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Décisions

Conseil Conc., 10 décembre 2008, n° 08-D-31

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à une saisine de la société Concurrence

Conseil Conc. n° 08-D-31

10 décembre 2008

Le Conseil de la concurrence (section III-A),

Vu la lettre enregistrée le 28 avril 2008, sous les numéros 08/0046 F et 08/0047 M, par laquelle la société Concurrence a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Sony France et Philips France, et a sollicité, en outre, le prononcé de mesures conservatoires ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les observations présentées par les sociétés Sony France et Philips France ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Concurrence, Sony France et Philips France entendus lors de la séance du 5 novembre 2008 ; Adopte la décision suivante :

I. La saisine de la société Concurrence

1. La société Concurrence exploite un point de vente au détail de produits électroniques grand public, place de la Madeleine à Paris, ainsi qu'un site Internet sur lequel elle vend les mêmes produits. Elle a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques qui seraient mises en œuvre par la société Sony France (ci-après " Sony "), d'une part, et par la société Philips (ci-après " Philips "), d'autre part.

A. LES PRATIQUES REPROCHÉES À LA SOCIÉTÉ SONY FRANCE

2. La société Concurrence fait valoir que Sony lui a annoncé le 30 juillet 2006 qu'elle comptait suspendre toute relation commerciale avec elle à compter du 1er août 2007, au motif qu'elle ne pouvait plus envisager des relations commerciales normales avec un partenaire qui, depuis des années, ne cessait d'engager contre elle des procédures contentieuses multiples. La société Concurrence a alors engagé une action pour refus de vente à l'encontre de Sony en demandant la reprise des livraisons. Elle a toutefois été déboutée de cette demande par le Tribunal de commerce de Nanterre par un jugement en date du 22 juin 2007. La Cour d'appel de Versailles, par un arrêt en date du 19 décembre 2007, a confirmé ce jugement ; elle a estimé que le refus de vente n'avait pas à être motivé et que la légalité du motif invoqué par Sony était donc sans conséquence. Sony a par ailleurs été condamnée à lui payer certains services rendus.

3. La société Concurrence fait cependant valoir dans sa saisine qu'elle s'est pourvue en cassation et ajoute que, pour motiver leur décision, le tribunal de commerce puis la cour d'appel ont essentiellement constaté que la société Concurrence avait trouvé, au printemps 2007, un autre fournisseur en produits Sony, la société Alifax. Or, elle soutient que c'est à l'instigation de Sony que la société Alifax avait accepté de la livrer " sans but lucratif " mais que, depuis lors, Sony aurait exercé sur Alifax des pressions qui auraient amené cette dernière à annoncer la cessation des livraisons à compter du 31 mars 2008. La société Concurrence dénonce de surcroît la police des prix exercée par Sony sur les revendeurs de ses produits. Le Tribunal de commerce de Paris, saisi d'une procédure en référé par la société Concurrence, a cependant constaté que la société Alifax était d'accord pour poursuivre les livraisons en produits Sony pour une durée de trois mois.

4. Selon la société Concurrence, l'arrêt des livraisons en produits Sony est de nature à entraîner la cessation de son activité car il lui serait désormais impossible de trouver un autre revendeur pour lui vendre dans des conditions équivalentes des produits Sony. Elle produit sur ce point le refus qui lui a été opposé par la société Caprofem. Elle précise qu'en 2007, les téléviseurs à écran plats Sony (LCD et plasma) ont représenté 70 % de son chiffre d'affaires (57,3 % en 2006).

5. La société Concurrence fait valoir qu'elle serait en situation de dépendance vis-à-vis de Sony, compte tenu de la notoriété de la marque et de ses parts de marché dans le secteur des produits d'électronique grand public, et que Sony abuserait de cette situation en refusant de la livrer et en faisant pression sur la société Alifax ou d'autres revendeurs potentiels. A titre conservatoire, elle demande au Conseil d'ordonner à Sony de la livrer aux mêmes conditions que celles accordées à la société Alifax.

