DĂ©cisions

Conseil Conc., 27 fĂ©vrier 2009, n° 09-D-10

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

DĂ©cision

Relative à des pratiques mises en Ɠuvre dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Combaldieu, par Mme Perrot, vice-présidente, présidente de séance, Mmes Behar-Touchais, Xueref, M. Honorat, Membres

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 18 septembre 2006, sous le numéro 06/0061 F, par laquelle la société Compagnie Méridionale de Navigation (ci-aprÚs : " CMN " ou " Méridionale ") a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la Société Nationale maritime Corse-Méditerranée (ci-aprÚs : " SNCM "), de la Collectivité Territoriale de Corse (ci-aprÚs : " CTC ") et de l'Office des transports de la Corse (ci-aprÚs : " OTC ") qu'elle estime anticoncurrentielles et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu la lettre, enregistrée, le 23 octobre 2006 sous le numéro 06/0072 F par laquelle la société Corsica Ferries (ci-aprÚs : " CF ") a saisi également le Conseil de la concurrence de pratiques de la société SNCM, qu'elle estime anticoncurrentielles et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu la décision de jonction du rapporteur général du 23 octobre 2006 ; Vu la décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006, par laquelle le Conseil de la concurrence a statué sur la demande de mesures conservatoires des sociétés CMN et CF ; Vu la décision du 25 juillet 2008 du président du Conseil de la concurrence, disposant que l'affaire fera l'objet d'une décision du Conseil sans établissement préalable d'un rapport ; Vu les articles 81 et 82 du traité ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les entreprises SNCM, CMN, CF et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres piÚces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la Société Nationale maritime Corse Méditerranée, de la compagnie Méridionale de Navigation, de Corsica Ferries entendues lors de la séance du Conseil de la concurrence du 9 décembre 2008 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. RAPPEL DU CONTEXTE

1. Dans leurs saisines en date des 18 septembre et 23 octobre 2006, la Compagnie MĂ©ridionale de Navigation (CMN) et la sociĂ©tĂ© Corsica Ferries ont reprochĂ© notamment Ă  la SNCM d'avoir abusĂ© de sa position dominante en dĂ©posant, en violation du droit national (articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce) et communautaire (articles 81 et 82 du traitĂ© instituant la communautĂ© europĂ©enne) de la concurrence, une offre globale et indivisible qui ne pouvait, selon les saisissantes, avoir d'autre objet ni d'autre effet que d'Ă©liminer toute concurrence pour l'attribution de la dĂ©lĂ©gation de service public envisagĂ©e par la collectivitĂ© territoriale de Corse pour assurer la continuitĂ© territoriale entre Marseille et les ports corses, puisque aucune autre compagnie Ă©tait selon elles Ă  mĂȘme de dĂ©poser une offre pour l'intĂ©gralitĂ© des lignes.

2. Les deux sociétés avaient assorti leurs saisines au fond de demandes de mesures conservatoires en application de l'article L. 464-1 du Code de commerce.

3. Dans sa dĂ©cision n° 06-MC-03 du 11 dĂ©cembre 2006, le Conseil de la concurrence a considĂ©rĂ© que, dans la mesure oĂč aucune compagnie ou groupement de compagnies ne pouvait raisonnablement dĂ©poser dans les dĂ©lais requis une offre portant sur l'ensemble des lignes de nature Ă  concurrencer une offre globale de la SNCM, cette derniĂšre, en dĂ©posant une offre globale et indivisible, Ă©tait susceptible d'avoir commis un abus de sa position dominante prohibĂ© par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traitĂ© CE.

4. Compte tenu de l'urgence liĂ©e au dĂ©roulement mĂȘme de l'appel d'offres, le Conseil de la concurrence a enjoint Ă  la SociĂ©tĂ© Nationale Corse MĂ©diterranĂ©e (SNCM) :

- en premier lieu, d'indiquer à l'office des transports de la Corse le montant ferme de la subvention sur lequel elle s'engage ligne par ligne dans l'offre qu'elle a déposée ;

- en deuxiĂšme lieu, de faire droit, dans les mĂȘmes quarante-huit heures, Ă  toute demande de l'office permettant Ă  ce dernier d'Ă©valuer le montant demandĂ©, de maniĂšre ferme, pour les offres groupĂ©es qu'il souhaiterait Ă©tudier ;

- en troisiÚme lieu, de préciser explicitement à l'office qu'elle ne s'oppose ni à un examen par ce dernier, dans des conditions assurant le respect effectif de l'égalité de traitement entre les différentes candidatures, de son offre ligne par ligne ou regroupée, selon les critÚres auxquels entend recourir l'office, ni - au terme de cet examen - à la possibilité d'une attribution partielle de la délégation ;

- en dernier lieu, de s'abstenir de signer tout projet de contrat qui lui serait proposé pour une nouvelle délégation de service public relative à la desserte maritime de la Corse à partir de Marseille tant qu'elle n'aura pas justifié, par une lettre adressée au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, avoir exécuté l'injonction prononcée.

