Conseil Conc., 2 février 2009, n° 09-D-05
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de MM. Ferrero, Duflos, par M. Lasserre, président, M. Nasse, vice-président, M. Honorat, membre
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 13 décembre 2005, sous le numéro 05/0101 F, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les groupes Adecco, Manpower et Vedior dans le secteur du travail temporaire ; Vu l'article 81 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les décisions de protection du secret des affaires n° 07-DSA-29, n° 07-DSA-30 et n° 07-DSA-31 du 31 janvier 2007, n° 07-DSA-82 du 28 mars 2007, n° 07-DSA-98 du 11 avril 2007, n° 07-DSA-113 du 29 mai 2007, n° 07-DSA-124 du 5 juin 2007, n° 07- DSA-130 du 8 juin 2007 ainsi que d'une part, les décisions de déclassement n° 07-DEC-03 du 13 mars 2007, rectifiée par décision n° 07-DEC-33 du 6 novembre 2007, n° 07-DEC-21 du 17 avril 2007, n° 07-DEC-23 du 4 juin 2007, n° 07-DSADEC-21 du 11 octobre 2007, n° 08-DSADEC-18 du 26 mars 2008, n° 08-DSADEC-21 du 14 avril 2008, n° 08- DSADEC-24 du 28 avril 2008, n° 08-DEC-08 du 29 mai 2008, n° 08-DSADEC-67 du 2 septembre 2008, n° 08-DSADEC-68 du 2 septembre 2008, n° 08-DSADEC-69 du 8 septembre 2008 et n° 07-DECR-03 du 7 mars 2007, n° 07-DECR-04 du 8 mars 2007, n° 07-DECR-19 du 16 avril 2007, n° 07-DECR-24 du 16 mai 2007, n° 07-DECR-30 du 7 septembre 2007, n° 08-DECR-20 du 29 mai 2008 autorisant l'utilisation des pièces classées en annexe confidentielle et d'autre part, les décisions n° 08-REFDEC-01 du 4 juillet 2008 et n° 08-REFDEC-02 du 24 juillet 2008 rejetant les demandes de déclassement de pièces classées en annexe confidentielle ; Vu les procès-verbaux du 1er et du 7 février 2008, par lesquels les sociétés Adecco France (anciennement dénommée Adecco Travail Temporaire) et Adia pour le premier, Groupe Vedior France et VediorBis pour le second, ont déclaré ne pas contester les griefs qui leur avaient été notifiés et ont demandé le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Adecco France, Adia, Groupe Vedior France et VediorBis, Manpower France Holding, Manpower France et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Adecco France, Adia, Groupe Vedior France, VediorBis, Manpower France Holding et Manpower France, entendus lors de la séance du 1er octobre 2008 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
1. La saisine du Conseil de la concurrence a pour origine la transmission aux autorités françaises, le 30 juillet 2003, par la Commission européenne, d'une plainte déposée auprès d'elle par un ancien dirigeant d'une filiale du groupe Vedior au Luxembourg, dénonçant des pratiques anticoncurrentielles qui auraient été commises par les sociétés Adecco Travail Temporaire, Manpower France et VediorBis. Ces pratiques auraient été révélées à l'intéressé lorsque les responsables du groupe Vedior en France lui auraient demandé de limiter son action commerciale, jugée trop agressive, depuis le Luxembourg vers la France. Dans la suite de la présente décision, pour désigner les trois sociétés visées il sera simplement fait référence, sauf nécessité particulière, à Adecco, Manpower et VediorBis.
2. Les services d'enquête du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie ont procédé le 30 novembre 2004 à des opérations de visite et saisie dans les locaux des entreprises visées. Les éléments recueillis ont conduit le ministre à saisir le Conseil de la concurrence le 13 décembre 2005.
A. LE SECTEUR DU TRAVAIL TEMPORAIRE EN FRANCE
3. Le travail temporaire ou intérimaire permet aux employeurs de recourir, pour des missions provisoires dont la nature et les conditions sont limitativement énoncées dans le Code du travail, à des travailleurs qu'ils n'emploient pas directement, mais qui sont employés par des entreprises spécialisées dites " de travail temporaire ". La prestation de travail temporaire est ainsi une relation tripartite réunissant l'entreprise utilisatrice (ci-après EU) qui exprime un besoin provisoire de personnel, l'entreprise de travail temporaire (ci-après ETT) qui recrute un intérimaire en le rémunérant pour effectuer une mission momentanée dans l'entreprise utilisatrice, et le travailleur intérimaire lui-même.
4. Chaque mission fait l'objet d'un double contrat : un contrat de travail dit de mission entre l'ETT et l'intérimaire et un contrat commercial dit de mise à disposition entre l'ETT et l'EU. Ce dernier précise les caractéristiques de la mission : motif, durée, qualification, nature du poste, lieu de travail, risques liés au poste, équipements de protection, rémunération, caisse de retraite complémentaire, organisme de prévoyance. La rémunération du salarié temporaire ne peut être inférieure à celle que percevrait à l'embauche, après période d'essai, un salarié de même qualification pour le poste à pourvoir, augmentée des primes éventuelles. A cela s'ajoutent une indemnité de fin de mission (IFM) égale à 10 % de la rémunération totale brute due pendant la durée de son contrat et une indemnité de congés payés (ICP) égale à 10 % de la rémunération totale incluant l'IFM. Les ETT facturent aux EU la main-d'œuvre qu'elles missionnent par application d'un coefficient multiplicateur sur le salaire brut du travailleur intérimaire. Ce coefficient multiplicateur représente le coût de la main d'œuvre, toutes charges incluses, augmenté de la marge propre à l'ETT. Pour les " grands comptes ", entre 2001 et 2004, ce coefficient était de l'ordre de 1,90. Les ETT distinguent néanmoins le coefficient de " recrutement/délégation " de celui de " simple gestion " : le premier s'applique lorsque c'est l'ETT qui assure le recrutement du travailleur intérimaire ; le second -moins élevé- s'applique lorsque l'intérimaire a déjà été sélectionné par l'EU (autour de 2,00 contre 1,90 par exemple). Le coefficient de recrutement/délégation est souvent transformé en coefficient de gestion après quelques mois de mission.
5. On distingue deux grands types d'entreprises utilisatrices : les entreprises de dimension locale, qui relèvent du " diffus ", pour reprendre l'expression de la profession, et les entreprises de plus grande envergure qui constituent des " grands comptes " et dont les besoins en intérim nécessitent le recours fréquent à plusieurs ETT.
6. VediorBis, par exemple, définit comme suit un grand compte : " ... les grands comptes sont des entreprises ou groupes multi-sites nécessitant un suivi et une coordination centralisés et ayant un potentiel TT supérieur à 2,5 millions d'euro (sauf exception) ... Un AN (accord national) est signé avec une majorité de grands comptes. Il comporte des clauses techniques et commerciales visant à encadrer les commandes futures. Il convient de préciser que VediorBis compte 490 AN en 2006 qui regroupent environ 4 544 entreprises ... et englobent environ 12 400 sites ... On distingue parmi les grands comptes plusieurs sous-catégories : les GC stratégiques, les GC nationaux et les GC régionaux ... " Adecco et Manpower ont fait état d'une approche similaire.
7. De plus en plus, de grands comptes centralisent leurs " achats " de travail temporaire afin de réduire les coûts. La négociation des contrats avec les ETT est en général gérée par les services " achats " de ces grands groupes, qui mettent en place de véritables procédures d'appel d'offres, dont les termes sont définis par des cahiers des charges extrêmement précis et exigeants, le prix étant le critère de choix privilégié.
8. En 2005, l'emploi intérimaire a représenté en France 585 687 équivalents emploi temps plein (ETP), soit 2,1 % de la population active (27,8 millions de personnes) et 3,3 % de l'emploi salarié marchand (17,8 millions de personnes).
De 2000 à 2007, il a évolué comme suit :
<emplacement tableau>
Source : DARES, exploitation des fichiers UNEDIC des déclarations mensuelles des agences intérim.
9. Sur le plan mondial, le chiffre d'affaires de l'intérim représentait en 2005 environ 185 milliards d'euro. L'Europe était le marché le plus actif, avec 83 milliards d'euro, soit 46 % (dont 19 milliards d'euro pour la France, soit 10 %), devant les États-Unis (70 milliards d'euro et 38 %) et le Japon (20 milliards d'euro et 11 %). Les spécificités économiques des pays et leur réglementation du travail ont conduit à un recours plus ou moins développé à l'intérim comme le montre la part du travail temporaire dans les pays européens suivants :
<emplacement tableau>
10. Les trois leaders mondiaux que sont en 2005 le groupe Adecco (siège en Suisse), le groupe Manpower (siège aux États-Unis) et le groupe Vedior (siège aux Pays-Bas) couvrent à eux seuls 70 % de l'activité en France, suivis par des acteurs tels Crit Interim, Synergie, Randstad (désormais uni à Vedior), Creyf's Intérim (USG People, cinquième groupe européen), Kelly Interim Services (EU, cinquième groupe mondial), Hays Travail Temporaire. Le reste du marché est atomisé entre des sociétés très spécialisées ou à fort ancrage local. La France compte ainsi environ un millier d'ETT différentes, disposant de plus de 6 000 agences.
11. Les intérimaires sont généralement référencés, sans aucune exclusivité, auprès de plusieurs agences situées dans leur bassin d'emploi. Ils passent d'une ETT à une autre, notamment quand l'EU auprès de laquelle ils sont missionnés décide de cesser de travailler avec l'ETT qui les avait missionnés.
12. Les emplois qualifiés sont désormais prépondérants dans l'intérim. En 2005 par rapport à 1999, la répartition des intérimaires par catégorie socio-professionnelle est en effet constituée de :
41,8 % d'ouvriers non qualifiés contre 47,7 %,
37,9 % d'ouvriers qualifiés contre 33,2 %,
12,6 % d'employés contre 13,8 %,
6,7 % de professions intermédiaires contre 4,7 %,
1,7 % de cadres contre 0,9 %.
13. L'industrie reste le principal utilisateur d'intérimaires, bien que sa part ait baissé de six points entre 1999 et 2005, (45,8 % contre 51,9 %), alors que le secteur tertiaire (32,9 % contre 29,4 %) et le BTP (20,6 % contre 18,2 %) sont tous deux en progression sur la même période.
14. Les trois grandes ETT font face à une demande plutôt peu concentrée puisque les vingt premiers clients ne représentent qu'entre 17,2 % et 25,3 % de leur chiffre d'affaires. A cet égard, le directeur général d'Adecco a précisé que sa société travaille avec plus de 50 000 clients chaque jour. Néanmoins, la part des grands comptes est significative puisque elle couvre entre 50 % et 60 % de leurs débouchés. Un grand compte peut ne recourir qu'à une ou deux ETT parmi les trois grandes et la mobilité de la clientèle n'est pas négligeable avec une part du chiffre d'affaires comprise entre 6,9 % et 15 % réalisée auprès de clients nouvellement facturés en 2006 sans l'avoir été au cours de l'exercice précédent.
15. Les entreprises mises en cause ont, par ailleurs, apporté les précisions qui suivent sur leur activité.
16. Le président directeur général de Groupe Vedior France a déclaré : " la main d'œuvre intérimaire est plutôt localisée par bassin d'emploi même si une plus grande mobilité peut exister pour certaines qualifications pénuriques et de haut niveau, en particulier dans le BTP. D'une mission à l'autre, elle est libre de tout engagement vis-à-vis d'une ETT, même si des efforts importants sont consentis par les agences pour la fidéliser, (liens humains, formation, construction d'un plan de carrière avec un salarié sans qualification). En raison des spécificités de l'intérim, nous avons des conditions générales de ventes (délais de paiement, pénalités, recouvrement) sans intégrer des tarifs vis-à-vis de l'extérieur. Il existe une grille tarifaire en interne pour mettre de la cohérence dans nos propositions de prix ... ".
17. Le directeur commercial de Manpower a précisé : " ... la société Manpower réalise un chiffre d'affaires très important, en l'occurrence 4,4 milliards d'euro. Comme toute ETT, l'essentiel de ce chiffre d'affaires est constitué des salaires et des charges relatives à la main d'œuvre intérimaire. La valeur véritable de notre activité dégagée par nos propres agents ne s'élève de fait qu'à environ 13 % de notre chiffre d'affaires total. Nous n'avons pas de tarif prédéterminé pour notre clientèle particulièrement diverse, tant en terme d'activité que de compétence recherchée. En revanche, à usage interne, nos 1 043 agences disposent d'une grille tarifaire (...) pour être en mesure de s'adapter aux conditions ponctuelles de l'offre et de la demande locales ... ".
18. Enfin, le directeur général d'Adecco a indiqué : " le marché du travail temporaire en France s'avère très ouvert car il n'y a quasiment pas de barrières à l'entrée hors la caution bancaire obligatoire de l'ordre de 8 % du CA afin de pallier une éventuelle défaillance de l'ETT vis-à-vis de la paye des intérimaires ; pour Adecco (la) paye (est) mensuelle mais avec acompte hebdomadaire et (contre un) délai de paiement moyen des EU de 75 jours.
Il s'agit, en outre, d'un marché extrêmement concurrentiel car on y trouve 6 500 agences et plus de mille ETT et que les intérimaires sont totalement libres de travailler avec qui ils veulent. Les EU, notamment les grands comptes, n'accordent aucune exclusivité à leur fournisseur de TT. Ce sont d'ailleurs les acheteurs qui imposent les prix dans la plupart des cas.
A cet égard, le prix de revient direct de la main d'œuvre déléguée est totalement transparent vis-à-vis de notre clientèle, qui elle-même emploie du personnel, puisque constitué des salaires et des charges sociales directs.
Pour Adecco, notre taux de marge brute est passée ainsi de 20 % au début des années 90 à 12 % aujourd'hui.
Notre chiffre d'affaires est ainsi constitué de 88 % des salaires et charges sociales de nos intérimaires délégués chez nos clients.
Aujourd'hui 14 mai 2007, le groupe Adecco délègue chaque jour en France 190 000 intérimaires auprès de 50 000 clients.
Chez Adecco, si la part du CA des grands comptes est de plus de la moitié du CA global, ces mêmes grands comptes ne représentent que 35 % de la marge brute car ils font particulièrement jouer la concurrence.
La proportion des établissements grands comptes ne représente en volume que 35 % des sites facturés contre 65 % pour les sites diffus.
Il est impossible d'établir un référentiel national de nos prix de délégation compte tenu de l'étendue et de la diversité des qualifications, des bassins d'emplois et de nos clients ...".
19. La croissance à deux chiffres du secteur, qui avait induit une multiplication par 2,1 de l'activité travail temporaire de 1996 à 2000 (de 8,7 à 18,6 milliards d'euro), s'est interrompue entre 2001 et 2005, période pendant laquelle on a assisté même à une régression de l'activité à 17,7 milliards d'euro en 2002 et 2003.
20. Les groupes Adecco, Manpower et Vedior couvrent ensemble, en 2005, 69,7 % de l'activité travail temporaire en France (31 % pour Adecco, 22,9 % pour Manpower et 15,7 % pour Vedior). De 1999 à 2005, ils ont augmenté leur part de marché de 4,3 points au détriment des autres ETT qui sont redescendues de 34,6 % à 30,3 %. L'indice Herfindhal-Hirschman relatif aux parts de marché de ces trois groupes est de 1 732, soit un chiffre proche de 1 800, indice habituellement considéré comme révélateur d'un marché à haute concentration. Selon ces groupes, leur situation sur le marché et leur croissance s'expliquent par le développement du nombre de leurs agences sur l'ensemble du territoire national. Vis-à-vis des grands comptes qui se caractérisent souvent par la présence de sites multiples, l'effet de réseau d'agences locales des trois principaux acteurs semble en tout cas constituer un avantage par rapport aux opérateurs moins importants, sinon une barrière à l'entrée. De fait, les grands comptes sont fournis à 90 % par les groupes Adecco, Manpower et Vedior.
21. Une étude du cabinet Rexecode pour le syndicat des entreprises de travail temporaire (SETT) rapporte que l'INSEE a calculé pour 2000 que les ETT ont dégagé un excédent brut d'exploitation (EBE) de 883 millions d'euro, soit 4,7 % du chiffre d'affaires agrégé de 18 644 millions d'euro, pour un résultat de 311 millions d'euro, soit 1,7 % du chiffre d'affaires. Dans ce contexte, le montant agrégé des allègements de charges sur les bas salaires versés aux employeurs de travail temporaire qui a été chiffré par l'INSEE pour la même année à 700 millions d'euro constitue un enjeu très important puisque son montant équivaut à 79 % de l'EBE et 225 % du bénéfice.
22. Or, la loi dite " Fillon ", promulguée le 17 janvier 2003, a instauré au 1er juillet 2003 un nouveau dispositif sur les allègements de charges sur les bas salaires se substituant aux précédentes mesures prévues notamment par les dispositifs dits " Juppé " et " Aubry II ". Dans ce cadre, selon l'étude précitée, la mise en œuvre de la loi Fillon devait avoir un impact négatif sur les allègements de charges versés aux ETT, de 107 millions d'euro en 2003 et de 15 millions en 2004, avant d'avoir un impact positif de 77 millions en 2005. En 2003, toutes choses égales d'ailleurs, la rentabilité moyenne des ETT pouvait ainsi être affectée de 12,1 % (107/883).
B. LES ENTREPRISES MISES EN CAUSE ET LES GROUPES AUXQUELS ELLES APPARTIENNENT
Adecco Travail Temporaire et Adia, sociétés du groupe Adecco
23. Le groupe Adecco est né en 1996 de la fusion du groupe d'origine suisse Adia et du groupe d'origine française Ecco TT. Il est au premier rang mondial des opérateurs du secteur. La société holding de tête du groupe, Adecco SA, sise à Chasserex (Suisse), est cotée sur le SWX Swiss Exchange mais également à la Bourse de Paris. En 2007, le chiffre d'affaires mondial consolidé d'Adecco SA s'élève à 21,09 milliards d'euro, dégageant un résultat opérationnel de 1,054 milliard d'euro et un bénéfice de 735 millions d'euro, soit respectivement 4,9 % et 3,4 % du chiffre d'affaires.
24. En France, le groupe Adecco est représenté principalement par ses deux filiales, contrôlées à 100 %, Adecco France (anciennement dénommée Adecco Travail Temporaire, ci-après " Adecco ") et Adia, mais aussi par Quick Medical Service, contrôlée également à 100 %, spécialisée dans le secteur médical. Le siège des trois filiales est à Villeurbanne (69). Adecco a précisé : " ... début 1997, lors de la fusion au niveau mondial entre Adia et Ecco Travail Temporaire, il y a eu continuité, en France uniquement, de l'activité Adia et de Ecco TT, sous le nom d'Adecco. La société Adecco est donc le nouveau nom de la société Ecco TT (...) dans le cadre d'une politique de groupe ... la direction commerciale d'Adecco travaille en collaboration avec la direction commerciale d'Adia pour définir et mettre en œuvre les accords groupe (...)" Adecco précise toutefois que, lorsque les deux sociétés présentent une offre commune, celle-ci est officialisée dans le contrat avec l'EU de la façon suivante : " ... xxx a été averti expressément, ce qu'il reconnaît, que les sociétés Adecco et Adia font partie du même groupe et que ces deux sociétés se sont à la demande du client rapprochées pour présenter une offre commune ... ".
25. En 2007, Adecco a réalisé un chiffre d'affaires total de 4,9 milliards d'euro, obtenu à 99,6 % en France et dégagé un résultat d'exploitation de 252,2 millions d'euro et un bénéfice de 280,5 millions d'euro, soit respectivement 5,1 % et 5,7 % du chiffre d'affaires. Adecco dispose de 1 000 agences environ qui servent chaque jour 37 000 entreprises clientes en missionnant 140 000 intérimaires (données site internet).
26. En 2007, Adia a réalisé un chiffre d'affaires total de 1,56 milliard d'euro, obtenu à 99,4 % en France et dégagé un résultat d'exploitation de 68,1 millions d'euro et un bénéfice de 38,8 millions d'euro, soit respectivement 4,3 % et 2,4 % du chiffre d'affaires. Adia dispose de 460 agences environ, qui missionnent 50 000 intérimaires chaque jour (données site internet).
27. Adecco et Adia sont communément dénommés dans la profession " les rouges " en raison de la couleur dominante de leur enseigne.
Manpower France, société du groupe Manpower
28. Le groupe Manpower est basé à Milwaukee, aux Etats-Unis. Coté à la bourse de New-York, il était jusqu'à peu le deuxième groupe mondial dans le domaine du travail temporaire. En 2007, son chiffre d'affaires mondial consolidé s'élève à 20,5 milliards de dollars, dégageant un résultat opérationnel de 825,4 millions de dollars et un bénéfice de 484,7 millions de dollars, soit respectivement 4 % et 2,3 % du chiffre d'affaires.
29. Le groupe Manpower est représenté en France par les sociétés et les marques de travail temporaire, Manpower France et le spécialiste Supplay dont le siège est à Reims (51). Manpower France a réalisé un chiffre d'affaires en 2007 de 4,69 milliards d'euro, obtenu à 100 % en France, et dégagé un résultat d'exploitation de 284,8 millions d'euro et un bénéfice de 145,6 millions d'euro soit respectivement de 6 % et 3,1 % du chiffre d'affaires. Manpower dispose de 1 030 agences pour servir 80 000 clients (données site internet).
30. Manpower France a précisé que, par apport partiel d'actifs réalisé le 30 avril 2004, l'ancienne société Manpower France SAS (RCS Paris B 562 087 791) a apporté son activité de travail temporaire à la société Manpower Entreprise (RCS Paris B 429 955 297) jusqu'alors sans activité (coquille juridique sans chiffre d'affaires). A l'issue de cet apport, l'ancienne société Manpower France SAS (RCS Paris B 562 087 791) a changé sa dénomination sociale en Manpower France Holding SAS. Parallèlement, la société Manpower Entreprise (RCS Paris B 429 955 297) a changé sa dénomination sociale en Manpower France SAS. Les deux sociétés Manpower France SAS évoquées sont désignées ci-après sous le nom générique Manpower, sauf nécessité particulière.
31. Les agents Manpower ont longtemps été appelés " les bleus " en raison des anciennes couleurs bleu et blanc de leur enseigne.
VediorBis et Groupe Vedior France, sociétés du groupe Vedior
32. Le groupe d'origine néerlandaise Vedior, coté à Amsterdam (Euronext), était parvenu au troisième rang mondial de l'intérim après sa fusion en 1999 avec Select Appointments, d'origine britannique. Une procédure amiable de fusion-absorption a eu lieu au printemps 2008 à l'initiative de l'autre groupe néerlandais d'intérim, Randstad, pour constituer désormais le deuxième opérateur au niveau mondial. En 2007, le chiffre d'affaires mondial consolidé du groupe s'élève à 8,43 milliards d'euro et dégage un résultat opérationnel en progression de 35,3 % à 398 millions d'euro, soit 4,7 % du chiffre d'affaires.
33. En 2006, le chiffre d'affaires consolidé de Vedior en France constitué des sociétés d'intérim VediorBis, généraliste, et des spécialistes Expectra, l'Appel Médical, IBM et Atoll s'élève à 3,14 milliards d'euro et dégage un résultat opérationnel en progression de 14,2 % à 109,7 millions d'euro soit 3,5 % du chiffre d'affaires. La société holding, Groupe Vedior France a réalisé un chiffre d'affaires en 2007 de 89,2 millions d'euro et a dégagé un bénéfice de 30,6 millions d'euro. Active depuis le 31 mars 2001, VediorBis a réalisé un chiffre d'affaires en 2007 de 2,775 milliards d'euro, obtenu à 100 % en France, en progression de 7,5 %, et a dégagé un résultat d'exploitation de 157,4 millions d'euro et un bénéfice de 48,5 millions d'euro soit respectivement de 5,6 % et 1,3 % du chiffre d'affaires. Vedior en France dispose de 900 agences, dont 700 pour VediorBis, pour servir 60 000 clientes (données site internet).
C. LES FAITS CONSTATÉS
34. Les éléments matériels qui suivent figurent notamment au dossier. Dans la mesure où, comme il sera précisé plus loin, Adecco, Adia, Groupe Vedior France et VediorBis ne contestent pas les griefs qui leur ont été notifiés, sont repris essentiellement des éléments concernant Manpower, qu'ils émanent de VediorBis, d'Adecco ou de Manpower elle-même.