B. LES PRATIQUES REPROCHÉES À LA SOCIÉTÉ PHILIPS FRANCE

6. La société Concurrence expose qu'elle commande des produits à la société Philips depuis 2006, mais que les conditions commerciales qui lui sont accordées sont de plus en plus en défavorables, de telle sorte qu'elle serait aujourd'hui " hors marché " et que les produits Philips seraient " sous représentés " chez Concurrence par rapport à sa part de marché. En particulier, Philips refuserait de rétribuer certains services de coopération commerciale comme elle le fait pour d'autres distributeurs. Par ailleurs, Philips interdirait la vente sur Internet. Enfin, la société Concurrence dénonce les conditions du contrat de distribution sélective imposé par Philips s'agissant de la distribution de ses téléviseurs haut de gamme.

7. La société Concurrence fait valoir qu'elle serait en situation de dépendance vis-à-vis de Philips compte tenu de la notoriété de la marque et de ses parts de marché dans le secteur des produits d'électronique grand public : les pratiques qu'elle dénonce constitueraient un abus de cette situation de dépendance. Elle demande qu'à titre conservatoire, il soit ordonné à Philips de la livrer dans des conditions équitables " lui permettant d'accéder à tous les produits notamment en raison de la taille réduite de son magasin, et de ne pas être mise hors marché, notamment par le refus se signer des accords de coopération et ou de services distincts, ou de consentir des rémunérations équivalentes sous forme de remises et ristournes ".

II. Discussion

8. L'article L. 462-8, alinéa 2 du Code de commerce énonce que : " Le Conseil de la concurrence peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ".

9. La société Concurrence demande au Conseil " (...) une décision qui montre aux fabricants que le refus de livrer est illicite sauf motifs valables ".

10. Le refus de vente ne constitue pas une infraction qui, en elle-même, est susceptible d'être poursuivie par le Conseil. Le Conseil ne peut examiner que les pratiques entrant dans le champ des articles L. 420-1, L. 420-2 ou L. 420-5 du Code de commerce, c'est-à-dire des pratiques qui ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, et peuvent être qualifiées d'ententes, d'abus de position dominante ou de dépendance économique ou de prix abusivement bas.

11. La saisissante n'allègue pas dans sa saisine que les pratiques qu'elle reproche à Sony ou à Philips résulteraient d'une concertation avec d'autres opérateurs économiques du secteur. En particulier, s'agissant du comportement de la société Alifax, elle l'impute aux menaces et pressions exercées par Sony et non à une entente entre Sony et la société Alifax. Au demeurant, aucun des éléments produits à l'appui de sa saisine ne suggère une telle hypothèse.

12. La société Concurrence ne soutient pas non plus que Sony ou Philips détiendraient une position dominante sur un ou plusieurs marchés concernés par sa saisine. En effet, selon les produits, les concurrents de Sony ont des parts de marché très proches voire supérieures aux siennes et détiennent une notoriété équivalente. Ainsi, s'agissant du principal produit mis en avant par la société Concurrence dans sa saisine, les téléviseurs à écran plat, Sony (14 %) se situe en 2007 derrière Samsung (29 %) et Philips (21,5 %). En 2008, Samsung (30 %) et Sony (20 %) devancent Philips (15 %).

13. En revanche, la société Concurrence fait valoir qu'elle serait en situation de dépendance économique non seulement vis-à-vis de Sony et Philips mais également, vis-à-vis des trois principales marques de téléviseurs à écrans plats pris collectivement, soit Sony, Philips et Samsung, qui détiennent ensemble, ainsi qu'il ressort des chiffres cités ci-dessus, environ 65 % du marché.

