CCE, 18 juillet 2001, n° 2001-723
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Concernant la recapitalisation de la compagnie Alitalia
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 88, paragraphe 2, premier alinéa, vu l'accord sur l'Espace économique européen, et notamment son article 62, paragraphe 1, point a), et son protocole 27, vu le règlement (CE) n° 659-1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE (1), après avoir invité les intéressés à présenter leurs observations conformément aux dispositions précitées, et vu ces observations, considérant ce qui suit:
FAITS
(1) Par la décision 97-789-CE (2) (ci-après dénommée "la décision de 1997"), la Commission a autorisé les autorités italiennes à accorder à la compagnie italienne Alitalia Linee Aeree Italiane SpA (ci-après dénommée "Alitalia") une aide d'État à la restructuration d'un montant de 2 750 milliards de lires italiennes (ITL). L'aide accompagnait un plan de restructuration (ci-après dénommé "le plan") qui s'est achevé le 31 décembre 2000. Les articles 1er, 2 et 3 du dispositif de ladite décision étaient ainsi libellés:
"Article premier
L'aide accordée par l'État italien à la compagnie Alitalia Linee Aeree Italiane SpA (ci-après dénommée "Alitalia") sous la forme d'une dotation en capital d'un montant total de 2 750 milliards de lires italiennes, visant à assurer la restructuration de la compagnie conformément au plan communiqué à la Commission le 29 juillet 1996 et adapté le 26 juin 1997, est considérée comme compatible avec le marché commun et l'accord EEE en vertu de l'article 92, paragraphe 3, point c), du traité et de l'article 61, paragraphe 3, point c), de l'accord, à condition que les autorités italiennes respectent les engagements suivants:
1) adopter un comportement normal d'actionnaire vis-à-vis d'Alitalia permettant à celle-ci d'être gérée selon les seuls principes commerciaux et ne pas s'immiscer dans sa gestion pour des raisons autres que celles strictement liées au statut d'actionnaire de l'État italien;
2) ne plus accorder à Alitalia ni de nouvelle dotation en capital, ni d'autres aides sous quelque forme que ce soit, y compris sous la forme de garantie d'emprunts;
3) garantir que, jusqu'au 31 décembre 2000, l'aide soit exclusivement utilisée par Alitalia aux fins de la restructuration de la compagnie et non pour acquérir des participations nouvelles dans d'autres transporteurs aériens;
4) ne pas privilégier de quelque façon que ce soit Alitalia par rapport aux autres compagnies communautaires, notamment en matière d'attribution de droits de trafic (y compris vers les pays tiers en dehors de l'Espace économique européen), d'allocation de créneaux horaires, d'assistance en escale et d'accès aux installations aéroportuaires, dans la mesure où un traitement préférentiel serait contraire au droit communautaire. En particulier, les autorités italiennes confirment qu'elles n'appliqueront aucune disposition contraire au droit communautaire et elles garantissent:
a) qu'elles entameront immédiatement et achèveront pour le 31 décembre 1998 au plus tard la procédure de révision de la convention n° 4372 du 15 avril 1992, approuvée par le décret du 16 avril 1992 (ci-après dénommée "la convention"), afin de la mettre en conformité avec la réglementation communautaire, notamment en ce qui concerne le "droit de priorité", l'"interférence gouvernementale", la "compatibilité avec les règlements de libéralisation du transport aérien" et les "privilèges aéroportuaires";
b) qu'une révision de facto de la convention est déjà intervenue à l'égard des points visés ci-dessus à la suite d'un échange de lettres avec Alitalia sur la base de l'article 50 de la convention selon lequel celle-ci ne s'applique que dans la mesure où elle est compatible avec le droit communautaire;
c) qu'Alitalia a renoncé au droit de priorité qui découle de l'article 3 de la convention;
d) que, dans les aéroports italiens coordonnés ou entièrement coordonnés, elles désigneront avant le début de la saison d'hiver 1997/1998 un coordinateur dépourvu de tout lien avec Alitalia et agissant en totale indépendance vis-à-vis de cette dernière;
5) garantir que, jusqu'au 31 décembre 2000, les capacités offertes par les aéronefs exploités par Alitalia ou par d'autres transporteurs sous une forme telle qu'elle comporte pour Alitalia un risque commercial (accords de wet-leasing, de block-space de joint venture, etc.) n'excéderont pas les limites suivantes:
a) le nombre des sièges disponibles n'excédera pas 28 985, dont 26 350 pour la propre flotte d'Alitalia;
b) la croissance du nombre de sièges-kilomètres offerts pour chaque année calendaire
- à l'intérieur de l'Espace économique européen, à l'exclusion de l'Italie, et
- à l'intérieur de l'Italie,
n'excédera pas 2,7 %, étant entendu qu'aucune croissance ne sera autorisée si la croissance des marchés correspondants reste inférieure à 2,7 %. Toutefois, si le taux de croissance des marchés correspondants dépasse 5 %, l'offre pourra être augmentée, en plus de 2,7 %, du pourcentage de l'accroissement au-delà de 5 %;
6) s'assurer qu'Alitalia dispose d'une comptabilité analytique permettant de déterminer, à brève échéance, sur chaque liaison, un ratio de rentabilité défini comme le rapport entre l'ensemble des recettes et l'ensemble des coûts (coût complet égal à la somme des coûts variables et des coûts fixes) afférents à la liaison;
7) garantir que, jusqu'au 31 décembre 2000, Alitalia s'abstienne de proposer des tarifs inférieurs à ceux proposés par ses concurrents pour une offre équivalente sur les liaisons qu'elle exploite;
8) garantir qu'Alitalia cédera sa participation dans Malev au plus tard le [...] (*);
9) garantir qu'Alitalia poursuive la mise en œuvre complète du plan de restructuration communiqué à la Commission le 29 juillet 1996 et adapté le 26 juin 1997, en particulier en ce qui concerne la satisfaction des objectifs de productivité, de rentabilité et d'assainissement financier figurant à la partie VI visée ci-dessus;
10) soumettre à la Commission pour la fin des mois de mars 1998, mars 1999, mars 2000 et mars 2001, un rapport annuel sur l'avancement du plan de restructuration, sur la situation économique et financière d'Alitalia et sur le respect des présentes conditions. Le rapport comprendra un descriptif (typologie et identité des cocontractants) des accords de coopération commerciale ou opérationnelle passés par Alitalia au cours de l'exercice écoulé. La Commission fera vérifier, le cas échéant, les informations contenues dans chaque rapport par un consultant indépendant choisi par la Commission en liaison avec les autorités italiennes.
