau Benelux des marques sous le n° 549146.

16. Ajax a assigné Ansul devant l'Arrondissementsrechtbank te Rotterdam (Pays-Bas), le 8 février 1995, en vue d'obtenir, d'une part, la déchéance des droits d'Ansul relatifs à la marque Minimax enregistrée en 1971 sous le n° 052713, pour cause de non-usage, et, d'autre part, l'annulation de l'enregistrement de la même marque, effectué en 1994 sous le n° 549146, au motif que celle-ci aurait été déposée de mauvaise foi. Ansul a contesté ces prétentions et formé une demande reconventionnelle tendant à l'interdiction de l'usage de la marque Minimax par Ajax sur le territoire du Benelux.

17. Par jugement du 18 avril 1996, l'Arrondissementsrechtbank te Rotterdam a rejeté la demande d'Ajax et fait droit aux conclusions reconventionnelles d'Ansul. Ajax s'est ainsi vu interdire l'usage de la marque Minimax au Benelux.

18. Ajax a interjeté appel de ce jugement devant le Gerechtshof te 's-Gravenhage (Pays-Bas). Celui-ci a considéré qu'Ansul n'avait plus fait un usage normal de la marque Minimax depuis 1989. Il a notamment considéré que, depuis lors, Ansul n'avait plus mis de nouveaux produits sur le marché mais avait seulement entretenu, révisé et réparé des appareils usagés. Il a indiqué que l'utilisation d'étiquettes autocollantes et de bandelettes portant cette marque ne pouvait permettre de distinguer les extincteurs et que, à supposer même qu'elle soit regardée comme un usage de la marque, une telle utilisation, dès lors qu'elle ne visait pas à créer ou à conserver un débouché pour les extincteurs, ne pouvait constituer un usage normal de la marque, au sens de l'article 5, paragraphe 3, de la LBM.

19. En conséquence, par un arrêt du 5 novembre 1998, le Gerechtshof a réformé le jugement contesté en prononçant la déchéance des droits d'Ansul à la marque enregistrée en 1971 sous le n° 052713 ainsi que l'annulation des droits d'Ansul à la marque enregistrée en 1994 sous le n° 549146 et en ordonnant la radiation de ces enregistrements.

20. Ansul s'est pourvue en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden. Celui-ci a considéré que l'issue du litige au principal dépendait de l'interprétation de la notion d'"usage normal" de la marque au sens de l'article 5, paragraphe 3, de la LBM.

21. Le Hoge Raad a, d'une part, indiqué qu'une marque faisait l'objet d'un usage normal, au sens de la LBM, lorsque "le signe en cause est effectivement utilisé dans la vie des affaires pour distinguer les produits ou services d'une entreprise". Il a relevé à cet égard que l'appréciation du caractère normal de l'usage de la marque exigeait la prise en compte "de tous les faits et circonstances propres à la cause" et qu'il devait se dégager de l'ensemble de ces faits et circonstances que, "compte tenu de ce qui passe pour usuel et commercialement justifié dans le secteur des affaires envisagé, l'usage a pour objet de créer ou de conserver un débouché pour les produits et services marqués et qu'il ne vise pas au seul maintien du droit à la marque". Le Hoge Raad a ajouté, en se référant à l'arrêt de la Cour de justice Benelux du 27 janvier 1981, Turmac/Reynolds (A 80/1, Jur. 1980-81, p. 23), qu'"il faut en principe, en ce qui concerne ces faits et circonstances, prendre en considération la nature, l'étendue, la fréquence, la régularité ainsi que la durée de l'usage en relation avec la nature du produit ou du service de même qu'avec la nature et la dimension de l'entreprise".

22. Le Hoge Raad der Nederlanden a, d'autre part, considéré que l'interprétation de l'article 5, paragraphe 3, de la LBM devait s'accorder avec celle de la notion correspondante d'"usage sérieux" qui figure à l'article 12, paragraphe 1, de la directive. Il a, en conséquence, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Les termes usage sérieux utilisés à l'article 12, paragraphe 1, de la directive 89-104 doivent-ils se voir donner la signification spécifiée au point 3.4 ci-dessus [, à savoir celle, exposée au point 21 du présent arrêt de la Cour, de l'usage normal d'une marque au sens de la LBM,] et, dans la négative, à l'aide de quel (autre) critère y a-t-il lieu de déterminer la signification des termes usage normal?