1. PIÈCES ÉMANANT DE VEDIORBIS
35. Un courriel interne à VediorBis du 4 juillet 2003 relatif à certains clients, de M. Jean-François Y..., directeur commercial de la branche logistique et commerce, à M. Olivier Z..., directeur général adjoint, comporte les mentions suivantes (cotes 3477 à 3479) :
" ... Mory : Proposition 2003 sans rétrocession d'allègements du fait des coefficients qui n'ont pu être augmentés en début d'année et de la rentabilité très basse sur ce compte ... La DRH est très difficile à affronter, c'est la raison pour laquelle, nous avions décidé de stopper le versement de la RFA [ristourne de fin d'année] de 1,2 % qui avait été négociée en 2002 pour provoquer cette renégociation d'accord : pas de réaction de notre interlocutrice : nos confrères ont suivi cette démarche pour les mêmes raisons. Nous devons obtenir en contrepartie de tout reversement, l'augmentation de nos coefficients trop faibles actuellement : c'est notre objectif pour septembre 2003 ...
(...)
La Poste : Man ... doit approcher la direction des achats en juillet pour évoquer le fait que les prix remis en début d'année incluaient les RBS [réductions sur bas salaires] et le fait que le gain RBS baisse de 2 % doit permettre de raugmenter les prix sur ce dossier en septembre (date anniversaire de réévaluation). Nos coefficients partaient du principe que le RBS nous revenait car La Poste étant un EPIC n'avait pas droit jusque là aux RBS. Tout peut changer avec Fillon et nous devons réintégrer la baisse de revenus sur nos prix. (...) Une position commune sur le sujet est primordiale d'autant que le potentiel annoncé n'est pas au RV [rendez-vous], la direction des achats ne pilote pas les PDM [parts de marché] des référencés 2003 ...
(...)
FM Logistics : sur cet accord, nous avions une formule sur la base de 100 % du différentiel Aubry-Juppé, l'idée est de confirmer une baisse de taux de rétrocession au client qui n'a pas accepté d'augmentation tarifaire en 2002 : nos concurrents n'ont aucune perte sur ce dossier donc pourraient proposer le même taux de rétrocession qu'en 2002. Nous devons proposer une augmentation tarifaire et une baisse du taux de rétrocession car la MB [marge brute] était de (...) en 2002 ... Nous devons être solidaires sur cette renégociation à la rentrée ...
(...)
Gefco : pas de perte de rétrocession, donc risque de proposition équivalente à 2002 également sur ce dossier ... Pas de soucis particuliers sur le principe de baisse des rétrocessions mais là encore le discours doit être harmonisé. "
36. Un " point " interne à VediorBis au 3 octobre 2003, toujours de la branche logistique et commerce (cotes 3542 à 3545) comporte notamment, en sus de nombreuses informations concernant la politique de Manpower vis-à-vis de plusieurs clients dans ce secteur : " ... Sodexho ... : je n'ai pas d'infos de nos concurrents qui ne sont pas très fiables sur ce dossier ... "
37. Un courriel interne à VediorBis du 8 août 2003, relatif au client Areva, de Mme Delphine A..., directrice commerciale de la branche " experts et pros de l'industrie ", à M. Olivier Z..., indique (cote 8413) : " ... Potentiel Areva 23 M
PdM Manpo 30 à 35 %
PdM Adecco 30 à 35 %
Pdm VediorBis 25 %
Autres ETT 5 à 15 % ...
Ils veulent retenir une seule ETT au niveau national, au maximum deux.
Le risque est important que Adecco ou Manpower accepte de faire des prix très bas pour ne pas sortir ...
J'ai eu en ligne les bleus [Manpower], on se rappelle le 1er septembre.
J'ai rendez-vous le 8 septembre avec le client pour présenter mon offre. "
38. Un compte-rendu de M. Karim B..., directeur financier de VediorBis, d'une rencontre qu'il a eue avec son homologue d'Adecco, M. Pascal C..., le 16 septembre 2003, indique (cote 3546) :
" ... 2 Loi Fillon
Allègements favorables sur le mois de juillet car la nouvelle réglementation favorise les bas salaires et non la durée du travail comme dans Aubry, donc plus le mois est long meilleurs sont les résultats, et inversement. Le mois d'août, quant à lui, a été décevant sur ce point, mais prévisible.
MP [Manpower] est toujours en paye hebdomadaire mais semble évoluer vers une paye mensuelle et, est d'accord pour mettre en commun nos travaux de simulation car il estime qu'une rétrocession rapide aux clients peut être dommageable pour le marché TT.
3 Alstom
Le DF de MP et lui-même ont discuté sur le sujet en prévision de la rencontre avec VB [VediorBis]. La position qu'ils adoptent est la même que la nôtre, à savoir un statu quo au niveau de l'encours actuel :
AD 10 M,
MP 4 M,
Rappel VB 5,6 M (annoncé 4 M) ... "
39. Une note saisie chez VediorBis, rédigée vraisemblablement en septembre 2003, donnant des informations sur la politique de Manpower envers plusieurs clients, indique notamment (cote 3549) :
" ... CNP : Approche Manpower et VB pour passer RFA [remise de fin d'année] 5 % à 2,5 % fin de négo en cours.
(...) EDF : Manpower est en rdv en S+1 [semaine prochaine], reviendrait en arrière car n'aurait pas d'éléments suffisants pour justifier une augmentation de 0,8 % partirait sur un 0,2//0,5 %. Selon le résultat, nous suivrons la même démarche. RDV prévu en octobre ... "
2. PIÈCES ÉMANANT D'ADECCO
40. Un courriel interne à Adecco, en date du 18 mars 2004, de Mme Géraldine D... à M. Gilles E..., directeur général, qui avait demandé un compte-rendu aux différentes directions régionales sur les relations avec Manpower et VediorBis, indique notamment (cote 496) :
" ... trois remontées allant à l'encontre du ressenti VBis et MPW :
Aucune négo où j'ai dû baisser sans concertation ...
(...)
Essilor
Potentiel : 16 M
Présents Adecco (46 % du marché) Vbis (42 %) et MPW (13 % du marché).
Depuis 4 ans, nos coefs (qui partaient de "haut" certes) ne cessent de baisser car renégociés chaque année : n'avons jamais pu faire une hausse ... et les salaires ne sont pas des + favorables aux exos, taux MB = 9,5 %.
Avons toujours été + cher que la concurrence et autour des 50 % de PDM ...
Manpower a chaque année appuyé la volonté de limiter la baisse (Elvire F...).
Vbis non : ils ont toujours eu une politique + agressive (Martial G...) qui a payé puisqu'ils se sont hissés à 42 % de PDM notamment grâce à la province.
Cette année donc Vbis a :
- baissé son seuil de remise,
- baissé leur coeff non qualifié IDF [Ile-de-France] de 1,99 à 1,95 (nous étions à 1,97 et finalement ai consenti 1,96),
- baissé leur coeff qualifié IDF de 2,02 à 1,98 (nous sommes à 2,05 : qualif déléguées au siège, complexes, quasi 0 exos : TMB [taux de marge brute] inf aux non qualifiés !!!).
Je suis sûre des coefs 2004 pas des 2003 car nous avions arrêté de nous parler.
(...)
Une solidarité entre Vbis et MPW sur la négo Servair 2004 : Vbis était sorti et n'a pas pu rerentrer mais n'a pas cassé les prix, MPW et nous avons résisté au mieux.
Bref il n'y a pas de règle générale ... cela dépend du négociateur ... Quand le négociateur est un opérationnel la tendance est "+ baissière", quand il est DCN [directeur commercial national] le CAP "MB" [marge brute] et l'impact Fillon est clairement affiché !!!
C'est peut-être pareil chez nous ... ??? "
41. Un autre courriel interne à Adecco, du même jour que le précédent, répondant à la même demande du directeur général et envoyé par Mme Maryse H..., indique pour sa part (cote 503) : " DR Rhône : en attente d'informations.
DR Provence-Alpes : Manpo : pas de difficulté, Olivier [Olivier I..., direction régionale d'Adecco Provence-Alpes] a rencontré M. J... [responsable grands comptes Manpower] en début de semaine.
VB pas de contact, pas de difficulté (à confirmer).
(...)
DR Dali [Drôme Ardèche Loire Isère] : Manpo : bon contact, négo communes (Schneider, Easidys, Casino...) VB : aucun échange, pas de confiance
DR Côte d'Azur : aucune difficulté... "
42. Un troisième courriel interne à Adecco, du même ordre que les précédents et du même jour, envoyé par Mme Nathalie K..., contient les informations qui suivent (cote 497) : " Biomérieux : VB a baissé les prix pour prendre le marché, Mpwer a appelé Adecco pour savoir qui avait baissé les prix.
(...)
Routage et Marketing : prestataires Adecco et Mpwer ; pour éviter un 3ème prestataire, d'un commun accord Adecco + Mpw ont baissé les prix.
(...)
Zones géographiques :
(...)
Caluire : bon maintien des prix de MPW, Adecco a plutôt tendance à être un peu plus bas mais avec des frais associés et forfaits.
Est Lyonnais : bonne entente globale avec Mpw (souvent relations tél) / pas de relations avec VB. "
43. Une note manuscrite du directeur général d'Adecco, concernant un appel d'offres d'Alcan- Pechiney de mai 2004 indique (cote 576) : " On est à la veille du jeudi de l'Ascension. On a fait une 1ère propale. On nous demande de recaler nos prix. On est OK pour coordonner nos prix avec les autres. On se parle "mais je ne peux pas t'entendre si tu ne cales pas avec Adia" (2ème passe) .. j'essaie d'avoir JES [Jean-Etienne L..., responsable grands comptes Adia] pour qu'il confirme ses prix. Je le joins le lundi qui suit. Le lundi matin on se voit.
Par rapport à la propale Adia, je recale la propale
Notamment K1 = 1,885 Adecco
1,88 Adia
- Vedior a déjà fait passer sa propale.
- Les prix Adecco partent en début d'a.m. .
Le lundi soir, tout le monde est là on compare nos prix : Je me retrouve 1 % décalé/Vedior
Vedior : 1,875
Adia : 1,88
MPW : 1,88
Adecco : 1,885
La réunion se déroule. "
44. Cet appel d'offres a été piloté pour Alcan par Mme Vanessa M... de la direction des achats, qui a indiqué (procès-verbal du 20 septembre 2007, cotes 11231 et suivantes) : " ... Le cahier des charges de l'appel d'offres groupe Pechiney Alcan pour la période 2004-2005 permet de mesurer le caractère spécifique de la demande d'Alcan France SAS vis-à-vis des offreurs de travail temporaire.
Cet appel d'offres concernait l'ensemble du périmètre du groupe Pechiney Alcan en métropole soit une centaine de sites. Le contrat a porté sur la période de 18 mois du 1er juillet 2004 au 31 décembre 2005.
Ce contrat a fait l'objet d'une nouvelle mise en concurrence pour la période suivante 2006-2007. A cet égard lors de ce nouvel appel d'offres, les deux sociétés du même groupe Adecco, Adecco et Adia se sont présentées de manière explicitement conjointe.
Le montant des achats globaux de travail temporaire du groupe Alcan concerné par cet appel d'offres sur les années civiles 2004 et 2005 s'élève à une cinquantaine de millions d'euro par an.
Le coefficient de base dénommé catégorie A dans le contrat porte sur environ 90 % de nos besoins en main d'œuvre intérimaire sur la période concernée.
L'appel d'offres a été lancé le 30 avril 2004 ; le premier contrat a été signé le 8 juillet 2004, d'autres l'ont été en janvier 2005 pour des raisons juridiques. En tout état de cause, la grille tarifaire a pris effet dès le 1er juillet 2004.
Dès la première soumission de l'offre 2004, il a été convenu explicitement que les deux sociétés du même groupe Adecco, Adecco et Adia se présentaient de manière autonome et indépendante.
Cet appel d'offres comportait cinq coefficients. J'ai procédé à la moyenne arithmétique de ces cinq coefficients même si le coefficient catégorie A était un critère de jugement prépondérant.
Les dix entreprises sélectionnées ont remis un premier pli par coursier. J'ai donc dépouillé les soumissions et procédé à des rencontres bilatérales avec chacun des offreurs. Pour chacun d'entre eux, je leur ai fait part de l'effort à consentir en pourcentage pour répondre à l'objectif fixé par la direction des achats du groupe Alcan. Je les ai rencontrés sur une semaine et je leur ai laissé une autre semaine pour confirmer ou affiner leur proposition tarifaire.
Je confirme par ailleurs le propos de mon courrier du 26 juin 2007 selon lequel Alcan France SAS ne dévoile pas et n'a pas dévoilé, en l'occurrence, la moindre information sur les offres individuelles des autres fournisseurs lors du déroulement de l'appel d'offres 2004-2005. A cet égard, aucune réunion commune entre Alcan et ses prestataires n'est envisageable dans le cadre de la négociation de notre appel d'offres.
En ce qui me concerne je n'ai nullement sollicité Adecco pour qu'il s'aligne sur les coefficients d'Adia, ni sur ceux des deux autres principaux concurrents, VediorBis et Manpower.
Les coefficients de base catégorie A des sociétés Adecco, Adia, Manpower et VediorBis étaient les suivants lors de la première offre :
- Adecco : 1,89
- Adia : 1,86
- Manpower : 1,89
- VediorBis : 1,87.
Pour la seconde et dernière soumission :
- Adecco : 1,875
- Adia : 1,88
- Manpower : 1,88
- VediorBis : 1,875.
Sur mes dix offreurs, j'ai donc retenu six fournisseurs dont les quatre susvisés. Mes propositions ont été validées par les DRH [directeurs ressources humaines] sites. J'ai alors lancé le projet de contrat pour leur finalisation juridique ... ".
45. Une série de courriels internes à Adecco retransmis le 27 septembre 2004 à M. Gilles E..., directeur général, concernant la " politique commerciale de Manpower " comporte les éléments suivants (cotes 8296 à 8297) : " Des cas concrets ... à semer dans le jardin de MPW.
(...)
Juste pour votre information, je crois que Manpower nous accuse de casser les prix, voici des éléments factuels (...).
(...)
Je viens vers vous afin de vous signaler trois cas où l'agence Manpower de Montargis s'est "amusé" à casser les prix sur le Montargis ".
3. PIÈCES ÉMANANT DE MANPOWER
46. Une note manuscrite saisie dans le bureau du directeur commercial de Manpower, M. Bernard N... (cote 1820), comporte notamment, après l'indication " Adecco - Augmentation 1er mai/VB augmentation de 1 % le diffus 25 % de succès ", les noms et numéros de téléphone portable de cinq directeurs commerciaux des principales branches de VediorBis, après le nom de leur directeur général adjoint. Cette note se réfère au 1er mai 2004.
47. Un courriel interne à Manpower du 18 juin 2004, de M. Patrick O..., directeur des marchés " construction " à M. Jean-Pierre P..., son président, concernant une négociation avec Eiffage construction indique (cote 1811) : " Pot. 100 M [potentiel 100 millions d'euro]
CA actuel Manpower hors accord : 20 M
Objectif : devenir le fournisseur leader national pour 40 à 50 M
L'appel d'offres auquel nous avons répondu il y a une huitaine de jours comportait un cahier des charges que le nouveau directeur des achats en place demandait que nous signions en l'état, sans aucun changement d'aucune clause.
En dehors des prix que nous avons remis (très bas au contraire des dires du directeur des achats), et du niveau des coefficients pratiqués jusqu'à présent pour une activité de 20 M, le niveau de remise proposé nous place dans ce dossier en tête de la principale concurrence. Dans ce cahier des charges certaines clauses comme des pénalités de retard ou des engagements à servir très contraignants nous étaient à tous inacceptables.
Adecco, Vedior et nous-mêmes avons reçu le même courrier. Dès lundi 21 juin nous nous concerterons pour convenir d'une position commune sur ces clauses. Nous avons tous par ailleurs refusé de fournir l'organigramme des sociétés, etc.
Je souligne que les coefficients et conditions commerciales ne sont pas en cause dans ce courrier ...
Notre objectif reste intact et une solidarité complète sur ces clauses évoquées, au moins entre Adecco, Vedior et Manpower, au niveau Direction est indispensable. Par contre, il est clair que nous ne pourrons atteindre le leadership si nos prix sont identiques.
Actuellement Adecco + Adia réalisent 30 M, VediorBis 14 M ... "
48. Un extrait d'un cahier de M. Jean-Pierre Q..., directeur des marchés " industrie " de Manpower, relate une réunion du 7 septembre 2004 avec son directeur commercial, M. Bernard N... (cote 1066) : " ... Dossier PPR [Pinault Printemps Redoute] sur les coeff. 1,89 télévendeurs (appels sortants) et 1,81 téléopérateurs (appels entrants).
Dossier Galeries Lafayette, rendez-vous le 14-09 avec Patrick R... [cadre commercial Manpower Île-de-France], réactions virulentes de VB [VediorBis], qui menace de proposition PPR si ... "
49. Un courriel interne à Manpower du 29 novembre 2004, de M. Francis S..., de la direction régionale de Lille, à M. Jean-Pierre P..., président, et à M. Bernard N..., directeur général, indique (cote 1819) : " ... de Francis à Jean-Pierre (pour info)
Bernard (pour contact avec les rouges !) Attention à ce que ce type de "fausse concurrence" entre les deux rouges permette à l'un des deux de prendre et de s'associer ensuite ?? [Leur association a montré chez Bombardier et Téléperformance que cela marchait ! Dernières infos de la part d'Adecco : c'est Adia qui a remis proposition de RFA (je pensais qu'ils avaient un accord !?)].
A partir de 1,800 en K (coefficient de prix) :
- de 700 à 1 500 K (milliers d'euro) : 0,5 % soit 1,791,
- supérieur à 1 500 K : 0,75 % soit 1,787.
Quant à Adecco ils ont maintenu leur position à savoir 1,800 en K net de toutes rétrocessions et de RFA, comme nous.
Nous maintenons également notre position. "
D. LES GRIEFS NOTIFIÉS
50. Au vu des éléments qui précèdent, les griefs suivants ont été notifiés le 9 novembre 2007 :
" Il est fait grief aux sociétés Adecco Travail Temporaire (RCS 998 823 504), à l'ancienne Manpower France SAS (RCS 562 087 791), à présent dénommée Manpower France Holding SAS, pour la période antérieure au 30 avril 2004 et pour la période à compter du 30 avril 2004, à la nouvelle société Manpower France SAS (RCS 429 955 297) auparavant dénommée Manpower Entreprise, ensemble les sociétés Groupe Vedior France SAS (ex-Bis depuis 2003 RCS 702 028 234) et VediorBis SAS (RCS 433 999 356) d'avoir commis, entre mars 2003 au moins et novembre 2004, sur le marché national du travail temporaire, une pratique concertée ayant un caractère complexe et continu, qui a eu pour objet et effet anticoncurrentiels d'éviter une compétition sur les prix en procédant à des échanges entre elles portant sur des informations sur le niveau des prix de vente ou sur les remises de fin d'année ou sur les rétrocessions des allègements sociaux. Ces pratiques ayant eu pour objet et/ou pour effet anticoncurrentiels d'éviter une compétition sur les prix sur le marché national du travail temporaire sont contraires aux dispositions de l'article L. 420-1, notamment 2° du Code de commerce, prohibant les ententes anticoncurrentielles ainsi qu'aux dispositions de l'article 81, paragraphe 1, notamment sous a), du traité instituant la communauté européenne. "
" Il est fait grief aux quatre sociétés Adia (RCS 306 243 288), Adecco Travail Temporaire (RCS 998 823 504), la nouvelle société Manpower France SAS (RCS 429 955 297) auparavant dénommée Manpower Entreprise et la société VediorBis SAS (RCS 433 999 356) d'avoir commis, en mai 2004, sur le marché spécifique de l'appel d'offres du donneur d'ordre Alcan France SAS pour 2004-2005, une pratique concertée qui a eu pour objet et effet anticoncurrentiels d'éviter une compétition sur les prix par l'échange d'informations sur les prix de vente de leurs coefficients de base, lors de la phase de négociation des prix avec le donneur d'ordre, pratique contraire aux dispositions de l'article L. 420-1, notamment 2° du Code de commerce, prohibant les ententes anticoncurrentielles. "
51. Les sociétés Adecco et Adia, d'une part, Groupe Vedior France et VediorBis, d'autre part, qui étaient destinataires de la notification des griefs ont sollicité le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, selon lesquelles :
" lorsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés et s'engage à modifier ses comportements pour l'avenir, le rapporteur général peut proposer au Conseil de la concurrence qui entend les parties et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I en tenant compte de l'absence de contestation. Dans ce cas, le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié. " Elles ont signé, respectivement le 1er février et le 7 février 2008, un procès-verbal par lequel elles ont renoncé à contester les griefs qui leur avaient été notifiés.
II. DISCUSSION
A. SUR LA PROCÉDURE
52. Manpower fait valoir :
qu'elle n'a pas disposé d'un délai suffisant pour assurer sa défense ;
que l'énoncé du grief était trop imprécis pour lui permettre d'exercer ses droits de la défense ;
que l'instruction n'a été ni impartiale, ni suffisamment contradictoire ;
qu'elle a été privée de la possibilité de bénéficier, au terme de discussions loyales, de la procédure de non-contestation des griefs à laquelle elle envisageait de recourir.
1. EN CE QUI CONCERNE LE DÉLAI POUR RÉPONDRE AUX GRIEFS
53. Manpower indique avoir dû faire des recherches complexes tant pour retrouver des documents sur la période incriminée que pour discuter l'analyse du rapporteur faute pour celui-ci d'avoir pris en compte la particularité du secteur. Ses travaux de recherche auraient en outre été ralentis en raison d'une discussion approfondie avec les services d'instruction en vue d'une éventuelle procédure de non contestation des griefs.
54. Toutefois, en application des dispositions de l'article L. 463-2, alinéa 4, du Code de commerce, le président du Conseil de la concurrence a accordé à l'ensemble des parties deux prolongations successives de quinze jours du délai qui leur était imparti pour répondre aux griefs, compte tenu des particularités du dossier. Le délai dont a bénéficié Manpower pour répondre aux griefs a donc été au total de trois mois, le maximum autorisé à l'alinéa précité. Aucune disposition ne prévoit, au bénéfice des entreprises qui souhaitent recourir à la procédure prévue au III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le droit à une prolongation supplémentaire.
55. L'ancienneté des faits ne peut, au surplus, être mise en avant pour justifier la nécessité de recherches longues et complexes, puisque les entreprises en cause ont fait l'objet d'opérations de visites et saisies en novembre 2004 et que les éléments du dossier portent sur une période s'étalant de mars 2003 à novembre 2004. A la suite de ces opérations, Manpower était parfaitement avertie qu'elle était susceptible de se voir notifier des griefs et pouvait prendre toutes les dispositions pour rassembler des éléments sur cette période récente, propres à assurer sa défense au stade de la notification de griefs, puis du rapport.
2. EN CE QUI CONCERNE L'ÉNONCÉ DU GRIEF
56. Selon Manpower, l'énoncé du premier grief aurait été trop imprécis pour qu'elle puisse comprendre ce qui lui était exactement reproché. Il serait incohérent, au regard de la jurisprudence des juridictions communautaires, de faire état d'une pratique concertée qui serait complexe et continue. A cet égard, il résulterait notamment de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 8 juillet 1999, ANIC/Commission (C-49192 P, Rec. p. I-4125, points 82 et 114) qu'une infraction complexe ne pourrait concerner qu'une infraction matérialisée à la fois par des " accords " et par des " pratiques concertées " tels que visés distinctement à l'article 81 CE. Le caractère continu de l'infraction ne pourrait quant à lui être retenu que si les différentes manifestations de la coordination poursuivaient un seul et même objectif, clairement déterminé par un " accord ". De plus, le marché concerné serait mal défini dans le grief, car le " marché national du travail temporaire " visé ne pourrait que concerner les relations avec les grands comptes alors que la motivation des griefs se référerait aussi à des pratiques concernant la clientèle de " diffus ".