Article 2
Le versement d'une deuxième tranche d'un montant de 500 milliards de lires italiennes et d'une troisième tranche d'un montant de 250 milliards est subordonné au respect des engagements prévus à l'article 1er ainsi qu'à la réalisation effective du plan de restructuration et des résultats prévus notamment en ce qui concerne les ratios de coût et de productivité mentionnés à la partie VI. Au moins dix semaines avant la libération des deuxième et troisième tranches, prévues en mai 1998 et mai 1999 respectivement, les autorités italiennes soumettront un rapport à la Commission afin de lui permettre de formuler des observations avec l'assistance d'un consultant indépendant choisi par la Commission après consultation des autorités italiennes. Les tranches ne seront pas libérées si les objectifs du plan de restructuration ne sont pas atteints ou si les engagements ne sont pas respectés.
Article 3
Les engagements et conditions visés à l'article 1er concernent tant la compagnie Alitalia que sa filiale Alitalia TEAM SpA."
(2) La décision de 1997 a été attaquée devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes par Alitalia, partie requérante dans l'affaire T-296-97. Par un arrêt du 12 décembre 2000, le Tribunal a statué sur ce recours et a annulé la décision de 1997. Les conclusions des motifs de l'arrêt du Tribunal sont les suivantes (point 171 de l'arrêt) : "Eu égard au défaut de motivation constaté au point 137 visé ci-dessus et aux erreurs manifestes d'appréciation constatées aux points 150 et 169 visés ci-dessus, il y a lieu de faire droit aux conclusions de la requérante et d'annuler la décision attaquée, sans qu'il soit besoin de se prononcer encore sur les autres arguments relatifs au premier moyen et sur les autres moyens de la requête."
(3) Les motifs d'annulation se rapportent tous les trois à la deuxième branche du premier moyen soulevé par Alitalia. Ce premier moyen est tiré d'une application erronée du critère de l'investisseur privé en économie de marché, Alitalia ayant soutenu devant le Tribunal de première instance que la Commission, dans la décision de 1997, a erronément qualifié d'aide d'État l'apport de capital effectué par l'IRI, société financière d'État italienne, à concurrence de 2 750 milliards de lires italiennes au profit d'Alitalia. Le moyen comprenait trois branches. Dans la première branche, rejetée par le Tribunal au point 94 de l'arrêt, Alitalia faisait valoir que l'investissement de l'IRI respectait en soi le critère de l'investisseur privé du fait d'une participation d'investisseurs privés à son capital. Dans la seconde branche, Alitalia a soutenu que la Commission a commis des erreurs manifestes d'appréciation dans le calcul du taux minimal et du taux interne entraînant une violation de l'article 92, paragraphe 1, du traité et du principe d'égalité de traitement et n'a pas suffisamment motivé sa décision à cet égard. Dans la troisième branche, qui n'a pas été examinée par le Tribunal, Alitalia a dénoncé l'approche purement mathématique suivie par la Commission pour appliquer le critère de l'investisseur privé.
(4) Dans son examen de la seconde branche du premier moyen, le Tribunal de première instance a tout d'abord décrit la méthode appliquée par la Commission dans la décision de 1997 pour évaluer si l'investissement de l'IRI satisfaisait au critère de l'investisseur privé, méthode qui consiste à comparer le taux de rendement interne du projet avec le taux minimal qu'exigerait un investisseur privé, et il a indiqué que cette méthode ne saurait être critiquée en tant que telle (point 99 de l'arrêt). Puis, après avoir rejeté les griefs soulevés par Alitalia et relatifs aux éléments sur lesquels la Commission et ses consultants se sont fondés pour fixer le taux minimal (point 115 et 123 de l'arrêt), le Tribunal a estimé que la décision de 1997 était entachée:
- d'un défaut de motivation relatif à la fixation du taux minimal, "pour autant qu'elle retient pour l'investissement de l'IRI le même taux minimal que celui déterminé dans la décision 96-278-CE de la Commission (3), ci-après dénommée "décision Iberia" (point 137 de l'arrêt),
- d'une erreur manifeste d'appréciation en ce que la Commission a considéré, "sur la base des motifs avancés dans la décision (...), que les coûts d'insolvabilité relatifs aux prêts accordés par la Cofiri devaient être exclus du calcul du taux interne" (point 150 de l'arrêt),
- d'une erreur manifeste d'appréciation en ce que la Commission a considéré "que les modifications apportées au plan de restructuration en juin 1997, qui, de son propre aveu, réduisaient encore les risques inhérents à ce plan et amélioraient la rentabilité de l'entreprise, n'avaient aucune incidence sur le calcul du taux minimal et du taux interne et, partant, sur l'appréciation du point de savoir si l'investissement de l'IRI satisfaisait au critère de l'investisseur privé" (point 169 de l'arrêt).
(5) Plus précisément, en ce qui concerne, en premier lieu, le défaut de motivation constaté au point 137 de l'arrêt, le Tribunal de première instance a cité les considérations sur la base desquelles la Commission avait fixé le taux minimal à un niveau de 30 % dans la décision Iberia et il a souligné que "la décision Iberia avait manifestement vocation à constituer un précédent pour le calcul du taux minimal en l'espèce" (point 130 de l'arrêt) dès lors qu'à la date à laquelle la décision de 1997 a été prise, elle constituait la seule décision dans laquelle la Commission avait précédemment appliqué le critère de la comparaison entre le taux interne et le taux minimal afin d'apprécier si un investissement dans une compagnie aérienne satisfaisait au critère de l'investisseur privé. Le Tribunal de première instance a également considéré que, dans ces conditions, la Commission était tenue de répondre, dans la décision de 1997, à l'argumentation mise en avant par Alitalia durant toute la procédure administrative, selon laquelle sa situation n'était pas comparable à celle d'Iberia telle que décrite dans la décision Iberia et que, par voie de conséquence, le taux minimal élevé retenu dans cette dernière décision ne pouvait pas lui être appliqué. Le Tribunal de première instance détaille ensuite certaines particularités de la situation d'Alitalia dont il est pris acte par la Commission dans la décision de 1997 et qui avaient notamment été mises en exergue par Alitalia pour distinguer sa situation de celle de la compagnie Iberia. Il en déduit que "la Commission n'a pas expliqué dans la décision attaquée pourquoi elle estimait nécessaire d'appliquer à l'investissement de l'IRI le même taux minimal de 30 % qu'elle avait retenu dans la décision Iberia, alors que des constatations faites dans la décision attaquée donnent à penser, notamment, que plusieurs des facteurs de risque qui ont amené la Commission, dans la décision Iberia, à fixer le taux minimal à ce niveau "très élevé et bien supérieur aux taux constatés sur le marché" n'étaient pas présents ou présents dans une moindre mesure dans le cas d'Alitalia (...)" (point 136 de l'arrêt).