2) Le fait de ne pas mettre en vente de nouveaux produits mais de mener d'autres activités, telles que décrites ci-devant au point 3.1, sous v) et vi), [à savoir celles exercées par Ansul de 1989 à 1994 qui sont décrites au point 11 du présent arrêt de la Cour,] sous la marque en question constitue-t-il un usage normal tel que visé ci-dessus?"

Sur la première question

23. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, comment doit être interprétée la notion d'usage sérieux de la marque au sens de l'article 12, paragraphe 1, de la directive, qui figure également à l'article 10, paragraphe 1, de celle-ci, et notamment si cette notion peut être définie à partir des mêmes critères que celle d'"usage normal" de la marque visée à l'article 5 de la LBM ou si d'autres critères doivent être pris en considération.

24. Cette question trouve son origine dans la circonstance, mentionnée au point 3.5 de l'arrêt de renvoi, que le Gerechtshof te 's-Gravenhage, pour conclure à l'absence d'usage normal de la marque Minimax par Ansul, a considéré comme déterminant le fait que, sous ladite marque, cette entreprise n'avait pas mis de nouveaux extincteurs sur le marché mais révisait des appareils usagés, déjà commercialisés. Or, Ansul fait valoir devant la juridiction de renvoi qu'un tel élément n'est pas pertinent pour apprécier le caractère normal de l'usage d'une marque, au sens de la LBM.

25. Il convient, à titre liminaire, d'apprécier si, au regard de situations comme celle du litige au principal, la notion d'"usage sérieux" de la marque visée aux articles 10 et 12 de la directive doit recevoir une interprétation uniforme dans l'ordre juridique communautaire.

26. Il découle tant des exigences de l'application uniforme du droit communautaire que du principe d'égalité que les termes d'une disposition du droit communautaire qui ne comportent aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute la Communauté, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l'objectif poursuivi par la réglementation en cause (arrêt du 19 septembre 2000, Linster, C-287-98, Rec. p. I-6917, point 43).

27. S'il est vrai que, selon le troisième considérant de la directive, "il n'apparaît pas nécessaire actuellement de procéder à un rapprochement total des législations des États membres en matière de marques", il n'en reste pas moins que la directive contient une harmonisation relative à des règles de fond centrales en la matière, à savoir, selon ce même considérant, des règles relatives aux dispositions nationales ayant l'incidence la plus directe sur le fonctionnement du marché intérieur, et que ce considérant n'exclut pas que l'harmonisation relative à ces règles soit complète (arrêt du 16 juillet 1998, Silhouette International Schmied, C-355-96, Rec. p. I-4799, point 23).

28. Ainsi, il ressort du septième considérant de la directive que "la réalisation des objectifs poursuivis par le rapprochement [des législations des États membres] suppose que l'acquisition et la conservation du droit sur la marque enregistrée soient en principe subordonnées, dans tous les États membres, aux mêmes conditions". Le huitième considérant de la directive énonce que, "pour réduire le nombre total des marques enregistrées et protégées dans la Communauté et, partant, le nombre de conflits qui surgissent entre elles, il importe d'exiger que les marques enregistrées soient effectivement utilisées sous peine de déchéance". Le neuvième considérant de la directive indique encore qu'"il est fondamental, pour faciliter la libre circulation des produits et la libre prestation des services, de faire en sorte que les marques enregistrées jouissent désormais de la même protection dans la législation de tous les États membres". Les articles 10 à 15 de la directive prévoient les conditions de fond auxquelles sont subordonnés tant le maintien des droits conférés par l'usage de la marque à son titulaire que la contestation dont ces droits peuvent faire l'objet, notamment pour défaut d'usage sérieux, notion qui constitue l'élément déterminant du maintien des droits à la marque.