B. LE SECTEUR

5. Le secteur concerné est celui du transport maritime entre la Corse et le continent. Ce dernier est assuré, comme indiqué dans la décision n° 06-MC-03, par six compagnies maritimes (SNCM, CMN, Corsica Ferries, Moby, Lauro, Saremar) qui desservent l'ßle à partir de neuf ports (Marseille, Toulon, Nice, quatre ports situés sur le continent italien et deux en Sardaigne).

6. En 2007, selon l'Observatoire régional des transports de la Corse (ORTC), plus de 4 millions de passagers ont rejoint ou quitté la Corse par bateau. Le flux de passagers a évolué comme suit :

<emplacement tableau>

7. La répartition par port et par mois en 2007 s'est faite comme suit :

<emplacement tableau>

8. Le trafic de passagers entre la Corse et le continent est caractérisé par une forte saisonnalité. Ainsi, la saison touristique, qui s'entend du mois de mai au mois de septembre, représente 77 % des trafics maritimes annuels de la Corse et deux tiers des trafics passager estivaux sont assurés par voie maritime (source ORTC, www.ortc.info ).

9. Concernant le fret, 1 833 530 mÚtres linéaires ont été acheminés en 2007 (soit 6,8 % de plus qu'en 2006) vers la Corse au départ des ports de Nice, Toulon et Marseille. En 2006, selon l'ORTC, l'axe Marseille-Corse a drainé 1,44 million de mÚtres linéaires de fret, loin devant Toulon (250 000 mÚtres linéaires environ).

C. LES ACTEURS DU SECTEUR

1. L'OFFICE DES TRANSPORTS DE LA CORSE ET LA COLLECTIVITÉ TERRITORIALE DE CORSE

10. La collectivité territoriale de Corse est une personne morale de droit public à statut particulier issue de la transformation en 1991 de la région Corse créée par la loi de décentralisation de 1982. Cette collectivité constitue une collectivité territoriale de la République à part entiÚre. Son organisation institutionnelle est unique. Elle comporte trois entités : l'Assemblée de Corse, le président du conseil exécutif et le conseil économique, social et culturel de Corse.

11. L'office des transports de la Corse (OTC), crĂ©Ă© par la collectivitĂ© territoriale de Corse le 26 mai 1992, est chargĂ© de la mise en Ɠuvre de la politique des transports aĂ©riens et maritimes de l'Ăźle. ConstituĂ© sous forme d'un Ă©tablissement public Ă  caractĂšre industriel et commercial, il est prĂ©sidĂ© par un conseiller exĂ©cutif, et son conseil d'administration est composĂ© d'Ă©lus de l'assemblĂ©e de Corse, mais Ă©galement de divers acteurs de la sociĂ©tĂ© civile, (transporteurs, syndicalistes, membres des chambres consulaires, reprĂ©sentants des conseils gĂ©nĂ©raux, etc.).

12. Ses missions sont de gérer l'enveloppe de continuité territoriale destinée à réduire le coût du transport Corse - continent et de répartir les crédits entre les deux modes de transport aérien et maritime. A ce titre, c'est l'office qui conclut avec les compagnies de transport, délégataires du service public, des conventions définissant les tarifs, les conditions d'exécution et la qualité du service ainsi que les modalités de contrÎle.

13. L'office des transports de la Corse publie sur son site internet la répartition des dépenses de continuité territoriale allouées chaque année : 177,56 millions d'euro ont été dépensés par la collectivité territoriale de Corse au titre de la seule année 2006, dont 116,92 millions pour le mode maritime et 60,64 millions pour l'aérien.

14. Le principal poste de dépenses demeure la délégation de service public maritime pour les lignes Marseille-Corse : les deux-tiers de l'enveloppe de continuité territoriale, soit 100,42 millions au total en 2006, sont répartis chaque année entre la CMN (15,6 %, soit 27,69 millions en 2006) et la SNCM (41,0 %, soit 72,73 millions).