(6) Les facteurs de risque auxquels fait référence le Tribunal de première instance dans le passage cité précédemment se rapportent aux éléments suivants:
- l'état d'inachèvement du programme d'adaptation et le retard dans les réductions d'effectifs,
- les difficultés sociales nuisibles à l'image de marque et à la possibilité de réaliser les gains de productivité attendus,
- la faiblesse des niveaux de productivité et la nécessité de prévoir, avec les partenaires sociaux, un nouveau plan de réduction des coûts,
- les doutes quant au choix de futurs partenaires extérieurs,
- les incertitudes des effets de la libéralisation des activités de transport aérien et de l'assistance en escale sur la rentabilité à long terme.
(7) En ce qui concerne, en second lieu, l'erreur manifeste d'appréciation constatée au point 150 de l'arrêt, le Tribunal de première instance, après avoir cité la partie de la décision de 1997 concernant les coûts d'insolvabilité, rappelle tout d'abord qu'"il n'est pas contesté que la majeure partie de l'injection de capital de 1 000 milliards de lires italiennes effectuée en 1996 a servi à rembourser à l'IRI des prêts d'un montant de 900 milliards environ et que cette opération peut être considérée comme une conversion de prêts en capital" (point 145 de l'arrêt). Il constate que cette conversion cadre parfaitement avec l'un des objectifs du plan qui était de réduire le ratio "endettement sur fonds propres". Le Tribunal de première instance rejette ensuite l'argument de la Commission selon lequel la conversion en capital n'apporterait qu'un avantage immédiat et celui tiré de l'éventuelle nature d'aide d'État des prêts accordés à Alitalia par la Cofiri. S'agissant de ce dernier argument, le Tribunal de première instance précise qu'il n'est pas mentionné dans la décision de 1997 et qu'il n'est pas étayé par les éléments fournis par les consultants de la Commission. Le Tribunal de première instance souligne enfin le caractère circulaire du raisonnement suivi par la Commission qui, pour apprécier si un investisseur privé aurait pu être amené à effectuer un investissement à concurrence de 2 750 milliards de lires italiennes dans le capital d'Alitalia, se fonde déjà sur la prémisse qu'un investisseur privé ne procéderait pas à l'investissement en question (point 149 de l'arrêt).
(8) En ce qui concerne, en troisième lieu, l'erreur manifeste d'appréciation sanctionnée au point 169 de l'arrêt, le Tribunal de première instance commence par indiquer que "la Commission n'a pas réévalué le taux minimal et le taux interne sur la base de la dernière version du plan de restructuration" d'Alitalia (point 162 de l'arrêt) avant d'écarter l'argumentation de la Commission se rapportant à des événements qui se sont produits après l'adoption de la décision de 1997. Le Tribunal de première instance rappelle ensuite que la méthode appliquée par la Commission pour évaluer si l'investissement de l'IRI satisfait au critère de l'investisseur privé consiste à comparer le taux interne au taux minimal de l'investissement et il remarque que les dernières améliorations apportées au plan de restructuration en juin 1997 "sont de nature à faire augmenter le taux interne (rentabilité accrue) et à faire descendre le taux minimal (risques réduits)" (point 167 de l'arrêt). Le Tribunal de première instance en déduit que "la Commission aurait dû réévaluer le taux minimal et le taux interne sur la base de la dernière version du plan de restructuration pour pouvoir apprécier correctement si l'investissement de l'IRI satisfait au critère de l'investisseur privé" (point 168 de l'arrêt).
(9) Il convient également de noter que le Tribunal de première instance a rejeté l'argument d'Alitalia tiré du calcul prétendument erroné du taux interne en raison du fait que la Commission l'aurait contrainte à prendre à sa charge le coût de la mise à la retraite anticipée de 700 de ses travailleurs. Le Tribunal de première instance constate que l'appréciation juridique et le dispositif de la décision de 1997 ne contiennent aucune trace de la décision d'Alitalia de supporter ces coûts, la Commission en prenant uniquement acte dans la partie intitulée "Les faits" de la décision de 1997. Il estime que, avec la constitution d'un séquestre en juillet 1997, l'engagement est devenu irrévocable, et que la Commission devait donc "vérifier si l'investissement satisfaisait au critère de l'investisseur privé en tenant compte de cette nouvelle réalité" (point 154 de l'arrêt).
(10) Afin d'être en mesure de répondre pleinement aux exigences imposées par l'arrêt du Tribunal de première instance, la Commission a fait appel à l'assistance d'un expert indépendant, le cabinet Ernst & Young, qui avait déjà assisté la Commission dans cette affaire au cours des années 1996 et 1997, préalablement à l'adoption de la décision de 1997, et dont la qualité des travaux n'a jamais été mise en doute par le Tribunal de première instance. La tâche principale de l'expert a consisté à fournir à la Commission tous les éléments lui permettant de faire en l'espèce une nouvelle application du principe de l'investisseur en économie de marché, notamment en procédant à un calcul du taux de rendement interne de l'injection de capital et à une estimation du taux minimal requis qui tiennent compte de la motivation de l'arrêt du Tribunal de première instance décrite précédemment. Le recours au cabinet Ernst & Young pour mener à bien ces travaux s'est imposé naturellement à la Commission dans la mesure où seul ce cabinet était susceptible de fournir rapidement et utilement l'assistance recherchée compte tenu de sa connaissance de la situation prévalant en 1996 et 1997 ainsi que de la complexité des techniques et appréciations financières requises. L'expert a déposé son rapport le 1er juin 2001. Il importe de souligner que l'expert désigné apporte une simple assistance technique à la Commission et qu'il ne peut évidemment en aucune manière se substituer à cette dernière dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation de l'existence d'une aide sur la base des éléments de fait dont elle dispose.
APPRÉCIATION JURIDIQUE
(11) Aux termes de l'article 233 du traité, "l'institution ou les institutions dont émane l'acte annulé, ou dont l'abstention a été déclarée contraire au présent traité, sont tenues de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour de justice".