29. Il résulte de l'ensemble des dispositions mentionnées au point précédent que le législateur communautaire a entendu soumettre le maintien des droits à la marque à la même condition d'usage sérieux dans tous les États membres, de sorte que le niveau de protection garanti à la marque ne varie pas en fonction de la loi concernée (voir, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2001, Zino Davidoff et Levi Strauss, C-414-99 à C-416-99, Rec. p. I-8691, points 41 et 42).

30. La même notion d'"usage sérieux" est d'ailleurs utilisée par le règlement (CE) n° 40-94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), à ses articles 15 et 50, comme critère de déchéance des droits conférés par cette marque.

31. Il appartient donc à la Cour de donner de la notion d'"usage sérieux", telle que visée aux articles 10 et 12 de la directive, une interprétation uniforme.

32. Pour définir cette notion d'"usage sérieux", il convient, tout d'abord, de rappeler, ainsi que le fait le douzième considérant de la directive, que "tous les États membres de la Communauté sont liés par la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle [et] qu'il est nécessaire que les dispositions de la présente directive soient en harmonie complète avec celles de la convention de Paris".

33. Or, aux termes de son article 5, C, paragraphe 1, cette convention se borne à stipuler, au sujet de la déchéance pour défaut d'usage, ce qui suit:

"Si, dans un pays, l'utilisation de la marque enregistrée est obligatoire, l'enregistrement ne pourra être annulé qu'après un délai équitable et si l'intéressé ne justifie pas des causes de son inaction."

34. Les stipulations de la convention de Paris ne contiennent ainsi aucun élément pertinent permettant de préciser la notion d'"usage sérieux", dont la portée ne peut donc résulter que de l'analyse des dispositions mêmes de la directive.

35. Ensuite, ainsi que le fait valoir Ansul, la directive précise, à son huitième considérant, que les marques doivent être "effectivement utilisées sous peine de déchéance". L'"usage sérieux" est donc un usage effectif de la marque. Cette analyse est confirmée, notamment, par la version néerlandaise de la directive qui, à son huitième considérant, emploie les termes "werkelijk wordt gebruikt", ainsi que par d'autres versions linguistiques, telles que les versions espagnole ("uso efectivo"), italienne ("uso effettivo") ou anglaise ("genuine use").

36. L'"usage sérieux" doit ainsi s'entendre d'un usage qui n'est pas effectué à titre symbolique, aux seules fins du maintien des droits conférés par la marque. Il doit s'agir d'un usage conforme à la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine d'un produit ou d'un service, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance.

37. Il en résulte qu'un "usage sérieux" de la marque suppose une utilisation de celle-ci sur le marché des produits ou des services protégés par la marque et pas seulement au sein de l'entreprise concernée. La protection de la marque et les effets que son enregistrement rend opposables aux tiers ne sauraient perdurer si la marque perdait sa raison d'être commerciale, consistant à créer ou à conserver un débouché pour les produits ou les services portant le signe qui la constitue, par rapport aux produits ou aux services provenant d'autres entreprises. L'usage de la marque doit ainsi porter sur des produits et des services qui sont déjà commercialisés ou dont la commercialisation, préparée par l'entreprise en vue de la conquête d'une clientèle, notamment dans le cadre de campagnes publicitaires, est imminente. Un tel usage peut être le fait tant du titulaire de la marque que, comme le prévoit l'article 10, paragraphe 3, de la directive, d'un tiers autorisé à utiliser la marque.

38. Enfin, il convient de prendre en considération, dans l'appréciation du caractère sérieux de l'usage de la marque, l'ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de son exploitation commerciale, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque.

39. L'appréciation des circonstances de l'espèce peut ainsi justifier la prise en compte, notamment, de la nature du produit ou du service en cause, des caractéristiques du marché concerné, de l'étendue et de la fréquence de l'usage de la marque. Ainsi, il n'est pas nécessaire que l'usage de la marque soit toujours quantitativement important pour être qualifié de sérieux, car une telle qualification dépend des caractéristiques du produit ou du service concerné sur le marché correspondant.

40. Par ailleurs, l'usage de la marque peut aussi, dans certaines conditions, revêtir un caractère sérieux pour des produits déjà commercialisés, pour lesquels elle a été enregistrée, et qui ne font plus l'objet de nouvelles offres de vente.

