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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 4 février 2009, n° ECEC0907332X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Apple Sales International (Sté), Apple Inc. (Sté), France Télécom (SA), Orange France (SA)

Défendeur :

Bouygues Télécom (SA), UFC Que Choisir, SFR (SA), Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Président du Conseil de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Mouillard

Avoués :

SCP Gerigny-Freneaux, SCP Grappotte Benetreau Jumel, SCP Monin d'Auriac de Brons, Mes Bodin-Casalis, Teytaud

Avocats :

Mes Philippe, Benouville, Clarenc, Franck, Freget, Selas Vogel & Vogel

CA Paris n° ECEC0907332X

4 février 2009

La société Apple Inc., est une multinationale américaine historiquement active dans le secteur des produits informatiques. En 2001, elle est entrée sur le marché des baladeurs numériques en commercialisant un lecteur MP3, l'iPod, qui a rencontré un grand succès, puis a diversifié son activité en développant, en 2004, un magasin de vente en ligne de musique et autres contenus numériques, l'iTunes Music Store, avec cette particularité qu'un morceau acheté sur iTunes Music Store est protégé par un système de gestion des droits numériques (DRM) et ne peul être aisément lu sur un lecteur MP3 autre qu'un iPod.

En 2007, Apple amis sur le marché un premier terminal mobile dénommé iPhone. Relevant de la catégorie de smartphones, l'iPhone combine les usages d'un téléphone mobile et d'un assistant personnel et propose aussi un baladeur numérique de type iPod, un GPS et une console de jeux portable. Outre le fait qu'il est particulièrement optimisé pour la navigation sur Internet, il présente de multiples fonctionnalités qui le distinguent de ses concurrents, tels notamment qu'une interface constituée d'un écran tactile multipoint, remplaçant les claviers ou boutons traditionnels, des détecteurs de lumière et de proximité optimisant la batterie de l'appareil et verrouillant l'utilisation du clavier tactile lorsqu'il est porté à l'oreille, un écran large dont l'affichage en mode paysage se fait automatiquement grâce à un dispositif gyroscopique lorsque l'utilisateur fait pivoter l'appareil. L'activation de l'iPhone se fait via iTunes, un logiciel de gestion de bibliothèque multimédia distribué gratuitement par Apple, ce qui confère à cette dernière l'enregistrement direct des nouveaux clients. Se retrouve en outre la particularité déjà signalée, à savoir que les morceaux commercialisés par iTunes Store ne peuvent être téléchargés que sur un iPod ou un iPhone.

Depuis juin 2008, Apple met à la disposition des utilisateurs d'iPhones une plate-forme Internet dédiée, dénommée "App Store", qui les met en relation avec des développeurs de logiciels et d'application adaptés (jeux, convertisseurs, applications pour trouver des bornes Vélib, pour gérer son compte en banque, dictionnaires, Facebook, etc).

Comme le premier modèle (2G), la version 3G de ce terminal est disponible en France, depuis le 18 juillet 2008, sous la distribution exclusive de la société Orange France (Orange), opérateur de réseau de téléphonie mobile prééminent puisque cette société disposait, au 30 septembre 2008, de 43,5 % du parc clients, contre 33,7 % pour la Société Française de Radiotéléphone (SFR), 17,3 % pour la société Bouygues Télécom et 5,5 % pour les opérateurs virtuels (MVNO ou mobile virtual nerwork operator).

Le système de distribution mis en place par la société Apple Inc., via ses filiales et plus spécialement par la société Apple Sales International, repose sur plusieurs contrats:

- un contrat de partenariat réseau (key terms agreement) conclu avec la société France Télécom, société holding de Orange, le 12 octobre 2007 et modifié en mai 2008, par lequel Orange est désignée comme opérateur réseau exclusif pour une durée de cinq ans à compter du lancement de l'iPod [sic] 2G soit du 29 novembre 2007, Apple disposant toutefois d'une faculté de sortie sans contrepartie à l'issue d'une période de trois ans;

- un accord de distribution conclu pour une durée de cinq ans en octobre 2007 entre Apple et Orange, modifié en mai 2008, qui met en place un réseau de distribution sélective, désignant Orange comme grossiste exclusif pour la France à charge de livrer les distributeurs agréés par Apple et définissant les critères à respecter par les boutiques Orange pour la distribution de l'iPhone;

- des contrats par lesquels Apple agrée d'autre distributeurs de détail, qui obligent chaque point de vente à offrir la gamme complète des services de téléphonie mobile pour l'iPhone des opérateurs de réseau agréés à l'intérieur du territoire de distribution sélective - soit en l'espèce Orange exclusivement - et à être en mesure d'activer ces services;

- des contrats de distribution conclus entre Orange et les distributeurs de détail agréés par Apple, qui imposent à ces distributeurs de se fournir en terminaux exclusivement et directement auprès d'Orange et leur interdisent de se fournir auprès d'autres sources d'approvisionnement sans l'accord écrit et préalable d'Orange, ne leur permettent la revente que dans les points de vente autorisés en France et leur prescrivent d'assortir cette commercialisation d'une offre de téléphonie d'Orange ou, en cas de vente de terminaux " nus ", de doter les appareils d'une carte SIM bloquée sur le réseau Orange, étant ajouté que les opérations de "désimlockage" seraient facturées 100 euro.

Le 18 septembre 2008, la société Bouygues Télécom, se plaignant d'avoir été exclue de la commercialisation de l'iPhone bien qu'elle en eût fait la demande dès le 14 mai 2008, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le cadre de la distribution de l'iPhone sur le marché français, en sollicitant le prononcé de mesures conservatoires. Elle dénonçait le système de distribution mis en place, constitutif, selon elle, d'une entente prohibée en ce qu'il impose des prix de revente minimum aux consommateurs, restreint la liberté de revente des distributeurs agréés et cloisonne les marchés nationaux, et invoquait le caractère injustifié de certains critères de sélection et leur application discriminatoire.

Le Conseil de la concurrence, après avoir recueilli, le 4 novembre 2009, l'avis de l'Autorité des communications électroniques et des postes (ARCEP) a, par décision n° 08-MC-01 rendue le 17 décembre 2008, prononcé des mesures conservatoires, ainsi libellées:

Article 1er : Il est enjoint à Apple Sales international, à Apple Inc. et à France Télécom, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de suspendre, dès la notification de la présente décision, l'application pour la France des stipulations faisant d'Orange l'opérateur mobile exclusif pour les produits iPhone. Il leur est également enjoint de ne pas introduire dans les éventuels contrats qui seraient conclus pour la commercialisation des futurs modèles d'iPhone des exclusivités de même nature d'une durée supérieure à trois mois. La première injonction a pour effet de suspendre:

• l'article 2-1 a) et la mention France à l'annexe 1) du contrat signé le 12 octobre 2007, "contrat portant sur les conditions clés".

• l'article 3.1 a) du premier avenant à ce contrat signé le 15 mai 2008.

Article 2 : Il est enjoint à Apple Sales international, à Apple Inc. et à France Télécom, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de suspendre, dès la notification de la présente décision, l'application des stipulations désignant Orange en qualité de grossiste habilité à titre exclusif à acheter des produits iPhone à des fins de distribution. Cette injonction a pour effet de suspendre l'article 5.1 de l'annexe 3, "modèle d'Addendum Pays Agréé-France" du premier avenant, en date du 15 mai 2008, au contrat de distribution signé le 12 octobre 2007.