(12) Ces dispositions ont été explicitées par la Cour de la façon suivante: "Pour se conformer à l'arrêt et lui donner une pleine exécution, l'institution est tenue de respecter non seulement le dispositif de l'arrêt, mais également les motifs qui ont amené à celui-ci et qui en constituent le soutien nécessaire, en ce sens qu'ils sont indispensables pour déterminer le sens exact de ce qui a été jugé dans le dispositif. Ce sont, en effet, ces motifs qui, d'une part, identifient la disposition exacte considérée comme illégale et, d'autre part, font apparaître les raisons exactes de l'illégalité constatée dans le dispositif et que l'institution concernée doit prendre en considération en remplaçant l'acte annulé" (4). La Cour a également souligné qu'il incombait à l'institution dont émane l'acte annulé de déterminer les mesures que comporte l'exécution d'un arrêt d'annulation (5).
(13) En l'espèce, afin de tenir dûment compte de l'arrêt du Tribunal de première instance, il appartient à la Commission d'adopter une nouvelle décision qui comprenne la motivation du point sur lequel le Tribunal de première instance a constaté un défaut de motivation et qui corrige les deux erreurs manifestes d'appréciation identifiées par le Tribunal.
(14) En ce qui concerne la procédure à suivre préalablement à la prise de décision, l'article 233 n'impose pas à la Commission de rouvrir, dans le cas présent, la procédure ayant conduit à la décision de 1997 et de reprendre l'intégralité de la procédure avant d'adopter une nouvelle décision. Il convient sur ce point de distinguer entre le défaut de motivation, qui constitue un vice de forme, et les deux erreurs manifestes d'appréciation, qui constituent des vices de fond. S'agissant tout d'abord du défaut de motivation, il est de jurisprudence constante que, lorsque l'annulation d'un acte est fondée sur un vice de forme ou de procédure, l'institution concernée peut reprendre la procédure à partir du stade où le vice est intervenu (6). La Commission a ainsi adopté la décision du 22 juillet 1998 concernant l'augmentation de capital notifiée d'Air France sans avoir au préalable rouvert la procédure (7). S'agissant ensuite des deux erreurs manifestes d'appréciation, la Commission estime qu'une réouverture de la procédure ne s'impose nullement dès lors, d'une part, que la présente décision doit se fonder sur les éléments de fait existant à la date à laquelle la décision de 1997 a été adoptée (8), d'autre part, que les deux erreurs identifiées par le Tribunal de première instance concernent uniquement l'appréciation de faits qui sont par ailleurs matériellement établis. Les corrections que la Commission doit apporter aux deux points en cause ressortent en outre très clairement de l'arrêt du Tribunal de première instance et sont précisément encadrées par celui-ci. La Commission possède ainsi une information complète et nécessaire sur les éléments de fait et de technique financière relatifs à ces deux points pour satisfaire les exigences du Tribunal de première instance à leur égard sans qu'il soit utile de mettre en demeure les États membres ou les tierces parties intéressées de produire des observations. De plus, les États membres et les autres parties intéressées ont déjà eu l'occasion d'exprimer leurs points de vue dans le cadre de la procédure administrative préalable à l'adoption de la décision de 1997 et les droits procéduraux ont en conséquence été respectés. Dans ces conditions, la Commission dispose de l'ensemble des éléments lui permettant d'adopter une nouvelle décision sans qu'il soit besoin de rouvrir la procédure prévue par l'article 88, paragraphe 2, du traité.
Sur le critère de l'investisseur en économie de marché
(15) La Commission rappelle de façon préliminaire que, dans le contexte de l'ouverture à la concurrence du marché intérieur du transport aérien, elle a élaboré des lignes directrices sur l'application des anciens articles 92 et 93 du traité CE et de l'article 61 de l'accord EEE aux aides d'État dans le secteur de l'aviation (9). L'application que la Commission entend faire du principe de l'investisseur en économie de marché est explicitée en détail aux points 27 à 31 de ces lignes directrices. Ce "principe" constitue en fait un test qui, appliqué à une mesure particulière, permet de déterminer si son bénéficiaire en retire un avantage et est ainsi " favorisé" au sens de l'article 87, paragraphe 1, du traité. Le test procède de la définition objective d'une aide d'État telle qu'elle figure dans le traité et, à la différence de l'appréciation à porter par la Commission sur la compatibilité d'une aide dans le cadre de l'article 87, paragraphe 3, du traité, son application est obligatoire et ne relève pas du pouvoir discrétionnaire de la Commission. Le principe de l'investisseur en économie de marché a d'ailleurs été appliqué systématiquement par la Commission lorsqu'elle a été amenée à examiner les aides à la restructuration reçues par les compagnies Sabena en 1991 (10), Iberia en 1992 (11), Aer Lingus en 1993 (12), TAP (13), Air France (14) et Olympic Airways (15) en 1994. Dans ces différentes affaires, toutefois, l'existence d'une aide d'État n'était pas sérieusement contestée par les États membres concernés. À l'occasion de l'examen de l'injection de capital dont a bénéficié la compagnie Iberia en 1996, la Commission, toujours dans le cadre de l'application du principe de l'investisseur en économie de marché, a dû avoir recours à une méthode d'analyse financière élaborée qui fait notamment intervenir le taux [de rendement] minimal (hurdle rate) qu'exigerait un investisseur agissant selon des principes commerciaux. Cette méthode d'analyse a été appliquée également par la Commission à l'égard de l'injection en capital de 2 750 milliards de lires italiennes dont a bénéficié Alitalia et qui a fait l'objet de la décision de 1997.
(16) Les motifs de l'annulation de la décision de 1997 se rapportant uniquement à une application erronée du critère de l'investisseur privé en économie de marché, il est nécessaire d'appliquer à nouveau ce critère sans commettre les erreurs sanctionnées par le Tribunal de première instance.
(17) Il convient au préalable de remarquer que le Tribunal de première instance a rejeté l'argumentation présentée par Alitalia selon laquelle la participation d'investisseurs privés à la recapitalisation démontrerait en soi que celle-ci respecte le critère de l'investisseur privé (point 92 de l'arrêt) et qu'ainsi, à défaut d'une participation substantielle d'investisseurs privés à l'opération, la Commission doit avoir recours à une approche théorique. S'agissant de cette dernière, le Tribunal de première instance a validé la méthode retenue par la Commission consistant à comparer le montant de l'investissement de l'IRI à la valeur des cash-flows futurs escomptés du projet, actualisée au moyen du taux minimal (hurdle rate) qu'exigerait un investisseur privé (points 99 et 100 de l'arrêt). Cette méthode revient à comparer le taux de rendement interne de l'opération avec le taux minimal exigé. En conséquence, l'analyse que la Commission est tenue de recommencer porte exclusivement sur la détermination du taux de rendement interne de l'opération et sur celle du taux minimal requis.