57. Cependant, s'agissant de la qualification de l'infraction, il y a lieu de rappeler que dans l'arrêt du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission (48-49, Rec. p. 619), la Cour de justice a précisé, quant à la notion de pratique concertée :
" 64. (...) si l'article [81 CE] distingue la notion de "pratique concertée" de celle d'"accords entre entreprises" ou de "décisions d'associations d'entreprises", c'est dans le dessin d'appréhender sous les interdictions de cet article une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu'à la réalisation d'une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence ;
65. (...) par sa nature même, la pratique concertée ne réunit donc pas tous les éléments d'un accord, mais peut notamment résulter d'une coordination qui s'extériorise par le comportement des participants ;
(...)
68 (...) la question de savoir s'il y a concertation en l'espèce ne peut donc être appréciée correctement que si les indices invoqués (...) sont considérés non pas isolement, mais dans leur ensemble, compte tenu des caractéristiques du marché des produits en cause ; ... "
58. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient Manpower, il ne découle d'aucun arrêt des juridictions communautaires qu'une infraction de nature complexe et continue ne pourrait être retenue que dans les cas où se combinent d'une part un ou des accords en bonne et due forme et d'autre part des pratiques concertées. Cette situation n'est que l'une de celles qui peut donner lieu à considérer qu'on est en présence d'une infraction complexe et, le cas échéant continue, notions qui, au demeurant, ne figurent ni dans le texte du traité CE ou du droit communautaire dérivé, ni dans le Code de commerce. La référence au caractère complexe d'une infraction vise seulement à montrer que, dans un même but anticoncurrentiel, les participants ont mis en œuvre plusieurs actions de coordination qui peuvent être appréhendées comme une infraction unique. La référence au caractère continu d'une infraction vise, quant à elle, à montrer qu'elle a perduré un certain temps sans interruption, ce qui peut être nécessaire tant pour apprécier la gravité du comportement et de ses effets que pour examiner si le comportement en cause est en tout ou partie couvert par la prescription.
59. Le Tribunal de première instance des Communautés européennes a récemment défini la notion de pratique complexe et continue dans son arrêt BASF du 12 décembre 2007 : " La qualification de certains agissements illicites constitutifs d'une seule et même infraction ou d'une pluralité d'infractions affecte, en principe, la sanction pouvant être imposée, dès lors que la constatation d'une pluralité d'infractions peut entraîner l'imposition de plusieurs amendes distinctes (...). La notion d'infraction unique peut se rapporter à la qualification juridique d'un comportement anticoncurrentiel consistant en accords, en pratiques concertées et en décisions d'associations d'entreprises (...). Il a été jugé qu'un cas de violation de l'article 81, paragraphe 1, CE pouvait résulter d'une série d'actes ou d'un comportement continu qui s'inscrivaient dans un " plan d'ensemble " en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun " (TPICE, 12 décembre 2007, BASF/UCB, Aff. jointes T-101-05 et T-111-05, points 158 à 161). Pour relever d'une telle pratique, les différents éléments de l'infraction doivent présenter un lien suffisant de complémentarité " en ce sens que chacun d'entre eux [est] destiné à faire face à une ou plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence, et [contribuent], par le biais d'une interaction, à la réalisation de l'ensemble des effets anticoncurrentiels voulus par leurs auteurs, dans le cadre d'un plan global visant un objectif unique " (point 179).
60. A propos de la même notion, le Tribunal de première instance a précisé : " Dans le cadre d'une infraction complexe, qui a impliqué plusieurs producteurs pendant plusieurs années poursuivant un objectif de régulation en commun du marché, on ne saurait exiger de la Commission qu'elle qualifie précisément l'infraction, pour chaque entreprise et à chaque instant donné, d'accord ou de pratique concertée, dès lors que, en toute hypothèse, l'une et l'autre de ces formes d'infraction sont visées à l'article [81 CE]. " (voir notamment l'arrêt du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T-9-99, Rec. p. II - 1487, point 186).
61. De même, la Cour de justice a jugé : " Une violation de l'article 81, paragraphe 1, CE peut résulter non seulement d'un acte isolé, mais également d'une série d'actes ou bien encore d'un comportement continu. Cette interprétation ne saurait être contestée au motif qu'un ou plusieurs éléments de cette série d'actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer en eux-mêmes et pris isolément une violation de ladite disposition. Lorsque les différentes actions s'inscrivent dans un "plan d'ensemble", en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, la Commission est en droit d'imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l'infraction considérée dans son ensemble. " (arrêt du 21 septembre 2006, NFVGEB/Commission, C-105-94 P, Rec. p. I - 8725).
62. S'agissant de la mention, dans l'énoncé du grief, du " marché national du travail temporaire ", il est de jurisprudence constante que les griefs énoncés doivent être interprétés par référence aux développements préalables du rapporteur (voir notamment l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 18 février 1997, ODA et CMS). Or, il résulte clairement du corps de la notification de griefs que celle-ci visait non seulement des pratiques concernant les grands comptes dont les sites sont répartis sur l'ensemble du territoire national, mais aussi des pratiques concernant la clientèle du " diffus ", également répartie sur l'ensemble du territoire national (voir par exemple les points 144, 147 qui concernent indistinctement les deux types de clientèle). Dans ces conditions, la référence au " marché national " désigne clairement le périmètre géographique dans lequel se sont déroulées les pratiques poursuivies et non un " marché pertinent " particulier à une certaine clientèle. Il y a lieu de rappeler à cet égard que, s'agissant de pratiques d'entente, " il n'est pas nécessaire de définir le marché avec précision, comme en matière d'abus de position dominante, dès lors que le secteur et les marchés ont été suffisamment identifiés pour permettre de qualifier les pratiques qui ont été constatées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre " (voir par exemple les décisions du Conseil n° 07-D-41 du 28 novembre 2007 relative à des pratiques observées à l'occasion d'appel d'offres en matière d'examens anatomo-cyto-pathologiques et n° 05-D-27 du 15 juin 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur du thon blanc ou l'arrêt du Tribunal de première instance du 14 mai 1998, Enso Españolo/Commission, T-348-194, Rec. p. II - 1875, point 322).
63. Compte tenu de ce qui précède, il n'existait aucune équivoque sur la portée du premier grief adressé à Manpower à laquelle était reprochée sa participation à une pratique concertée ayant perduré, sous différents aspects, pendant la période indiquée, dans le même objectif d'éviter une compétition sur les prix des prestations de travail temporaire en France.
3. EN CE QUI CONCERNE L'IMPARTIALITÉ DE L'INSTRUCTION ET L'ACCÈS AU DOSSIER
64. Manpower soutient que le rapporteur a pu puiser des éléments à charge dans les documents extraits des messageries électroniques et fichiers informatisés saisis sur les postes de travail de responsables d'Adecco et de VediorBis à l'occasion des opérations de visite et saisie, dans la mesure où ces documents, bien qu'ayant fait l'objet d'un " classement " au titre de la protection des secrets d'affaires ont ensuite été " déclassés " pour les besoins de la procédure. En revanche, des éléments à décharge extraits des mêmes sources sont, selon Manpower, vraisemblablement restés " classés ", sans que le rapporteur prenne l'initiative de les faire déclasser et sans qu'elle même, faute de les connaître, ait pu prendre une telle initiative. A cet égard, Manpower critique la méthode consistant à " classer " globalement la messagerie électronique d'un employé au motif qu'elle contient certains messages contenant des secrets d'affaires. Manpower explique en substance qu'il serait plus convenable de ne classer que les messages contenant effectivement des secrets d'affaires, en mettant à la disposition des parties un résumé ou une version non-confidentielle de ces messages, et de laisser le reste normalement accessible.
65. Il y a toutefois lieu de relever que l'article L. 463-4 du Code de commerce, qui régit la protection des secrets d'affaires dans le cadre des procédures ouvertes devant le Conseil de la concurrence, ensemble avec l'article L. 463-1 qui énonce " l'instruction et la procédure (...) sont pleinement contradictoires sous réserve des dispositions prévues à l'article L. 463-4 ", vise à concilier autant que possible la protection des secrets d'affaires et les droits de la défense. Le principe retenu est en substance que la protection des secrets d'affaires doit être assurée tant que cela ne met pas en cause les droits de la défense. Or, autant un document " à charge " doit pouvoir être accessible à la partie à laquelle il est opposé car, dans ce cas, le droit pour la partie mise en cause de se défendre prime sur la protection des secrets d'affaires revendiquée par les autres parties, autant donner à une partie mise en cause accès à l'ensemble des documents dont une autre partie a demandé la protection au motif que la première pourrait y trouver des éléments à décharge conduirait à ne plus accorder de protection véritable aux secrets d'affaires, en contradiction avec la lettre et l'esprit de l'article L. 463-4 du Code de commerce. Les droits de la défense, en ce qui concerne la recherche d'éléments à décharge, sont raisonnablement assurés par la possibilité qu'a toujours la partie qui souhaite mettre en avant de tels éléments, de les puiser dans sa propre " documentation " ou dans les informations non couvertes par la protection du secret des affaires.
66. Ce point d'équilibre est consacré par la jurisprudence. Dans l'arrêt du 24 janvier 2006, ordre des avocats au barreau de Marseille, n° 05-14831 (rendu sur recours contre la décision n° 05-D-37 du 5 juillet 2005), la Cour d'appel de Paris a ainsi jugé que le principe du contradictoire est respecté dès lors que les pièces sur lesquelles le rapporteur fonde son analyse sont accessibles aux parties auxquelles elles sont opposées (voir aussi la décision du Conseil de la concurrence n° 06-D-36 du 6 décembre 2006, relative à des pratiques mises en œuvre par la société civile de moyens Imagerie médicale du Nivolet, paragraphes 50 et suivants). Dans le même sens peut être mentionné l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 janvier 2007, " Le Foll TP e.a. ", n° 06-00566 (rendu sur recours contre la décision n° 05-D-69 du 15 décembre 2005), qui a été confirmé par la Cour de cassation en ces termes :
" (...) l'arrêt relève que les griefs retenus par le rapporteur sont fondés sur des pièces dont il a été dressé inventaire, qui ont été citées, versées au dossier, proposées à la consultation et soumises à la contradiction des parties, qui, après la notification des griefs, ont disposé de la faculté de présenter les moyens et de produire les pièces qu'elles estimaient utiles à la défense de leurs intérêts ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations dont elle déduit que la communication de pièces émanant de la procédure pénale, obtenue conformément aux dispositions de l'article L. 463-5 du Code de commerce, n'a pas été effectuée en violation du principe d'égalité des armes, la cour d'appel n'a pas méconnu les dispositions invoquées. "
67. Était invoquée, dans cette affaire, la circonstance que le rapporteur du Conseil n'avait puisé que des éléments à charge dans le dossier pénal d'un juge d'instruction.
68. S'agissant du cas particulier des messageries électroniques, la Cour de cassation considère que, au regard des procédures de recherche des infractions aux règles de concurrence, une boîte de messagerie constitue une pièce unique, même si elle n'est que partiellement utile au dossier (voir Cass. Crim du 12 décembre 2007, n° 06-81907, Sita Centre Ouest). Il est dès lors légitime de la traiter comme telle au titre de la protection des secrets d'affaires en la classant globalement si une demande est faite en ce sens, quitte à ce qu'elle soit ensuite le cas échéant partiellement déclassée, comme toute autre pièce, pour les besoins de la procédure ou l'exercice des droits d'une partie mise en cause.
69. Exiger de pouvoir accéder, comme le demande Manpower, à l'ensemble des courriels et pièces jointes d'une messagerie électronique d'un dirigeant ou d'un responsable commercial d'une entreprise concurrente, qui a été classée dans son ensemble au titre de la protection du secret des affaires, revient de facto à priver ce concurrent de la protection prévue par l'article L. 463-4 du Code de commerce, alors que, comme il est indiqué au paragraphe 65, des éléments à décharge peuvent être puisés à partir d'autres sources. D'ailleurs, même s'agissant de documents " papier " qui auraient été individuellement classés au titre de la protection du secret des affaires, le seul fait que leur déclassement soit demandé par une partie n'entraîne pas leur déclassement automatique, le président du Conseil de la concurrence ou son vice-président délégué devant apprécier, en cas d'opposition de la partie ayant obtenu leur classement, si le déclassement est nécessaire à l'exercice des droits de la demanderesse, ainsi que le prévoient les articles L. 463-4 et R. 463-15 du Code de commerce. Par conséquent, même s'il était procédé à l'individualisation des milliers de courriels et pièces jointes contenus dans des messageries électroniques pour leur traitement au regard des règles sur la protection des secrets d'affaires, leur déclassement au titre d'éléments susceptibles d'être invoqués à décharge ne serait pas non plus automatique. En tout état de cause, force est de constater qu'en l'espèce Manpower n'a même pas demandé le déclassement des messageries en question.
70. Enfin, il y a lieu de préciser que le principe selon lequel le rapporteur doit instruire à charge et à décharge signifie que le rapporteur doit examiner de manière impartiale le dossier qui lui est confié afin, soit de formuler des griefs, soit de proposer un non-lieu, à moins que d'autres possibilités procédurales ne soient appropriées. A cet égard, lorsqu'il trouve dans le dossier, qui comprend non seulement la saisine initiale, mais aussi les actes d'instruction auxquels il a pu procéder à la suite de cette saisine, des éléments probants qui, selon lui, sont susceptibles de démontrer une pratique anticoncurrentielle, il est de son rôle, sauf si une procédure " d'engagements " telle que prévue au I de l'article L. 464-2 est envisageable, de formuler des griefs. Contrairement à ce que semble suggérer Manpower, c'est non pas à lui mais à l'entreprise mise en cause de faire prévaloir le cas échéant, dans l'exercice légitime de ses droits de la défense, que ces griefs ne sont pas fondés. Dans le cas où la procédure prévoit l'établissement d'un rapport, le principe d'instruction à charge et à décharge doit conduire le rapporteur à reproduire la substance des observations des parties dans son rapport et à prendre position à leur propos, qu'il s'agisse de la qualification des pratiques ou des critères de la sanction éventuelle, de manière à éclairer le collège qui statuera sur ces contestations.
71. En l'espèce, le rapporteur s'est parfaitement conformé à ce principe. Dans son rapport, il a par exemple confirmé que certains indices étaient à ses yeux moins probants que d'autres (voir points 75 ou 80) ou estimé que certaines circonstances pouvaient atténuer la gravité des comportements reprochés (voir points 279 ou 286), et exposé différentes hypothèses pour l'évaluation de l'importance du dommage à l'économie (voir points 331, 339, 341 ou 353 et suivants).
72. Dans cette mesure, un second reproche fait par Manpower à la manière dont le rapporteur a conduit son instruction, à savoir celui d'avoir systématiquement retenu des pièces du dossier une interprétation défavorable et non d'autres interprétations possibles, ne peut pas non plus être accueilli. Manpower a eu la possibilité de contester les interprétations du rapporteur et de fournir des explications alternatives. Il appartient au Conseil, dans le cadre de la présente décision, de déterminer parmi ces différentes interprétations celle qui lui paraît devoir être retenue.
73. En troisième lieu, Manpower reproche au rapporteur d'avoir auditionné un témoin dont il était évident, selon elle, que le témoignage ne pouvait être que défavorable aux parties mises en cause. Mme M..., de la direction des achats d'Alcan, responsable de l'appel d'offres de cette société évoqué aux paragraphes 43 et suivants de la présente décision, ne pouvait, selon Manpower, de crainte de se voir reprocher un tel comportement, que nier avoir transmis elle-même aux différents soumissionnaires des informations sur les offres qui étaient alors faites par les uns et les autres.
74. Il résulte cependant d'une jurisprudence constante que le rapporteur dispose d'un pouvoir d'appréciation quant à la conduite de ses investigations et qu'il est libre de décider quelles auditions lui paraissent utiles à l'instruction (voir l'arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 1999, Lilly France). Il appartient ensuite au Conseil de statuer le cas échéant sur la valeur d'un témoignage retenu par le rapporteur.
75. En quatrième lieu, Manpower soutient que le rapporteur a conduit, par la teneur de ses questions, certaines parties à s'auto-incriminer, procédé qui, selon une jurisprudence établie, est contraire aux droits de la défense (Manpower cite l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374-87, Rec. p. 3283, l'arrêt de la Cour de cassation du 3 juin 2008, Sony et Philips, n°s G07-17147 et M07-17196 et l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 21 mai 1990, France loisirs, rendu sur le recours formé contre la décision n° 89-D-41).
76. Toutefois, selon la jurisprudence citée, si les services d'une autorité de concurrence ne peuvent imposer l'obligation de fournir des réponses par lesquelles l'entreprise concernée serait amenée à admettre l'infraction, ils peuvent obliger celle-ci à fournir des renseignements sur les faits ou documents dont ils ont connaissance, tant qu'ils ne dépassent pas la limite évoquée précédemment.
77. En l'espèce, est critiqué le fait que le rapporteur a demandé des explications à l'un des responsables de Manpower sur les mots " ententes majors " figurant, barrés, sur une feuille de tableau papier saisie dans l'entreprise. De même est critiqué le fait que le rapporteur a demandé des explications à VediorBis sur une note dans laquelle étaient évoqués des points d'entente, une approche commune métier et la perspective de se mettre d'accord. Néanmoins, de telles demandes d'explications, légitimes de la part d'un rapporteur qui souhaite progresser dans l'instruction du dossier, n'appellent pas les entreprises à s'auto- incriminer, à l'inverse des questions qui ont été jugées contraires au respect des droits de la défense dans les arrêts pertinents invoqués par Manpower, qui invitaient directement les entreprises à dire si elles avaient participé à des accords anticoncurrentiels.
78. Enfin, Manpower critique, comme attentatoire au principe du contradictoire et aux droits de la défense, le fait qu'elle n'ait pas pu accéder à certaines données concernant l'activité de VediorBis, couvertes par une décision de protection du secret des affaires, sur lesquelles le rapporteur s'est fondé non seulement pour évaluer l'importance du dommage à l'économie qui a pu être causé par le comportement de VediorBis, mais aussi pour évaluer par extrapolation celui qui a pu résulter du comportement de Manpower. Manpower estime qu'elle aurait dû pouvoir vérifier la pertinence de l'évaluation faite à partir des données de VediorBis et reproche au rapporteur de ne pas avoir fait procéder à son profit au déclassement de ces données. Ayant elle-même demandé un tel déclassement, elle souligne que par décision du 4 juillet 2008 n° 08-REFDEC-01, la vice-présidente du Conseil de la concurrence le lui a refusé. Il sera répondu à cet argument dans la partie de la décision consacrée à l'importance du dommage à l'économie.
Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les arguments avancés par Manpower concernant le non-respect des principes d'impartialité et du contradictoire doivent être écartés.
4. EN CE QUI CONCERNE LA LOYAUTÉ DES DISCUSSIONS EN VUE D'UNE ÉVENTUELLE NON CONTESTATION DES GRIEFS
79. En séance, Manpower a soutenu en substance qu'elle a envisagé de renoncer à contester les griefs qui lui ont été notifiés mais que les discussions avec le rapporteur général adjoint, dont elle a pris l'initiative en vue de bénéficier d'une telle procédure, ne se sont pas déroulées de manière loyale. Celui-ci aurait, entre deux réunions, changé de position quant à l'ordre de grandeur d'un plafond de sanction qu'il aurait pu proposer au Conseil, ce qui aurait conduit Manpower à devoir brusquement revoir sa stratégie de défense, au risque de la pénaliser.
80. Pour autant que cet argument ne se confonde pas avec celui relatif au délai pour répondre aux griefs (voir paragraphes 53 et suivants ci-dessus), il convient de souligner que les discussions préalables à une éventuelle non contestation des griefs telle que prévue au III de l'article L. 464-2 du Code de commerce présentent nécessairement, jusqu'à ce qu'elles s'achèvent, un certain degré d'incertitude, puisque que c'est en fonction des éléments apportés par la ou les parties concernées que le rapporteur général pourra proposer au Conseil une plus ou moins forte réduction de la sanction. De telles discussions demandent la prise en compte d'informations dont toutes ne sont généralement pas disponibles d'emblée et il est naturel que les positions se précisent en fonction des informations échangées, surtout dans le cas où, comme en l'espèce, la partie demandait que les services d'instruction lui indiquent quel pourrait être l'ordre de grandeur de la sanction la plus élevée qui pourrait lui être infligée. En tout état de cause, comme pour toute négociation, les positions sont libres tant qu'un accord n'est pas signé, sous la forme d'un procès-verbal de non contestation de griefs signé conjointement par l'entreprise concernée et par le rapporteur général, et la prudence impose d'envisager dès le départ la possibilité d'un non- aboutissement.
81. En l'espèce, les éléments avancés par Manpower sont par conséquent insuffisants pour caractériser un comportement déloyal des services d'instruction qui aurait pu compromettre ses droits.
B. SUR LE FOND
1. SUR L'APPLICATION DU DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA CONCURRENCE
82. Selon les lignes directrices de la Commission européenne relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (JOUE n° C 101 du 27 avril 2004), " les articles 81 et 82 du Traité s'appliquent aux accords horizontaux et verticaux et aux pratiques abusives d'entreprises qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres ". Pour être prise en compte, cette affectation doit pouvoir être sensible. 83. La question de l'affectation du commerce intracommunautaire est une question distincte et préalable à celle de l'analyse de la restriction de concurrence. Elle est indépendante de la définition des marchés géographiques en cause car le commerce entre États membres peut être affecté même dans des cas où le marché est national ou subnational. C'est l'accord concerné ou la stratégie générale examinée qui doit être susceptible d'affecter le commerce entre États membres, peu important que les différentes parties de l'accord soient susceptibles ou non de le faire isolément.
84. S'agissant des accords couvrant un seul État membre, les lignes directrices précisent que " les ententes horizontales couvrant l'ensemble d'un État membre sont normalement susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. Du reste, les juridictions communautaires considèrent souvent que l'entente qui s'étend à l'ensemble du territoire d'un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité. La capacité qu'ont ces accords de cloisonner le marché intérieur est due au fait que, normalement, les entreprises qui participent à des ententes dans un seul État membre doivent se protéger contre les concurrents d'autres États membres (...). En principe, ces accords peuvent également, par leur nature même, affecter sensiblement le commerce entre États membres, compte tenu de la couverture de marché requise pour assurer l'efficacité de ces ententes ". Le Conseil de la concurrence a considéré dans sa décision n° 05-D-38 du 5 juillet 2005 que : " les cartels nationaux sont par définition susceptibles d'affecter le commerce intra-communautaire dès lors que le cartel couvre l'ensemble du territoire national et est mis en œuvre par des sociétés d'envergure internationale ".
85. Il résulte de la description du secteur du travail temporaire faite aux paragraphes 3 et suivants que " les grands comptes " s'adressent le plus souvent à des opérateurs de dimension nationale. Les circonstances qui ont conduit M. X... à saisir la Commission européenne montrent aussi qu'au moins dans les régions frontalières, ils peuvent recourir à des ETT implantées dans d'autres États membres de la Communauté en ayant le cas échéant pour objectif de bénéficier de meilleures conditions tarifaires susceptibles de découler des différences entre la législation sociale de ces États et celle de la France et de la mise en œuvre des règles sur la libre prestation des services stipulées dans le traité CE.
86. En l'espèce, la pratique incriminée est bien d'ampleur nationale : elle a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité (voir notamment l'arrêt du 17 octobre 1972, Cementhandelaren, 8-72, Rec. P. 977, point 29 et l'arrêt du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42-84, Rec. P. 2545, point 22). Compte tenu de la position des entreprises en cause, cet effet sur le commerce intracommunautaire revêt un caractère sensible (voir en ce sens les points 52 et 53 de la communication de la Commission européenne portant lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82, indiquant qu'au-dessus d'une part de marché cumulée de 5 % ou d'un chiffre d'affaires cumulé de plus 40 millions d'euro, il existe une présomption d'effet sensible sur le commerce intracommunautaire). Les parties mises en cause n'ont avancé aucun élément visant à renverser cette présomption. L'article 81 CE peut donc trouver à s'appliquer, parallèlement, à l'article L. 420-1 du Code de commerce.