Article 3 : Il est enjoint à Apple Sales International, à Apple Inc. et à France Télécom, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de suspendre, dès la notification de la présente décision, l'application des stipulations de l'article 3 des contrats de distribution signés avec les distributeurs multimarques en France qui impose[nt] au distributeur de ne se fournir qu' " exclusivement et directement auprès d'Orange. Le revendeur ne pourra acheter les produits autorisés auprès d'autres sources d'approvisionnement sans l'accord écrit et préalable d'Orange, et devra les revendre exclusivement dans les points de vente autorisés situés sur le territoire [la France] " et de l'article 5.4 des mêmes contrats de distribution selon lesquelles " le revendeur ne commercialisera pas les terminaux dans une offre de téléphonie qui n'est pas celle d'Orange. Nonobstant ce qui vient d'être précisé, le revendeur pourra vendre des terminaux nus mais dont la carte SIM sera bloquée sur le réseau Orange.

Article 4 : il est enjoint à Apple Sales International, à Apple Inc., et à France Télécom, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de suspendre, dès la notification de la présente décision, l'application des clauses suivantes inscrites dans le contrat de distribution sélective conclus avec les distributeurs agréés en France:

• la clause 2.2 obligeant chaque point de vente à offrir à la vente la gamme complète des services de téléphonie mobile pour l'iPhone de chaque opérateur de réseau agréé à l'intérieur du territoire de distribution sélective et à être en mesure d'activer ces services:

• toute référence à l'Opérateur de réseau en ce qu'il vise exclusivement Orange;

LA COUR :

Vu les assignations délivrées le 24 décembre 2008 à la société Orange, à la société France Télécom, à la société Apple Europe Ltd, à la société Apple France, au ministre chargé de l'Economie et au Directeur Général de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes, et le 26 décembre 2008 à la société Bouygues Telecom, au Conseil de la concurrence et au Procureur général, par lesquelles les sociétés Apple Sales International et Apple Inc. demandent à la cour d'annuler les articles 1, 2 et 4 de la décision en ce qu'elle leur ordonne des mesures conservatoires et de juger qu'il n'y a pas lieu de prononcer des mesures conservatoires à leur encontre;

Vu les assignations délivrées le 29 décembre 2008 à la société Bouygues Télécom, à la société Apple Sales international, à la société Apple Inc., à la société Apple Europe Ltd, à la société Apple France, à la société Apple Middle East Africa, au Conseil de la concurrence, au ministre chargé de l'Economie, au Directeur Général de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes et au Procureur général, par lesquelles les sociétés France Télécom et Orange France demandent à la cour d'annuler dans son intégralité la décision du 17 décembre 2008 et les mesures conservatoires prononcées et de dire n'y avoir lieu à mesures conservatoires, à titre subsidiaire de réformer ces mesures conservatoires en les limitant à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence, conformément aux dispositions de l'article L. 464-1 du Code de commerce, enfin de condamner la société Bouygues Télécom à leur payer la somme de 150 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu les conclusions déposées le 2 janvier 2009 et le 5 janvier 2009 par lesquelles Bouygues Télécom demande à la cour respectivement, de rejeter le recours des sociétés Apple Sales International et Apple Inc. et celui de France Télécom et Orange et réclame à ces deux dernières une somme de 100 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu les interventions volontaires accessoires, en date du 5 janvier 2009, de SFR qui demande le rejet des recours et la condamnation in solidum des sociétés Apple requérantes à lui payer une somme de 25 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu l'intervention volontaire, en date du 5 janvier 2009, de l'association Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC Que Choisir), au soutien des demandes de Bouygues Télécom et tendant au rejet des recours;

Vu les conclusions additionnelles des sociétés Apple Sales international et Apple Inc., en date du 6 janvier 2009, qui soulèvent l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de SFR;

Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence en date du 5 janvier 2009;

Ouï à l'audience publique du 6 janvier 2009, en leurs observations orales, les conseils des requérantes, qui ont été mis en mesure de répliquer et ont eu la parole en dernier, les conseils de la société Bouygues Télécom et des parties intervenantes, ainsi que le représentant du Conseil de la concurrence, celui du ministre de l'Economie et le Ministère public;

Vu la note en délibéré déposée le 23 janvier 2009 par les sociétés Apple Inc. et Apple Sales International;

Vu la télécopie du 26 janvier 2009 par lequel le Président de la chambre, vu l'urgence, a invité les autres parties, le Conseil de la concurrence, le ministre chargé de l'Economie et le Ministère public à déposer leurs observations éventuelles sur cette note avant le 30 janvier 2009;

Vu les observations complémentaires du Conseil de la concurrence en date du 28 janvier 2009;

Vu les observations en réponse à la note en délibéré déposées le 29 janvier 2009 par SFR et le 30 janvier 2009 par la société Bouygues Telecom et par UFC Que Choisir;

Sur ce:

Considérant qu'il y a lieu de joindre les deux recours, qui attaquent la même décision;

Sur la recevabilité de la note en délibéré et des pièces annexées déposées par les sociétés Apple Inc. et Apple Sales International le 23 janvier 2009

Considérant que ces requérantes ont souhaité porter à la connaissance de la cour un fait nouveau résultant de ce que, le soir même du jour où s'est tenue l'audience de plaidoiries, Apple a annoncé qu'elle levait les dispositifs de protection (DRM) sur une grande partie du catalogue musical commercialisé via iTunes Store;

Considérant qu'il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de recevoir cette note, en ce qu'elle fait état d'un élément, survenu postérieurement à la clôture des débats, qui touche au coeur de la question en discussion ainsi qu'il va être vu, et dès lors que le principe du contradictoire a été respecté, les parties ayant été mises en mesure de déposer leurs observations éventuelles;

Considérant toutefois qu'il n'en va pas de même du constat d'huissier, effectué les 14 et 15 janvier 2009, relatif aux conditions de téléchargement d'un morceau de musique acheté sur iTunes Store, qu'il était loisible aux requérantes de se procurer antérieurement et qui doit être écarté;

Sur la recevabilité des interventions volontaires, contestée par les sociétés Apple Inc. et Apple Sales International en ce qui concerne celle de SFR

Considérant que SFR fonde son intervention volontaire au soutien des demandes de Bouygues Télécom sur les dispositions des articles 330 et suivants du Code de procédure civile qui précisent que l'intervention est accessoire lorsqu'elle appuie les prétentions d'une autre partie et qu'elle est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie;

Considérant que les sociétés Apple Inc. et Apple Sales International s'y opposent, en faisant valoir qu'aucune des dispositions du Code de commerce qui règlent la procédure suivie pour les recours devant la cour d'appel n'autorise une telle intervention et que, pour ces recours, seules sont applicables les dispositions du Code de procédure civile auxquelles il n'est pas dérogé par les textes précités et qui sont compatibles avec la nature propre du contentieux de la concurrence, ce qui n'est pas le cas de l'intervention volontaire d'un tiers en vue de la protection de ses intérêts privés;