(18) Afin de corriger l'erreur manifeste d'appréciation sanctionnée par le Tribunal de première instance par l'annulation de la décision de 1997, cette analyse doit prendre dûment en compte les dernières modifications apportées au plan de restructuration d'Alitalia en juin 1997. Pressée par les autorités italiennes qui souhaitaient l'adoption d'une décision par la Commission avant la fin du mois de juillet 1997 et qui avaient par ailleurs reconnu l'existence d'éléments d'aide d'État, la Commission, préalablement à l'adoption de la décision de 1997, n'avait en effet pas cru utile de procéder à un nouveau calcul du taux de rendement interne et à une nouvelle appréciation du taux minimal qui auraient intégré ces dernières modifications. Il est vrai également que celles-ci paraissaient de peu d'importance par rapport aux modifications apportées au plan en février 1997, dont il avait déjà été tenu compte.
(19) En ce qui concerne, en premier lieu, le taux de rendement interne, il importe de rappeler que le taux de rendement interne d'une opération financière est le taux d'actualisation qui égalise le montant de l'investissement réalisé avec celui des revenus qu'il va générer. Dans le cas présent, les revenus futurs à prendre en compte sont ceux attendus jusqu'à la fin de l'année 2000, laquelle correspond à l'achèvement du plan. L'entreprise dispose d'ailleurs de projections financières jusqu'à cette date, qui est, d'un côté, assez éloignée pour permettre à l'augmentation de capital en cause de produire tous ses effets dans le cadre du processus de restructuration et, d'un autre côté, assez proche pour réduire les incertitudes quant à la fiabilité des projections. Les revenus générés par Alitalia comprennent principalement la plus-value acquise par la valeur de la compagnie jusqu'en l'an 2000, mais aussi les dividendes qui seront versés à l'IRI par Alitalia avant l'année 2000.
(20) Par ailleurs, ainsi que le Tribunal de première instance l'a déclaré dans son arrêt précité du 12 décembre 2000, il faut inclure dans le calcul du rendement attendu les coûts d'insolvabilité que l'IRI serait amené à supporter dans le cas de la liquidation d'Alitalia et qui découleraient pour l'essentiel de la perte de prêts à court terme consentis à Alitalia par la société financière Cofiri, filiale de l'IRI, avant le mois de juin 1996. Il convient de procéder à une telle inclusion en l'espèce dès lors que la Commission n'a pas démontré que l'octroi des prêts en cause constituait déjà en lui-même une aide d'État. L'absence de remboursement de ces prêts à court terme en cas de cessation de l'activité d'Alitalia s'analyse du point de vue de l'IRI comme une perte de cash-flow. Toutefois, le montant de l'ensemble des coûts d'insolvabilité ne s'élève pas à plus de 1 000 milliards de lires italiennes, comme le soutiennent les autorités italiennes dans leurs communications à la Commission des 29 juillet et 9 septembre 1996, mais peut être estimé à 750 milliards de lires italiennes. En effet, il ressort du rapport de l'expert du 18 juin 1997 que le montant mis en avant par les autorités italiennes surestime le risque de pertes sur les effets à recevoir à court terme, sous-estime au contraire la valeur vénale de la flotte d'Alitalia, surévalue les coûts de liquidation et ne tient pas compte des avances déjà consenties par Alitalia pour l'achat de nouveaux appareils. Le chiffre de 750 milliards de lires italiennes pour l'ensemble des coûts d'insolvabilité a d'ailleurs été accepté par Alitalia dans le mémoire en réplique daté du 29 mars 1999 qu'elle a déposé auprès du Tribunal de première instance dans le cadre de l'instruction de l'affaire T-296-97.
(21) La plus-value acquise par la valeur d'Alitalia en l'an 2000 par rapport à celle de la compagnie en 1997, date de l'injection de capital qui fait l'objet de la présente décision, s'avère en fait égale à la valeur de la participation de l'IRI dans l'entreprise en l'an 2000 dès lors que la valeur d'Alitalia en 1997 doit être considérée comme nulle, d'après l'avis des experts consultés tant par la Commission que par Alitalia. Une incertitude subsiste à l'égard du pourcentage de participation de l'IRI au capital d'Alitalia jusqu'en l'an 2000, ainsi que pour l'année 2000 même, à défaut d'avoir pu connaître, en 1997, la législation fiscale qui sera applicable au transfert d'actions d'Alitalia au profit de ses salariés lorsque ce transfert interviendra. Le pourcentage de participation de l'IRI au capital d'Alitalia en l'an 2000 s'établit ainsi à 79 % ou à 86 % selon le traitement fiscal qui sera appliqué. La valeur de la participation de l'IRI au capital d'Alitalia de même que le montant des dividendes perçus varient naturellement en fonction de ces deux pourcentages. Il n'existe en revanche aucune incertitude à l'égard de la prise en charge des coûts de départ en préretraite par Alitalia dès lors que le Tribunal de première instance n'a soulevé aucune objection à l'encontre de la démarche de la Commission consistant à prendre acte de cette prise en charge (point 153 de l'arrêt). L'engagement d'Alitalia de prendre en charge ces coûts étant devenu irrévocable en juillet 1997, il convient de tenir compte de cette réalité dans le calcul à effectuer (points 154 et 156 de l'arrêt).
(22) Afin de déterminer la valeur d'Alitalia à la fin de l'année 2000 puis, de là, la valeur de la participation de l'IRI dans l'entreprise au même moment, l'approche retenue est comparable à celle suivie à l'occasion de l'affaire Iberia (16). Elle consiste à multiplier le cash-flow estimé d'Alitalia en année type postérieure à l'an 2000, par un coefficient actualisant l'ensemble des cash-flows futurs. La valeur de l'actif ainsi déterminée est ensuite réduite du montant de l'endettement de l'année 2000 pour aboutir à la valeur des capitaux propres à la même date. Le coefficient multiplicateur appliqué au profit en année type est fonction à la fois du taux de croissance moyen du cash-flow pour l'ensemble des années postérieures à l'an 2000 et du taux d'actualisation retenu en l'an 2000. Ce dernier taux n'est autre que le coût moyen pondéré du capital pour Alitalia à cette date, soit 9,53 %, moyenne pondérée du coût estimé de son endettement (7,2 %) et du coût de ses capitaux propres (14 %) évalué à l'aide du "Capital Asset Pricing Model". Il est, à ce stade, nécessaire d'insister sur le fait que le coût moyen pondéré du capital ainsi défini ne tient pas autrement compte du risque particulier propre à Alitalia. Quant au taux de croissance annuel moyen du cash-flow de la compagnie après l'an 2000, une valeur de 4,5 % en monnaie courante paraît raisonnable. Elle est déterminée à partir du taux de croissance à long terme de l'économie, du multiplicateur de ce taux propre au secteur du transport aérien, de l'évolution attendue de la recette unitaire et du taux d'inflation. Il en résulte que la valeur de la participation de l'IRI dans Alitalia en décembre 2000 s'élève à 4 206 ou à 4 330 milliards de lires italiennes, selon la disposition fiscale appliquée.
