CA Paris, 5e ch. A, 6 avril 2005, n° 03-05458
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Fiat Auto France (SA)
Défendeur :
Auto Normandie Louviers (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
M. Roche, Mme Kermina
Avoués :
SCP Bernabe-Chardin-Chevillier, SCP Taze-Bernard-Broquet
Avocats :
Mes Lagrange, Schrimpf, Demaison
Par deux contrats signés le 26 novembre 1991 la société Fiat Auto France a concédé à la société Auto Normandie Louviers la représentation des marques Fiat VU et Fiat VP dans différents cantons limitativement énumérés des départements de l'Eure et de la Seine-Maritime. A la suite de la modification du règlement d'exemption applicable au secteur économique concerné deux nouveaux contrats furent signés le 26 septembre 1996 à effet au 1er octobre 1996 et pour une durée indéterminée, chacune des parties pouvant y mettre fin sous réserve du respect d'un préavis de 12 mois.
Cependant, le 29 novembre 1997, la société Fiat Auto informait la société Auto Normandie Louviers de sa décision de résilier lesdits contrats à compter du 30 novembre 1998 afin d'observer le préavis conventionnel sus mentionné.
Estimant qu'en résiliant lesdits contrats seulement sept ans après leur conclusion et sans lui avoir laissé le temps nécessaire pour amortir les investissements réalisés pour la concession la société Fiat Auto avait commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité, la société Auto Normandie Louviers a, par acte du 21 septembre 2000, assigné l'intéressée devant le Tribunal de commerce de Paris en paiement de dommages et intérêts.
Par jugement du 30 janvier 2003 le tribunal saisi, au motif que bien que ne constituant pas un abus de droit la décision de résiliation n'avait été précédée d'aucune observation et n'était donc pas " justifiée ", a condamné la défenderesse à payer à titre de dommages et intérêts 152 449,01 euro à la société Auto Normandie Louviers.
Régulièrement appelante la société Fiat Auto a, par conclusions enregistrées le 28 janvier 2005, prié la cour de:
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit non abusive la résiliation du contrat de concession,
- le réformer pour le surplus et, en particulier, en ce qu'il a alloué 152 449,01 euro, à titre de dommages et intérêts à la société Auto Normandie Louviers,
- condamner en conséquence la société Auto Normandie Louviers à lui restituer cette somme outre les intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2003,
- débouter plus généralement la société Auto Normandie Louviers de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- lui donner acte de son engagement à réception d'une facture conforme mentionnant la somme due au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation, soit 34 179,76 euro TTC, de payer à la société Auto Normandie Louviers 10 058,88 euro, après compensation avec sa propre créance sur cette dernière soit 24 120,88 euro,
- condamner la société Auto Normandie Louviers aux dépens ainsi qu'au versement de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions enregistrées le 15 décembre 2004 la société Auto Normandie Louviers a sollicité de la cour de:
- confirmer le jugement en ce qu'il a décidé que la résiliation des contrats de concession lui avait causé un préjudice,
- l'infirmer en ce qu'il a décidé que la résiliation n'était pas abusive et qu'elle même avait fait preuve de négligence,
- condamner en conséquence la société Fiat Auto à lui verser 491 649,90 euro à titre de dommages et intérêts,
en tout état de cause, lui donner acte de ce qu'elle sollicite d'ores et déjà le débouté de tous moyens et prétentions contraires aux présentes écritures et de toutes demandes additionnelles qui pourraient être développés ultérieurement par tout contestant,
- condamner la société Fiat Auto France aux dépens ainsi qu'au paiement de 4 573,47 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce
Sur la demande en dommages et intérêts formée par la société Auto Normandie Louviers
Considérant que si, en mettant fin aux contrats de concession la liant à la société Auto Normandie Louviers par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 29 novembre 1997, la société Fiat Auto n'a fait que mettre en œuvre les stipulations desdits contrats, elles-mêmes conformes aux dispositions du règlement communautaire d'exemption n° 1475-95 du 28 juin 1995, l'intimée soutient, néanmoins, que la résiliation intervenue a mis obstacle à sa propre reconversion, et, notamment, à la possibilité de céder son fonds ainsi que le crédit-bail immobilier portant sur les locaux de la concession ; qu'elle n'a pu davantage, selon ses dires, amortir puis tirer profit des investissements réalisés à la demande même du concédant; que, toutefois, si une telle résiliation peut, même si, comme en l'espèce, le préavis conventionnel de 12 mois a été respecté, revêtir un caractère abusif en raison des circonstances accompagnant la rupture et révélant un manquement à la bonne foi contractuelle exigée par l'article 1134 alinéa 3 du Code