2. SUR LE BIEN-FONDÉ DES GRIEFS NOTIFIÉS
87. Comme cela a déjà été indiqué, les entreprises Adia, Adecco, Groupe Vedior France et VediorBis ne contestent pas le ou les griefs qui leur ont été notifiés. Elles ne remettent en cause ni la matérialité des faits, ni leur qualification juridique au regard du droit communautaire et national, ni leur imputabilité. C'est donc la question de la participation de Manpower aux pratiques anticoncurrentielles reprochées qui doit être discutée, en examinant ensemble les deux griefs notifiés dans la mesure où le second d'entre eux n'a été individualisé que pour isoler la responsabilité encourue par la société Adia, mise en cause uniquement pour la pratique relative à l'appel d'offres d'Alcan.
88. Il résulte d'une pratique décisionnelle et d'une jurisprudence constantes que " la preuve de pratiques anticoncurrentielles peut résulter soit de preuves se suffisant à elles mêmes, soit d'un faisceau d'indices constitués par le rapprochement de divers éléments recueillis en cours d'instruction qui peuvent être tirés d'un ou plusieurs documents ou déclarations et qui, pris isolément, peuvent ne pas avoir un caractère probant ". Les indices retenus doivent constituer un faisceau réunissant des éléments " graves, précis et concordants ".
89. Par ailleurs, un document régulièrement saisi, quel que soit le lieu où il l'a été, est opposable à l'entreprise qui l'a rédigé, à celle qui l'a reçu et à celles qui y sont mentionnées et peut être utilisé comme preuve d'une concertation ou d'un échange d'informations entre entreprises, le cas échéant par le rapprochement avec d'autres indices concordants (Cour d'appel de Paris, 18 décembre 2001, SA Bajus Transport ; Cour de cassation, 12 janvier 1993, société Sogea).
90. Pour contester avoir participé à la pratique concertée visée par le premier grief, Manpower soutient, à l'égard de nombreux documents retenus comme probants par l'instruction, qu'ils sont insuffisants pour démontrer son implication dans une pratique anticoncurrentielle. D'une manière plus générale, elle met en avant différents éléments visant à illustrer que la concurrence a été soutenue entre elle-même et les autres ETT pendant la période incriminée.
91. En réponse à cette argumentation, qui conteste une à une la valeur probante de chaque pièce réunie au dossier, il sera répondu que, même si une pièce du dossier peut être insuffisante prise isolément pour démontrer l'existence d'une pratique anticoncurrentielle ou la participation à cette pratique d'une entreprise, son interprétation à la lumière d'autres pièces et le rapprochement de différentes pièces peuvent conduire à réunir le faisceau d'indices graves, précis et concordants propre à démontrer l'infraction. De plus, s'il est vrai qu'en l'espèce certaines pièces décrites dans la notification de griefs paraissent insuffisantes pour impliquer Manpower dans la pratique dénoncée, notamment parce qu'elles peuvent faire l'objet d'une interprétation n'impliquant pas de comportements anticoncurrentiels, d'autres, dont l'examen suit, méritent d'être analysées une à une, en confrontant les conclusions auxquelles est parvenue l'instruction avec les arguments en défense avancés par Manpower.
La Poste, Mory, FM Logistics, Sodexho
92. La pièce citée au paragraphe 35, interne à VediorBis, de début juillet 2003, montre que cette entreprise est informée que Manpower doit approcher sous peu (dans le mois) le client La Poste pour lui expliquer qu'une baisse des réductions de charges sur les bas salaires va entraîner une hausse du prix en septembre. Le contexte de ce message, qui concerne les relations avec de grandes entreprises ayant des activités de transport et de logistique (Geodis, La Poste, SNCF, FM Logistics) ne rend pas crédible l'objection avancée par Manpower selon laquelle l'abréviation " Man ... ", figurant dans ledit message, peut viser une autre entreprise d'intérim, la société Mantrans. Cette dernière est en effet une entreprise moyenne, dont le chiffre d'affaires dans les années en cause était de l'ordre de 20 millions d'euro : il ne peut être raisonnablement soutenu qu'elle avait la possibilité de monter en ligne vis-à-vis de la direction des achats de La Poste pour expliquer que les coefficients des ETT doivent augmenter et que VediorBis était soucieux d'une position commune avec un prestataire aussi modeste que lui. Au contraire, le message montre que VediorBis a le souci d'une position commune avec Manpower pour que le client La Poste reste un client équitablement partagé, dès lors que sa direction des achats ne " pilote " pas les parts de marché. D'ailleurs, un document postérieur figurant au dossier (compte-rendu interne de la branche logistique et commerciale de VediorBis au 3 octobre 2003, cote 1541) indique " Manpower avait approché pendant l'été la direction des achats pour proposer une augmentation tarifaire sous prétexte que les allègements Fillon ne concernent pas la Poste (...) ". Les mentions concernant Mory (" nos confrères ont suivi cette même démarche [stopper la remise de fin d'année] pour les mêmes raisons ") montrent à la fois une coordination des comportements commerciaux et l'existence d'échanges d'informations entre ETT nécessaires à celle-ci : il n'était certainement pas de l'intérêt de Mory de signaler aux ETT dont il était le client que l'un ou l'autre avait stoppé le versement de la remise de fin d'année. A cet égard, l'explication fournie par Manpower, selon laquelle Mory en aurait elle-même averti VediorBis à titre dissuasif pour montrer que la démarche était vaine, est directement contredite par le texte du message en cause qui indique qu'il n'y a pas eu de réaction de l'interlocutrice de Mory. Les mentions concernant FM Logistics (" nous devons être solidaires sur cette renégociation à la rentrée "), Gefco (" là encore le discours doit être harmonisé ") et a contrario celle concernant Sodexho figurant dans la pièce citée au paragraphe 36 (" je n'ai pas d'infos de nos concurrents qui ne sont pas très fiables sur ce dossier ") démontrent la recherche et l'habitude fréquentes de coordination entre VediorBis et ses concurrents vis-à-vis de tel ou tel grand compte. Le message cité paragraphe 35 montre que cette concertation pouvait porter, entre autres, sur la manière de répercuter les variations d'allègements de charges sociales sur les prix, ainsi que sur un autre élément tarifaire, la remise de fin d'année.
Areva
93. La pièce citée au paragraphe 37, également interne à VediorBis, comporte l'indication des parts de marché de Manpower, d'Adecco et de VediorBis auprès d'Areva et montre que, face au souhait annoncé de cette dernière de réduire le nombre de ses fournisseurs, VediorBis a contacté Manpower (" les bleus "). Même s'il n'est pas exclu que les parts de marché aient été estimées par VediorBis ou fournies par le client, le contact pris avec Manpower et l'annonce d'un nouveau rendez-vous téléphonique avec celle-ci peu de temps avant une réunion avec le client montrent l'habitude, entre VediorBis et Manpower, de discuter les offres faites à un client précis. Peu importe à cet égard que la conversation ait porté sur le souhait d'Areva de réduire le nombre de ses fournisseurs ou sur la méthode employée par Areva pour lancer son appel d'offres, comme l'avance Manpower alors même que la pièce en question, qui est un compte-rendu à un supérieur hiérarchique, qu'on peut supposer exhaustif, n'aborde que la première question.
Les allègements de la loi Fillon, Alstom
94. La pièce citée au paragraphe 38, un compte-rendu interne à VediorBis de discussions entre le directeur financier de VediorBis et celui d'Adecco, montre que Manpower est d'accord pour mettre en commun certains travaux afin d'éviter une rétrocession rapide à la clientèle d'avantages découlant d'une variation d'allègements de charges sociales. La relation de la discussion concernant Alstom montre que les trois grandes ETT se sont coordonnées en ce qui concerne l'encours à accorder à ce client. Même si, comme le souligne Manpower, une telle coordination s'inscrivait dans un contexte d'incertitudes sur l'activité et la santé financière du client, cette coordination, hors de toute procédure collective, a porté sur un élément de concurrence important : l'encours autorisé influe directement sur la part de marché du fournisseur et l'appréciation du risque-client est également un élément de la compétition entre opérateurs.
La CNP, EDF
95. La pièce citée au paragraphe 39, interne à VediorBis, montre que celle-ci a, à l'automne 2003, une approche commune avec Manpower pour réduire la remise de fin d'année accordée à la CNP. On imagine en effet mal cette dernière informer elle-même VediorBis que Manpower a de telles prétentions alors que la " négo " est en cours. De même, s'agissant du client EDF, VediorBis sait que Manpower a rendez-vous la semaine suivante et qu'il a l'intention de proposer une augmentation de 0,2 à 0,5 % au lieu de 0,8 % initialement envisagé. VediorBis indique ajuster sa propre stratégie d'augmentation selon le résultat. Là encore, il est invraisemblable que de telles informations viennent d'EDF elle-même. La coordination en cause, impliquant Manpower, porte en l'occurrence directement sur des éléments de prix.
Le " ressenti ", Essilor, Servair
96. La pièce citée au paragraphe 40, de mars 2004, interne à Adecco, qui fait état des relations avec Manpower et VediorBis indique tout d'abord que VediorBis et Manpower ont exprimé un " ressenti ". Or, il est difficile d'imaginer que ce ressenti, qui correspond au mécontentement de voir Adecco trop offensif, ait pu être exprimé aux clients qui l'auraient eux-mêmes répercuté à Adecco. Il a donc manifestement été exprimé à des responsables d'Adecco par ceux de VediorBis et de Manpower. A cet égard, en " réponse ", la responsable commerciale d'Adecco indique, s'agissant du client Essilor, que Manpower a chaque année appuyé la volonté de limiter la baisse et mentionne le nom de la responsable commerciale de Manpower. A tout le moins, ceci est l'indice d'un échange d'informations sur la stratégie de prix suivie. S'agissant du client Servair, le message évoque ensuite une solidarité entre VediorBis et Manpower, le premier ayant manifestement accepté de ne pas " casser les prix ", renonçant ainsi à reconquérir une part chez ce client. Compte tenu de ces éléments, la phrase " aucune négo où j'ai dû baisser sans concertation ", figurant au début du message en question, évoque manifestement des concertations avec VediorBis et Manpower et non le fait, comme le soutient Manpower, que Adecco aurait " bataillé " avec les clients lorsque ceux-ci demandaient des baisses de prix.
Les remontées des directions régionales d'Adecco
97. La pièce citée au paragraphe 41, du même jour que la précédente, confirme les concertations entre responsables d'Adecco et, notamment, de Manpower.
Routages et marketing
98. La pièce citée au paragraphe 42, est du même ordre. Elle fait en particulier explicitement état d'une entente défensive entre Adecco et Manpower pour contrer " d'un commun accord " un concurrent à l'égard du client Routage et Marketing.
Alcan
99. La pièce citée au paragraphe 43, de mai 2004, démontre une coordination sur les prix entre Adecco, Adia, VediorBis et Manpower dans le cadre de la réponse à un appel d'offres lancé par Alcan. Il s'agit d'une note manuscrite du directeur général d'Adecco. Elle établit ainsi une implication de responsables de haut niveau. L'indication " Le lundi soir, tout le monde est là on compare nos prix ", suivie de la mention des coefficients de, respectivement, Vedior, Adia, Manpower et Adecco ne laisse aucun doute sur l'entente des quatre ETT. A cet égard, contrairement à ce qu'expose Manpower, l'expression " tout le monde est là " n'est pas compatible avec une entrevue seulement bilatérale entre Adecco et Adia, d'autant que celle-ci a déjà eu lieu le lundi matin. Les indications du début de la note " on est OK pour coordonner nos prix avec les autres. On se parle mais je ne peux pas t'entendre si tu ne cales pas avec Adia (2ème passe) . j'essaie d'avoir JES [Jean-Etienne L..., responsable grands comptes Adia] pour qu'il confirme ses prix (...) " permettent de comprendre que Manpower et VediorBis acceptent de se concerter avec Adecco, mais à condition qu'Adia, filiale soeur d'Adecco et candidate en principe indépendante à l'appel d'offres, joue le même jeu. Les indications fournies par Mme Vanessa M..., de la direction des achats d'Alcan, reproduites au paragraphe 44, sont pleinement cohérentes avec ce déroulement des faits. On en retire la démonstration que, dans un premier temps, Adia proposait un meilleur coefficient que les trois autres ETT pour la principale catégorie de personnel demandée par Alcan (1,86 contre 1,87 à 1,89). Mme M... a demandé aux ETT de faire un effort et, à la suite de la concertation, Adia a remonté son prix. Adecco et Manpower ont légèrement baissé le leur, tandis que VediorBis l'a quelque peu remonté. Après la réunion du lundi soir, Adecco, s'apercevant qu'elle était décalée de 1 % par rapport à VediorBis, a ajusté son prix sur celui de ce dernier, vraisemblablement pour ne pas risquer de pénaliser le groupe alors qu'Adia était également au-dessus de VediorBis. Finalement, les quatre opérateurs ont fait une proposition se tenant à 0,25 % près. L'absence de doute quant à l'interprétation de la note du directeur général d'Adecco, confirmée par les éléments factuels complémentaires apportés par Mme M..., rendent peu vraisemblables les assertions avancées par Manpower sur son témoignage, selon lesquelles cette employée d'Alcan aurait caché avoir transmis elle-même aux différents offreurs le niveau des offres de leurs concurrents, de peur de se voir reprocher d'avoir facilité une entente anticoncurrentielle.
La politique de prix de Manpower vue par Adecco
100. Les courriels internes à Adecco, de septembre 2004, mentionnés au paragraphe 45, dénotent l'existence de contacts suivis avec Manpower et d'un accord pour ne pas " casser les prix " (sinon on ne voit pas pourquoi Adecco se donnerait la peine de répondre à Manpower). Ces éléments révèlent certes le maintien d'une certaine concurrence entre les opérateurs, mais qui s'inscrit en contravention avec une ligne de conduite décidée auparavant.
Les numéros de téléphone portable
101. La pièce évoquée au paragraphe 46, extraite des notes du directeur commercial de Manpower au printemps 2004, montre que celui-ci dispose des numéros des téléphones portables de la plupart des responsables de branche de VediorBis. En l'absence de toute explication de Manpower à cet égard, qui se borne à indiquer en substance qu'il n'est pas interdit de disposer des coordonnées de concurrents, cette pièce doit être considérée comme un indice, certes insuffisant par lui-même mais dont le rapprochement avec les autres pièces du dossier est révélateur, de concertations détaillées et fréquentes entre Manpower et VediorBis. Non seulement le directeur commercial de Manpower dispose de numéros de téléphones portables, ce qui dénote une demande, acceptée du côté de VediorBis, de pouvoir joindre rapidement et sans filtrage les correspondants concernés, mais aussi il dispose des coordonnées de responsables opérationnels de branche peu susceptibles d'être des interlocuteurs pour traiter de questions générales à la profession.
Eiffage
102. La pièce citée au paragraphe 47, de juin 2004, interne à Manpower, fait explicitement état d'une concertation avec Adecco et VediorBis pour faire front commun vis-à-vis d'exigences du client Eiffage, concernant notamment un régime de pénalités de retard. Les clauses des contrats commerciaux font partie des éléments de concurrence sur un marché et une concertation sur un tel aspect est par conséquent anticoncurrentielle, dans la mesure où elle fait échec, au moins partiellement, à une compétition sur les prix.
PPR et Galeries Lafayette
103. La pièce citée au paragraphe 48, relatant une réunion de responsables commerciaux de Manpower en septembre 2004, montre manifestement que Manpower et VediorBis ont normalement des clients " protégés " (les Galeries Lafayette pour VediorBis et Pinault Printemps Redoute pour Manpower), ou du moins des parts de marché " protégées " chez certains clients, et que le non-respect des espaces protégés suscite des réactions virulentes et des menaces de représailles.
104. Enfin, la pièce citée au paragraphe 49, interne à Manpower, montre elle aussi que si l'opérateur maintient une certaine compétition avec le groupe Adecco, il échange des informations confidentielles avec lui (" dernières infos de la part d'Adecco "), concernant tant les offres d'Adecco que celles d'Adia.
105. Les pièces analysées ci-dessus, prises dans leur ensemble, constituent un faisceau d'indices graves, précis et concordants de la participation de Manpower à une pratique concertée avec Adecco et VediorBis visant, par des discussions et une coordination plus ou moins poussées selon les cas et portant sur divers paramètres de la relation commerciale entre EU et ETT, à éviter la compétition sur les prix en ce qui concerne la clientèle des grands comptes. Le fait, invoqué par Manpower, que cette pratique concertée n'ait pas toujours été parfaitement mise en œuvre ne remet pas en cause son existence. La circonstance, également avancée, que la concurrence ait été maintenue sur certains aspects de la politique commerciale ou que certains clients aient été réellement disputés par les ETT n'est pas non plus suffisante pour renverser la démonstration, appuyée par les pièces du dossier citées et analysées plus haut, de l'infraction reprochée.
106. En revanche, les éléments figurant au dossier sont trop imprécis ou isolés pour établir que la pratique décrite plus haut s'est étendue au-delà des grands comptes pour concerner, comme l'a reproché la notification de griefs, la clientèle des " diffus ". De même ils ne permettent pas de démontrer l'implication de la société Groupe Védior France, société holding du groupe, dans la conception ou la mise en œuvre de la pratique anticoncurrentielle identifiée.
107. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que sont établis à l'égard des entreprises destinataires, à l'exception de la société Groupe Védior France, le ou les griefs qui leur ont été notifiés d'avoir participé, sur le seul marché des grands comptes, à une pratique concertée ayant pour objet ou pour effet d'éviter une compétition par les prix, au moyen d'échanges d'informations anticoncurrentiels ou de discussions plus ou moins poussées sur les éléments de la négociation commerciale avec leurs clients " grands comptes ".
C. SUR LES SUITES À DONNER
108. Le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce dispose notamment :
" [le Conseil de la concurrence] peut infliger une sanction pécuniaire (...).
Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée par chaque sanction.
(...) Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante.
Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'il précise ".
109. En l'espèce, il doit aussi être tenu compte de la circonstance qu'Adecco, Adia, et VediorBis n'ont pas contesté les griefs dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, ainsi qu'indiqué au paragraphe 51. Le plafond légal de la sanction est, pour ces sociétés, réduit de moitié.
110. Seront successivement examinés, pour apprécier le montant de la sanction :
- la gravité des pratiques constatées,
- l'importance du dommage à l'économie qu'elles ont provoqué,
- la réitération éventuelle d'infractions antérieures,
- la situation individuelle des entreprises en cause.
1. SUR LA GRAVITÉ DES PRATIQUES CONSTATÉES
111. Les pratiques constatées ont pris de multiples formes et se sont traduites, comme indiqué ci-dessus paragraphe 105, par des discussions et une coordination plus ou moins poussées selon les cas, portant sur divers paramètres de la relation commerciale entre EU et ETT dans le but d'éviter une compétition par les prix en ce qui concerne la clientèle des grands comptes. Dans certains cas, elle a pu aller jusqu'à des ententes directes sur le prix dans le cadre de réponses à des appels d'offres, ainsi que l'illustrent les faits relatifs à l'appel d'offres d'Alcan. Ces ententes sur les prix à l'occasion d'appels à la concurrence figurent parmi les pratiques anticoncurrentielles les plus graves. Mais une coordination sur des éléments concourant également à la formation des prix, comme les remises de fin d'année ou les conditions de rétrocession à la clientèle d'allègements de charges sociales décidés par le Gouvernement constitue aussi une pratique grave. En particulier, la rétrocession plus faible aux EU des allègements de charges qui a découlé de la concertation a non seulement renchéri le coût du recours à la main d'œuvre temporaire pour les EU, mais a aussi conduit à une confiscation par les ETT impliquées d'une partie de l'effort budgétaire public entrepris pour réduire le chômage. L'examen du dossier a aussi montré que les ETT ayant participé à la pratique essayaient de maintenir leurs parts de marché respectives auprès de certains grands clients en se coordonnant (La Poste, Alstom, Galeries Lafayette, Pinault Printemps Redoute), voire de maintenir globalement leurs positions sur le plan régional ou national (pièces citées aux paragraphes 40, 41 et 42). De telles concertations comptent également parmi les pratiques dont la gravité est régulièrement soulignée par le Conseil de la concurrence.
112. Certes, pris isolément, certains contacts entre les opérateurs visés par le premier grief ont présenté un caractère de moindre gravité, comme ceux qui leur ont permis de s'échanger des informations générales sur leur activité ou sur leur politique à l'égard d'un client particulier. Il s'agit néanmoins d'échanges d'informations relevant normalement de secrets d'affaires, qui s'inscrivent dans un contexte de coordination générale pour limiter la compétition par les prix, et non d'échanges d'informations déconnectés de toute autre pratique anticoncurrentielle, ainsi qu'a pu le laisser entendre VediorBis.
113. Appréhendée dans son ensemble, la pratique en cause, par sa nature, présente donc un caractère certain de gravité. S'agissant de sa durée, elle est démontrée de mars 2003 à novembre 2004, date à laquelle ont été menées les opérations de visite et saisie, soit pendant vingt et un mois, ce qui n'est pas une durée très longue pour ce genre de pratique.
114. Les entreprises font valoir différents arguments pour atténuer la gravité de leurs agissements. Elles exposent que la pratique dénoncée était peu organisée, qu'elle était mise en œuvre de manière largement aléatoire et sans objectifs précis et que la coordination ne portait, en tout état de cause, que sur tel ou tel paramètre des relations commerciales avec la clientèle, laissant ainsi la concurrence ouverte sur de nombreux aspects et à l'égard de très nombreux clients. Manpower, ainsi qu'Adecco et Adia, soulignent que la pratique n'a eu aucun effet d'éviction vis-à-vis des ETT non impliquées et donnent des exemples de certaines d'entre elles dont l'activité s'est significativement développée pendant la période concernée. Adecco et Adia soutiennent encore que les trois grands groupes de travail temporaire, même pris ensemble, n'ont pas un fort pouvoir de marché, car la plupart des grands comptes disposent eux-mêmes d'une grande force de négociation. De plus, tant les autres ETT que certains prestataires de services dans des domaines comme l'ingénierie, l'informatique ou la comptabilité exerceraient une vive concurrence. Adecco et Adia avancent par ailleurs que la complexité des évolutions de la politique sociale d'aide à l'emploi obligeait les grandes ETT à avoir des contacts entre elles et que cette circonstance doit être considérée comme une circonstance atténuante.
115. Le Conseil admet que certaines des circonstances avancées ont pu conduire à ce que la pratique ait des effets anticoncurrentiels moins importants que dans d'autres espèces. Néanmoins, au regard de l'appréciation des comportements incriminés telle qu'exposée aux paragraphes 111 à 113, ces circonstances peuvent difficilement en atténuer la gravité. Si la pratique concertée avait conduit à une coordination plus complète et plus systématique des ETT en cause, on aurait été en présence d'un véritable cartel, forme de collusion anticoncurrentielle la plus grave. Par ailleurs, au regard d'une pratique donnée, ainsi que le Conseil de la concurrence l'a déjà souligné, " le maintien d'une certaine concurrence, sur le marché, lorsqu'il est avéré, n'est pas un élément de nature à justifier une atténuation de la gravité [de la pratique] " (voir la décision n° 07-D-21 du 26 juin 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la location et de l'entretien de linge, paragraphe 94). De même, l'existence d'un pouvoir de marché susceptible d'être exercé par les clients ne peut pas non plus justifier une pratique d'entente ni en atténuer la gravité. Le Conseil s'est déjà prononcé sur ce point dans la décision n° 02-D-57 du 19 septembre 2002 relative à une entente dans le secteur des roulements à billes. Il y a indiqué : " quand bien même elle serait avérée, la puissance d'achat des distributeurs ne peut justifier que les fabricants se concertent pour aligner les hausses de leurs tarifs ". Cette appréciation n'a pas été remise en cause par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 17 juin 2003, rendu sur le recours exercé contre cette décision. Par ailleurs, le fait que certains autres opérateurs aient pu se développer pendant la période concernée n'est guère pertinent en l'espèce puisque les trois groupes de travail temporaire en cause représentent environ 90 % de la fourniture des services concernés à la clientèle " grands comptes ". De plus, ainsi qu'il est exposé au paragraphe 20, la part des ETT indépendantes des trois groupes a, de 1999 à 2005 et sur l'ensemble de l'activité, régressé de 4,3 %. Enfin, si la complexité des évolutions de la politique sociale gouvernementale pouvait le cas échéant nécessiter des éclaircissements sur l'interprétation des nouvelles dispositions, elle ne peut en aucun cas justifier une coordination sur les conséquences à en tirer en matière de prix, comme en l'espèce.