(23) Sur la base de ces données, le taux de rendement interne de l'investissement de la somme de 2 750 milliards de lires italiennes dans le capital d'Alitalia s'établit pour l'IRI, en 1997, à 25,2 % ou à 26,1 % suivant les deux hypothèses fiscales rappelées ci-dessus.
(24) En ce qui concerne, en second lieu, la détermination du taux minimal (hurdle rate) qu'exigerait un investisseur privé agissant selon les lois du marché pour effectuer une telle opération financière (apport en capital), il importe à titre préliminaire de souligner qu'une telle détermination, si elle tient compte de faits objectifs, ne repose néanmoins nullement sur un calcul mathématique précis mais relève d'une appréciation fondée sur l'expérience. En dépit de ce caractère empirique, il est toutefois possible d'estimer la valeur du hurdle rate avec une certaine précision car, face à une situation donnée, les établissements et les grands investisseurs financiers procèdent de manière empirique et aboutissent en général tous à des conclusions similaires.
(25) Dans le cas présent et sur la base des informations en sa possession, notamment des travaux effectués par l'expert, la Commission estime que le hurdle rate est voisin de 30 % en raison de l'importance de la somme en cause et surtout des risques présentés par l'opération. Ce taux d'au moins 30 % intègre en effet la possibilité que le plan ne se déroule pas comme prévu et que le rendement réel de l'investissement ne se révèle en fin de compte sensiblement plus faible. Du reste, le taux ne peut qu'être supérieur au coût des capitaux propres dès lors que ce dernier ne prend pas en compte tous les risques liés à la compagnie. Or, en dépit des améliorations consécutives aux adaptations apportées au plan en février et juin 1997, et notifiées à la Commission le 26 juin 1997, Alitalia apparaît comme une entreprise dont le risque spécifique demeure très élevé. Il convient à cet égard de rappeler que:
- de façon générale, les marges sont traditionnellement faibles dans le secteur du transport aérien et la volatilité des profits et des pertes y est élevée,
- Alitalia n'a jamais véritablement dégagé de résultats d'exploitation positifs significatifs depuis la fin des années quatre-vingt, malgré l'amélioration de la conjoncture à partir de 1994. Elle a même encore enregistré un résultat d'exploitation négatif de 24 milliards de lires italiennes en 1996, premier exercice d'application du plan de restructuration, et contrairement aux prévisions de celui-ci qui tablait sur un résultat positif de 70 milliards. Certes, dans sa lettre du 15 avril 1997 adressée à la Commission, Alitalia a produit une estimation de ses résultats pour le premier trimestre de 1997 qui fait apparaître un meilleur redressement de l'entreprise que celui prévu par le plan; mais, d'une part ces résultats reposent sur des chiffres provisoires non révisés, d'autre part une période d'un seul trimestre s'avère trop courte pour être réellement significative,
- la compagnie se trouve dans une situation financière extrêmement difficile et précaire. Seule l'injection de capital de 1 000 milliards de lires italiennes en juin 1996 lui a en fait permis d'éviter la faillite car ses fonds propres étaient pratiquement réduits à zéro au printemps 1996 et son endettement considérable. Un tel déséquilibre de la structure financière de l'entreprise peut, à lui seul, compte tenu de la taille de la compagnie et du montant de l'investissement envisagé, décourager un investisseur agissant selon les normes de l'économie de marché.
(26) Par ailleurs, les facteurs supplémentaires de risque suivants pèsent sur le bon déroulement du plan, sur la rentabilité de la compagnie à long terme et sur les projections financières pour 2000 sur lesquelles reposent les calculs du taux de rendement de l'augmentation de capital:
- le plan se fonde sur des hypothèses généreuses en matière d'évolution de la productivité, des coûts opérationnels, des coefficients de remplissage et de la recette unitaire de la compagnie,
- le redressement attendu dépend pour une large part de la mise en place du centre aéroportuaire de Malpensa à partir de 1998. Toutefois, la concurrence pourrait également profiter du développement de l'aéroport de Malpensa puisque les créneaux horaires disponibles y seront beaucoup plus nombreux qu'à l'aéroport de Linate, largement saturé. De plus, l'aéroport de Malpensa se trouve à 55 kilomètres du centre de Milan et aucune infrastructure aéroportuaire en Europe n'est aussi éloignée du centre de l'agglomération qu'elle dessert. En fait, les potentialités exactes de l'infrastructure nouvelle ainsi que les modalités de la mise en place du hub restent en partie inconnues,
- le marché intérieur italien, principal marché d'Alitalia, n'a été véritablement libéralisé qu'à la fin de l'année 1995 et de grandes incertitudes pèsent sur la manière avec laquelle Alitalia, jusqu'alors en situation de monopole, sera en mesure de faire face à la concurrence. Il importe à cet égard de souligner que le déficit opérationnel enregistré en 1996 trouve son origine dans une baisse très sensible de la recette unitaire de la compagnie,
- les coûts unitaires d'Alitalia restent supérieurs à ceux de ses principaux concurrents communautaires, en raison principalement de frais de main-d'œuvre trop élevés, alors que les recettes unitaires de l'entreprise sont au contraires plutôt inférieures à celles de ces mêmes concurrents,
- la compagnie a connu de graves difficultés sociales en 1995 et 1996, avant l'adoption du plan. L'attitude du personnel à l'égard des mesures supplémentaires de réduction des coûts et d'amélioration de la productivité susceptibles d'être proposées au cours des prochaines années demeure aléatoire. Plus généralement, la mutation de la "culture de l'entreprise" - d'une entité publique en situation de monopole à une société sans tutelle publique opérant en économie de marché - risque d'être difficile à gérer.