Mais considérant que le Conseil de la concurrence peut être saisi par des entreprises, des collectivités territoriales, des organisations professionnelles ou syndicales, des organisations de consommateurs agréées, des chambres d'agriculture, des chambre de métiers et des chambres de commerce et d'industrie (article L. 462-5 du Code de commerce), et que, lorsqu'il envisage d'accepter des engagements de nature à mettre à un terme à des pratiques anticoncurrentielles, il doit procéder à une consultation publique permettant à tout tiers intéressé de présenter ses observations (article R. 464-2) ; qu'il résulte de ces dispositions que la procédure suivie devant le Conseil est, sous certaines conditions, accessible aux acteurs du secteur et aux tiers intéressés et qu'ainsi, l'intervention de tiers devant la cour n'est pas incompatible avec la nature propre de ce contentieux; qu'il suit de là que les articles 330 et suivants du Code de procédure civile sont applicables en la cause;

Considérant qu'en l'espèce, SFR, opérateur de téléphonie mobile qui n'était pas en cause devant le Conseil de la concurrence et qui a un intérêt patrimonial au maintien de la décision attaquée en ce qu'elle met fin à l'exclusivité d'Orange sur l'iPhone, doit être reçue en son intervention volontaire accessoire;

Que de même, l'association UFC Que Choisir, qui a la capacité d'ester en justice et qui agit, conformément à ses statuts, pour la défense des intérêts collectifs des consommateurs, concernés par la décision attaquée, est recevable en son intervention volontaire accessoire;

Sur la régularité de la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence

Sur le champ de la saisine au titre des mesures conservatoires

Considérant que les sociétés Apple Sales International et Apple Inc. demandent à la cour de constater que le Conseil de la concurrence a prononcé des mesures conservatoires contre elles alors qu'elles n'avaient pas été attraites régulièrement à la procédure et en conséquence d'annuler les articles 1, 2 et 4 de la décision en ce qu'elle leur ordonne des mesures conservatoires ; qu'elles prétendent à cet égard que, dès lors que la partie saisissante, Bouygues Télécom, avait mal orienté sa demande de mesures conservatoires en la dirigeant contre la société Apple France, qui n'était pas concernée, le Conseil de la concurrence, qui n'a pas de faculté d'auto-saisine en matière de mesures conservatoires, n'avait pas le pouvoir d'étendre de son propre chef la demande à d'autres entités du groupe Apple;

Que les sociétés France Télécom et Orange poursuivent également l'annulation de la décision en ce qu'elle les concerne, et se prévalant d'une irrégularité tenant au fait que l'accord d'octobre 2007, retenu par la décision comme la cause directe et certaine de l'atteinte incriminée, n'avait pas été visé dans sa saisine par Bouygues Télécom laquelle, se fondant uniquement sur les conditions mises en place en juillet 2008 pour la sortie de l'iPhone 3G, ne l'avait pas dénoncé comme pratique anticoncurrentielle ; qu'elles prétendent qu'ainsi, le Conseil a excédé le champ de la saisine en l'étendant à cet accord, non visé par la partie plaignante;

Mais considérant que le Conseil de la concurrence est saisi in rem des pratiques dénoncées ; qu'aux termes de l'article L. 464-1 du Code de commerce, il peut, à la demande du ministre chargé de l'Economie ou de la partie saisissante et après avoir entendu les parties en cause et le commissaire du Gouvernement, prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires ; qu'il suit de là que, tenu de statuer sur la demande de mesures conservatoires formée devant lui, le Conseil doit prononcer les mesures qu'il estime propres à remédier aux atteintes graves et immédiates provoquées par les pratiques dont il est saisi, et ce, sans être lié par la description, la qualification ou l'analyse des pratiques proposées par le demandeur, lequel au demeurant ne dispose pas de ses pouvoirs d'investigation;

Or, considérant qu'il est constant que, si c'est Apple France qui avait été et relations écrites avec Bouygues Télécom avant la saisine, au sein du groupe, c'est la société Apple Inc. - qui contrôle majoritairement Apple Sales International, société de droit irlandais, ainsi qu'Apple France, immatriculée en France, et Apple Europe, immatriculée au Royaume-Uni - qui est responsable de la politique générale du groupe et a négocié les modalités de lancement de l'iPhone en Europe, et c'est Apple Sales International qui est responsable pour l'Europe de la vente de l'ensemble des produits Apple et a signé les différents contrats dans le cadre de la commercialisation de l'iPhone en Europe, alors que le rôle d'Apple France et d'Apple Europe consiste seulement à faciliter la commercialisation et la distribution des produits, Apple France gérant les relations commerciales avec les distributeurs français ; que le Conseil n'a donc pas excédé ses pouvoirs en prononçant les mesures conservatoires demandées par Bouygues Télécom contre celles des entités du groupe Apple qu'elles concernaient directement, dès lors qu'il les avait mises en mesure de présenter leurs observations, et peu important à cet égard que ces dernières se soient bornées à solliciter, par voie d'observations orales, leur mise hors de cause sans se défendre au fond comme elles le prétendent en page 18 de leur assignation;

Que, de même, c'est dans le strict accomplissement de sa mission que le Conseil, ayant examiné les documents contractuels régissant les relations commerciales des parties mises en cause, a retenu, parmi ceux-ci, ceux qui lui paraissaient susceptibles de fonder la pratique dénoncée, peu important qu'ils n'eussent pas été visés par la partie saisissante, qui n'y avait d'ailleurs pas ou accès auparavant;

Sur les droits de la défense, les exigences du procès équitable et le principe de la contradiction

Considérant que France Télécom et Orange font valoir que la procédure et la décision sont entachées de "graves" irrégularités justifiant l'annulation dans son intégralité de la décision et des mesures conservatoires prononcées;

Qu'elles soutiennent à cet égard:

1 - que la décision a violé les droits de la défense et les exigences du procès équitable en validant le comportement procédural déloyal de Bouygues Télécom qui, à la date du 10 novembre 2008 fixée dans le calendrier de procédure pour ses observations en réplique aux observations d'Orange et d'Apple, a déposé 150 pages d'écritures comportant de nouveaux griefs - dont certains appuyés sur des fondements juridiques nouveaux - et assorties de 33 nouvelles annexes - soit 360 cotes - incluant trois nouvelles études économiques, alors qu'elles mêmes ne disposaient que jusqu'au 17 novembre 2008 pour déposer des observations en duplique, qu'alors qu'elles avaient dénoncé ces productions tardives et volumineuses de nature à compromettre l'exercice effectif des droits de la défense en demandant que soient déclarés irrecevables les trois nouveaux griefs et les trois études économiques en cause, le rapporteur général s'est borné à leur accorder un délai de deux jours supplémentaires pour leurs observations en duplique, tandis que Bouygues Télécom poursuivait ses agissements déloyaux en déposant le 19 novembre 2008, soit le jour même où elles devaient déposer lesdites observations, de nouvelles écritures et pièces consistant en une cinquantaine de cotes;

2 - que l'instruction a été menée déloyalement et uniquement à charge dès lors qu'après avoir accepté, par quatre décisions du 14 novembre 2008, de classer au titre du secret des affaires une partie des accords entre Apple et Orange produits par cette dernière, le rapporteur lui a fait savoir le 18 novembre 2008 qu'il aurait besoin d'utiliser la quasi-totalité des documents protégés, à quoi elle s'est opposée en vain, et qu'ainsi, en forçant le déclassement des accords le jour du dépôt de leurs dernières écritures et seulement quelques jours avant la séance, en ne leur indiquant pas, avant la séance, les griefs et mesures susceptibles d'être requis au titre des accords ainsi déclassés et en fondant en séance les réquisitions à charge sur certaines clauses de ces accords, l'instruction a méconnu les exigences du contradictoire et violé les droits de la défense:

