CA Paris, 1re ch. H, 18 février 2009, n° 2009-01119
PARIS
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (SAS)
Défendeur :
Président du Conseil de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avoué :
SCP Gerigny-Freneaux
Avocat :
Me Philippe
S'étant saisi d'office de la pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits cosmétiques et d'hygiène corporelle puis plus spécialement des pratiques mises en œuvre par la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (ci-après la société Pierre Fabre), le Conseil de la concurrence a, par décision n° 08-D-25 du 29 octobre 2008, notifiée le 28 novembre 2008, retenu que cette société avait enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE, lui a infligé une sanction de 17 000 euro et lui a enjoint :
- article 3 : de supprimer, dans ses contrats de distribution sélective, toutes les mentions équivalant à une interdiction de vente sur Internet de ses produits cosmétiques et d'hygiène corporelle et de prévoir expressément la possibilité pour ses distributeurs de recourir à ce mode de distribution, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision. (...)
- article 4 : de transmettre à l'ensemble de ses points de vente, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision, une lettre recommandée avec accusé de réception leur annonçant les modifications apportées à leurs contrats de distribution sélective, décrites à l'article 3, en y joignant le résumé de la décision figurant au point 96 de la décision. (...)
- article 5 : si elle juge opportun d'encadrer la construction des sites Internet de son réseau de distribution en prévoyant des critères de présentation ou de configuration des sites, d'en informer le Conseil de la concurrence, sous pli recommandé, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision.
La société Pierre Fabre a formé un recours contre cette décision le 24 décembre 2008 et, par assignations délivrées le 21 janvier 2009, a saisi la cour d'une demande de sursis à l'exécution des injonctions prévues aux articles 3, 4 et 5 de la décision.
A l'audience du 9 février 2009, ont été entendus en leurs observations le conseil de la société Pierre Fabre, qui a été mis en mesure de répliquer, le représentant du Conseil de la concurrence qui s'est opposé à la demande, celui du ministre chargé de l'Economie qui s'y est déclaré favorable, proposant à tout le moins que l'injonction prévue à l'article 4 soit assortie de la mention qu'un recours a été formé contre la décision, et le Ministère public qui a estimé la demande insuffisamment étayée mais ne s'est pas opposé à la mention du recours.
Sur ce:
Attendu que, selon l'article L. 464-8 du Code de commerce, le recours n'est pas suspensif mais le Premier Président de la Cour d'appel de Paris, ou son délégué, peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entrainer des conséquences manifestement, excessives ou s'il est intervenu postérieurement à sa notification des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité;
Attendu que la société Pierre Fabre, qui conteste l'appréciation du Conseil selon laquelle "l'interdiction de vente sur Internet qui limite les ventes au sein d'un réseau de distribution sélective a nécessairement un objet restrictif de concurrence", rappelle à titre préliminaire qu'elle vend des produits de soins de parapharmacie haut de gamme des marques Klorane, Avène, Ducray et Galenic exigeant un service de conseil à l'achat délivré par un diplômé en pharmacie, ce qui constitue selon elle un motif objectif justifiant l'interdiction, conformément au point 51 des lignes directrices sur les restrictions verticales (2000-C 291-01) de la Commission européenne, et qu'elle dispose actuellement de 23 000 points de vente, ce qui exclut toute difficulté d'accès des consommateurs à ces produits; qu'elle fait valoir que la mise en œuvre de l'injonction engendrera, pour la seule création du site, un coût qu'elle situe entre 50 000 et 100 000 euro, essentiellement à sa charge, et imposera à chacun de ses distributeurs intéressés des investissements spécifiques pour garantir un niveau de qualité proche de celui des points de vente physiques d'environ 10 000 euro, dont le remboursement pourrait lui être réclamé en cas d'annulation de la décision ; qu'elle prétend encore que cette ouverture est susceptible d'entraîner un développement rapide d'un "parasitisme" au sein du réseau - en ce que les consommateurs pourraient se faire délivrer des conseils pour un produit dans un point de vente puis acheter ce même produit sur un site proposant des prix plus attractifs - avec pour corollaire immédiat une baisse généralisée du service rendu aux consommateurs et, partant une atteinte à la réputation de la marque, encore aggravée en l'espèce par la diffusion qui lui est imposée par l'article 4 d'un texte présentant une relation fallacieuse et péjorative des faits à son endroit ; qu'elle souligne aussi qu'en cas d'annulation de la décision, son image souffrirait du changement de stratégie consistant à revenir sur la commercialisation de ses produits sur Internet et estime en conséquence que, si la cour d'appel venait à annuler la décision dans quelques mois, il ne serait plus possible de compenser les effets négatifs du parasitisme qui se serait développé, ni de rétablir la réputation des produits qui aurait été inéluctablement atteinte;
Attendu qu'il est constant que l'exécution de l'injonction prévue par l'article 3 de la décision est de nature à engendrer des coûts conséquents à la charge tant de la requérante que des distributeurs éventuellement intéressés ; qu'elle est susceptible en outre de modifier substantiellement la consistance et la nature du réseau de distribution sélective tel qu'il se présente actuellement, rendant difficile voire improbable un retour à la situation antérieure en cas de réformation de la décision; que ces éléments, que la représentante de la ministre a souligné avec pertinence et alors qu'aucune urgence ne justifie l'exécution immédiate de la décision, caractérisent les conséquences manifestement excessives prévues par le texte susvisé et, compte tenu de ce que les trois injonctions sont indissociables en ce qu'elles sont toutes liées à la nécessité de consentir à la commercialisation sur Internet, commandent qu'il soit sursis à l'exécution de ces injonctions dans l'attente de la décision de la cour sur le bien-fondé du recours au fond;
Par ces motifs, Ordonnons le sursis de l'exécution des injonctions prononcées contre la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique par la décision n° 08-D-25 rendue par le Conseil de la concurrence le 29 octobre 2008, jusqu'à ce que la cour statue sur le bien-fondé du recours formé par cette société contre la décision; Disons que les dépens de la présente instance suivront le sort de ceux de l'instance au fond.