(27) Les dernières modifications apportées au plan par les autorités italiennes en juin 1997 et officiellement transmises à la Commission le 26 juin 1997 ne sont pas de nature à remettre en cause l'appréciation de la valeur du hurdle rate. Outre la décision des autorités italiennes de faire supporter par Alitalia les frais des départs en préretraite, ces modifications comprennent une accélération de la réduction prévue des coûts de l'entreprise par un transfert plus rapide du personnel d'Alitalia vers Alitalia Team, une réduction de 2 800 à 2 750 milliards de lires italiennes du montant total de l'injection de capital ainsi que la cession des participations d'Alitalia dans la compagnie hongroise Malev et dans six aéroports régionaux italiens. Elles réduisent certes les risques inhérents à l'opération et accroissent la rentabilité de l'injection de capital, mais restent marginales et s'avèrent beaucoup moins substantielles que les premières modifications apportées au plan par les autorités italiennes en février 1997. En effet, les modifications apportées au plan en juin 1997 n'ont qu'une faible incidence sur les principaux résultats du plan et sur les dividendes attendus par les actionnaires. Sur la base des projections financières actualisées en fonction de ces dernières modifications, leur incidence peut se résumer de la manière suivante:
<emplacement tableau>
(28) Il importe d'ajouter que l'endettement d'Alitalia et le ratio endettement/fonds propres (gearing) pour 2000 ne sont pas davantage modifiés de manière significative. Or, ces dernières données sont, du point de vue d'un investisseur, primordiales pour mesurer la prise de risque. Les changements du plan intervenus en juin 1997 restent donc pratiquement sans effet sur l'appréciation que porterait un investisseur agissant sur la base de seuls critères commerciaux, compte tenu de la persistance des risques liés à l'opération et décrits précédemment.
(29) Les modifications du plan apportées par les autorités italiennes en juin 1997 et surtout en février 1997 permettent en revanche de conclure, ainsi que l'a fait la Commission au point VIII de la décision de 1997, que le plan de restructuration est désormais de nature à permettre à Alitalia de devenir, dans un délai raisonnable, une entreprise viable dans l'environnement économique dans lequel elle est amenée à évoluer, dans la mesure en particulier où le plan ainsi modifié repose sur des hypothèses de croissance plus prudentes que celui initialement communiqué à la Commission le 29 juillet 1996. À cet égard, il convient de souligner que la question de la rentabilité économico-financière à long terme de l'entreprise est distincte de celle de la rentabilité attendue par un investisseur.
(30) Le taux de 30 % déterminé en l'espèce est identique à celui retenu par la Commission à l'occasion de l'affaire Iberia qui, comme l'a souligné avec raison le Tribunal de première instance, a vocation à constituer un précédent. À cet égard, la Commission estime que les risques présentés par l'injection de capital dont a bénéficié Alitalia en juillet 1997 sont au moins aussi importants que ceux présentés par l'injection de capital dont Iberia a bénéficié en janvier 1996. En effet, même si les situations spécifiques d'Alitalia et d'Iberia ne sont pas exactement identiques, les deux entreprises sont de taille comparables avec un chiffre d'affaires de quelque 4 milliards d'euros en 1995, exercent leur activité dans le même secteur économique et dans le même ensemble communautaire en voie de libéralisation, possèdent un marché intérieur qui n'est pas géographiquement central en Europe et ont enregistré régulièrement des pertes au cours des années précédant l'injection de capital. De plus, au moment où elles reçoivent cette injection de capital, elles se trouvent toutes deux dans une situation financière très difficile caractérisée par un endettement important et des fonds propres pratiquement réduits à zéro. Les montants des injections de capital en cause sont toutefois sensiblement différents, respectivement 1,42 milliard d'euros pour Alitalia et 0,522 milliard d'euros pour Iberia, ce qui accroît pour l'investisseur les risques liés à l'opération de recapitalisation d'Alitalia.
(31) Si l'on poursuit la comparaison à l'égard des deux plans de restructuration notifiés à la Commission par Alitalia et Iberia, il apparaît que la productivité d'Iberia est plus faible que celle d'Alitalia et qu'Iberia fait face à une incertitude en ce qui concerne les effets de la libéralisation du marché de l'assistance en escale en Espagne, sur lequel elle est fortement implantée. L'assistance en escale ne représente toutefois que 13 % du chiffre d'affaires de la seule Iberia et ce pourcentage est encore inférieur en considérant l'ensemble du groupe. En outre, les facteurs de risque qui caractérisent Iberia sont largement contrebalancés, aux yeux d'un investisseur, par la double incertitude à laquelle fait face Alitalia en ce qui concerne les conditions de son développement à Malpensa, partie essentielle du plan, et en ce qui concerne les effets de la libéralisation du marché intérieur italien de l'aviation civile. En effet, le marché intérieur espagnol de l'aviation civile a été libéralisé plusieurs années avant le marché intérieur italien et il est déjà possible, en 1996, de mesurer les effets de cette libéralisation sur Iberia alors que l'impact, sur Alitalia, de l'ouverture du marché intérieur italien demeure très aléatoire en 1997. Il faut ajouter qu'Iberia possède une place privilégiée sur le marché entre l'Europe et l'Amérique latine et qu'Alitalia ne dispose pas d'un atout comparable. Par ailleurs, la situation sociale dans les deux entreprises peut sembler très voisine aux yeux d'un investisseur. Celui-ci remarquerait sans doute que les partenaires sociaux se sont dans les deux cas engagés à accepter dans une certaine mesure des améliorations de la productivité et une diminution des coûts de production dans le cadre du plan, mais il prendrait surtout en considération les troubles sociaux qui ont marqué la vie des deux compagnies aériennes au cours des années précédant l'injection de capital ainsi que le besoin auquel elles font conjointement face de modifier leur culture d'entreprise publique restée longtemps en situation de monopole et de l'adapter aux nouvelles conditions du marché. À noter également que, dans les deux cas, subsistent des doutes quant à l'existence et aux modalités d'intervention de futurs partenaires extérieurs qui restent à choisir.
(32) Il est enfin utile de souligner qu'un taux de rendement de 30 % par an, pour important qu'il soit, peut être historiquement vérifié a posteriori dans le secteur du transport aérien et pour des entreprises connaissant des situations voisines de celle dans laquelle se trouvait Alitalia en 1996 et 1997. Ainsi, plusieurs compagnies américaines parmi les plus importantes ont fait face à de graves difficultés dans la première moitié des années 1990 avant de dégager d'importants profits depuis 1995 et de voir concomitamment leur valeur s'apprécier considérablement. L'exemple le plus spectaculaire à cet égard est celui de la compagnie Continental Airlines qui, de 1990 à 1993, a bénéficié des dispositions du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites et dans laquelle Air Partners et Air Canada ont investi 450 millions de dollars des États-Unis en novembre 1992. À la suite de la réussite des plans de restructuration de l'entreprise, notamment du plan intitulé "Go Forward Plan", le cours de l'action de la compagnie a été multiplié par quinze entre décembre 1994 et mai 1998, dégageant pour les investisseurs un rendement annuel sensiblement supérieur à 30 % au cours de cette période. Air Partners a revendu en novembre 1998 au prix de 430 millions de dollars sa participation dans Continental Airlines qu'elle avait acquise pour 55 millions de dollars des États-Unis, ce qui correspond pour cet investissement, sans même compter les éventuels dividendes, à un rendement annuel de plus de 40 % sur une période de six ans.