41. Il en va ainsi, notamment, lorsque le titulaire de la marque sous laquelle ces produits ont été mis sur le marché vend des pièces détachées qui entrent dans la composition ou la structure de ces produits déjà commercialisés et pour lesquelles il fait un usage effectif de la même marque, dans les conditions énoncées aux points 35 à 39 du présent arrêt. Ces pièces détachées faisant partie intégrante desdits produits et étant vendues sous la même marque, un usage sérieux de la marque pour ces pièces doit être analysé comme portant sur les produits déjà commercialisés eux-mêmes et comme étant de nature à maintenir les droits du titulaire pour ces produits.

42. Il peut en aller de même lorsque le titulaire de la marque utilise effectivement celle-ci, dans les mêmes conditions, pour des produits ou des services qui n'entrent pas dans la composition ou la structure des produits déjà commercialisés mais qui se rapportent directement à ces produits et qui sont destinés à satisfaire les besoins de la clientèle de ceux-ci. Cela peut être le cas lors d'opérations d'après-vente, telles que la vente de produits accessoires ou connexes, ou la prestation de services d'entretien et de réparation.

43. Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l'article 12, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens qu'une marque fait l'objet d'un "usage sérieux" lorsqu'elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l'exclusion d'usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque. L'appréciation du caractère sérieux de l'usage de la marque doit reposer sur l'ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l'exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l'étendue et la fréquence de l'usage de la marque. La circonstance que l'usage de la marque ne concerne pas des produits nouvellement offerts sur le marché mais des produits déjà commercialisés n'est pas de nature à priver cet usage de son caractère sérieux, si la même marque est effectivement utilisée par son titulaire pour des pièces détachées entrant dans la composition ou la structure de ces produits ou pour des produits ou des services qui se rapportent directement aux produits déjà commercialisés et qui visent à satisfaire les besoins de la clientèle de ceux-ci.

Sur la seconde question

44. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si, eu égard à la réponse à la première question, l'usage de la marque Minimax par Ansul de 1989 à 1994, dans le cadre des activités commerciales décrites au point 11 du présent arrêt, revêt un caractère "normal" au sens de la LBM, ou un caractère "sérieux", au sens de l'article 12 de la directive.

45. Or, il n'y a pas lieu pour la Cour de se livrer à une telle appréciation. En effet, il appartient au juge de renvoi, dans la répartition des tâches établie par l'article 234 CE, d'appliquer les règles du droit communautaire, telles qu'interprétées par la Cour, au cas concret dont il est saisi (voir arrêt du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe, C-320-88, Rec. p. I-285, point 11).

46. Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la seconde question qu'il appartient à la juridiction de renvoi de tirer, pour la solution du litige dont elle est saisie, les conséquences de l'interprétation de la notion de droit communautaire d'"usage sérieux" de la marque, telle qu'elle résulte de la réponse à la première question préjudicielle.

Sur les dépens

47. Les frais exposés par le Gouvernement néerlandais et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par le Hoge Raad der Nederlanden, par arrêt du 26 janvier 2001, dit pour droit:

1) L'article 12, paragraphe 1, de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens qu'une marque fait l'objet d'un "usage sérieux" lorsqu'elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l'exclusion d'usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque. L'appréciation du caractère sérieux de l'usage de la marque doit reposer sur l'ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l'exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l'étendue et la fréquence de l'usage de la marque. La circonstance que l'usage de la marque ne concerne pas des produits nouvellement offerts sur le marché mais des produits déjà commercialisés n'est pas de nature à priver cet usage de son caractère sérieux, si la même marque est effectivement utilisée par son titulaire pour des pièces détachées entrant dans la composition ou la structure de ces produits ou pour des produits ou des services qui se rapportent directement aux produits déjà commercialisés et qui visent à satisfaire les besoins de la clientèle de ceux-ci.

2) Il appartient à la juridiction de renvoi de tirer, pour la solution du litige dont elle est saisie, les conséquences de l'interprétation de la notion de droit communautaire d'"usage sérieux" de la marque, telle qu'elle résulte de la réponse à la première question préjudicielle.