3 - que la décision se fonde sur des données qui ne sont pas dans le dossier d'instruction et qui n'ont pas été soumises au contradictoire, soit:

* des " indicateurs mobiles " d'ARCEP (§ 9),

* des données tirées de la "Source Canalys Estimats" pour établir la croissance récente des parts de marché sur le segment de smartphones (§ 36),

* des chiffres de vente réalisées par SFR sur les terminaux proches de l'iPhone (§ 168) qui, s'ils ont été transmis par SFR au rapporteur à titre confidentiel, n'ont pas été communiqués aux parties mises en cause en version non-confidentielle ou déconfidentialisée,

* le 13e rapport sur les marchés des communications électroniques de 2007 (§ 145 et 166) et l'avis n° 08-A-16 du Conseil du 30 juillet 2008 (§ 16, 172, 173 et 210);

4 - qu'en violation de l'article L. 463-6 du Code de commerce qui interdit la divulgation par les parties d'informations concernant une autre partie dont elles n'auraient pu avoir connaissance qu'à la suite des communications ou consultations auxquelles elles ont procédé, et de l'article L. 463-7 du même Code qui dispose que les séances du Conseil ne sont pas publiques, ce qui interdit toute divulgation à la presse du contenu de ces séances, a fortiori pendant le délibéré, Bouygues Télécom a révélé à la presse que le rapporteur avait présenté en séance des conclusions qui lui étaient "très favorables", de sorte que le fait que la décision ait été rendue dans le sens de ces conclusions "permet de ne pas exclure que l'issue de la procédure était déjà décidée à l'entame des débats en séance, voire orientée depuis longtemps";

5 - que le Conseil a violé les droits de la défense et le principe de la transparence en procédant à un communiqué de presse quasiment dans le même temps que la décision leur était communiquée et en excluant leur attaché de presse de la conférence de presse qu'il tenait le même jour à propos de la décision, les menant ainsi dans l'impossibilité de réagir utilement à l'égard de la presse;

Considérant tout d'abord, sur les deux premiers points, qu'aucune disposition du Code de commerce n'impose de délais pour la mise en état des procédures de mesures conservatoires, qui se caractérisent par l'urgence et dont l'instruction doit permettre, dans un temps nécessairement restreint, de réunir le plus d'éléments possibles sur le bien-fondé de la demande et, lorsque le rapporteur général, usant de la faculté qu'il tient de l'article R. 463-8 du Code précité, décide, en vue d'assurer une meilleure organisation des débats de fixer des délais aux parties pour le dépôt de leurs écritures, le dépôt de pièces ou d'écritures après l'expiration du temps imparti ne saurait justifier, sur ce seul fondement, leur rejet de la procédure, dès lors que les parties adverses ont bénéficié d'un temps suffisant pour y répondre;

Que le Conseil, ayant rappelé que la procédure mise en œuvre pour instruire une demande de mesures conservatoires doit être adaptée à l'urgence tout en respectant le principe du contradictoire, a estimé à juste titre qu'en l'espèce, le délai de sept jours, porté à neuf à la demande de Orange et France Télécom pour leur permettre de répondre aux observations, études et pièces en répliques de la plaignante déposées le 10 novembre 2008, et encore le délai de huit jours dont elles ont disposé pour répondre par écrit ou oralement en séance, le 27 novembre 2008, aux nouvelles études et pièces déposées par le 19 novembre 2008, étaient suffisants au regard de ce principe ;

Que, de même, le déclassement des pièces prévu par l'article R. 463-15 du Code de commerce n'est soumis à aucun délai et les documents initialement retirés du dossier, à la demande d'Orange, au titre du secret des affaires, ne le sont restés que quatre jours, étant observé que les requérantes ne pouvaient espérer qu'ils le resteraient puisqu'ils contenaient l'essentiel des clauses fondant les pratiques dénoncées et que, de toute façon, elles en connaissaient le contenu puisque c'étaient elles qui les avaient produites ; qu'elles ne sauraient en outre se plaindre de l'absence de notification de griefs antérieurement à la séance, qu'aucun texte ne prévoit, ni prétendre avoir ignoré quelles étaient les mesures susceptibles d'être prononcées alors qu'elles avaient connaissance des demandes formées par Bouygues Télécom à ce titre;

Considérant ensuite, sur le troisième point, que, si l'instruction devant le Conseil de la concurrence doit être pleinement contradictoire, l'absence éventuelle de pièces dans le dossier soumis aux parties n'est de nature à entrainer l'annulation de la décision que s'il est avéré qu'elle a porté atteinte à leurs intérêts ; qu'à cet égard, si le Conseil ne nie pas que partie des documents cités par la décision n'ont pas été soumis aux requérantes, la cour observe que ces dernières ne prétendent pas qu'elles en auraient discuté la teneur ou l'exactitude, s'agissant pour l'essentiel de données publiques que la décision cite pour décrire le fonctionnement global des marchés concernés et dont, en leur qualité d'opérateurs de téléphonie mobile, elles avaient nécessairement connaissance (suivi des "indicateurs mobiles" publié par l'ARCEP relatif au parc total de clients, parts de marché de Apple au titre de la commercialisation mondiale des smartphones, parts d'Orange, en données parc, sur le marché de la téléphonie mobile) ou de la reprise d'appréciations précédemment exprimées dans un avis, cette référence ne leur conférant d'ailleurs pas un caractère incontestable pour les parties, et que, pour ce qui est des documents transmis "à titre confidentiel" par SFR, il n'est pas précisé s'ils avaient fait l'objet d'une décision de classement au titre du secret des affaires et, de toute façon, si la décision s'y réfère en termes généraux, les données qu'elle cite à ce titre au point 168 ne concernent que Bouygues Télécom ; qu'ainsi, aucune atteinte aux intérêts de France Télécom et d'Orange ne résulte du défaut de communication invoqué;

Considérant enfin, sur les deux derniers points, qu'aucune nullité de la procédure ou de la décision ne saurait résulter des conditions dans lesquelles les parties, à l'issue des débats, ou le Conseil, après que la décision eut été rendue, ont communiqué avec la presse à propos de ce procès, dès lors que ces communications, seraient-elles avérées, n'ont pu avoir d'influence sur la décision rendue par le collège et ainsi porter atteinte à l'impartialité de ce dernier; qu'au demeurant, la cour observe que Bouygues Télécom conteste les agissements qui lui sont imputés et qu'aucun des documents produits dans le cadre du présent recours ne les démontre formellement;

Sur la motivation de la décision

Considérant que les sociétés Apple Inc. et Apple Sales International poursuivent l'annulation de la décision pour défaut de motivation en ce qu'elle ne répond pas aux exigences de preuve requises pour l'application de l'article L. 464-1 du Code de commerce, faute de démonstration d'une atteinte grave, certaine et immédiate, et en ce qu'elle prononce des mesures qui, ne pouvant être justifiées, au titre de l'urgence, par l'imminence des fêtes de fin d'année, sont nécessairement disproportionnées;

Que, de leur côté, France Télécom et Orange poursuivent l'annulation au titre du même vice, en faisant valoir que la décision s'est exonérée de toute motivation au regard de données essentielles apportées par elles dans le débat;