(33) En définitive, la Commission est d'avis que le taux annuel de rendement minimal (hurdle rate) qu'exigerait un investisseur agissant selon les lois du marché pour réaliser une dotation en capital de 2 750 milliards de lires italiennes au profit d'Alitalia dans les circonstances présentes, est supérieur au taux de rendement interne de cette opération tel qu'il a été déterminé ci-dessus (considérant 23). Cette conclusion trouve du reste une confirmation dans la circonstance qu'aucun investisseur privé n'a accepté de participer à l'opération.
(34) Il convient au surplus de remarquer que la majeure partie de l'augmentation de capital, soit 2 000 milliards de lires italiennes sur les 2 750 milliards prévus, était à verser dès l'été 1997, soit au début de la mise en œuvre du plan. Cette circonstance accroît les risques spécifiques de l'opération car un investisseur privé, face à une situation comparable, aurait au contraire tendance à n'apporter dans un premier temps que le capital minimal nécessaire pour assurer la survie de l'entreprise et n'apporterait le solde du capital requis qu'au fur et à mesure de l'apparition de signes tangibles et durables de redressement.
CONCLUSION
(35) L'ensemble de ce qui précède répond à l'exigence de motivation retenue par le Tribunal de première instance, ainsi qu'aux trois motifs d'annulation identifiés par celui-ci. En premier lieu, l'erreur manifeste d'appréciation tirée de l'absence de prise en compte des coûts d'insolvabilité est corrigée puisque ces coûts d'insolvabilité sont désormais regardés comme des cash-flows positifs (considérant 20). En deuxième lieu, l'erreur manifeste d'appréciation tirée de l'absence de prise en compte, dans le calcul du taux de rendement interne et dans l'appréciation du taux minimal, des dernières modifications apportées au plan en juin 1997, est corrigée puisque ces dernières modifications ont été dûment intégrées dans le nouveau calcul du taux de rendement interne et dans la nouvelle appréciation du taux minimal effectués par la Commission (voir respectivement les considérants 19 à 23 et 24 à 32). En troisième lieu, la présente décision répond à l'exigence de motivation sur le point sur lequel la décision de 1997 était entachée d'un défaut de motivation, à savoir la détermination du taux minimal, puisque l'ensemble des éléments conduisant la Commission à fixer une valeur de ce taux minimal à 30 %, comparable à celle retenue dans l'affaire Iberia, sont précisément explicités (considérants 24 à 32). Cette motivation fait apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le raisonnement de la Commission, de façon à permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle et aux intéressés de connaître les justifications de l'appréciation de la Commission afin de défendre leurs droits.
(36) Pour le reste de la motivation de la présente décision, notamment à l'égard de la compatibilité de l'aide, la Commission se réfère aux considérants du texte de la décision de 1997 qui doivent être regardés comme partie intégrante de la présente décision sans qu'il soit nécessaire de les reprendre ici intégralement.
(37) La Commission constate aussi que l'annulation de la décision de 1997 a eu pour effet de priver de base légale la décision qu'elle a adoptée le 3 juin 1998 en ce qui concerne le paiement de la seconde tranche d'aide à Alitalia. Dans ces conditions, il y a lieu de ne pas s'opposer à nouveau au paiement de la tranche dont il s'agit. La Commission se réfère à cet égard à la motivation de la lettre qu'elle a adressée aux autorités italiennes le 16 juin 1998 (17), laquelle doit être également regardée comme partie intégrante de la présente décision,
A arrêté la présente décision:
Article premier
L'aide accordée par l'Italie à la compagnie Alitalia Linee Aeree Italiane SpA, sous la forme d'une dotation en capital d'un montant total de 2 750 milliards de lires italiennes, payable en trois tranches, visant à assurer la restructuration de la compagnie conformément au plan communiqué à la Commission le 29 juillet 1996 et adapté le 26 juin 1997, est compatible avec le marché commun et l'accord EEE en vertu de l'article 87, paragraphe 3, point c), du traité CE et de l'article 61, paragraphe 3, point c), de l'accord EEE, sous réserve du respect des engagements et conditions figurant aux articles 1er, 2 et 3 de la décision 97-789-CE, reproduits dans le considérant 1 de la présente décision.
Article 2
La Commission ne s'oppose pas au paiement de la seconde tranche de la dotation en capital à la compagnie Alitalia Linee Aeree Italiane SpA.
Article 3
La République italienne est destinataire de la présente décision.
Notes
(1) JO L 83 du 27.3.1999, p. 1.
(2) JO L 322 du 25.11.1997, p. 44.
(*) Secret d'affaires.
(3) JO L 104 du 27.4.1996, p. 25.
(4) Arrêt de la Cour du 26 avril 1988, Astéris contre Commission, affaires jointes 97-86, 193-86, 99-86 et 215-86, Recueil 1988, p. 2181, point 27.
(5) Arrêt de la Cour du 5 mars 1980, Könecke contre Commission, affaire 76-79, Recueil 1980, p. 665, points 13, 14 et 15.
(6) Arrêt de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa c.a., affaire C-331-88, Recueil 1990, p. I-4023, et arrêt du Tribunal de première instance du 17 octobre 1991, De Compte contre Parlement européen, affaire T-26-89, Recueil 1991, p. II-781, point 70.
(7) JO L 63 du 12.3.1999, p. 66.
(8) Arrêt du Tribunal de première instance du 25 juin 1998, British Airways et autres contre Commission, affaires jointes 371-94 et 394-94, Recueil 1998, p. II-2405.
(9) JO C 350 du 10.12.1994, p. 5.
(10) Décision de la Commission du 24 juillet 1991 (JO L 300 du 31.10.1991, p. 48).
(11) Décision de la Commission du 22 juillet 1992. Non encore publiée au Journal officiel.
(12) Décision de la Commission du 21 décembre 1993 (JO L 54 du 25.2.1994, p. 30).
(13) Décision de la Commission du 6 juillet 1994 (JO L 279 du 28.10.1994, p. 29).
(14) Décision de la Commission du 27 juillet 1994 (JO L 254 du 30.9.1994, p. 73).
(15) Décision de la Commission du 7 octobre 1994 (JO L 273 du 25.10.1994, p. 22).
(16) Décision "Iberia" (voir note 3 de bas de page), n° VII.
(17) JO C 290 du 18.9.1998, p. 3.