116. S'agissant de ce dernier aspect, contrarier les politiques publiques est grave. De nombreux rapports, comme celui rédigé par M. Edmond Malinvaud en 1998, ont insisté sur l'intérêt des allègements de charges sociales sur les bas salaires pour réduire le coût du travail en France. Comme l'indiquent P. Cahuc et A. Zylberberg1 : " En 2004, la France a consacré 17 milliards d'euro, soit près de 1,2 % de son PIB, à des mesures d'allègement des cotisations sociales sur les bas et moyens salaires. C'est le poste le plus important de toutes les politiques d'emploi. La France fut le premier pays à initier en 1993 ce type de mesures, suivie peu après par la Belgique et les Pays-Bas. L'ambition de ces dispositifs est d'abaisser le coût du travail afin que les entreprises augmentent leurs embauches ". A cet égard, perturber les effets incitatifs des politiques de l'emploi peut conduire, au-delà de l'impact direct sur le marché du travail, à un impact budgétaire négatif : en effet, la baisse (ou la moindre hausse) de l'emploi réduit les cotisations sociales collectées et accroît les revenus de remplacement qui doivent être versés aux personnes qui ne travaillent pas. Toute pratique de nature à minorer les effets de baisses de charges et à accroître le coût du travail pour les EU est ainsi contre-productive dans un contexte de lutte contre le chômage et de priorité accordée à la croissance économique.
117. A ce stade, il y a lieu de préciser que les différentes entreprises qui ont participé à la pratique objet du premier grief doivent être considérées comme ayant eu un comportement d'une gravité comparable. Ces entreprises appartiennent en effet toutes à des groupes internationaux de grande envergure et aucun élément du dossier ne montre que l'une d'elles aurait été contrainte de suivre cette pratique, ou au contraire qu'elle en aurait été plus spécialement l'instigatrice ou la gardienne. De même les éléments du dossier ne montrent pas que l'une des entreprises en cause n'y aurait que marginalement participé. Quant à Adia, seule destinataire à titre " autonome " du second grief, elle n'est en l'occurrence concernée que par une pratique ponctuelle, mais il s'agit d'une pratique particulièrement grave de tromperie d'un donneur d'ordres sur la réalité de la concurrence, par participation à une entente directe sur le prix.
118. Au titre de l'appréciation de la gravité des comportements en cause, il convient d'examiner encore une circonstance particulière à VediorBis, qui pourrait être aggravante. L'instruction a en effet soutenu que le groupe Vedior avait exercé des représailles à l'encontre de M. X..., son ancien salarié qui a dénoncé à la Commission européenne les pratiques ayant suscité la présente affaire. En substance, M. X..., qui avait déjà perdu son emploi au sein du groupe Vedior en raison de l'impossibilité de développer l'activité transfrontalière depuis le Luxembourg dont il avait été initialement chargé, aurait ensuite perdu un nouvel emploi au sein d'une entité du groupe d'audit Deloitte, installée aussi au Luxembourg, sur pression de Vedior, dont Deloitte était commissaire aux comptes. A cet égard, M. X... a fourni au Conseil de la concurrence des documents internes à Deloitte, obtenus en justice aux Pays-Bas, susceptibles d'étayer cette thèse.
119. Le Conseil de la concurrence considère que l'existence de représailles exercées par une entreprise ou à l'instigation d'une entreprise à l'encontre d'une personne, le cas échéant l'un de ses employés ou anciens employés, qui a dénoncé des comportements anticoncurrentiels à une autorité de concurrence peut, en théorie, constituer un facteur aggravant, dont il devrait être tenu compte pour la sanction éventuelle infligée à cette entreprise, indépendamment des actions judiciaires que la personne objet de ces représailles peut elle-même engager. De telles représailles visent en effet, au delà de l'aspect de vengeance qu'elles peuvent comporter, à entraver l'action des autorités publiques dans la recherche de comportements infractionnels en dissuadant les personnes susceptibles de le faire de signaler de tels comportements, qui sont souvent très préjudiciables à l'intérêt public.
120. Toutefois, en l'espèce, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le caractère probant des documents fournis par M. X... pour démontrer qu'il a été l'objet de représailles du groupe Vedior en raison de sa dénonciation à la Commission européenne des faits ayant initié la présente affaire, il doit être constaté que ces documents sont insuffisants pour mettre en cause précisément les deux sociétés du groupe auxquelles des griefs ont été notifiés dans le cadre de la présente procédure, à savoir Groupe Vedior France et VediorBis. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de retenir de circonstance aggravante particulière à ces deux sociétés.
2. SUR L'IMPORTANCE DU DOMMAGE À L'ÉCONOMIE
121. La pratique concertée visée par le premier grief a eu pour objet essentiel d'éviter la compétition par les prix. Si elle a eu pour effet réel, à tout le moins, de réduire la compétition par les prix entre les trois principaux opérateurs du travail temporaire en France, elle a engendré trois types de conséquences directes dommageables pour l'économie : un transfert de profit depuis les entreprises utilisatrices vers les entreprises de travail temporaire, un moindre recours au travail temporaire dû à la hausse de son coût pour les entreprises utilisatrices, et enfin un manque à gagner pour les travailleurs intérimaires qui n'ont pas été employés.
122. En tant que l'un des critères de la sanction qui peut être infligée à l'auteur d'une pratique anticoncurrentielle, le dommage à l'économie qui résulte de cette pratique ne demande pas à être chiffré précisément. En effet, l'article L. 464-2 du Code de commerce fait seulement référence à " l'importance " du dommage à l'économie. De plus, ce dernier ne saurait se réduire aux seules conséquences directes et monétaires précédemment évoquées.
123. A cet égard, dans un arrêt du 10 janvier 1995, société SOGEA, la Cour de cassation a approuvé la Cour d'appel de Paris d'avoir rappelé que " le dommage à l'économie est présumé par la loi dès lors que l'existence d'une entente est établie ". Dans un arrêt du 24 janvier 1995, elle a encore approuvé la cour d'appel d'avoir constaté que durant la période de 1988 à 1991, des pratiques d'origine ancienne avaient empêché le jeu normal de la concurrence par les prix pour les déménagements des marins de la marine nationale. Elle a considéré que la cour d'appel n'avait donc pas à rechercher quelle avait été l'influence de ces pratiques sur le prix des déménagements.
124. La Cour d'appel de Paris a pour sa part rappelé, dans un arrêt du 13 janvier 1998 (Fougerolle Ballot), " le dommage causé à l'économie est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence ".
125. Dans un arrêt du 12 décembre 2000 (Sogea Sud Est), la cour d'appel a encore relevé que " ces pratiques anticoncurrentielles qui caractérisent un dommage à l'économie sont répréhensibles du seul fait de leur existence, en ce qu'elles constituent une tromperie sur la réalité de la concurrence dont elles faussent le libre jeu, nonobstant la circonstance que l'échange d'informations entre entreprises sur les prix a été suivi d'une adjudication inférieure aux estimations du maître d'œuvre (...) ".
126. Enfin, dans un arrêt du 8 octobre 2008 (SNEF), elle a souligné que " le dommage à l'économie visé par les dispositions ci-dessus rappelées de l'article L. 462-4 du Code de commerce ne se réduit pas au préjudice éventuellement subi par le maître de l'ouvrage et s'apprécie en fonction de la perturbation générale apportée au fonctionnement normal des marchés par les pratiques en cause (...) ". Dans cet arrêt, la cour d'appel a approuvé le Conseil de la concurrence d'avoir infligé à une entreprise qui s'était concertée avec une autre pour répondre à un appel d'offres une sanction pécuniaire nettement supérieure au montant du marché, alors même que ce dernier avait été attribué à une entreprise tierce ayant proposé un prix inférieur à celui proposé par l'entreprise concernée.
127. Toutefois, il peut être utile, notamment pour les parties mises en cause, de proposer un ordre de grandeur des conséquences directes évoquées au paragraphe 121. A cet égard, les parties ont avancé différentes estimations reposant elles-mêmes sur différentes hypothèses, qui ont été discutées par les services d'instruction du Conseil.
128. Ces travaux ont conduit à des discussions visant les éléments à prendre en considération pour évaluer, au premier chef, le surprix payé par les entreprises utilisatrices, c'est-à-dire l'écart entre le prix effectivement pratiqué et celui qui aurait prévalu en l'absence de la pratique concertée. Une telle évaluation pourrait, en principe, se faire en comparant les prix pratiqués pendant la période au cours de laquelle les pratiques incriminées ont été mises en œuvre et au cours de laquelle elles ont encore eu des effets, avec les prix qui auraient été pratiqués en l'absence de ces pratiques. Toutefois, cette situation de référence, appelée " contrefactuel " par les économistes, est hypothétique et il est dès lors nécessaire d'apprécier dans quelle mesure des situations observées en réalité peuvent la représenter. S'agissant de la méthode de comparaison avec une situation de référence, Adecco d'une part et Groupe Vedior France d'autre part, ont fourni des études économiques effectuées respectivement par les cabinets LECG et RBB Economics. Ces études sont fondées sur des données détaillées de l'activité des opérateurs concernés. Elles ont été complétées en réponse au rapport et au cours des débats en séance.
129. Dans les deux études, des facteurs ayant pu influencer les coefficients de vente indépendamment de la pratique concertée sont considérés via l'introduction dans les régressions d'indicateurs de coûts. Cela permet de ne pas imputer à la pratique les effets d'éléments indépendants de celle-ci. Ensuite, les estimations portent sur des variations de prix intra-individuelles (et intra-qualification dans le cas de l'étude de RBB), c'est-à-dire sur des variations de prix après prise en compte des caractéristiques individuelles des clients (et des qualifications professionnelles des postes d'intérim dans le cas de l'étude de RBB). L'évolution de la composition de la clientèle de chaque ETT (et des qualifications utilisées dans le cas de RBB) est ainsi neutralisée dans l'appréciation des différences de prix constatées en moyenne entre la situation observée et celle qui représente le contrefactuel.
130. Le cabinet LECG a retenu comme période de référence les années 2001-2002, d'une part, et les années 2005-2007, d'autre part, qui encadrent donc les années 2003 et 2004 pendant lesquelles la pratique concertée est démontrée. En réponse au rapport, il a aussi présenté une hypothèse prenant comme période de référence uniquement les années 2001 et 2007, plus éloignées de la pratique identifiée. Ses estimations n'ont porté que sur l'activité concernant les grands comptes des entreprises de travail temporaire.
131. Pour sa part, le cabinet RBB a retenu alternativement comme périodes de référence les années 2005-2007 ou la seule année 2007 pour ce qui concerne les grands comptes, mais a aussi inclus comme référence l'activité concernant les clients " diffus " sur la période 2003-2007. L'utilisation conjointe de ces deux références pour représenter un même contrefactuel est désignée par " méthode en double différence ".
132. Compte tenu de ces éléments, Adecco d'une part, Groupe Vedior France et VediorBis d'autre part, ont estimé les surprix et les surprofits en ce qui concerne leur activité " grands comptes " respective.
<emplacement tableau>
133. Toutefois, certaines des hypothèses retenues sont sujettes à caution. D'une part, la référence à l'activité concernant la clientèle relevant du " diffus " doit être écartée. La méthode de la double différence repose en effet sur l'hypothèse que les marchés que l'on compare réagissent de manière similaire aux modifications de l'environnement (par exemple des chocs portant sur la demande ou les coûts). C'est pourquoi les praticiens qui utilisent cette méthode, notamment pour estimer l'impact économique de situations anticoncurrentielles, recommandent de comparer des marchés aux caractéristiques proches. Ils déconseillent expressément de comparer des marchés sur lesquels le nombre d'acteurs et le fonctionnement de la concurrence sont très différents (2). Cette réserve s'applique pleinement aux segments des clients diffus et des grands comptes : les parties insistent elles-mêmes, à juste titre, sur les différences structurelles majeures entre ces deux segments, s'agissant du nombre d'acteurs présents, du type de concurrence (locale et nationale), des mécanismes de formation des prix, etc. Toutes ces différences, qui se traduisent par des écarts importants de marges, de coefficients de vente, de volume d'heures facturées, de durée des contrats, interdisent d'appliquer la méthode de la double différence aux segments des clients grands comptes et des clients diffus.
134. D'autre part, les années 2005 et 2006 ont manifestement été perturbées par un effet d'inertie de la pratique concertée qui les rend impropres à être incluses dans une période de référence. Des contrats conclus avec les grands comptes alors que la pratique anticoncurrentielle démontrée était en cours (mars 2003 - novembre 2004) ont en effet continué à être exécutés en 2005 et 2006. Les contrats avec Alcan, dont la négociation a donné lieu à l'entente visée par le second grief étaient par exemple d'une durée de dix-huit mois avec un démarrage au 1er juillet 2004. En séance, en réponse à une question du président, le représentant de Manpower a indiqué qu'en 2005, 39 % des contrats en vigueur avec des grands comptes avaient été conclus pendant la période des faits incriminés et qu'en 2006, cette part était encore de 13 %. Le représentant d'Adecco a indiqué que les contrats " grands comptes " de sa société sont en moyenne de deux ans et que seulement 15 à 20 % font l'objet d'une renégociation anticipée. Le représentant de VediorBis a indiqué, pour une même durée moyenne des contrats, une part de renégociation anticipée de 30 % environ.
135. La référence aux années 2001 et 2002, proposée par Adecco, qui seule dispose de données relatives à cette période, est discutable. En effet, aucun élément factuel au dossier ne permet d'exclure que des pratiques analogues n'avaient pas cours avant 2003. Les années antérieures à cette date pourraient donc fausser l'analyse. Le même argument vaut, en principe, pour les années postérieures à 2004, à ceci près qu'est intervenu fin novembre 2004 un évènement extérieur susceptible de mettre fin à la pratique : les investigations des services d'enquête. Les contrats en cours ont néanmoins pu continuer à être affectés, mais, comme indiqué ci-dessus, leur durée dépasse rarement deux années. Il s'ensuit que, parmi l'ensemble des représentations possibles du contrefactuel, l'année 2007 semble la plus appropriée. C'est pourquoi les services d'instruction du Conseil ont estimé les effets de la pratique en suivant les mêmes méthodologies que celles employées par Adecco et VediorBis, à partir des données fournies par ces entreprises, mais en prenant comme situation de référence l'activité concernant les grands comptes durant la seule année 2007.
Les résultats des estimations sont reportés dans les tableaux suivants :
<emplacement tableau>
136. Sans prendre parti sur les différentes hypothèses (en écartant néanmoins celles qui se réfèrent pour la situation de référence aux années 2005 et 2006 pour les raisons exposées précédemment), il peut être relevé que les estimations concernant le surprofit d'Adecco vont d'environ 26 millions d'euro (scénario 2, LECG) à 72 millions d'euro (scénario 3, services d'instruction) et que celles concernant le surprofit de VediorBis vont d'environ 10 millions d'euro (scénario 2, RBB qui inclut la clientèle " diffus " dans la situation de référence, ce qui est critiquable) à environ 24 millions d'euro (scénario 3, services d'instruction qui, par rapport au scénario 2 de RBB, exclut la clientèle " diffus " de la situation de référence).
137. Ces analyses démontrent que la pratique a eu des effets importants, même si leur estimation précise demeure sujette à discussion.
138. Les données transmises par Manpower n'ont pas permis de réaliser des estimations comparables, car elles ne permettent pas d'identifier les deux principaux postes de coût que sont les salaires et les charges patronales. Une extrapolation à Manpower des résultats obtenus à partir des données de ses concurrents demanderait de supposer que les effets de l'entente sur les coefficients de vente des trois grandes ETT sont comparables. Une telle extrapolation aurait une valeur très limitée. A cet égard, il y a lieu de souligner, comme l'a fait la vice-présidente du Conseil dans la décision n° 08-REDEC-01 par laquelle elle a refusé le déclassement des données confidentielles d'Adecco et de VediorBis au profit des autres parties, que Manpower pouvait contester une telle extrapolation, soit en produisant une étude économique faite à partir de données suffisamment précises la concernant, soit en développant une argumentation générale montrant qu'une telle extrapolation n'est pas possible. Dès lors, Manpower n'est pas fondée à soutenir que les droits de la défense ont été méconnus en raison de l'impossibilité dans laquelle elle a été d'accéder aux données confidentielles concernant ses concurrentes.
139. Ceci étant précisé, les simulations retenues précédemment montrent néanmoins que la pratique concertée a eu des effets qui ne sont absolument pas négligeables. Par ailleurs, l'importance du facteur coût des intérimaires pour le choix d'un ou plusieurs opérateurs de travail temporaire par un " grand compte " est essentielle, dans la mesure où les services proposés sont largement standardisés, comme a pu le montrer la très fine coordination sur les coefficients qu'a nécessitée l'entente sur l'appel d'offres d'Alcan. Dès lors, il serait invraisemblable que seuls Adecco et VediorBis aient réalisé un surprofit en participant à la pratique concertée : si ces deux ETT avaient été seules à augmenter leurs coefficients, la troisième, Manpower, aurait en effet gagné à leur détriment des parts de marché significatives, ce qui n'est pas le cas.
140. C'est pourquoi il est utile, pour ne pas négliger la part qu'a prise Manpower aux effets de la pratique incriminée, de procéder à une évaluation globale du surprofit en tenant compte des pratiques commerciales des opérateurs et en proposant un ordre de grandeur de l'effet d'une augmentation minime du prix de vente.
141. Les éléments du dossier, notamment ceux relatifs à l'appel d'offres d'Alcan, montrent que les coefficients sont en général ajustés, lors des négociations, à deux chiffres après la virgule, c'est-à-dire au centième (par exemple 1,90 ou 1,91). Exceptionnellement, l'ajustement peut se faire au demi-centième comme l'a montré l'appel d'offres d'Alcan (VediorBis a fait passer sa proposition de 1,87 à 1,875).
142. Une augmentation du coefficient de 1,90 à 1,91, par exemple, représente une augmentation du prix d'environ 0,5 %. En prenant comme hypothèse que la pratique concertée n'a eu, sur la moyenne des grands comptes, qu'un impact aussi faible, et en ne retenant que les trois ETT mises en cause, le volume d'affaires annuel concerné s'élève à environ 180 000 équivalent-emplois à temps plein et à 5 milliards d'euro en 2003 ainsi qu'en 2004 (chiffres déduits de l'activité globale des ETT concernées en retenant la part des grands comptes indiquée par les intéressées comme étant de 52 ou 53 % pour Manpower, de 55 % pour Adecco et de 60 % pour VediorBis). Dans cette hypothèse, les surprofits globaux des trois entreprises atteindraient 25 millions d'euro par an, soit 44 millions d'euro pour la période couverte par les griefs (21 mois), sans tenir compte des effets induits par la durée des contrats en 2005 et 2006 qui ont été évoqués au paragraphe 134.
143. La hausse du coût du travail temporaire causée par la pratique a pu réduire le recours par les entreprises utilisatrices à cette forme de travail, et réduire, en conséquence, le surplus économique que se partagent les deux catégories d'entreprises concernées - les entreprises utilisatrices et les entreprises de travail temporaire. Les études produites au dossier concordent pour considérer que la baisse du surplus global de ces deux catégories d'acteurs peut être négligée.
144. Toutefois, la baisse du recours au travail temporaire affecte une autre catégorie d'acteurs, les travailleurs intérimaires eux-mêmes, dont certains peuvent ne pas avoir été employés pour cette raison. Le manque à gagner pour les travailleurs intérimaires qui n'ont pas été employés pourrait ne pas être négligeable. Il dépend de l'élasticité de la demande de travail des entreprises à son coût. Cette élasticité est, selon la littérature économique, située entre 0,3 et 0,8 pour le travail permanent, mais elle diffère selon les qualifications et serait voisine de 1 pour les basses qualifications (3). Le Conseil n'a pas connaissance d'études spécifiques au travail temporaire. Néanmoins, une évaluation prudente peut être opérée avec une élasticité de 0,5, compte tenu du fait que les emplois intérimaires correspondent pour l'essentiel à des postes de qualification basse ou moyenne. Une augmentation de 0,5 % du prix du travail temporaire, comme envisagé au paragraphe 142, réduit dans ce cas le volume d'activité du travail temporaire de 0,25 %, ce qui correspond, sur la base évoquée précédemment de 180 000 équivalents/emplois à temps plein, à 450 emplois pour une année. Comme la pratique concertée est démontrée sur 21 mois, ce sont un peu moins de 790 équivalents emplois à temps plein ramenés sur la période visée par les griefs qui sont concernés. Valorisés au niveau du SMIC (1 215 euro bruts mensuels au 1er juillet 2003), ce qui est un minorant, ces emplois représentent environ 20 millions d'euro de salaires, soit en l'espèce autant de manque à gagner pour les travailleurs intérimaires.
145. Certes, comme Adecco l'a souligné, une hausse du coût du travail temporaire ne conduit sans doute pas à une répercussion intégrale des effets de la moindre utilisation de cette forme de travail sur l'ensemble des travailleurs qui ont recouru au travail temporaire. Le cas échéant, d'autres formes de travail peuvent devenir alors plus attractives et tel ou tel travailleur en bénéficier. Néanmoins, le travail intérimaire a des caractéristiques spécifiques qui le différencient des autres formes de travail flexible : réglementation particulière, risque juridique spécifique, services de formation assurés par les ETT qui rendent les travailleurs en mission d'intérim employables immédiatement par l'EU, durée des missions d'intérim nettement inférieure à celle des CDD. La Commission européenne, qui a examiné plusieurs opérations de concentration4 dans ce secteur, a toujours considéré que le marché pertinent était celui du travail temporaire5, même si elle n'a pas exclu qu'il puisse exister " un certain degré de substituabilité " vers d'autres formes de travail flexible. Mais la substituabilité vers d'autres formes de travail flexible, si elle existe, n'a certainement pas été suffisante pour permettre aux entreprises utilisatrices de s'abstraire de la hausse du coût du travail temporaire induite par la pratique, ni pour compenser l'effet négatif sur l'emploi du moindre recours à cette forme de travail.
146. Il résulte de ce qui précède que les différentes études produites devant le Conseil sur les conséquences directes de la pratique concertée visée par le premier grief conduisent à retenir un ordre de grandeur du surprofit commun aux trois opérateurs de plusieurs dizaines de millions d'euro et un ordre de grandeur du manque à gagner pour les intérimaires d'une ou deux dizaines de millions d'euro. Ces chiffres ne prennent pas en compte la baisse de recettes de cotisations sociales perçues par l'État causée par le moindre recours au travail temporaire. Ces éléments sont à prendre en considération pour approcher l'importance du dommage à l'économie en les reliant avec les autres éléments évoqués aux paragraphes 123 à 126 dont l'impact, bien que difficile à chiffrer, n'en est pas moins significatif. Il convient de préciser qu'il n'y a pas lieu de " répartir " ces ordres de grandeur entre les trois ETT concernées car ils résultent d'une pratique commune qui n'aurait pu être mise en œuvre sans la participation de chacune. Il sera tenu compte de leur situation individuelle dans la suite de la présente décision.
147. S'agissant de l'entente spécifique à l'appel d'offres d'Alcan qui a fait l'objet du second grief, il doit être souligné, là aussi sans préjudice des considérations rappelées aux paragraphes 123 à 126, que cet appel d'offres portait sur des prestations évaluées par le donneur d'ordres à environ 50 millions d'euro par an, soit au total 75 millions d'euro compte tenu de la durée de dix-huit mois des contrats.
3. SUR LA SITUATION DE RÉITÉRATION
148. Dans sa décision n° 07-D-33 du 15 octobre 2007, le Conseil a indiqué que " la réitération des pratiques est depuis longtemps considérée par le Conseil de la concurrence comme une circonstance aggravante justifiant une élévation de la sanction notamment au regard de l'objectif de dissuasion que poursuit sa politique de sanctions ". L'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi NRE de 2001 en fait un critère explicite de détermination du montant des sanctions. Le régime sui generis de la réitération au sens du droit français de la concurrence exige, pour en apprécier l'existence, que quatre conditions soient réunies. Il faut :
en premier lieu, qu'une précédente infraction au droit de la concurrence ait été constatée avant la commission des nouvelles pratiques ;
en deuxième lieu, que ces dernières soient identiques ou similaires, par leur objet ou leur effet, à celles ayant fait l'objet du précédent constat d'infraction ;
en troisième lieu, que ce dernier soit devenu définitif à la date à laquelle l'autorité de concurrence statue sur les nouvelles pratiques ;
en quatrième lieu, que le délai écoulé entre le précédent constat d'infraction et la commission des nouvelles pratiques soit pris en compte pour appeler une réponse proportionnée à la propension de l'entreprise à s'affranchir des règles de concurrence.