A. SUR L'ALLÉGATION DE DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE À L'ÉGARD DE SONY, PHILIPS ET SAMSUNG

14. Dans sa décision n° 01-D-49 du 31 août 2001, relative à une saisine de la société Concurrence à l'encontre de la société Sony France, le Conseil a rappelé que : " la dépendance économique, au sens de l'article L. 420-2 alinéa 2 précité, résulte de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de la part de marché du fournisseur, de l'importance de la part du fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur, à condition que cette part ne résulte pas d'un choix délibéré de politique commerciale de l'entreprise cliente, enfin, de la difficulté pour le distributeur d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents ; que ces conditions doivent être simultanément vérifiées pour entraîner cette qualification ".

1. SUR L'APPLICATION DES CRITÈRES RELATIFS À L'IMPORTANCE DE LA PART DE MARCHÉ DU FOURNISSEUR, À L'IMPORTANCE DE LA PART DU FOURNISSEUR DANS LE CHIFFRE D'AFFAIRES DU REVENDEUR ET À LA POSSIBILITÉ D'OBTENIR D'AUTRES FOURNISSEURS DES PRODUITS ÉQUIVALENTS

15. En ce qui concerne la société Philips, il y a lieu de noter que la société Concurrence n'a contacté ce fabricant dans l'intention de commercialiser ses produits qu'en 2006 et qu'en dépit de la progression des ventes concernées, les produits Philips n'ont représenté en 2007 que 1,8 % du total des ventes de la société Concurrence. Il en résulte que la société Concurrence n'étaye sa saisine d'aucun élément probant de nature à permettre de la regarder comme dépendante de la société Philips.

16. En ce qui concerne Sony, l'hypothèse d'une dépendance de la société Concurrence à son égard a été précédemment écartée à plusieurs reprises. Ainsi, alors même que la société Concurrence réalisait, à l'époque, 95 % du montant de ses ventes avec des produits Sony, la Cour d'appel de Paris a estimé, dans un arrêt du 9 avril 2002 se prononçant sur la décision du Conseil n° 01-D-49 précitée, que cette situation n'était pas imputable à la puissance économique exceptionnelle de Sony.

17. Plus récemment, la Cour d'appel de Versailles, saisie par la société Concurrence de la rupture par Sony des relations commerciales établies depuis longue date entre ces deux sociétés, a encore écarté cette hypothèse dans son arrêt du 19 décembre 2007 : " Considérant que si la société Concurrence justifie que la vente des produits Sony a atteint au cours des dernières années une proportion extrêmement importante des ventes réalisées, elle ne peut prétendre que l'impossibilité de s'approvisionner en produits Sony dans des conditions identiques à celles qui lui étaient faites dans le cadre des relations commerciales directes, établit son état de dépendance économique à l'égard de la société Sony France et l'abus de celle-ci ;

" Considérant que l'argument selon lequel les ventes réalisées en 2006 démontrent que Sony n'est pas substituable et se situe toujours dans les trois premières marques selon les produits, ce qui la rend incontournable, ne peut être retenu au regard des statistiques de parts de marché dressées par l'institut GFK sur la période de mai 2007 ; que les parts de marché Sony par rapport à ses concurrents restent inférieures à celles de la période 2000/2001 au cours de laquelle l'état de dépendance de la société Concurrence vis-à-vis de Sony France a été écarté par les décisions rendues entre les parties par le Conseil de la concurrence, la Cour d'appel de Paris et la Cour de cassation ;

" Considérant que la société Concurrence, outre les produits Sony, commercialise les produits de marques Philips, Samsung, LG, Toshiba, Panasonic, Yamaha, Piooner et Denon qui, ensemble, couvrent toutes les familles du secteur commercial en cause ;

" Considérant qu'il apparaît dès lors, que la société Concurrence qui n'apporte pas la démonstration de son impossibilité de s'approvisionner en produits équivalents auprès d'autres marques s'est elle-même placée dans cette situation à l'égard de la société Sony France, en axant principalement son activité sur la vente des produits Sony ;