Mais considérant que la décision contient l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et qui permettent d'en contrôler la légalité et que, sous couvert du grief non fondé de défaut de motifs, les requérantes discutent la pertinence du raisonnement suivi par le Conseil, que la cour examinera dans l'exercice de son pouvoir de réformation;

Sur le fond

Considérant que les sociétés Apple Inc. et Apple Sales International estiment que les mesures conservatoires prononcées violent, en fait et en droit, les exigences de l'article L. 464-1 du Code de commerce et demandent à la cour de juger qu'il n'y a pas lieu de prononcer des mesures conservatoires à leur encontre;

Qu'elles reprochent au Conseil d'avoir méconnu le standard de preuve applicable en la matière, faute de démonstration d'une atteinte grave, puisqu'il a fondé sa décision sur le renforcement de la position d'Orange, sur la base de chiffres dont il a lui-même écrit qu'il serait prématuré d'en tirer des conclusions (points 167-170), et sur l'affaiblissement de la concurrence (points 171-173), purement hypothétique;

Qu'elles dénoncent aussi des motifs contradictoires, en faisant valoir que le Conseil ne pouvait simultanément retenir, au titre des conséquences de l'exclusivité consentie à Orange, un renforcement d'Orange pouvant conduire, à terme, à l'exclusion de Bouygues Télécom, et un affaiblissement de la concurrence entre opérateurs renforcé par le cloisonnement vertical du marché ;

Qu'elles discutent encore la démonstration d'une atteinte immédiate en relevant que le Conseil se fonde à cet égard sur l'importance des ventes de l'iPhone en avançant le chiffre, au 5 novembre 2008, de 300 000 appareils vendus depuis son lancement sur le marché, sans préciser s'il s'agit d'iPhones 3G seuls ou des iPhones 2G et 3G confondus, et sans se référer à d'autres ventes permettant d'apprécier l'importance de ce chiffre, alors que, compte tenu du parc de clients en France (53 millions) et du taux de renouvellement moyen de leur terminal par les utilisateurs (tous les ans et demi), c'est quelque 35 millions d'articles qui sont vendus en France chaque année ; qu'elles prétendent en outre que le Conseil s'est contredit en constatant qu'on ne pouvait mesurer un début de renforcement de la position d'Orange (point 167) pas plus qu'un affaiblissement de la position de Bouygues Télécom, et alors au surplus que l'ARCEP a souligné dans son avis que " l'attractivité de l'iPhone ne se traduit pas pour l'instant en leadership de volumes sur le marché des smartphones ";

Qu'elles objectent enfin que le Conseil ne pouvait fonder son appréciation de l'urgence sur la saisonnalité des ventes de terminaux mobiles au motif que les ventes de coffrets de téléphone sont particulièrement dynamiques en période de fêtes de fin d'année (point 213) dès lors que la décision de mesures conservatoires, rendue le 17 décembre 2008 et notifiée le vendredi 19 décembre, ne pouvait déployer ses effets, compte tenu de l'imbroglio juridique qu'elle engendrait, avant plusieurs semaines, en tout cas pas pour le 24 décembre suivant, et qu'ainsi, faute d'urgence démontrée, les mesures étaient nécessairement disproportionnées ;

Que, par note en délibéré, elles ajoutent que dans la soirée du 6 janvier 2009, Apple a annoncé que 80 % du catalogue musical sur l'iTunes Store serait désormais vendu sans dispositif de protection, cette décision ayant pris effet le jour même, et que les 20 % restant seraient disponibles sans protection avant la fin du mois de mars 2009, qu'elles en déduisent qu'est ainsi clos tout débat sur d'éventuels problèmes d'interopérabilité des fichiers musicaux achetés sur iTunes Store pour l'avenir et qu'il ne peut donc plus lui être opposé l'attractivité particulière de l'iPhone sur les propriétaires d'iPod et leur captation éventuelle;

Considérant que France Télécom et Orange, pour leur part, demandent à la cour de dire n'y avoir lieu à mesures conservatoires et, à titre subsidiaire, de réformer ces mesures conservatoires en les limitant à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence, conformément aux dispositions de l'article L. 464-1 du Code de commerce, aux motifs que :

- l'exclusivité est exemptée en application du règlement n° 2790-1999,

- l'exclusivité ne porte aucune atteinte à la concurrence, en ce qu'elle ne confère pas un monopole sur l'iPhone et n'est pas verrouillée, en ce que sa durée n'est pas anormale, et en ce que l'attractivité de l'iPhone n'en fait pas un produit indispensable, et en ce que le Conseil s'est fondé sur des motifs dénués de pertinence quant à la position d'Orange et à la structure de la concurrence sur ce marché,

- l'exclusivité est en tout état de cause justifiée en raison des gains d'efficience dont elle est porteuse,

- l'exclusivité ne porte aucune atteinte grave et immédiate aux intérêts visés à l'article L. 464-1 du Code de commerce,

- l'atteinte grave et immédiate alléguée par le Conseil n'a aucun lien de causalité avec l'exclusivité,

- les mesures conservatoires prononcées sont disproportionnées, en ce qu'elles limitent à trois mois la durée des exclusivités futures, et en ce qu'elles induisent un déséquilibre entre les bénéfices totalement spéculatifs qui peuvent être attendus des mesures et leurs effets délétères certains;

Sur l'application du règlement d'exemption n° 2790-1999 de la Commission du 22 décembre 1999 concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité CE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées

Considérant que l'article 81 § 1 du traité CE interdit tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence mais que le règlement susvisé a déclaré l'interdiction inapplicable à certaines catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées;

Considérant qu'aux termes de l'article 4, d, de ce règlement, l'exemption ne s'applique pas aux accords verticaux qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulés avec d'autres facteurs sous le contrôle des parties, ont pour objet la restriction des livraisons croisées entre distributeurs à l'intérieur d'un système de distribution sélective, y compris entre les distributeurs opérant à des stades différents du commerce ; que tel est le cas des documents contractuels produits et des clauses d'exclusivité qu'ils contiennent, en particulier du contrat de distribution signé entre Orange et Apple qui interdit à Orange d'acheter les produits agréés auprès d'autres sources qu'Apple sauf accord préalable écrit de ce dernier (article 2 du Premier Avenant, du 15 mai 2008, cote 3515 du dossier), qui incite Orange à veiller à ce que le produit ne soit pas vendu à un acheteur qui entendrait l'exporter en dehors de la France et lui interdit de procéder à des ventes croisées actives (points 70 et 71 de la décision), combiné aux contrats signés entre Orange et les distributeurs agréés, qui obligent ces distributeurs à se fournir en terminaux exclusivement et directement auprès d'Orange et leur interdisent de s'approvisionner auprès d'autres sources sans l'accord écrit et préalable d'Orange, enfin qui ne leur permettent la revente que dans les points de vente autorisés en France (point 79);

Qu'au surplus, ainsi que le souligne Bouygues Télécom, le système de distribution de l'iPhone ainsi mis en place, assorti de l'obligation faite aux détaillants agréés d'associer à chaque terminal vendu une prestation de téléphonie mobile Orange, y compris en cas de vente de terminal "nu", en fait obligatoirement assorti d'une carte SIM bloquée sur le réseau Orange et alors qu'une simple opération de "désimlockage" engendre en l'espèce des frais plutôt dissuasifs, contrevient également à l'article 4, c, du règlement d'exemption, qui proscrit la restriction des ventes actives ou des ventes passives aux utilisateurs finals par les membres d'un système de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché;