149. En l'espèce, il a été reproché aux entreprises mises en cause la réitération d'une infraction antérieure au droit de la concurrence, constatée par la décision n° 97-D-52 du 25 juin 1997 du Conseil de la concurrence. Dans cette affaire, le Conseil a considéré qu'était établie une entente enfreignant l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code du commerce, entre les fédérations départementales du bâtiment et des travaux publics de l'Isère et de la Savoie et quinze ETT dont Ecco TT, Adia France SA, Manpower France et Bis France, portant sur des conventions dont l'un des objectifs était de contenir la hausse des rémunérations des salariés intérimaires dans le but de maîtriser le coût de la main d'œuvre supporté par les entreprises de construction à l'époque des travaux d'aménagement des sites olympiques pour les Jeux olympiques d'Albertville. La décision du Conseil a été confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 8 septembre 1998, qui a fait l'objet d'un pourvoi rejeté par la Cour de cassation par un arrêt du 13 février 2001.
150. Adecco, Adia, Manpower France Holding, Manpower France et VediorBis assurent la continuité des entreprises citées ci-dessus.
151. Le constat d'infraction résultant de la décision n° 97-D-52 était déjà intervenu (1997) lorsque les pratiques examinées dans la présente affaire se sont déroulées (2003-2004) et, comme indiqué au paragraphe 149, cette décision est définitive à ce jour. Par ailleurs, les pratiques condamnées en 1997 et celles constatées dans la présente décision sont similaires par leur objet. Le Conseil a en effet constaté, dans la décision n° 97-D-52, que les entreprises en cause avaient " participé à une action concertée ayant pour objet et ayant pu avoir pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché ". Dans l'arrêt précité du 13 février 2001, la Cour de cassation a souligné que la cour d'appel avait constaté que les protocoles auxquels avaient adhéré les entreprises de travail temporaire visaient à limiter la concurrence entre celles-ci. C'est également l'objet des pratiques examinées dans la présente affaire. S'agissant du temps écoulé entre le constat des infractions antérieures et les faits examinés dans la présente affaire, il est d'un peu moins de six ans (juin 1997 - mars 2003). La circonstance que la pratique ayant donné lieu à la décision n° 97-D-52 avait une moindre ampleur que la pratique donnant lieu à la présente décision ne peut, contrairement à ce que soutiennent les entreprises, jouer en leur faveur, dans la mesure où elles étaient parfaitement averties des risques qu'elles prenaient en s'affranchissant à nouveau des règles de la concurrence, a fortiori dans un cadre national et non plus local. En l'occurrence, le Conseil estime que la situation de réitération justifie une majoration de 25 % de la sanction qui aurait normalement été infligée en son absence.
4. SUR LES NON CONTESTATIONS DE GRIEFS ET LES ENGAGEMENTS PRIS
a) En ce qui concerne Adecco et Adia
152. Comme indiqué au paragraphe 51, Adecco et Adia ont choisi de ne pas contester les griefs, ainsi que le III de l'article L. 464-2 du Code de commerce en offre la possibilité. Conformément à cette disposition, elles ont proposé les engagements qui suivent, recueillis par procès-verbal du 1er février 2008 établi par le rapporteur général adjoint :
" Ces engagements seront mis en œuvre par les deux sociétés Adecco France et Adia et par les entités du groupe Adecco actives, sur le territoire français, dans le secteur du travail temporaire, (ci-après chacune prise individuellement la "société" et collectivement les
"sociétés"). Concernant ces dernières, il s'agit de :
"Adecco Quick Medical Services" "QMS" ;
"Adecco à Domicile" ;
Les filiales d'Adecco dans les départements d'outre mer, à savoir :
"ADECCO Départements Français d'Amérique" (DFA)
"ADECCO Réunion BTP-Industrie"
"ADECCO Réunion Tertiaire".
Les filiales d'Adecco actives dans le travail temporaire pour contribuer à l'insertion sociale de personnes en difficultés, à savoir :
" Chorus Normandie "
"Emploi 02 "
" Emploi 93 "
" Objectif Emploi ".
Compte tenu de la spécificité et de la taille très réduite de certaines de ces filiales, celles-ci pourront ne pas être concernées de facto par les engagements 2 ou 3 ci-après.
1 Sensibilisation, formation et alerte professionnelle
1.1 Sensibilisation et programme de formation du personnel concerné
Le programme de sensibilisation ainsi que la formation du personnel de chacune des sociétés aux règles de concurrence sera renforcé par la mise en place de livrets d'accueil, de séances de formation obligatoires, ainsi que par des notes de services émises de manière annuelle. Des séances de formation, sous forme de modules obligatoires, seront dispensées à l'ensemble du personnel concerné, à savoir les catégories de personnel suivantes :
Management supérieur : membres du CODIR et Directeurs, ce qui représente environ 40 personnes en 2008 pour les sociétés ;
Direction commerciale nationale : environ 105 personnes en 2008 pour les sociétés ;
Directions régionales et directions de secteurs : environ 170 personnes en 2008 pour les sociétés.
Chacune des sociétés assurera chaque année des séances de formation pour les nouveaux personnels ci-dessus et, lors des réunions annuelles commerciales regroupant les attachés commerciaux ou chefs d'agences, les principes du droit de la concurrence seront rappelés.
En outre, les personnels concernés, visés ci-dessus, signeront un " engagement personnel ". Cette lettre sera signée à la suite de la formation susmentionnée.
Enfin, chacune des sociétés tiendra à jour, aux fins de consultation, des registres contenant les détails des formations dispensées et des lettres d'engagements individuelles signées. Lesdits registres seront conservés cinq ans.
1.2 Dispositif d'alerte professionnelle
Pour ce qui concerne le territoire français, la société s'engage à étendre aux infractions aux règles du droit de la concurrence le dispositif d'alerte professionnelle en place au sein de l'ensemble des entités constituant le groupe Adecco. Ce dispositif élargi inclura la possibilité pour les employés de la société d'émettre des alertes sur des pratiques de nature à enfreindre les règles du droit de la concurrence.
La note de service RH 2006-215 portant sur le dispositif d'alerte professionnelle [...] décrit ce dispositif, à l'origine conçu à l'échelle du groupe Adecco en application de la réglementation financière américaine (loi Sarbanes-Oxley de 2002). Le dispositif d'alerte professionnelle du groupe Adecco est mis en œuvre avec le concours de la société américaine EthicsPoint, une société indépendante et spécialisée dans les systèmes d'informations et d'alerte contre les fraudes et les agissements illégaux au sein des entreprises.
Grâce au dispositif d'alerte professionnelle, les employés du groupe Adecco peuvent aujourd'hui contacter directement, de manière confidentielle, voire anonyme, la société EthicsPoint par téléphone ou par le biais d'un portail internet dédié (www.aceconduct.com) afin d'émettre des alertes sur tout incident ou fait se rapportant à certaines infractions de nature financière (ci-après une "alerte"), et ce 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an. Dans le cas de la France, les alertes reçues par EthicsPoint sont transmises au responsable des relations sociales ou, en son absence, au directeur des ressources humaines de la société. En application des termes de la Compliance Issue Reporting and Response Policy du groupe Adecco, les enquêtes sur les alertes sont traitées de manière professionnelle, objective et indépendante. Elles peuvent déboucher sur des mesures correctrices et des sanctions contre les individus concernés (pouvant aller, le cas échéant, jusqu'au licenciement pour faute grave).
Afin d'inclure les règles du droit de la concurrence dans le cadre du dispositif d'alerte professionnelle existant, la société s'engage à amender, dans un délai de six mois à compter de la date de la décision du Conseil de la concurrence à intervenir, et à transmettre sans délai pour information au Rapporteur-général du Conseil de la concurrence, les documents suivants :
1°) La note de service RH 2006-215 portant sur le dispositif d'alerte professionnelle [...]. En particulier, le paragraphe sur l'objet et le périmètre du dispositif d'alerte devra être amendé comme suit :
" L'alerte professionnelle est la faculté donnée aux salariés de l'entreprise de l'alerter sur des faits se rapportant à des risques sérieux pour l'entreprise dans les domaines comptables, d'audit financier, bancaire, de lutte contre la corruption et le blanchiment d'argent, et d'application des règles du droit de la concurrence " (version marquée par rapport à la rédaction actuelle).
2°) La note de service RH 2007-264 portant sur les règles relatives aux pratiques anticoncurrentielles [...]. En particulier, cette note de service devra préciser que le dispositif d'alerte professionnelle couvre également les pratiques de nature à enfreindre les règles du droit de la concurrence et indiquer les modalités pratiques de déclenchement de ce dispositif d'alerte professionnelle.
3°) Le Code d'éthique professionnelle, dans sa version applicable sur le territoire français. En particulier, le Code d'éthique professionnelle devra également préciser que le dispositif d'alerte professionnelle couvre les pratiques de nature à enfreindre les règles du droit de la concurrence et indiquer les modalités pratiques de déclenchement de ce dispositif d'alerte professionnelle.
Le présent engagement est soumis au Conseil de la concurrence sous réserve, et en conformité avec la législation en vigueur, d'une part, de l'accord de la CNIL pour l'extension du dispositif existant à l'application des règles du droit de la concurrence et, d'autre part, de la consultation des instances représentatives du personnel. La société s'engage à accomplir les formalités nécessaires à cet égard dans un délai de six mois à compter de la date de la décision du Conseil de la concurrence à intervenir.
La société s'engage également à signer, dans un délai de six mois à compter de la date de la décision du Conseil de la concurrence à intervenir, un amendement au contrat avec EthicsPoint (ou tout autre prestataire externe remplissant des missions équivalentes à celles de EthicsPoint avec laquelle la société aurait contracté en remplacement de EthicsPoint ou en tant que de besoin) afin d'y faire préciser l'extension du dispositif d'alerte professionnelle existant aux pratiques de nature à enfreindre les règles du droit de la concurrence en ce qui concerne le territoire français.
La société rend compte au Rapporteur-général du Conseil de la concurrence de la bonne exécution du présent engagement dans un délai d'une semaine à compter de sa mise en œuvre complète. Pour le cas où, pour des raisons indépendantes de la volonté de la société, le présent engagement ne pourrait être pleinement exécuté dans les délais fixés, la société s'engage à mettre en œuvre dans les meilleurs délais tout dispositif d'effet équivalent à celui décrit dans le présent engagement après consultation du Rapporteur-général du Conseil de la concurrence.
2 Supervision des réponses aux procédures d'appel d'offres
2.1 Obligations de la société
2.1.1 Conservation des documents
La société conserve l'ensemble des documents relatifs à chacune des procédures d'appel d'offres nationaux ou internationaux traitées par la Direction commerciale nationale pendant une durée de cinq ans à compter de la fin de la procédure d'appel d'offres concernée (ie, signature du contrat, lettre de rejet de la dernière proposition formulée par la société ou tout autre mécanisme par lequel l'entreprise organisatrice de la procédure d'appel d'offres manifeste sa décision d'acceptation ou de refus de la dernière proposition formulée par la société).
Les documents susvisés soumis à obligation de conservation comprennent notamment, sans que cette liste soit exhaustive, les documents suivants :
- l'ensemble de la correspondance (par courrier, email ou fax) échangée de manière interne à la société ;
- l'ensemble de la correspondance (par courrier, email ou fax) échangée entre la société et l'entreprise organisatrice de la procédure d'appel d'offres ;
- les comptes-rendus de réunions internes ou avec l'entreprise organisatrice de la procédure d'appel d'offres ;
- les contrats, y inclus tous avenants postérieurs, conclus entre la société et l'entreprise organisatrice de la procédure d'appel d'offres.
La société tient un registre à jour de l'archivage des documents soumis à obligation de conservation.
2.1.2 Listes des procédures d'appel d'offres
La société établit sur une base trimestrielle une liste de toutes les procédures d'appel d'offres nationaux ou internationaux traitées par la Direction commerciale nationale. La société fournit cette liste au Consultant défini à la Section 2.2.1 ci-dessous au plus tard le 15 du mois suivant la fin du trimestre écoulé.
2.1.3 Assistance du Consultant
La société apporte au Consultant défini à la Section 2.2.1 ci-dessous toute l'assistance administrative et de gestion dont il estime avoir raisonnablement besoin pour l'exécution de ses missions.
2.2 Désignation du Consultant
2.2.1 Définition
La société s'engage à désigner dans le cadre d'un contrat de mandat (ci-après le "Contrat de mandat") signé dans un délai de deux mois à compter de la date de la notification de la décision du Conseil de la concurrence à intervenir, une personne physique ou morale en qualité de consultant extérieur afin de procéder aux missions décrites à la Section 2.3 ci-dessous (ci-après le "Consultant"), étant précisé que les deux sociétés désigneront le même Consultant.
Sauf remplacement du Consultant, le Contrat de mandat est conclu pour la durée totale des missions du Consultant telle que prévue à la Section 2.2.7 ci-dessous.
2.2.2 Qualifications
Le Consultant possède les qualifications nécessaires pour l'exécution du Contrat de mandat, en particulier s'agissant de la vérification des obligations de conservation des documents et du contrôle du fonctionnement des procédures établies pour la réponse aux appels d'offres nationaux ou internationaux traitées par la Direction commerciale nationale au regard des principes généraux établis par les règles du droit de la concurrence.
2.2.3. Indépendance
Le Consultant possède les qualités d'indépendance requises pour l'exercice de ses missions et ne se trouve pas en situation de conflit d'intérêts avec la société.
En particulier, le Consultant n'a pas été employé par la société, par le biais d'un contrat de travail ou d'un contrat de conseil de quelque nature que ce soit, pendant une période de trois ans précédant la date de la notification de la décision du Conseil de la concurrence à intervenir.
En outre, la société s'engage à ne pas employer le Consultant, par le biais d'un contrat de travail ou d'un contrat de conseil de quelque nature que ce soit, pendant une période de trois ans suivant la date d'expiration du Contrat de mandat.
2.2.4. Information du Conseil de la concurrence
Le Contrat de mandat signé entre la société et le Consultant est transmis au Rapporteur- général du Conseil de la concurrence dans un délai d'une semaine à compter de sa signature par toutes les parties.
2.2.5 Rémunération et frais
La société rémunère le Consultant et couvre les frais raisonnablement exposés par ce dernier dans l'exercice de ses missions dans les conditions fixées par le Contrat de mandat.
2.2.6 Remplacement du Consultant
En cas de rupture du Contrat de mandat ou d'empêchement de toute nature, la société en informe sans délai le Rapporteur-général du Conseil de la concurrence.
La société procède sans délai au remplacement du Consultant pour la durée restante de l'engagement en vertu d'un contrat de mandat remplissant les conditions décrites ci- dessus.
2.2.7 Durée des missions du Consultant
Le Consultant exerce ses missions pendant une durée de trois ans à compter de la signature du Contrat de mandat, sans préjudice du caractère illimité de la durée des obligations de la société prévues à la Section 2.1.1 et à la première phrase de la Section 2.1.2 ci-dessus.
2.3 Missions du Consultant
2.3.1 Contrôle a posteriori des procédures d'appel d'offres
Le Consultant est chargé de vérifier et de contrôler a posteriori que le déroulement et le fonctionnement des procédures d'appel d'offres auxquelles la société est invitée à participer sont en conformité avec les procédures établies pour la réponse aux appels d'offres nationaux ou internationaux traités par la Direction commerciale nationale au regard des principes généraux établis par les règles du droit de la concurrence.
Le Consultant détermine librement les appels d'offres nationaux ou internationaux traités par la Direction commerciale nationale à l'égard desquels il souhaite exercer ses missions de vérification et de contrôle, étant toutefois précisé qu'il devra examiner les documents conservés dans le cadre d'au moins 20 procédures d'appels d'offres tirées au sort ou le cas échéant choisies par le Consultant sur une liste de l'ensemble des procédures d'appels d'offres nationaux ou internationaux traitées par la Direction commerciale nationale auxquelles la société a répondu au cours de l'année concernée.
A cet effet, le Consultant vérifie le processus d'archivage des documents soumis à obligation de conservation, en s'assurant notamment que :
- l'ensemble des documents conservés sont facilement accessibles et,
- l'organisation de l'archivage des documents conservés rend leur consultation aisée et permet d'attester du bon déroulement des procédures d'appel d'offres nationaux ou internationaux traitées par la Direction commerciale nationale.
2.3.2 Accès aux informations pertinentes
Le Consultant a pleinement accès (sous réserve d'un préavis raisonnable) à tous les livres, comptes, informations techniques et plus généralement, tous documents, en format papier et/ou électronique, relatifs aux procédures d'appels d'offres concernées dont le Consultant estime raisonnablement avoir besoin pour l'exécution de ses missions. La société fournit à la demande du Consultant des copies desdits documents.
Le Consultant a également pleinement accès (sous réserve d'un préavis raisonnable) aux installations, sites et agences de la société dont le Consultant estime raisonnablement avoir besoin pour l'exécution de ses missions. Le Consultant peut interroger par oral ou par écrit le personnel d'encadrement ou d'autres membres du personnel ayant connaissance des procédures d'appels d'offres concernées.
2.3.3 Établissement d'un Rapport annuel
Le Consultant prépare sur une base annuelle et de façon individualisée pour chacune des deux sociétés un rapport synthétique sur le déroulement et le fonctionnement des procédures établies pour la réponse aux appels d'offres nationaux ou internationaux traitées par la Direction commerciale nationale au regard des principes généraux établis par les règles du droit de la concurrence, notamment s'agissant de l'obligation de conservation des documents et l'organisation de leur archivage (ci-après le "Rapport annuel"). Le Rapport annuel porte en particulier sur les documents conservés dans le cadre des procédures d'appels d'offres visées à la Section 2.3.1 ci-dessus.
Par exception à ce principe, le premier Rapport annuel du Consultant couvrira la période s'étendant de la date de la notification de la décision du Conseil de la concurrence à intervenir au 31 décembre de la même année et couvrira un nombre (déterminé au prorata de la période à couvrir sur la base de 20 procédures d'appels d'offres par an) de procédures d'appels d'offres tirées au sort ou le cas échéant choisies par le Consultant sur une liste de l'ensemble des procédures d'appels d'offres nationaux ou internationaux traitées par la Direction commerciale nationale auxquelles la société a répondu au cours de l'année concernée depuis la date de signature du Contrat de mandat.
Le Rapport annuel du Consultant est remis au plus tard le 31 mars de chaque année au Comité de direction de la société qui en débat lors de la réunion suivant la date du dépôt dudit Rapport annuel.
Le Rapport annuel du Consultant est tenu à la disposition du Rapporteur-général du Conseil de la concurrence. Le Consultant pourra être entendu par le Rapporteur-général du Conseil de la concurrence, si ce dernier l'estime nécessaire, au sujet du Rapport annuel.
3 Relations entre les sociétés
3.1 Contexte factuel
Les sociétés appartiennent au groupe Adecco et interviennent sur le marché du travail temporaire en France.
Les sociétés disposent chacune d'une autonomie commerciale sur le marché qui les conduit à proposer chacune et en toute autonomie une offre commerciale distincte. Elles peuvent néanmoins décider, en fonction des circonstances et/ou des besoins ou demandes des clients, de proposer des offres commerciales communes.
Dans ce cadre, les sociétés s'engagent à préparer et à présenter leurs offres commerciales en respectant les engagements suivants :
3.2 Engagements en terme d'organisation des équipes commerciales
Chacune des sociétés disposera de sa propre force commerciale avec des équipes et des ressources propres permettant à chacune de déterminer de manière autonome sa politique commerciale.
Lorsqu'elles décideront de proposer des offres communes, une équipe ad'hoc commune composée de membres appartenant exclusivement aux directions nationales commerciales des sociétés sera composée pour préparer et proposer chacune de ces offres.
En conséquence, les agences locales ou les directions opérationnelles en région ne pourront pas décider de préparer ni proposer d'offre commune et devront faire remonter toute demande et opportunités de ce type, à la direction nationale commerciale de leur société respective.
3.3 Engagements en terme de préparation et présentation des offres commerciales
3.3.1 Sur les offres commerciales concurrentes
Les offres commerciales des sociétés seront préparées et présentées en toute autonomie respectivement par chacune des sociétés et resteront confidentielles à l'égard de l'autre entreprise.
En outre, les agences locales et directions opérationnelles de chacune des sociétés assureront la mise en œuvre opérationnelle des contrats en toute autonomie et confidentialité.
Enfin, chacune des sociétés mettra en œuvre toute mesure structurelle utile afin de garantir la protection des informations commerciales sensibles, notamment par toute mesure d'étanchéité dans les systèmes informatiques.
3.3.2 Sur la préparation et la présentation d'offres commerciales communes des sociétés
La préparation et la présentation d'offres commerciales communes par les sociétés se feront dans le respect de règles et de procédures spécifiques.
Ainsi, les offres communes seront obligatoirement traitées au seul niveau des directions nationales commerciales des sociétés par des collaborateurs appartenant à ces directions.
Le cas échéant, les offres communes et uniques pourront, d'une part, prévoir des dispositions différentes pour chacune des sociétés, voire des tarifs différents et, d'autre part, se traduire par la signature de deux contrats distincts.
Par ailleurs, tout membre du personnel de ces directions nationales commerciales, soit environ quatre-vingt-dix personnes en 2008, susceptibles de participer à la préparation d'offres communes, devra préalablement avoir suivi une formation spécifique sur les particularités du droit de la concurrence appliqué aux relations intra-groupe. Après une session de formation initiale pour tous ces personnels, ces formations seront assurées chaque année pour les nouveaux personnels. Lors des réunions annuelles commerciales des directions nationales commerciales des sociétés, il sera rappelé les principes spécifiques du droit de la concurrence.
Le collaborateur concerné signera, à l'issue de cette formation un "engagement personnel " dont le contenu sera le suivant :
"L'engagement précisera la ligne de conduite exigée par le Groupe Adecco pour s'assurer du respect des règles de concurrence dans le cadre des relations entre les sociétés et la vigilance particulière qui en résulte pour le personnel concerné.
Le collaborateur reconnaîtra qu'il a été formé aux contraintes spécifiques du droit de la concurrence appliqué aux relations intra-groupe et sur la conduite à adopter dans ses relations entre les sociétés.
Le collaborateur s'engagera à tenir confidentielles les informations obtenues par sa société lors de la préparation d'offres communes vis-à-vis de l'autre société.
Le collaborateur s'engagera à solliciter l'assistance de la Direction juridique de sa société en cas de doute sur une question particulière ayant trait au respect desdits engagements. "
153. Compte tenu de la non contestation des griefs et des engagements précités, le rapporteur général adjoint a proposé que la sanction pécuniaire le cas échéant encourue par Adecco France et par Adia soit réduite dans une proportion allant de 25 % à 30 % du montant qui leur aurait été normalement infligé.
154. Ainsi que cela a notamment été exposé dans la décision du Conseil n° 07-D-21 du 26 juin 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la location-entretien du linge, lorsque le Conseil examine la proposition du rapporteur général relative à l'aménagement de la sanction pécuniaire éventuellement encourue, il tient compte à la fois de la non contestation des griefs et des engagements pris pour l'avenir.
155. Toutefois, la simple renonciation à contester les griefs, qui a principalement pour effet d'alléger et d'accélérer le travail d'instruction, notamment lorsqu'elle est choisie par l'ensemble des mis en cause, ne peut conduire à accorder aux entreprises en cause qu'une réduction forfaitaire et relativement limitée de la sanction encourue. C'est la qualité des engagements qui peut permettre d'accorder des contreparties plus substantielles dans le cadre de cette procédure.