" Considérant encore qu'il résulte des éléments versés aux débats que depuis la rupture des relations commerciales directes existant avec la société Sony France, cette dernière ne s'est pas opposée à ce que la société Alifax lui fasse des conditions commerciales qu'elle entendait lui faire, en rétrocédant les avantages concédés dans le cadre des accords commerciaux existant entre Sony France et Alifax, et que le caractère précaire de cette situation n'est pas avéré par la seule expression de craintes du représentant de la société Alifax dans un courrier adressé au représentant de la société Concurrence en octobre 2007 ;

" (...) Que l'état de dépendance économique n'est pas avéré et en conséquence, la société Concurrence qui ne démontre pas être dans l'impossibilité de trouver d'autres sources d'approvisionnement en produits Sony ou en produits similaires lui permettant de poursuivre son activité commerciale, doit être déboutée de ses prétentions de ce chef ; ".

18. La société Concurrence fait cependant valoir, dans ses observations du 23 octobre 2008, qu'à la suite de l'arrêt des livraisons par la société Alifax, elle n'est plus du tout livrée en produits Sony et que son chiffre d'affaires a, en conséquence, baissé de 48 % depuis le 1er avril 2008. Ce qui subsiste de son chiffre d'affaires serait maintenant réalisé majoritairement avec des produits Samsung.

19. Cette situation ne peut toutefois démontrer en elle-même la dépendance de la société Concurrence à l'égard de Sony. En premier lieu, la société Concurrence ne fait valoir qu'une seule tentative pour s'approvisionner en produits Sony auprès d'autres fournisseurs, sa demande adressée à Caprofem ayant été rejetée le 23 avril 2004 au motif que ce grossiste ne livre que des professionnels distribuant des produits dans un établissement de vente au détail, à l'exclusion de toute forme de vente à distance. En particulier, répondant à une demande de la société Concurrence en date du 18 août 2006 faite à la suite du préavis de Sony annonçant l'arrêt des livraisons à compter du 1er août 2007, la société Sony France, par un courrier du 19 septembre 2006, a signalé à la société Concurrence trois grossistes de dimension nationale susceptibles de l'approvisionner en produits de la marque Sony : Pulsat, Copra et Extra. Aucun élément de la saisine ne permet de relever que la société Concurrence a tenté des démarches auprès de ces grossistes pour être approvisionnée en produits Sony et que de telles démarches auraient échoué.

20. En deuxième lieu, Sony ne peut être tenu pour responsable de la faiblesse des ventes des produits de marques notoires concurrentes, parmi lesquelles Philips.

21. En troisième lieu, cette situation ne pourrait révéler un état de dépendance à l'égard de Sony que s'il était établi que Sony avait provoqué la décision prise par la société Alifax de cesser d'approvisionner la société Concurrence.

2. SUR LES PRESSIONS ET MENACES QUI AURAIENT ÉTÉ EXERCÉES PAR SONY SUR LA SOCIÉTÉ ALIFAX

22. Sur ce point, la société Concurrence soutient que Sony aurait incité la société Alifax à lui livrer des produits pour pouvoir s'en prévaloir devant les juridictions civiles puis l'aurait ensuite menacée pour qu'elle cesse ses livraisons. Les éléments du dossier en ce sens sont cependant contredits par d'autres.