Considérant que l'existence-même de ces clauses, telles qu'elles se révèlent à ce stade de la procédure, constitue donc un obstacle à l'exemption; qu'il n'y a pas lieu dès lors d'examiner le moyen tiré des parts de marché respectives de Apple et de Orange et de l'application de l'article 3 du règlement;

Sur l'atteinte à la concurrence

Considérant que des mesures conservatoires peuvent être décidées, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, par le Conseil de la concurrence, dans les limites de ce qui est justifié par l'urgence en cas d'atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante, dès lors que les faits dénoncés, et visés par l'instruction dans la procédure au fond, apparaissent susceptibles, en l'état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du même Code, pratique à l'origine directe et certaine de l'atteinte relevée;

Que le prononcé de mesures conservatoires n'est donc justifié que si tout d'abord, il apparait que la pratique dénoncée et visée par l'instruction est susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle;

Considérant qu'à cet égard, la décision retient à juste titre que le système de distribution mis en place par Apple, et notamment le contrat de partenariat exclusif signé entre Apple et Orange pour une durée de cinq ans, est, sous réserve de l'instruction en cours, susceptible d'être contraire aux dispositions de l'article 81 du traité CE et L. 420-1 du Code de commerce;

Qu'en effet, en vertu de ce partenariat, Orange est l'opérateur exclusif chargé par Apple de distribuer l'iPhone en France, il est également le grossiste exclusif de ce produit en France, l'exclusivité qui lui est consentie en qualité d'opérateur de réseau est renforcée dans les contrats de distribution sélective proposés par Apple à ses distributeurs agréés, qui prévoient que ceux-ci doivent offrir à la vente la gamme complète des services de téléphonie mobile pour l'iPhone d'Orange en France et que, s'ils peuvent vendre les terminaux "nus", c'est à la condition que ces derniers soient équipés d'une carte SIM bloquée sur le réseau Orange, enfin, les distributeurs agréés ne peuvent s'approvisionner qu'auprès d'Orange et ne peuvent, ni importer, ni exporter des iPhones au sein de la Communauté européenne;

Que ces exclusivités croisées, qui conduisent à ce que l'iPhone soit commercialisé uniquement avec un abonnement Orange, excluent toute commercialisation de l'iPhone dans les réseaux mono-marques des opérateurs de réseau concurrents d'Orange et imposent à un consommateur désireux d'acquérir un iPhone de souscrire simultanément un contrat chez Orange, ou d'acquitter des frais de "désimlockage" injustifiés, augmentant ainsi le coût de changement d'opérateur et, partant, rendant le contournement du monopole plus difficile ; que, d'ailleurs, le dossier révèle que ce contournement reste des plus limités, puisque, s'agissant des iPhones 3G activés chez les différents opérateurs, dont partie a d'ailleurs pu être achetée à l'étranger, SFR en a déclaré 2000 en août 2008, sur un total de 2 505 " désimlockages " enregistrés par Apple et contre 133 590 terminaux vendus par Orange au même moment (cote 2431 et suivantes), et Bouygues Télécom 2 500 en octobre 2008 (p. 73 de ses observations en réponse au recours de France Télécom et Orange), à rapprocher des 300 000 terminaux 3G qu'Orange a déclaré avoir vendus en novembre 2008; que c'est vainement également que les sociétés Orange et France Télécom prétendent que le " simlockage " auquel il est procédé au profit du réseau Orange en cas de vente d'un terminal " nu " serait normal, alors que l'ARCEP elle-même a affirmé le contraire, en rappelant que le " simlockage " ne tire sa justification que de ce qu'il permet à un opérateur ayant subventionné un terminal de recouvrer les coûts engagés lorsque le client change prématurément de fournisseur de services;

Considérant que l'exclusivité ainsi consentie à Orange, dont la durée exceptionnelle a été soulignée par l'ARCEP dans son avis (5 ans pour tous les produits de la gamme au lieu de, habituellement, 3 à 6 mois et pour un terminal donné), jointe à l'attractivité particulière du terminal, qui a vocation à bénéficier de l'effet de levier résultant de la position largement prééminente de Apple, grâce à l'iPod, sur le marché des baladeurs numériques - 48 % environ de part de marché en France en 2007 (cité page 6 de l'avis de l'ARCEP), loin devant les concurrents dont les parts respectives n'excèdent pas 10 % - et sur le marché du téléchargement payant de musique en ligne, proportionnel au parc d'iPods, étant encore souligné que les iPhones sont actuellement commercialisés par Orange à un prix inférieur à celui des iPods de capacité égale, est de nature à conférer à cet opérateur un avantage concurrentiel majeur;

Que, compte tenu de la faible intensité compétitive qui règne d'ores et déjà sur le marché des services de téléphonie mobile, tenant aux circonstances - que les requérantes ne contestent pas, que les opérateurs sont peu nombreux (3 licences et quelques MVNO), qu'ils ont pour habitude de coupler la vente de terminaux avec des engagements de durée et que les coûts de changement d'opérateurs sont élevés, cet avantage est susceptible de renforcer encore la position d'Orange sur le marché des services de téléphonie mobile et d'affaiblir un peu plus la concurrence que peuvent se faire les opérateurs sur ce marché, indépendamment du comportement antérieur de ces derniers;

Que c'est à bon escient en outre que le Conseil a retenu le risque de cloisonnement du marché qui pourrait résulter des effets cumulatifs de tels partenariats, en particulier si d'autres opérateurs choisissaient, en riposte, de se faire concéder des exclusivités similaires, risque dont SFR elle-même a confirmé la réalité, en précisant dans ses conclusions d'intervention (pages 9 et 10) qu'elle dispose d'ores et déjà d'une exclusivité d'un an sur le Blackberry Storm de RIM, conçue, précisément, dans une optique de stratégie défensive;

Que c'est donc par une appréciation pertinente que la cour fait sienne que le Conseil, se fondant comme il le devait sur les caractéristiques du marché concerné, ce que France Télécom et Orange lui reprochent à tort, a retenu qu'en l'état du dossier dont il était saisi, il existait une atteinte à la concurrence résultant du système de distribution mis en place par Apple, de nature à justifier le prononcé de mesures conservatoires, sous réserve que les autres conditions prévues par l'article L. 464-1 soient réunies;

Sur l'exemption en raison des gains d'efficience

Considérant que, si l'article 81 § 1 du traité CE interdit tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre les membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, en dérogation à cette règle, le paragraphe 3 du même article prévoit que cette interdiction peut être déclarée inapplicable aux accords qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans imposer aux entreprises des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs, ni donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence;

Que les sociétés France Télécom et Orange, qui soutiennent que l'exclusivité est justifiée par la nécessité d'amortir les investissements consentis par Orange pour le lancement de l'iPhone, par le risque particulier que représente un partenariat avec un nouvel entrant et par le fait qu'elle permet de vendre le terminal à un prix plus intéressant pour les consommateurs, prétendent que c'est à tort que le Conseil de la concurrence a considéré qu'en l'état des éléments dont il disposait à ce stade de l'instruction, l'atteinte à la concurrence sur le marché des services de téléphonie mobile résultant de l'exclusivité n'était pas compensée par des gains d'efficience au bénéfice des consommateurs;