civil, il ressort des pièces versées aux débats que l'appelante n'a jamais suscité chez son concessionnaire une confiance erronée et fallacieuse dans la poursuite de la relation contractuelle les unissant ni privé d'effet utile le préavis contractuel accordé; que la société Auto Normandie Louviers n'excipe, au demeurant, d'aucun encouragement spécifique qui lui aurait été donné à l'effet de croire en la pérennité d'une relation contractuelle devant s'inscrire dans la durée ; que, par ailleurs, il sera observé que la société Fiat Auto n'a aucunement imposé à l'intimée la réalisation d'investissements inconsidérés mais a pris acte du projet immobilier personnel qu'entendait mettre en œuvre le dirigeant de cette dernière, projet concrétisé au travers de la mise en place d'une SCI et excédant au demeurant les besoins de la simple distribution des véhicules de la seule marque Fiat; que la circonstance que l'appelante ait choisi la couleur des carrelages du local de la concession et vérifié la conformité des travaux aux normes exigées n'est nullement démonstrative, contrairement aux dires de l'intimée, du caractère intrinsèquement lié à l'exploitation de la marque Fiat des travaux réalisés; que, de même, l'aide à l'investissement perçue par la société Auto Normandie Louviers de la part de la société Fiat Auto ne saurait être regardée comme une pression de celle-ci en vue de la réalisation d'une opération immobilière déterminée sauf à méconnaître directement la liberté de gestionnaire du concessionnaire, entrepreneur indépendant agissant en son nom et pour son propre compte; qu'également, si la société Auto Normandie Louviers reproche à la société Fiat Auto de l'avoir privée de la possibilité de négocier équitablement la valeur de son entreprise en résiliant le contrat de concession avant qu'elle n'ait trouvé un acquéreur, il échet de rappeler que le concédant n'est pas tenu d'une obligation d'assistance à son concessionnaire en vue de sa reconversion et qu'ainsi l'appelante n'avait pas à retarder la notification de la résiliation litigieuse en la seule attente de l'éventuelle cession de son fonds par la société Auto Normandie Louviers alors, surtout, que la longueur susmentionnée du préavis ne pouvait que faciliter la préservation des actifs de celle-ci et la reprise de la concession ; qu'enfin, la société intimée n'était, en tout état de cause, pas tenue de motiver sa décision de rompre un contrat à durée indéterminée et l'appréciation des motifs donnés ultérieurement par celle-ci est sans influence sur le bien-fondé de la résiliation elle-même ; que, dans ces conditions et contrairement aux énonciations du jugement déféré, l'examen des circonstances de l'espèce ne révèle aucun manquement de la part du concédant à son obligation de bonne foi et de loyauté contractuelle susceptible d'engager sa responsabilité vis-à-vis de son concessionnaire sur le fondement de l'article 1134 alinéa 3 du Code civil ; qu'il échet, par suite, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de débouter la société Auto Normandie Louviers de l'ensemble de ses prétentions et de donner acte, en revanche, à la société Fiat Auto de son engagement, à réception d'une facture conforme mentionnant la somme due au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation, de verser à l'intimée la somme de 10 056,88 euro après compensation avec la créance dont elle excipe de 24 120,88 euro;
Sur la demande en restitution des fonds versés au titre de l'exécution provisoire
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner l'intimée à rembourser à l'appelante les fonds versés par celle-ci au titre de l'exécution provisoire assortissant le jugement infirmé et de dire que les intérêts assortissant la somme restituée ne sont dûs qu'à compter de la signification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution;
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de ne pas faire droit à la demande formée par l'appelante sur le fondement de l'article susvisé;
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme, Au fond, Infirme le jugement en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau, Déboute la société Auto Normandie Louviers de l'ensemble de ses demandes, Ordonne à cette dernière de restituer la somme versée par la société Fiat Auto au titre de l'exécution provisoire du jugement infirmé et dit que celle-ci sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt, Donne acte à la société Fiat Auto de son engagement, à réception d'une facture conforme mentionnant la somme due au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation, de verser à l'intimée la somme de 10 056,88 euro après compensation avec la créance dont elle excipe de 24 120,88 euro, Condamne la société Auto Normandie Louviers aux entiers dépens de première instance et d'appel avec, pour ces derniers, droit de recouvrement direct au profit de la SCP Bernabe-Chardin-Chevillier, avoué, Rejette la demande présentée par la société Fiat Auto au titre des frais hors dépens.