23. Ainsi, la société Concurrence a produit à l'appui de sa saisine plusieurs documents adressés par la société Alifax à des tiers et dans lesquels il est fait état de ces menaces. La société Alifax a toutefois demandé le classement en annexe confidentielle de ces documents en application de l'article R. 463-13 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 4 novembre 2004. Sa demande étant conforme aux prescriptions de l'alinéa 1 de l'article R. 463-13, le Président du Conseil lui en a donné acte par la décision n° 08-DSA-163 du 7 octobre 2008. Dans sa demande de classement, la société Alifax expose notamment que : " les pièces que Monsieur X... souhaite produire dans le cadre du litige qui l'oppose à Sony ne peuvent pour l'essentiel d'entre elles être divulguées et pour les autres ne le seraient que de façon très partiale [sic] sorties d'un contexte sans lequel elles n'ont pas le même sens. - Historique de la société Alifax : la pièce intitulée " Historique la société Alifax " annexe au courrier adressé à Maître L. dans le cadre de son mandat judiciaire est également couvert par le même secret et sa divulgation nous paraîtrait tout aussi incongrue.(...) - 5 mars 2008 : courrier Alifax à Y..., très largement dicté par Monsieur X... : ce courrier ne lui a pas été adressé pour divulgation. - Courriers mars 2008 : ces courriers disent assez en eux-mêmes ce que le conseil de la société a été amené à qualifier "d'instrumentalisation fâcheuse des relations commerciales entre Sony et Alifax" ". La société Alifax n'a pas demandé que les documents en cause soient néanmoins communiqués au Conseil et au commissaire du Gouvernement.

24. La société Concurrence fait valoir, dans ses observations datées du 23 octobre 2008, que le retrait de ces documents du dossier prive le Conseil d'éléments de preuves essentiels pour apprécier le comportement de la société Sony et demande donc qu'ils soient réintégrés au dossier.

25. Toutefois, l'article R. 463-15 du Code de commerce dispose que " lorsque le rapporteur considère qu'une pièce classée en annexe confidentielle est nécessaire à la procédure, il en informe par lettre recommandée avec demande d'avis de réception la personne qui en a demandé le classement. Si cette personne s'oppose, dans le délai qui lui a été imparti par le rapporteur, à ce que la pièce soit utilisée dans la procédure, elle saisit le président du Conseil de la concurrence. Si celui-ci ou le vice-président délégué donne suite à son opposition, la pièce est maintenue dans l'annexe confidentielle. Dans le cas contraire, il autorise l'utilisation de la pièce par le rapporteur et sa communication à la ou aux parties mises en cause, ainsi qu'au commissaire du Gouvernement. ". Par ailleurs, " lorsqu'une partie mise en cause considère qu'une pièce classée en annexe confidentielle est nécessaire à l'exercice de ses droits, elle peut en demander la communication ou la consultation en présentant une requête motivée au rapporteur. Le rapporteur informe la personne qui a demandé le classement de cette pièce par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Si cette dernière s'oppose, dans le délai qui lui a été imparti par le rapporteur, à ce que la pièce soit communiquée à la partie qui en fait la demande, elle saisit le président du Conseil de la concurrence. Si celui-ci ou le vice-président délégué donne suite à son opposition, la pièce est maintenue dans l'annexe confidentielle. Dans le cas contraire, il autorise la communication ou la consultation de la pièce à la partie qui en a fait la demande ainsi que, le cas échéant, aux autres parties mises en cause pour lesquelles la pièce est nécessaire à l'exercice de leurs droits, ainsi qu'au commissaire du Gouvernement. ". Il résulte de ces dispositions que seuls peuvent demander le déclassement de pièces classées en annexe confidentielle, le rapporteur pour les besoins de son instruction, ou une entreprise mise en cause pour les besoins de l'exercice des droits de la défense. Il n'est donc pas prévu que le saisissant puisse demander le déclassement d'une pièce dont le classement a été demandé par une partie mise en cause, quelle que soit l'origine de la pièce.

26. Au demeurant, il peut être constaté que la société Concurrence décrit, dans sa saisine, les éléments qui, selon elle, démontrent la réalité des pressions et menaces exercées par Sony (pages 10 et 11 de sa saisine). Elle mentionne alors les documents occultés et en reproduit certains passages, dont ceux mentionnant les menaces : " -Courriel à Monsieur Luc Y... Secrétaire d'Etat du 29 février 2008 : " nous subissons - Alifax et d'autres distributeurs qui cassent les prix - des menaces de la part de Sony " ; Historique de la société Alifax : " Pourtant, Sony a depuis clairement laissé entendre à Alifax sa désapprobation par l'entremise de menaces verbales. " ". La société Concurrence ne soutient pas que les documents classés en annexe confidentielle contiendraient d'autres éléments qui, selon elle, viendraient au soutien de sa saisine.