Qu'elles font valoir qu'Orange n'a pas été en mesure, compte tenu du déclassement intervenu juste avant la séance des accords conclus avec Apple, de justifier de manière circonstanciée de l'ampleur des obligations et dépenses engagées au titre de son partenariat avec Apple et en contrepartie de son exclusivité, que ce n'est qu'en séance qu'elle a pu apporter des éléments, notamment une évaluation chiffrée à un total de 86,5 millions d'euro pour la période d'octobre 2007 à fin 2008, mais qu'elle a affiné et actualisé ses appréciations à cet égard et justifie désormais du montant de ses contreparties qui à la fin décembre 2008, ont atteint la somme de 106 millions d'euro;

Qu'elles reprochent au Conseil d'avoir refusé de tenir compte dans son appréciation des charges spécifiques de partage de revenus et de sur-subventionnement, estimant que l'exclusivité et l'ensemble de ses contreparties feraient un tout indissociable et qu'il n'y a pas lieu de mettre en doute le lien de causalité entre l'exclusivité et le niveau de subventionnement contractuellement consenti par elle (§ 65 de la décision), particulièrement élevé (310 euro ou plus de 20 % du montant pratiqué pour les autres terminaux), au bénéfice du consommateur, et soulignant en outre que, de toute façon, une situation concurrentielle ne permettra pas de faire baisser le prix des terminaux;

Qu'elles soutiennent aussi que la décision a commis une erreur manifeste en attribuant aux ventes d'iPhones l'intégralité du chiffre d'affaires des communications mobiles généré par les acheteurs de terminaux et non un revenu additionnel, ce qui revient à considérer qu'elle n'aurait pas pu conserver ou acquérir tout ou partie de ses clients ou de ces revenus sans l'iPhone;

Qu'elles objectent enfin que la décision aurait dû prendre en compte les risques particuliers pris par Orange lorsqu'elle a décidé d'investir en octobre 2007 dans un partenariat industriel avec Apple, qui ne sauraient se confondre avec les investissements spécifiques;

Mais considérant, tout d'abord, que si Orange regrettait le retrait de documents utiles à sa défense, il lui était loisible d'en solliciter le classement en annexe confidentielle, ainsi que le prévoit l'article L. 463-4 du Code de commerce ; que, de toute façon, ces circonstances sont sans emport sur la discussion puisque la cour doit procéder à son tour à un examen au fond;

Considérant qu'à cet égard, même en retenant les évaluations actuelles d'Orange - soit 106 M€ d'investissements spécifiques dont 60 millions pour l'iPhone 2G et 42 millions pour l'iPhone 3G, outre 4 millions indistinctement attribués aux deux modèles - bien qu'elle n'en justifie que par les déclarations de son directeur financier, la cour estime que l'appréciation du Conseil demeure pertinente;

Qu'en effet, en premier lieu, si, lorsqu'un distributeur a réalisé des investissements pour protéger ou bâtir l'image d'une marque ou pour lancer un produit nouveau, il doit en être tenu compte au titre des gains d'efficience dans la mesure où seule une durée contractuelle suffisamment longue peut lui assurer un retour sur investissement dans des conditions économiquement raisonnables, le Conseil objecte avec raison que ces investissements spécifiques sont de ceux qui présentent le caractère de coûts fixes, indépendamment des quantités qui seront vendues ultérieurement, et que ne sauraient donc être retenues à ce titre des dépenses ayant la nature de coûts variables, notamment celles qui sont engagées une fois la vente réalisée, comme le subventionnement du terminal 3G (54,3 M€) ou les sommes versées au titre du partage de revenus pour l'iPhone 2G (35,6 M€) ; qu'ainsi, les investissements spécifiques à prendre en compte en l'espèce s'élèvent, après déduction de ces deux postes, à 16,7 millions d'euro pour les deux modèles dont 6,6 millions d'euro pour l'iPhone 3G;

Or considérant qu'au 17 décembre 2008, Orange a déclaré avoir vendu 150 000 iPhones 2G et 450 000 iPhones 3G, qu'elle a également précisé qu'en moyenne, ses clients s'engagent pour 18 mois et dépensent mensuellement 86 € HT et qu'elle-même réalise une marge nette (EBITBA) de l'ordre de 40 % ; qu'il suit de là qu'au terme de 18 mois, les 450 000 clients ayant acheté un iPhone 3G auront permis à Orange de dégager un chiffre d'affaires de services de téléphonie de 696 600 000 euro (450 000 x 86 x 18), soit un bénéfice de 278 640 000 euro (696 600 000 x 40 %) dont il faut déduire le coût de subvention de l'iPhone (310 euro en moyenne) soit 139 500 000 euro pour 450 000 appareils, de sorte que son bénéfice net s'établit à 139 140 000 euro (278 640 000 - 139 500 000), étant précisé que, pour cette appréciation du retour sur investissement, c'est la totalité du prix de l'abonnement qu'il convient de prendre en compte et non un simple revenu additionnel puisque la vente des appareils subventionnés est conditionnée par une durée d'engagement ou de réengagement de 18 mois en moyenne;

Qu'ainsi, en moins de cinq mois, Orange s'est assurée, avec les seuls modèles 3G, un bénéfice net de près de 140 millions d'euro, pour des investissements spécifiques de 16,5 millions pour les deux modèles, ce dont il résulte que la durée d'exclusivité de 5 ans, serait-elle réduite à 3 ans par la volonté d'Apple, est largement disproportionnée au regard des investissements spécifiques consentis par Orange, étant encore souligné que ce constat demeure exact même en retenant le chiffre de 46 M€ avancé par cette dernière;

Considérant, en second lieu, s'agissant du risque, que si Apple était un nouvel entrant sur le marché des terminaux téléphoniques, Orange ne saurait nier la notoriété mondiale de cette marque en 2007 et le succès considérable que l'iPhone avait rencontré dans les pays où il avait déjà été lancé, ce que ses représentants ont d'ailleurs admis au cours de l'instruction, en relatant que le rapport de force était du côté d'Apple, qu'eux-mêmes espéraient, grâce à l'iPhone qui avait "bien marché aux Etats-Unis", attirer " un type de client technophile à fort revenu " et bénéficier d'une "retombée d'image" favorable en s'associant à "une marque qui aborde la technologie de manière simple tout en véhiculant une image d'innovation", ce qui leur paraissait important sur le marché naissant de l'Internet mobile ; qu'ainsi, le risque invoqué n'est pas démontré;

Considérant enfin, s'agissant du sur-subventionnement allégué et du profit qui en résulterait pour le consommateur, que c'est par des considérations pertinentes que la cour fait siennes que le Conseil a relevé que le fait qu'il soit contractuellement prévu n'en fait pas nécessairement la contrepartie de l'exclusivité consentie, alors que le premier contrat signé par Apple avec les opérateurs de différents pays, qu'ils soient ou non exclusifs, prévoyait une obligation de subventionnement, que le Conseil (points 32 et 33) a également constaté qu'il existait des subventionnements éminemment variables pour divers terminaux 3G, pouvant atteindre 700 euro, sans lien avéré avec une éventuelle exclusivité, et qu'en principe, le subventionnement d'un terminal trouve sa contrepartie dans la durée de l'engagement de l'utilisateur, voire dans le type de forfait choisi, ce dernier élément étant confirmé, pour ce qui est de l'iPhone 3G, par les constatations du Conseil selon lesquelles le prix de ce terminal, en juillet 2008, variait en fonction du forfait souscrit (point 34); qu'eu outre, le Conseil fait valoir à juste titre qu'il résulte du tableau produit par Orange (point 33) que des terminaux vendus par un seul opérateur ne bénéficient pas d'un niveau de subvention supérieur à ceux offerts par plusieurs opérateurs en concurrence, ce qui tend à démontrer l'absence de lien de causalité entre le niveau de subvention et l'exclusivité;