156. En l'occurrence, une part des engagements souscrits ne concerne pas seulement les deux sociétés auxquelles ont été notifiés les griefs (Adecco France, anciennement Adecco Travail Temporaire, et Adia) mais l'ensemble des sociétés du groupe actives en France. Les engagements portent non seulement sur un programme de sensibilisation et de formation professionnelle, mais aussi sur la mise en place d'un système d'alerte professionnelle interne visant à détecter les pratiques anticoncurrentielles (désigné aux Etats-Unis par le terme " whistleblowing "). Ils indiquent que les salariés impliqués dans la mise en œuvre de telles pratiques pourront être sanctionnés, le cas échéant par un licenciement. De plus, les sociétés du groupe Adecco s'engagent à assurer la " traçabilité " écrite de la préparation de leurs réponses aux appels d'offres les plus importants, c'est-à-dire ceux traités par les directions commerciales nationales. Un tel mécanisme, qui implique une lourde charge administrative pour les entreprises, donne aux autorités de concurrence une importante capacité de contrôle sur leurs comportements et présente un caractère fortement incitatif à ce que les engagements de bonnes pratiques au regard des règles de concurrence soient respectés. En effet, si à l'occasion d'investigations de ces autorités, des éléments portant sur les appels d'offres concernés, non repris dans ces dossiers de "traçabilité ", sont découverts, il est vraisemblable qu'il pourra à tout le moins être conclu que ces engagements n'ont pas été respectés. Les sociétés prévoient en outre qu'un consultant indépendant assurera pendant les premières années de la mise en œuvre de cette " traçabilité " une mission de contrôle du respect des obligations de " traçabilité ". Il veillera aussi au respect des règles de concurrence en examinant au moins vingt des appels d'offres concernés choisis par lui. En complément des contrôles que pourraient opérer les autorités de concurrence, cette intervention du consultant pendant les premières années présente également un caractère fortement incitatif au respect des règles de concurrence. Le consultant pourra également fournir aux entreprises des conseils appropriés et l'autorité de concurrence pourra lui demander de rendre compte de sa mission. Enfin, les sociétés du groupe Adecco prennent des mesures d'organisation afin d'assurer que la concurrence " interne " au groupe n'est pas faussée lorsque différentes sociétés de celui-ci se présentent comme concurrentes sur le marché. A cet effet, l'élaboration d'offres communes, lorsqu'un tel choix est fait, est soumise à un régime particulier visant en substance à garantir autant que possible l'indépendance de futures offres concurrentes.
157. Ces différents engagements, de réelle envergure, sont substantiels, crédibles et vérifiables. Le Conseil en prend acte et enjoint à Adecco et Adia de les respecter et de les faire respecter par les autres sociétés engagées.
b) En ce qui concerne Groupe Vedior France et VediorBis
158. Ainsi qu'indiqué paragraphe 51, Groupe Vedior France et VediorBis ont également choisi de ne pas contester les griefs, ainsi que le III de l'article L. 464-2 du Code de commerce en offre la possibilité, et, conformément à cette disposition, les deux sociétés ont proposé les engagements qui suivent, recueillis par procès-verbal du 7 février 2008 établi par le rapporteur général adjoint :
" Engagements portant sur la formation et l'encadrement du personnel permanent de Groupe Vedior France et VediorBis
Les échanges d'informations qui ont été relevées par le Rapporteur dans la notification de griefs traduisent au minimum une méconnaissance des exigences du droit de la concurrence, y compris de la part de responsables d'un niveau relativement élevé. Dans ces conditions, Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent à mettre en place un programme de formation de l'ensemble du personnel afin de le sensibiliser aux règles de concurrence et de l'informer systématiquement de l'importance des présents engagements et de l'obligation de s'y conformer.
Dans le cadre de ce programme, Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent :
- A organiser une formation en ligne destinée à l'ensemble du personnel permanent. Cette formation spécialisée en droit de la concurrence comporte à la fois des éléments de fond et des cas pratiques, permettant de vérifier le nombre de personnes ayant suivi la formation et de contrôler la bonne compréhension des concepts par ces derniers.
- A organiser des séminaires destinés aux responsables commerciaux grands-comptes ainsi qu'à leur personnel d'encadrement (directeurs généraux). Ces séminaires auront une durée de deux heures environ et seront adaptés au champ d'expertise des participants. Une attestation sera délivrée à chaque participant par laquelle celui-ci confirmera avoir été sensibilisé aux règles de concurrence.
- A intégrer dans le programme " Passeport "d'intégration des nouveaux arrivants au sein du groupe Vedior une présentation des règles spécifiques à respecter en droit de la concurrence.
- A faire circuler en interne un " Compliance Guide " (Guide de respect du droit de la concurrence) destiné au personnel permanent, rappelant les principes du droit de la concurrence qui régissent les rapports avec les concurrents ainsi que les sanctions encourues en cas d'infraction. Ce guide recommandera la conduite à adopter dans certaines situations propices aux éventuels contacts entre concurrents (notamment lors de réunions au sein des associations professionnelles ou de salons professionnels). Ce Compliance Guide rappellera en particulier que la participation d'un salarié à une pratique anticoncurrentielle constitue une faute susceptible d'entraîner des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement. Une décharge précisant que chaque salarié a pris connaissance des règles contenues dans ce guide et a compris leurs enjeux sera adressé au Responsable du respect du droit de la concurrence en France (voir ci-dessous) afin d'être conservé au siège de Groupe Vedior France.
L'importance du droit de la concurrence doit conduire les responsables non seulement à en connaître les règles mais également à comprendre qu'il leur appartient à titre tout à fait personnel de les respecter. Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent à faire signer par les directeurs commerciaux et par les responsables grands-comptes, une déclaration écrite annuelle, qui mentionnera une liste précise de comportements anticoncurrentiels (échanges d'informations sensibles avec les concurrents, accords lors d'appels d'offres, discussions pendant les réunions d'associations professionnelles ...). Les directeurs commerciaux et les responsables grands-comptes y déclareront qu'ils n'ont pas adopté de tels comportements et ont respecté les règles du droit de la concurrence. La déclaration écrite sera remise nominativement en double exemplaire, l'un des exemplaires étant conservé par son destinataire, le second devant être restitué dûment daté, signé et revêtu de la mention " pris connaissance le ... ", au Responsable du respect du droit de la concurrence en France (voir ci-dessous) afin
d'être conservé au siège de Groupe Vedior France.
Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent à conserver dans leurs archives, ces différents documents pendant une durée de cinq ans après leur signature, en particulier pour permettre aux autorités de concurrence d'en prendre connaissance.
Les responsables commerciaux accorderont d'autant plus d'importance au respect du droit de la concurrence qu'ils seront conscients que la direction générale du groupe pourra être informée de tout manquement. Dans cette optique, Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent à mettre en place un dispositif d'alerte professionnelle (whistleblowing) étendu aux infractions du droit de la concurrence. Des précautions particulières sont prévues pour encadrer strictement le traitement de ces signalements, conformément à la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 modifiée. Groupe Vedior France et VediorBis attendent sur ce point une décision officielle de la CNIL s'agissant de l'intégration des infractions de concurrence dans de tels dispositifs d'alerte.
Ce dispositif d'alerte introduira la faculté pour tout salarié du Groupe Vedior France ayant connaissance de pratiques potentiellement anticoncurrentielles, d'en informer le Comité de Direction Générale du Groupe Vedior France impliquant le Directeur Juridique Corporate, qui garantira à ce salarié la confidentialité.
Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent à conserver dans leurs archives, les signalements issus de ce dispositif d'alerte professionnelle pendant une durée de cinq ans à compter de leur signalement.
Engagements spécifiques au marché du travail temporaire
Le marché du travail temporaire présente des caractéristiques qui peuvent préoccuper les autorités de la concurrence. Des associations professionnelles diverses, pas nécessairement limitées au travail temporaire, existent y compris au niveau local. Une certaine transparence du marché peut aussi apparaître, notamment du fait de l'information mise en circulation par les clients. Les nombreuses réunions qui ont lieu, notamment sur l'initiative des clients, favorisent les contacts de tous ordres. Une claire distinction entre les contacts autorisés et ceux qui ne le sont pas ainsi qu'entre les informations données par les clients et celles qui sont données par les concurrents est nécessaire afin que ce qui est interdit soit parfaitement distingué de ce qui est autorisé et que tant la direction générale que les autorités de concurrence puissent vérifier a posteriori la régularité de ce qui s'est passé. Enfin, ce marché a une relation avec le marché du travail : Groupe Vedior France et VediorBis ont compris, au cours des négociations qui ont précédé la transaction, que les économistes du Conseil de la concurrence envisageaient de s'interroger sur l'effet d'une hausse des prix sur la demande de travail temporaire, et donc indirectement sur le marché du travail.
Groupe Vedior France et VediorBis ont examiné tous ces points et ont pris l'engagement de mettre en place les actions suivantes qui sont de nature à réduire la transparence du marché, à tracer une nette ligne de démarcation entre ce qui est autorisé et ce qui est interdit et à montrer leur volonté de se comporter de façon civique au sujet des effets, même s'ils apparaissent à ce stade purement éventuels, des pratiques invoquées par la notification de griefs :
Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent à donner instruction à leur personnel de ne plus avoir de contacts informels avec les concurrents autres que lors de réunions d'associations professionnelles. Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent à :
- mettre en place un suivi de la participation de leur personnel aux associations professionnelles en établissant des listes de participation ;
- vérifier si l'organisation juridique de chacune des associations professionnelles concernées permet le respect du droit de la concurrence ;
- à demander à leurs participants de rendre compte des éventuels comportements survenus lors de ces réunions d'associations professionnelles qui seraient potentiellement anticoncurrentiels (discussions sensibles avec les concurrents).
Tout salarié participant à des réunions d'associations professionnelles et ayant connaissance de telles pratiques devra en informer directement le Directeur Juridique Corporate de Groupe Vedior France. * Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent à mettre en place une procédure de surveillance des négociations commerciales et/ou des appels d'offres des cinq premiers clients de chacune des branches de VediorBis. La surveillance interne, sous le contrôle du Responsable du respect du droit de la concurrence en France (voir ci- dessous), consistera en l'archivage de l'ensemble des documents d'origine interne ou externe concernant ces négociations ou appels d'offres. Une procédure permettant de définir les documents et informations concernées et garantissant que tous les documents pertinents seront intégrés à l'archivage sera créée et soumise pour approbation au Conseil de la concurrence. Par ailleurs, un intervenant extérieur indépendant approuvé par le Conseil de la concurrence vérifiera que la surveillance interne ainsi que l'archivage sont effectifs, pendant les trois années civiles qui suivront la notification à Groupe Vedior France et VediorBis de la décision à intervenir du Conseil de la concurrence.
Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent à conserver l'ensemble de ces documents dans leurs archives, pendant une durée de cinq ans suivant chaque accord commercial pertinent, au siège de Groupe Vedior France.
Le groupe Vedior commercialise en France des outils permettant aux entreprises utilisatrices de gérer leurs flux d'intérimaires dans une perspective multi-ETT. Ces services de gestion administrative, fondé sur des outils informatiques, permettent aux entreprises utilisatrices de centraliser la gestion des contrats, des heures et des factures de tous leurs intérimaires. L'existence de ces outils est un avantage considérable pour le bon fonctionnement du marché du travail temporaire puisqu'ils facilitent, pour les clients, le passage d'une ETT à l'autre à tout moment ou le travail simultané avec plusieurs ETT. Ces outils sont donc pro-concurrentiels.
Cependant, en recherchant tous les problèmes pouvant éventuellement exister sur le marché et qui pourraient être résolus afin de garantir aux autorités un fonctionnement optimal, Groupe Vedior France et VediorBis se sont aperçus que les avantages de ces outils pouvaient coexister avec des inconvénients. En effet, ces outils ne peuvent fonctionner que si leur mémoire électronique comporte de nombreuses informations relatives aux ETT concernées. Dès lors, l'entreprise qui commercialise ces outils (en l'occurrence, le groupe Vedior) dispose ipso facto d'informations telles que les conditions contractuelles de ses concurrents ou les volumes d'affaires entre ses concurrents et ses clients.
Il existe donc un risque, au moins théorique, que ces outils contribuent à augmenter la transparence du marché. Ainsi, leurs avantages pro-concurrentiels pourraient-ils, d'un certain point de vue, être négativement compensés par cet accroissement de transparence.
Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent donc à remédier aux risques théoriques de la circulation d'informations que peuvent engendrer les "services de gestion administrative multi-ETT " qu'elles commercialisent sous le nom de Flex Manager et e-flex auprès des entreprises utilisatrices.
Comme indiqué ci-dessous, Groupe Vedior France et VediorBis proposent deux systèmes de gestion administrative : un système de logiciel installé directement chez les clients (Flex Manager) et un système de logiciel en ligne fondé sur une technologie de type Internet (e-flex).
S'agissant de Flex Manager, il existe un risque théorique de circulation d'informations sensibles nettement plus significatif dans la mesure où, en cas de problème de maintenance, les entreprises utilisatrices font appel à des techniciens de paramétrage qui se rendent sur place et qui sont susceptibles, par le biais de codes d'accès utilisateur, d'avoir directement accès à des données confidentielles concernant les ETT concurrentes. Un tel accès leur est au surplus nécessaire lorsque les problèmes techniques proviennent justement de difficultés dans le paramétrage des données issues des ETT concurrentes. Pour des raisons géographiques évidentes, ces personnels sont implantés à un niveau relativement local, ce qui rend difficile un contrôle permanent de la confidentialité des informations auxquelles ils pourraient avoir accès.
Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent dès lors à offrir la première garantie suivante :
- Retirer de la commercialisation Flex-Manager au profit d'e-Flex : l'arrêt de la commercialisation et la désinstallation physique de Flex Manager chez les clients utilisateurs aura lieu au plus tard le 30 juin 2008. Pour un service équivalent, les clients seront désormais invités à utiliser le système e-flex.
En effet, e-flex, étant fondé sur une technologie Internet, n'exige aucune installation chez le client et aucun passage de techniciens. Les clients et les ETT concurrentes se voient dotés d'un Code d'accès permettant à chacun de rentrer confidentiellement ses données. Les ETT n'ont accès, en utilisant leur Code qu'à leurs propres données. De plus, le système est géré de façon centralisée, ce qui facilite considérablement la mise en place de règles de sécurité solides. S'agissant d'e-flex, les risques suivants ont cependant été identifiés : il convient toujours de faire circuler des informations relatives aux ETT concurrentes vers le système et de les y conserver. Il subsiste donc des risques théoriques que ces informations soient portées à la connaissance du personnel commercial de VediorBis.
Pour éviter tout risque, Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent :
- A commercialiser e-Flex, via une filiale indépendante du Groupe Vedior France, Advisio Services, disposant de son propre personnel et de son support technique isolé.
- A faire signer à l'ensemble des techniciens d'Advisio susceptibles d'intervenir sur la base de données en cas d'éventuels dysfonctionnements, et d'avoir ainsi accès à des informations sensibles, ainsi qu'aux techniciens de la Direction des Services Informatiques de Groupe Vedior France susceptibles d'être en relation avec ces derniers pour la maintenance de ces systèmes, une déclaration écrite d'engagement de confidentialité. Cet engagement leur interdit de faire part des informations ainsi accessibles à tout personnel de VediorBis ou en général disposant de responsabilités commerciales, quel que soit son rang. Cette déclaration sera remise nominativement en double exemplaire, l'un des exemplaires étant conservé par son destinataire, le second devant être restitué dûment daté et signé à la Direction des Ressources Humaines, où il sera conservé.
- Par ailleurs, la transparence du marché peut également résulter de fuites existantes au niveau d'outils équivalents commercialisés par les ETT concurrentes. Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent à faire leurs meilleurs efforts pour vérifier que les outils multi-ETT concurrents dans lesquels ils pourraient être amenés à introduire des données commerciales, possèdent, d'une façon ou d'une autre, des règles de sécurité offrant le même niveau de protection qu'e-flex.
Sans se prononcer à ce stade sur l'existence ou non d'effets économiques sensibles et notamment d'une baisse de la demande de travail telle qu'évoquée par les économistes du Conseil de la concurrence au cours des négociations, Groupe Vedior France et VediorBis considèrent que leur volonté de coopérer avec les autorités de concurrence doit se traduire par une manifestation claire de leur intérêt pour tous les aspects civiques liés au bon fonctionnement du marché du travail temporaire.
Ils s'engagent ainsi à faire un don spécial à "l'Institut Vedior pour l'Egalité des Chances et le Développement " d'un montant d'un million d'euro investi sur une durée de trois ans, dans une perspective de contribution à caractère social à la réparation des effets éventuels des pratiques reprochées. L'Institut Vedior est une association à but non lucratif qui a pour objet de promouvoir l'égalité des chances dans la vie professionnelle et de soutenir des initiatives en faveur de la diversité dans l'entreprise. Ce don spécial s'ajouterait aux financements habituels consentis par Vedior à l'Institut, sachant que ses dépenses réelles s'élevaient en 2007 à 110 000 , en 2006 à 140 000 et en 2005 à 0 . Il s'agirait de réaliser un certain nombre d'initiatives en vue de l'insertion de chômeurs de longue durée ou de jeunes en difficulté. Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent à établir un rapport annuel concernant l'ensemble des initiatives financées par ce don spécial, rapport qui serait tenu à la disposition du Conseil de la concurrence.
Engagements en vue d'assurer l'efficacité des engagements souscrits Groupe Vedior France et VediorBis sont conscients que les engagements précédents n'ont pas une vocation purement formelle mais constituent des moyens pour assurer un parfait fonctionnement du marché du travail temporaire. Ils soumettent donc au Conseil de la concurrence d'autres engagements qui ont vocation à assurer l'efficacité générale du dispositif.
La variété des engagements souscrits ainsi que le nombre élevé des personnels concernés, dispersés dans près d'un millier d'agences, supposent un travail assez lourd d'organisation et de surveillance. Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent donc à recruter un Responsable juridique concurrence, qui sera en charge du respect du droit de la concurrence en France ("competition compliance officer "). Celui-ci reportera directement au Directeur Juridique Corporate de Groupe Vedior France et s'assurera que la politique de respect du droit de la concurrence en France et que les engagements pris auprès du Conseil de la concurrence seront respectés.
L'indifférence au droit de la concurrence à un niveau relativement élevé dans une entreprise n'est pas acceptable ; au-delà de la formation des responsables, il importe surtout que cette dimension soit prise en considération de façon extrêmement concrète au fil des discussions et des décisions impactant la politique commerciale. Dans cette optique, Groupe Vedior France et VediorBis s'engagent à renforcer le rôle actuel du Directeur Juridique Corporate de Groupe Vedior France en lui confiant les missions suivantes : (i) participation aux réunions des comités stratégiques Groupe Vedior France et à celles des comités de direction de VediorBis afin de contrôler que les décisions prises lors de ces réunions ne soient pas contraires au droit de la concurrence et (ii) supervision du contrôle exercé par le Responsable juridique concurrence concernant la mise en œuvre effective des engagements souscrits auprès du Conseil de la concurrence.
Le Directeur Juridique Corporate de Groupe Vedior France reportera, pour des raisons d'indépendance, au Directeur Juridique Monde (" General Counsel ") de Vedior N.V. En cas de changement de contrôle du groupe auquel appartient actuellement Groupe Vedior France, soit Vedior N.V., le Directeur Juridique Corporate de Groupe Vedior France reportera à un responsable du nouveau groupe de niveau équivalent.
Afin d'informer le Conseil de la concurrence de l'exécution des engagements souscrits par Groupe Vedior France et VediorBis, ces dernières lui adresseront, au cours du 1er trimestre de chaque année, un rapport relatant la mise en œuvre, lors de l'année précédente, des engagements souscrits par Groupe Vedior France et VediorBis. Ce rapport sera adressé par le Directeur Juridique Corporate au Conseil de la concurrence au cours des trois années civiles qui suivront la notification à Groupe Vedior France et VediorBis de la décision à intervenir du Conseil.
Ce rapport indiquera notamment :
- le nombre de salariés ayant suivi les séminaires et/ou la formation en ligne sur le contenu des règles du droit de la concurrence ;
- le nombre de salariés ayant pris connaissance du Compliance Guide ;
- le nombre de déclarations individuelles signées concernant l'engagement des directeurs commerciaux et des responsables grands-comptes de respecter le droit de la concurrence ;
- un rapport contenant l'ensemble des initiatives financées par le don spécial consenti par Groupe Vedior France et VediorBis à l'Institut Vedior. "
159. Comme ceux présentés par Adecco et Adia, les engagements pris par Groupe Vedior France et VediorBis prévoient un programme de sensibilisation et de formation professionnelle aux règles de concurrence ainsi qu'un système d'alerte professionnelle interne visant à détecter les pratiques anticoncurrentielles et l'indication que les salariés qui participeraient à de telles pratiques sont susceptibles d'encourir des sanctions allant jusqu'au licenciement. Groupe Vedior France et VediorBis introduiront en outre des dispositifs spécifiques aux directeurs commerciaux et responsables grands comptes visant à ce que ces personnes soient tout particulièrement vigilantes. Les engagements portent aussi sur un dispositif de contrôle de la participation du personnel aux travaux d'associations professionnelles, afin de prévenir les dérives contraires aux règles de concurrence que les réunions de ces associations peuvent engendrer. D'une manière voisine d'Adecco et d'Adia, Groupe Vedior France et VediorBis prévoient un dispositif de traçabilité écrite de la préparation des réponses aux appels d'offres les plus importants et, plus généralement, des discussions commerciales avec les plus gros clients. Ils garantissent aussi, pendant les premières années de mise en œuvre de ce dispositif, le contrôle d'un consultant extérieur. Groupe Vedior France et VediorBis ont également décidé, pour assurer la bonne mise en œuvre de ces engagements de manière pérenne, un renforcement et une plus forte indépendance de la fonction juridique en leur sein, selon les modalités mentionnées au paragraphe précédent. Par ailleurs, ayant mis sur le marché des outils de gestion de la main d'œuvre intérimaire utilisée par les EU pour l'ensemble du personnel intérimaire qu'elles utilisent, indépendamment de l'ETT missionnant les intéressés, Groupe Vedior France et VediorBis prennent des engagements visant à assurer qu'à l'occasion des opérations de maintenance ou de dépannage de ces outils, des informations commercialement sensibles sur leurs concurrents ne soient pas portées à leur propre connaissance. Elles prévoient à cet égard notamment de confier la commercialisation et la gestion de ces outils à une filiale spécifique. Elles indiquent aussi qu'elles feront leurs meilleurs efforts pour vérifier que les outils similaires commercialisés par d'autres apportent les mêmes garanties. Sur ce point précis, toutefois, il est difficile d'apprécier la portée que peut avoir une telle démarche.
160. Pris dans leur ensemble, les engagements résumés au paragraphe précédent appellent des appréciations de même nature que celles figurant au paragraphe 156 concernant les engagements présentés par Adecco et Adia et chacun des deux groupes a pu, au-delà de mesures générales assez similaires, prendre des dispositions particulières compte tenu des spécificités de son organisation interne ou de son champ d'intervention. Le Conseil estime donc que, globalement considérés, ces engagements de Groupe Vedior France et VediorBis présentent le même niveau d'intérêt que ceux présentés par Adecco et Adia.
161. En revanche, le Conseil estime ne pas pouvoir tenir compte, pour réduire le niveau de la sanction pécuniaire à laquelle s'exposent les entreprises concernées, de l'engagement " à visée sociale " formulé par Groupe Vedior France et VediorBis concernant l'octroi d'un don à une association. En effet, tenir compte de cet engagement, qui ne contribue en rien à améliorer le fonctionnement de la concurrence sur le marché affecté par les pratiques, reviendrait de facto à transformer une partie d'une sanction pécuniaire administrative dont le produit est affecté au budget général, lequel finance l'ensemble des actions d'intérêt public de l'État, en une contribution privée dont le redevable choisirait lui-même l'affectation en en tirant le cas échéant un bénéfice d'image. Au surplus, en l'espèce, l'association bénéficiaire mentionnée est elle-même dans l'orbite du groupe Vedior. Dans ces conditions, le Conseil laisse Groupe Vedior France et VediorBis entièrement libres de donner suite ou non à ce projet, mais ne tiendra pas compte de ce choix dans la détermination de la sanction.
162. Il résulte de ce qui précède que, pris dans leur ensemble, les engagements résumés au point 159, dont il faut exclure celui mentionné au paragraphe 161, sont de réelle envergure, substantiels, crédibles et vérifiables. Il y a lieu d'en prendre acte et d'enjoindre à Groupe Vedior France et à VediorBis de les respecter.