27. D'autre part, la société Sony produit à l'appui de son mémoire en défense un courrier, adressé le 29 avril 2008 à la société Concurrence par la société Alifax : " Contrairement à ce que vous affirmez dans votre courrier, nous ne recevons aucune menace, à part les vôtres et nous sommes tout à fait disposés à vous livrer. Vous mettez en péril notre société (...) qui, comme vous le savez traverse des difficultés. Puisque vous citez une conversation privée, je me permets de vous rappeler celle-ci " Je n'ai aucun besoin d'être livré par vous ou par Sony. Le seul but de ma vie ainsi que la seule chose qui m'amuse est de faire des procès que je les gagne ou non ". Contre toute attente, nous constatons pourtant que nous sommes les seuls à vous avoir aidé, ce que nous aurions continué à faire si vous ne nous aviez pas instrumentalisés dans votre lutte contre Sony et si vous n'aviez pas tenté de vous ingérer dans nos relations avec Sony. D'autre part, nous vous rappelons qu'après vous avoir rendu service pendant près de 8 mois, vous vous permettez, sans aucune raison valable, de vous acharner sur notre entreprise ainsi que de nous harceler de courriers polémiques. ". En séance, le représentant de la société Concurrence, interrogé sur ce courrier, a déclaré que l'" on ne peut accorder de crédit " à ce que dit le représentant de la société Alifax et qu'" il dit n'importe quoi ".

28. En toute hypothèse, il ressort du dossier que l'arrêt des livraisons par la société Alifax peut très bien s'expliquer par la dégradation des relations commerciales et personnelles avec la société Concurrence. Le courrier du 29 avril 2008 précité expose ainsi, outre les passages déjà reproduits paragraphe ci-dessus : " Contrairement à ce que vous vous plaisez à affirmer, dans un but polémique, dans tous les courriers que nous vous avons adressés, nous vous répétons que nous attendons votre virement afin de traiter votre commande. Donc, nous vous répétons pour la énième fois que nous sommes prêts à faire suivre vos commandes auprès de Sony France, dès que vous nous aurez adressé le règlement correspondant à celles-ci dans les conditions de notre courrier du 17 avril 08. D'autre part, nous sommes tout à fait disposés à vous fournir du matériel sur notre stock, dans la mesure de nos disponibilités, en échange d'un règlement comptant et d'un enlèvement par vos soins. Nous ne reconnaissons absolument rien concernant les comptes, contrairement à ce vous affirmez. D'autant que depuis plus d'un mois et demi, vous nous devez bien 17 546,40 euro, ce que vous nous confirmez dans votre courrier de ce jour. Pour ce qui concerne nos comptes avec Sony, nous vous répétons que vous n'avez pas à vous immiscer dans nos relations avec Sony France, comme vous l'a demandé le tribunal (...). Il ne sert à rien de vous poser en victime, alors que depuis le 16 avril, si vous aviez respecté les demandes du juge (voir notre courrier du 17 avril) vous auriez été livré de manière tout à fait régulière. ". Les mêmes éléments ressortent de courriers électroniques émis par Alifax le 27 mars 2008, versés au dossier par la société Concurrence.