Qu'ainsi, en l'état du dossier, c'est à juste titre que le Conseil a refusé d'appliquer l'exemption prévue à l'article 81 § 3 du traité CE;

Sur l'atteinte grave et immédiate justifiant le prononcé de mesures conservatoires

Considérant qu'il a déjà été dit que l'exclusivité d'une durée exceptionnelle consentie à Orange pour la commercialisation de l'iPhone, jointe à l'attractivité particulière du terminal, est de nature à conférer à cet opérateur un avantage concurrentiel majeur qui, compte tenu de la faible intensité compétitive qui règne d'ores et déjà sur le marché des services de téléphonie mobile, est susceptible de renforcer encore sa position sur le marché des services de téléphonie mobile et d'affaiblir un peu plus la concurrence que peuvent se faire les opérateurs sur ce marché;

Considérant que cette situation porte, dès à présent, gravement atteinte aux intérêts du secteur et, simultanément, à ceux des consommateurs;

Qu'en effet, le marché du terminal en France se caractérise par une forte dynamique de renouvellement (en 2006, près d'un client français sur trois avait l'intention de renouveler son appareil dans les 12 mois, essentiellement pour disposer d'un terminal "plus moderne"), et celui du terminal multimédia en particulier, en plein développement, connaît une forte croissance : le déploiement des réseaux mobiles en haut débit est récent, des offres illimitées d'échanges de données sont apparues à la fin de l'année 2007 et le parc clients est en augmentation rapide (plus du double en un an chez Orange au 30 septembre 2008) ;

Que, de fait, l'iPhone 3G a connu en France depuis son lancement en juillet 2008 un succès spectaculaire : 35 000 articles vendus au cours des quatre premiers jours, 300 000 en quatre mois (soit 15 % des ventes brutes d'Orange), et 450 000 en cinq mois;

Qu'en l'état des éléments figurant au dossier, il peut être considéré que cette explosion, même si elle a été accentuée par les fêtes de fin d'année, compte tenu du caractère partiellement saisonnier du marché (point 213), et qu'elle est incontestablement liée à l'effet de nouveauté, ne risque pas, compte tenu du succès mondial de l'iPhone, de retomber rapidement dans des proportions significatives: en juin 2008, l'iPhone 2G était le troisième smartphone le plus vendu au monde, derrière le Blackberry de RIM, et, au troisième trimestre 2008, alors que l'iPhone 3G était le portable le plus vendu aux Etats-Unis, Apple a dépassé RIM en vendant 7 millions d'iPhone 3G, accomplissant ainsi une croissance de 523 % en un an (points 35 à 37);

Or considérant que ce développement se fait essentiellement au détriment des autres opérateurs puisque Orange elle-même a déclaré que 50 % de ses ventes d'iPhone 3G correspondaient à de nouveaux clients (point 38) ; que cette captation d'abonnés est quasiment irréversible puisque ceux-ci s'engagent en moyenne pour 18 mois et que nombre d'entre eux étaient, jusqu'à ce jour, rapidement rendus captifs d'Apple par le biais de iTunes Music Store, avec lequel ils était mis en relation directe par le logiciel iTunes, incontournable dès la phase d'activation du terminal, et dont l'emprise était décrite avec force par les professionnels (point 48 relatant les déclarations de représentants de la Fnac : " Plus les clients ont acheté des morceaux téléchargés sur iTunes (...), plus il sont captifs d'Apple ", " après 6 mois d'utilisation sur la base d'un album acheté par mois, le client est de fait captif ");

Qu'à cet égard, si Apple a annoncé son intention de lever rapidement les DRM sur 80 % du catalogue vendu sur iTunes Store, la cour relève que le communiqué qui en fait état précise aussi que les clients déjà titulaires de morceaux téléchargés pourront les convenir " au format iTunes Plus sans DRM " à condition d'acquitter 0,30 euro par chanson ou 30 % du prix de l'album ; que ce supplément de prix, sachant qu'un morceau est en moyenne vendu 0,99 euro, apparaît suffisamment élevé pour qu'il puisse d'ores et déjà être considéré que peu de ces " anciens clients " profiteront de l'opportunité ; qu'ainsi, si le nouveau dispositif dont se prévalent les sociétés Apple Inc. et Apple Sales International paraît de nature à assouplir pour l'avenir les possibilités de migration vers la concurrence de nouveaux propriétaires d'iPhone ou d'iPod, il ne saurait avoir pour effet de rendre instantanément leur liberté à l'ensemble de ceux qui, actuellement détenteurs d'un iPhone ou d'un iPod, possèdent déjà une bibliothèque musicale achetée sur iTunes Store et qui auront peu d'intérêt, dans l'immédiat, à quitter le système et à se tourner vers les opérateurs concurrents;

Considérant que l'ensemble de ces éléments caractérise l'atteinte grave et immédiate qui, en l'absence de mesures conservatoires, risque d'être portée au secteur des services de téléphonie mobile, en particulier au marché de l'Internet mobile, en pleine structuration;

Considérant en outre que cette situation est préjudiciable, aussi, aux consommateurs, actuellement privés de la liberté de choix de l'opérateur s'ils veulent acheter un iPhone et fortement incités à demeurer durablement chez Orange après un tel achat, à plus forte raison s'ils sont déjà détenteurs d'une bibliothèque musicale acquise sur iTunes Store;

Considérant enfin qu'étant observé que Orange, au moment où la décision a été rendue, avait déjà bénéficié de 14 mois d'exclusivité sur l'iPhone 2G et de 5 mois sur l'iPhone 3G et que le dossier a révélé qu'en trois mois, les investissements spécifiques qu'elle avait consentis pour l'iPhone 3G avaient été largement récupérés, les mesures conservatoires prononcées, consistant pour l'essentiel à suspendre l'exclusivité sur les modèles actuellement commercialisés ou à la limiter à trois mois sur tous les futurs modèles d'iPhone, dans l'attente de la décision au fond, apparaissent justifiées et limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les recours ne sont pas fondés et doivent être rejetés;

Et considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application en la cause des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile;

Par ces motifs, Joint les procédures enregistrées sous les numéros 08-23828 et 09-0003; Reçoit la note en délibéré déposée par les sociétés Apple Inc. et Apple Sales International le 23 janvier 2009, à l'exception de l'annexe 2 qui lui est jointe; Déclare recevables la société SFR et l'association UFC Que choisir en leurs interventions volontaires accessoires; Rejette le recours des sociétés Apple Inc. et Apple Sales International et celui des sociétés France Télécom et Orange France contre la décision du Conseil de la concurrence n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans la distribution des iPhones; Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne les sociétés Apple Inc., Apple Sales International, France Télécom et Orange France aux dépens; Vu l'article R. 470-2 du Code de commerce, dit que sur les diligences du greffier en chef de la cour, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception, à la Commission européenne, au Conseil de la concurrence et au ministre chargé de l'Economie.