5. SUR LES SANCTIONS
a) Considérations générales
163. Compte tenu de la gravité des infractions aux articles 81 CE et L. 420-1 du Code de commerce constatées et de l'importance du dommage à l'économie qu'elles ont engendré, les entreprises qui en sont responsables doivent être sanctionnées. Ainsi qu'exposé aux paragraphes 117 et 146, il n'y a pas lieu de distinguer entre les sociétés ayant participé à la pratique objet du premier grief quant à la gravité de leur comportement et au dommage à l'économie que celui-ci a engendré.
164. Les entreprises mises en cause font toutes valoir que l'assiette d'éventuelles sanctions ne doit pas être le chiffre d'affaires mentionné dans les liasses fiscales des sociétés ou groupes concernés, car celui-ci inclut les salaires et charges directes et indirectes liés à l'emploi des intérimaires, sommes qui vont directement aux travailleurs et aux organismes sociaux ou publics. Seule la " marge brute " des ETT, c'est-à-dire en substance le prix des prestations facturé aux EU, diminué de ces salaires et charges, qui correspondrait à l'activité propre des ETT, devrait être utilisé. Ce chiffre d'affaires " réel " serait d'ailleurs pris en compte par la Commission européenne dans le cadre du contrôle des concentrations, ainsi qu'indiqué aux points 158 et 159 de sa " communication juridictionnelle " sur le règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises :
" 158. D'une manière générale, la méthode de calcul du chiffre d'affaires appliquée aux services ne diffère pas de celle utilisée pour les produits : la Commission prend en considération le montant total des ventes. Le calcul des montants résultant de la prestation de services peut toutefois s'avérer plus complexe, car il dépend du service exact qui est fourni et des dispositions juridiques et économiques sous-jacentes dans le secteur concerné. Lorsqu'une entreprise fournit l'ensemble du service directement à son client, le chiffre d'affaires de l'entreprise concernée consiste dans le montant total des ventes de prestations de services du dernier exercice.
159. Dans d'autres domaines, ce principe général devra éventuellement être adapté aux conditions particulières du service fourni. Dans certains secteurs d'activité (comme les voyages à forfait et la publicité), la vente du service peut s'effectuer à travers des intermédiaires. Même si l'intermédiaire facture la totalité du montant au client final, le chiffre d'affaires de l'entreprise intervenant comme intermédiaire repose uniquement sur le montant de sa commission. En ce qui concerne les voyages à forfait, l'ensemble du montant payé par le client final est attribué au voyagiste qui utilise l'agence de voyages comme réseau de distribution (...) ".
165. Cependant, il y a tout d'abord lieu de rappeler que l'article L. 464-2 du Code de commerce ne prévoit pas que le chiffre d'affaires des entreprises constitue l'assiette exclusive des sanctions que le Conseil de la concurrence peut infliger. Il ne fait référence au chiffre d'affaires que pour déterminer le montant maximum de la sanction qui peut être prononcée. Sous réserve de ce plafond légal, il est seulement indiqué que la sanction doit être proportionnée à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération des pratiques prohibées. Pour établir le montant d'une sanction, le Conseil de la concurrence tient, par conséquent, compte de nombreux paramètres qui ne se résument pas au chiffre d'affaires. Au titre de l'appréciation de la situation d'une entreprise susceptible d'être sanctionnée, il doit naturellement prendre en compte sa capacité financière, susceptible d'être substantiellement renforcée par son appartenance à un groupe, mais cette capacité peut être parfois assez largement indépendante du chiffre d'affaires, même si dans d'autres cas elle y est étroitement liée (voir en ce sens la décision du Conseil n° 00-D-28 du 19 septembre 2000 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du crédit immobilier).
166. Ensuite, en tout état de cause, les appréciations de la Commission européenne en ce qui concerne l'exercice de sa compétence propre en matière de contrôle des concentrations, qui n'est pas partagée avec les autorités nationales de concurrence contrairement à la compétence pour appliquer l'article 81 CE, ne sauraient s'imposer à ces dernières dans un autre domaine. A cet égard, il y a lieu de constater que dans plusieurs décisions, les juridictions de contrôle du Conseil de concurrence ont estimé que lorsqu'il faut se référer au chiffre d'affaires, c'est au chiffre d'affaires tel que mentionné sur le compte de résultat de l'entreprise. En particulier, dans une affaire où des arguments similaires à ceux mentionnés au paragraphe 164 étaient invoqués, qui a donné lieu à la décision du Conseil n° 00-D-75 du 6 novembre 2000 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la transmission florale à distance, la Cour de cassation a jugé (arrêt du 23 avril 2003) : " (...) attendu qu'ayant justement retenu que le plafond des sanctions pécuniaires susceptibles d'être prononcées par le Conseil de la concurrence est calculé par référence au chiffre d'affaires global hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos et mentionné sur le compte de résultat de l'entreprise considérée, la cour d'appel a statué par une décision motivée sans avoir à effectuer la recherche inopérante visée à la première branche du moyen [qui aurait consisté à déterminer si le chiffre d'affaires comptable de la requérante ne différait pas de son chiffre d'affaires effectivement réalisé] ".
167. Au demeurant, il n'y a en l'occurrence aucune contradiction entre la position de la Commission concernant le chiffre d'affaires à prendre en considération afin de déterminer si une opération de concentration entre dans le champ de son contrôle, lequel est déterminé par référence à l'activité des entreprises concernées et à son importance sur le territoire des différents États membres, et la position du Conseil de la concurrence qui prend en compte les différentes données pertinentes pour apprécier la capacité financière des entreprises susceptibles d'être sanctionnées pour des pratiques anticoncurrentielles, données qui ne se limitent pas au chiffre d'affaires mentionné sur le compte de résultat. La question de la détermination du plafond légal de la sanction est différente. Pour tenir compte de ce que les sociétés mises en cause ont appelé leur " marge brute ", il y a lieu de préciser que différentes déclarations et écritures de ces sociétés permettent de retenir qu'elle se situe aux environs de 12 % du chiffre d'affaires pour l'ensemble de la clientèle (cotes 10 801, 10 808 et 13 382), mais le Conseil n'a pas eu de données plus précises, en particulier sur son éventuelle évolution.
168. L'argumentation des entreprises sera donc prise en compte par le Conseil dans le calcul de la sanction, non pas en droit pour diviser de manière mathématique " l'assiette " de celle-ci
- comme le revendiquent à tort les mises en cause -, mais en fait pour s'assurer que la sanction est proportionnée à leur faculté contributive, mieux reflétée - compte tenu de leur activité très spécifique - par leur marge brute que par leur chiffre d'affaires.
b) Sur la situation de Manpower
169. Compte tenu du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le plafond de la sanction que peut prononcer le Conseil à l'égard de Manpower France Holding SAS et de Manpower France s'élève pour chacune à 10 % du chiffre d'affaires mondial hors taxes de 20,5 milliards de dollars américains réalisé en 2007 par la société Manpower Inc., dont le siège est aux États-Unis, qui consolide les comptes de Manpower France Holding, laquelle consolide elle-même en France les comptes de Manpower France. Ce chiffre d'affaires est le plus élevé réalisé par le groupe sur les exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont débuté. Le plafond des sanctions est donc d'un montant d'environ 1,6 milliard d'euro au taux de change actuel.
170. Comme indiqué au paragraphe 30 de la présente décision, la société devenue Manpower France Holding et celle devenue Manpower France se sont succédées dans le temps dans la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles identifiées, la date de cette " succession " étant le 30 avril 2004. Dès lors qu'aujourd'hui Manpower France Holding consolide les comptes de Manpower France, la sanction sera d'abord établie comme si une seule société était en cause (correspondant à l'entreprise " opérationnelle " aujourd'hui exploitée par l'actuelle Manpower France et appelée aux paragraphes suivants simplement " Manpower France), puis répartie au prorata temporis entre Manpower France Holding et Manpower France selon la durée de participation de chacune à l'infraction.
171. Sur la période 1999-2005, le chiffre d'affaires de Manpower France a crû de 22,5 % passant d'environ 3,35 milliards d'euro à environ 4,1 milliards d'euro (sa " marge brute " pourrait donc avoir évolué d'environ 400 millions d'euro à 490 millions d'euro). Son excédent brut d'exploitation a progressé de près de 50 %, passant de 116 millions d'euro à 174 millions d'euro. Son bénéfice a quant à lui progressé de 70 %, passant de 44 millions d'euro à 75 millions d'euro environ. En 2006, l'entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 4,43 milliards d'euro (la " marge brute " serait de l'ordre de 530 millions d'euro), un excédent brut d'exploitation de 173 millions d'euro et un bénéfice de 76 millions d'euro ; en 2007 un chiffre d'affaires de 4,68 milliards d'euro (la " marge brute " serait de l'ordre de 560 millions d'euro), un excédent brut d'exploitation de 348 millions d'euro et un bénéfice de 145 millions d'euro.
172. Manpower avance comme circonstance particulière, qui devrait, selon elle, conduire à minorer la sanction qu'elle encourt, le fait qu'elle a rapidement mis en place après les opérations de visite et saisies des services d'enquête le 30 novembre 2004 un programme de formation du personnel au droit de la concurrence. Toutefois, cette mesure, qui paraît naturelle pour une grande entreprise exposée au risque de voir certains membres de son encadrement supérieur et de ses responsables commerciaux participer à des pratiques anticoncurrentielles, ne saurait avoir un impact sur la sanction de faits antérieurs à sa mise en œuvre, qui auraient précisément pu être évités si celle-ci avait été effectuée plus tôt, par exemple en l'espèce après la sanction imposée dans le cadre de la décision n° 97-D-52 précédemment évoquée. Au surplus, l'affirmation de Manpower n'a pas la force obligatoire d'un engagement souscrit dans le cadre de la procédure de non-contestation des griefs, comme l'ont fait les autres sociétés incriminées, qui expose ces dernières à une sanction dans l'hypothèse d'un non-respect.
173. En fonction des éléments généraux et individuels exposés précédemment, il y aurait lieu d'infliger à l'entreprise ayant exercé l'activité aujourd'hui assurée par Manpower France une sanction pécuniaire de 33,6 millions d'euro. Compte tenu des considérations exposées au paragraphe 170, il convient de répartir cette somme entre Manpower France Holding et Manpower France au prorata de leur participation à l'infraction dans le temps, à savoir deux tiers pour la première et un tiers pour la seconde. Sans la situation de réitération, il y aurait donc lieu d'infliger une sanction pécuniaire de 22,4 millions d'euro à Manpower France Holding SAS et de 11,2 millions d'euro à Manpower France. La situation de réitération justifiant de majorer ces sommes de 25 %, il convient d'infliger à Manpower France Holding une sanction pécuniaire de 28 millions d'euro et à Manpower France une sanction pécuniaire de 14 millions d'euro.
c) Sur la situation d'Adecco et d'Adia
174. Le plafond des sanctions pécuniaires qui peuvent être infligées à Adecco France (anciennement Adecco Travail Temporaire) et à Adia est, compte tenu de la non contestation des griefs par ces sociétés conformément au III de l'article 464-2 du Code de commerce, de 5 % du chiffre d'affaires mondial du groupe Adecco réalisé en 2007, consolidé dans les comptes de Adecco SA, dont le siège est en Suisse. Ce chiffre d'affaires est le plus élevé réalisé par le groupe sur les exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont débuté. Ledit chiffre d'affaires a été d'environ 21,1 milliards d'euro et le plafond des sanctions est donc de 1,055 milliard d'euro.
175. Sur la période 1999-2005, le chiffre d'affaires d'Adecco France a crû de 26,4 %, passant de 3,47 milliards d'euro à environ 4,4 milliards d'euro (sa " marge brute " pourrait donc avoir évolué d'environ 415 millions d'euro à 530 millions d'euro). Son excédent brut d'exploitation est resté inchangé à 188 millions d'euro. Son bénéfice a, quant à lui, progressé de 36,5 %, passant de 48 millions d'euro à 66 millions d'euro environ. En 2006, l'entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 4,85 milliards d'euro (la " marge brute " serait de l'ordre de 580 millions d'euro), un excédent brut d'exploitation de 280 millions d'euro et un bénéfice de près de 60 millions d'euro ; en 2007 un chiffre d'affaires de 4,9 milliards d'euro (la " marge brute " serait de l'ordre de 590 millions d'euro), un excédent brut d'exploitation de 400 millions d'euro et un bénéfice de 280 millions d'euro.
176. En fonction des éléments généraux et individuels exposés précédemment, sans tenir compte de la situation de réitération et de la réduction de sanction dont elle bénéficie au titre de la non contestation des griefs, il y aurait lieu d'infliger à Adecco France une sanction pécuniaire de 35,4 millions d'euro. La situation de réitération justifie de majorer cette somme de 25 %, ce qui aboutit à un montant de 44,25 millions d'euro. Toutefois, la réduction de la sanction au titre de la non contestation des griefs conduit à infliger à Adecco France une sanction pécuniaire de 32,5 millions d'euro.
177. Sur la période 2000-2005, le chiffre d'affaires d'Adia a crû de 10,6 % passant de 1,35 milliard d'euro à 1,5 milliard d'euro (sa " marge brute " pourrait donc avoir évolué d'environ 160 millions d'euro à 180 millions d'euro). Son excédent brut d'exploitation a régressé de 6,6 %, passant de 53 millions d'euro à 49 millions d'euro. Son bénéfice a quant à lui progressé de 8,3 %, passant de 18 millions d'euro à près de 20 millions d'euro. En 2006, l'entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 1,57 milliard d'euro (la " marge brute " serait de l'ordre de 190 millions d'euro), un excédent brut d'exploitation de 49 millions d'euro et un bénéfice de près de 20 millions d'euro ; en 2007 un chiffre d'affaires de 1,55 milliard d'euro (la " marge brute " serait de l'ordre de 185 millions d'euro), un excédent brut d'exploitation de 98 millions d'euro et un bénéfice de près de 39 millions d'euro.
178. Au regard de sa seule participation à l'entente pour l'appel d'offres d'Alcan et en fonction des éléments généraux et individuels exposés précédemment, sans tenir compte de la situation de réitération et de la réduction de sanction dont cette société bénéficie au titre de la non contestation des griefs, il y aurait lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 1,85 million d'euro. La situation de réitération justifie de majorer cette somme de 25 %, ce qui aboutit à un montant de 2,31 millions d'euro. Toutefois, la réduction de la sanction au titre de la non contestation des griefs conduit à infliger à Adia une sanction pécuniaire de 1,7 million d'euro.
d) Sur la situation de VediorBis
179. Le plafond des sanctions pécuniaires qui peuvent être infligées à VediorBis est, compte tenu de la non contestation des griefs par cette société conformément au III de l'article 464-2 du Code de commerce, de 5 % du chiffre d'affaires mondial du groupe Vedior réalisé en 2007, consolidé dans les comptes de Vedior N.V., dont le siège est aux Pays-Bas. Ce chiffre d'affaires est le plus élevé réalisé par le groupe sur les exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont débuté. Ledit chiffre d'affaires a été de 8,4 milliards d'euro et le plafond de la sanction est donc de 420 millions d'euro.
180. Sur la période 1999-2005, le chiffre d'affaires de VediorBis a crû de 11,6 %, passant de 2,21 milliards d'euro à 2,46 milliards d'euro (sa " marge brute " pourrait donc avoir évolué d'environ 265 millions d'euro à 295 millions d'euro). Son excédent brut d'exploitation a progressé de près de 49 %, passant de 40 millions d'euro à près de 60 millions d'euro. Son bénéfice a quant à lui progressé, pour des motifs hors exploitation, de 430 %, passant de 18 millions d'euro à près de 100 millions d'euro. En 2006, l'entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 2,58 milliards d'euro (la " marge brute " serait de l'ordre de 310 millions d'euro), un excédent brut d'exploitation de 53 millions d'euro et un bénéfice de 38 millions d'euro ; en 2007 un chiffre d'affaires de 2,77 milliards d'euro (la " marge brute " serait de l'ordre de 330 millions d'euro), un excédent brut d'exploitation de 155 millions d'euro et un bénéfice de 48 millions d'euro.
181. VediorBis fait valoir, comme circonstances particulières qui devraient conduire à minorer sa sanction, qu'elle n'est que le troisième opérateur, sensiblement derrière Manpower et les entreprises du groupe Adecco, et que sa part de marché, ainsi que ses prix, ont baissé entre 1999 et 2004. Toutefois, pour autant qu'il n'y ait pas déjà été répondu au paragraphe 163, ces considérations se reflètent largement dans les éléments figurant au paragraphe précédent par comparaison avec les éléments similaires concernant les autres entreprises en cause et il en est tenu compte. Par ailleurs une légère baisse de part de marché (de 14,3 % à 12,8 % pour la période invoquée) ou des prix pratiqués (- 0,4 %) ne préjuge pas de la capacité financière à acquitter une sanction pécuniaire.
182. En fonction des éléments généraux et individuels exposés précédemment, sans tenir compte de la situation de réitération et de la réduction de sanction dont elle bénéficie au titre de la non contestation des griefs, il y aurait lieu d'infliger à VediorBis une sanction pécuniaire de 19,8 millions d'euro. La situation de réitération justifie de majorer cette somme de 25 %, ce qui aboutit à un montant de 24,75 millions d'euro. Toutefois, la réduction de la sanction au titre de la non contestation des griefs conduit à infliger à VediorBis une sanction pécuniaire de 18,2 millions d'euro.
6. SUR L'OBLIGATION DE PUBLICATION
183. Afin d'attirer la vigilance des clients des entreprises de travail temporaire, il y a lieu, compte-tenu des faits constatés par la présente décision et des infractions relevées, d'ordonner la publication, à frais partagés des entreprises sanctionnées et au prorata de leurs sanctions pécuniaires, dans une revue économique, du résumé de la présente décision figurant au paragraphe 184 ci-après :
184. Résumé de la décision :
" Le Conseil de la concurrence a sanctionné par une décision du 2 février 2009 Adecco, Manpower et VediorBis pour s'être entendus, entre mars 2003 et novembre 2004, afin de limiter la compétition entre eux vis-à-vis de leurs clients importants. Le Conseil avait été saisi par le ministre de l'économie à la suite d'une plainte déposée devant la Commission européenne, qui avait transmis le dossier aux autorités françaises.
Adecco, Manpower et Vedior, les trois leaders mondiaux, couvrent 70 % du marché français et répondent à 90 % de la demande des " grands comptes " (entreprises faisant appel de manière régulière et importante à l'intérim).
A la suite de perquisitions menées en 2004 et d'une instruction approfondie, le Conseil a réuni des preuves que les entreprises en cause, afin d'atténuer significativement la concurrence entre elles, se coordonnaient fréquemment sur les différents éléments de leur politique commerciale et tarifaire vis-à-vis de leurs clients " grands comptes ", tels que Eiffage, La Poste, Alstom, EDF, Servair, les Galeries Lafayette ou Alcan. Selon les cas, elles échangeaient des informations - par exemple sur les coefficients de facturation appliqués aux salaires des intérimaires, sur les remises de fin d'année ou encore sur le niveau des rétrocessions aux entreprises utilisatrices des allègements de charges décidés à l'époque (allègements Fillon) - voire discutaient du montant de leurs offres. Le but de la concertation était de faire en sorte que la compétition par les prix joue le moins possible entre elles.
Les entreprises utilisatrices de travail temporaire ont été affectées par ces pratiques puisque Adecco, Manpower et VediorBis ont pu se réserver des marges supérieures à celles qui auraient résulté du libre jeu de la concurrence. Les travailleurs intérimaires ont également souffert de la pratique en raison du renchérissement du recours à cette forme de travail.
Par ailleurs, le Conseil a souligné que la pratique ayant consisté, pour les entreprises en cause, à confisquer à leur profit une partie des allègements de charges sociales (allègements Fillon) en limitant leur rétrocession aux entreprises utilisatrices est particulièrement grave. Perturber les effets incitatifs des politiques de l'emploi peut avoir, au-delà de l'impact direct sur le marché du travail, un impact budgétaire négatif et être contre-productif dans un contexte de lutte contre le chômage et de priorité accordée à la croissance économique.
Les entreprises en cause avaient déjà été condamnées en 1997 pour avoir participé à une entente visant à limiter les hausses salariales dans le secteur du BTP en Isère et en Savoie à l'occasion de la préparation des JO d'Albertville : le Conseil en a tenu compte pour fixer les sanctions.
Adecco, Adia et VediorBis n'ont pas contesté les faits et pris pour l'avenir des engagements d'envergure qui, au-delà de l'élaboration d'un programme de sensibilisation et de formation professionnelle et de la mise en place d'un système d'alerte professionnelle interne, visent à améliorer le fonctionnement concurrentiel du marché. Elles ont à ce titre bénéficié d'une réduction de leur sanction.
En conséquence, le Conseil de la concurrence a infligé :
à la société Manpower France Holding une sanction de 28 000 000 euro ;
à la société Manpower France une sanction de 14 000 000 euro ;
à la société Adecco France une sanction de 32 500 000 euro ;
à la société Adia une sanction de 1 700 000 euro ;
à la société VediorBis une sanction de 18 200 000 euro.
Le texte intégral de la décision du Conseil de la concurrence est accessible sur le site www.conseil-concurrence.fr ".
Décision
Article 1er : Il n'est pas établi que la société Groupe Vedior France a enfreint les dispositions de l'article 81 CE et de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 2 : Il est établi que les sociétés Manpower France Holding (anciennement Manpower France), Manpower France (anciennement Manpower Entreprise), Adecco France (anciennement Adecco Travail Temporaire), Adia et VediorBis ont enfreint les dispositions de l'article 81 CE et de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 3 : Il est pris acte des engagements souscrits par les sociétés Adecco France, Adia et les autres entités du groupe Adecco actives sur le territoire français dans le secteur du travail temporaire tels qu'ils figurent au paragraphe 152 et des engagements souscrits par les sociétés Groupe Vedior France et VediorBis tels qu'ils figurent au paragraphe 158, à l'exception de celui analysé au paragraphe 161. Il est enjoint à ces entreprises de s'y conformer en tous points.
Article 4 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
à la société Manpower France Holding une sanction de 28 000 000 euro ;
à la société Manpower France une sanction de 14 000 000 euro ;
à la société Adecco France une sanction de 32 500 000 euro ;
à la société Adia une sanction de 1 700 000 euro ;
à la société VediorBis une sanction de 18 200 000 euro.
Article 5 : Les sociétés mentionnées à l'article 2 feront publier le texte figurant au paragraphe 184 de la présente décision, en respectant la mise en forme, dans une édition de la revue " L'Expansion". Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : " Décision n° 09-D-05 du 2 février 2009 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire ". Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet de recours devant la Cour d'appel de Paris si de tels recours sont exercés. Les sociétés concernées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de ces publications, dès leur parution et au plus tard le 2 mai 2009.
Notes :
1 " L'impact des réductions de cotisations sociales " - Les cahiers français n° 327, 2005, Pierre Cahuc et André Zylberberg.
2 Simpson J. et Schmidt D., Difference-in-difference Analysis in Antitrust : A Cautionary note, Antitrust Law Journal vol 75 2008, n° 2, p. 623.
3 Kramarz F. et Philippon T. (2001), " The Impact of Differential Payroll Tax Subsidies on Minimum Wage Employment ", Journal of Public Economics, 82, 115-146.
4 Cas n° COMP/M.3419, M.1702, M.1687, M.765, M.1476, M.879.
5 Cas n° IV/M.765 Adia/Ecco, §15: "Temporary employment services firms perform a variety of services (eg. Training services) to undertakings which differentiate them from permanent employment firms and from direct employment. Also, they normally establish a direct, long lasting and in some circumstances even exclusive relationship with workers seeking employment. These workers are in most Member States receiving wages and benefits directly from temporary employment services firms. As a matter of fact, permanent employment firms and other forms of labour supply function on a rather different basis. From the demand side, although a certain degree of substitutability can certainly be noticed between permanent and temporary employment, they can hardly be considered as belonging to the same market. They normally respond to different needs of the customers in respect of the time horizon to be regarded when seeking to cover a vacant position. Also, legal and regulatory requirements are still substantially different between permanent and temporary employment. Consequently, the relevant product market is the provision by employment services firms of temporary personnel to undertakings."