29. La société Alifax, dans un courrier adressé à la société Concurrence le 30 mars 2008, expose de nouveau ces difficultés : " (...) Voilà 3 semaines que nous vous proposons de passer commande afin que vous puissiez être livré. Votre refus de passer vos commandes s'apparente plus à un besoin de polémique qu'à une nécessité d'obtenir du matériel. (...) Vos demandes préalables de renseignements sur notre trésorerie et l'utilisation de l'encours que nous avons auprès de Sony sont totalement incompréhensibles ; il s'agit de notre trésorerie et de notre encours pas celui de votre société ! Nous n'avons jamais refusé, contrairement à ce que vous dites, vos commandes, en revanche la polémique et les mails inquiétants, plus votre courrier du 29 mars nous conduisent à vous confirmer notre volonté de nous en tenir au terme prévu de notre accord (...). Il est bien entendu que nous ferons nos comptes après le 31 mars et que nous respecterons nos engagements. Je vous rappelle qu'à ce jour et dans les conditions que vous connaissez vous pouvez toujours passer vos commandes [souligné par Alifax]. Je vous rappelle également que c'est vous qui avez souhaité mettre un terme à notre relation cordiale en refusant de me rappeler après nos échanges téléphoniques ".

30. Enfin, l'ordonnance de référé du président du Tribunal de commerce de Paris, en date du 16 avril 2008, expose ce qui suit : " Qu'il nous est demandé par la société Concurrence (...) la reprise des ventes en produits Sony par la société Alifax à la société Concurrence, sur le fondement de la rupture brutale de relations commerciales établies,

Qu'il nous apparaît que ces relations revêtaient un caractère précaire,

Que cependant, dans l'intérêt commun des parties, nous leur avons proposé un compromis sur lequel elles se sont déclarées d'accord et qu'elles ont accepté dans les termes suivants :

la société Alifax accepte la poursuite des livraisons pour une durée de trois mois (...) sous la double condition de la non ingérence de la société Concurrence et de son dirigeant Monsieur Jean X... dans les opérations de mandat ad hoc actuellement en cours au bénéfice de la société Alifax et de la non ingérence de la société Concurrence et de son dirigeant Monsieur Jean X... dans les rapports de Sony et de la société Alifax.

Il est entendu que la poursuite des livraisons s'effectuera dans les conditions dans lesquelles ces livraisons s'effectuaient précédemment et, en tout état de cause, de manière telles que ces livraisons ne pèsent pas sur la trésorerie de la société Alifax.

Le non-respect par la société Concurrence et de son dirigeant Monsieur Jean X... de ces conditions rendra caduque la décision de poursuite des livraisons telle que prévue ci-dessus ".

31. La circonstance que, comme l'avance la société Concurrence, " le PDG d'Alifax avait donné la signature sur le compte en banque à Monsieur X..., dans les locaux de la Banque Maure " n'est pas de nature à infirmer ces éléments qui montrent la dégradation des relations entre les deux sociétés.

32. Dans ces conditions, le dossier ne révèle pas de documents étayant de manière probante l'obligation selon laquelle Sony serait responsable de l'arrêt des livraisons de la société Alifax.

3. SUR LA DÉPENDANCE À L'ÉGARD DE SONY, PHILIPS ET SAMSUNG PRIS COLLECTIVEMENT

33. Il ressort de la saisine de la société Concurrence que les trois principaux fabricants d'écrans plats, soit Sony, Philips et Samsung, qui réalisent ensemble environ 65 % des ventes de ces produits, seraient " collectivement " tenus de le livrer, la circonstance que près de 80 % de ses ventes soient réalisées à ce jour en produits Samsung ne pouvant signifier qu'il puisse se passer de produits Sony ou de produits Philips : " c'est la notion de dépendance collective qui est invoquée, puisque sur le marché du LCD 3 marques seulement représentent plus de 70 % " .

34. Toutefois, le saisissant ne fait état d'aucun élément suggérant que la pérennité de son approvisionnement en produits de marque Philips ou Samsung serait menacée. Par ailleurs, et comme cela a été vu ci-dessus, il ne ressort pas non plus de sa saisine qu'il lui serait impossible de s'approvisionner en produits Sony auprès d'autres fournisseurs que Sony, Alifax ou Caprofem.

35. Il n'existe aucun élément au dossier permettant de soutenir de manière probante l'idée d'une coordination entre les comportements de Sony, Philips et Samsung à l'égard de la société Concurrence, qui pourrait fonder un hypothétique " abus de dépendance collective " invoqué par la saisissante.

B. SUR LA RÉALITÉ DES PRATIQUES ELLES-MÊMES

1. EN CE QUI CONCERNE SONY

36. Pas plus qu'elle ne justifie une situation de dépendance économique, la saisissante n'apporte d'élément probant sur les pratiques mises en œuvre par Sony et qui pourraient être qualifiées d'abus de dépendance économique. La cessation de relations commerciales, même établies depuis longtemps, ne peut, à elle-seule, être considérée comme abusive. Il ressort de la jurisprudence du Conseil (cf. la décision n° 04-D-26 du 30 juin 2004) que peut constituer un abus de dépendance économique la rupture de relations commerciales lorsqu'elle est brutale, sans justification objective et lorsqu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence.

37. En l'espèce, les allégations de la société Concurrence selon lesquelles la décision de Sony de cesser toute relation commerciale serait en fait motivée par une politique de prix agressive, Sony imposant des prix de revente aux distributeurs de ses produits, ne sont appuyées d'aucun élément probant. Il a également été vu ci-dessus que les éléments au dossier ne permettaient pas d'étayer la thèse selon laquelle la société Alifax aurait subi des pressions de Sony pour suspendre ses livraisons à la société Concurrence.

2. EN CE QUI CONCERNE PHILIPS

38. De la même façon, la société Concurrence n'avance aucun élément probant s'agissant d'éventuelles pratiques abusives qui pourraient être reprochées à Philips.

39. La société Concurrence soutient que les conditions commerciales qui lui sont consenties par Philips sont discriminatoires, dans la mesure où elle devrait bénéficier des mêmes ristournes que ses concurrents, notamment les magasins relevant de groupements. Cependant, elle produit à l'appui de sa saisine des courriers adressés à Philips dans lesquels elle reconnaît qu'elle n'est pas en mesure d'offrir certains services, notamment en raison de la faible taille de son unique surface de vente située place de la Madeleine à Paris (entre 30 et 40 m2). Le tableau qu'elle produit indiquant que certains distributeurs proposent des produits Philips à des prix inférieurs à ses propres prix d'achat n'est donc pas un indice suffisant d'une éventuelle discrimination. Au demeurant, ce tableau permet de constater une concurrence par les prix sur les produits Philips avec des écarts allant jusqu'à 30 % selon les distributeurs.

40. Les éléments fournis par la saisissante ne suggèrent pas non plus qu'elle ne peut développer ses ventes de produits Philips en raison des prix élevés qu'elle serait contrainte de pratiquer. Le décalage entre la part des produits Philips dans les ventes de la société Concurrence et celle constatée sur le marché peut tout autant résulter du fait que les commandes de la société Concurrence ont débuté seulement fin 2006.

41. Enfin, aucun élément ne confirme que Philips interdirait la vente de ses produits par Internet comme en atteste la lecture de l'article 7 du contrat de distribution sélective qui l'autorise, à la condition de respecter un certain nombre de règles. On notera au passage que ce contrat ne concerne pas tous les produits Philips, mais seulement ceux des gammes Auréa et " Série 9000 ", soit des produits très haut de gamme et 10 références de téléviseurs sur une cinquantaine commercialisées par Philips.

42. Par conséquent, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen exposé par la société Philips tiré de l'irrecevabilité de la saisine, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 462-8 de ce Code et de rejeter la saisine ainsi que, par voie de conséquence, la demande de mesures conservatoires.

Décision

Article 1er : La saisine au fond enregistrée sous le numéro 08/0046 F est rejetée.

Article 2 : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 08/0047 M est rejetée.

Délibéré sur le rapport oral de M. Komiha, par Mme Perrot, vice-présidente, présidente de séance, Mme Aubert, vice-présidente et M. Bidaud, membre.