2. LA COMPAGNIE MÉRIDIONALE DE NAVIGATION (DÉSIGNÉE AUSSI SOUS LE NOM DE MÉRIDIONALE OU DE CMN)

a) Présentation générale de la Méridionale

15. La CMN est un armement privé fondé en 1931, ayant son siÚge social à Marseille, qui a pour activité principale la desserte maritime de la Corse (fret et passagers), ainsi que de la Sardaigne.

16. La CMN est contrÎlée par la Compagnie Méridionale de Participations (CMP) qui détient 53,1 % de son capital et de ses droits de vote, le solde étant détenu pour 45 % par la Société Nationale Maritime Corse Méditerranée (SNCM) et pour 1,9 % par ses salariés.

17. La CMP est elle-mĂȘme dĂ©tenue Ă  55 % par la SociĂ©tĂ© de travaux industriels et maritimes d'Orbigny (ci-aprĂšs : " STIM d'Orbigny "), filiale du groupe STEF-TFE, et Ă  45 % par la Compagnie GĂ©nĂ©rale de Tourisme et d'HĂŽtellerie (CGTH), filiale Ă  100 % de la SNCM.

18. Spécialisée à l'origine dans le transport du fret et plus particuliÚrement dans le transport de produits pétroliers, la CMN transporte des marchandises conventionnelles au départ de Marseille vers les ports corses de Bastia, Ajaccio et Propriano et vers Porto TorrÚs, en Sardaigne.

19. Depuis 1988, et à la demande de l'OTC, la compagnie privée s'est dotée de navires mixtes, c'est-à-dire aptes à transporter des passagers et leurs véhicules, en sus des remorques routiÚres contenant des marchandises diverses.

20. La CMN emploie environ 439 personnes au total, dont prĂšs de 30 % en Corse.

21. En sus d'agents portuaires, La Méridionale s'est dotée d'un réseau de distribution de plus de 1 000 agences de voyages sur l'Europe entiÚre.

22. En 2005, le chiffre d'affaires de la CMN s'Ă©levait Ă  75 millions d'euro, dont 27 millions d'euro de compensations financiĂšres. En 2007, ce chiffre d'affaires est de 80,2 millions d'euro, dont 28 millions de subventions.

b) La CMN et la desserte maritime de la Corse

23. Dans le cadre du contrat de continuité territoriale couvrant la période 2002-2006, la desserte assurée par la CMN s'effectue en complémentarité avec celle de la SNCM pour ce qui est du service public dit " de base ".

24. Celui-ci consiste en une desserte à l'année de l'ensemble des ports corses (à l'exception de Bonifacio), que ce soit pour le transport du fret ou pour celui des passagers, au départ de Marseille, à bord de cargos mixtes.

25. Bien que la capacité passagers des cargos mixtes de la CMN ait été revue à la hausse dans le cadre de la nouvelle concession débutée en 2002, ces navires ont une capacité passagers moindre que celle des ferries traditionnels (200 à 550 passagers, contre plus de 2 000 pour certains ferries).

26. Compte tenu de la coordination de la desserte entre SNCM et CMN, cette derniĂšre n'opĂšre en fait qu'au dĂ©part des ports corses de Bastia, Ajaccio et Propriano. Lors des arrĂȘts techniques de navires de la SNCM, la CMN peut ĂȘtre amenĂ©e Ă  desservir pour des pĂ©riodes de courte durĂ©e (en gĂ©nĂ©ral 3 semaines) la ligne Marseille/Porto-Vecchio.

27. Le transport du fret vers Marseille au départ de Porto-Vecchio et des ports balanins (Calvi et Ile Rousse) échoit quasi-exclusivement à la SNCM.

28. DeuxiÚme transporteur de fret de l'ßle, juste derriÚre la SNCM, la compagnie a convoyé 703 000 km de fret linéaire en 2004 ainsi que plus de 212 000 passagers sur la Corse. En 2005, la Méridionale a transporté sur les lignes corses 728 km de fret, 195 650 passagers et leurs 3 800 voitures.

29. Elle assure toute l'année 18 à 20 traversées par semaine entre la Corse et le continent ainsi que 4 traversées par semaine entre la Sardaigne et le continent, via Propriano ou Ajaccio.

30. L'ensemble des trois navires que compte la CMN est affecté au service public de la Corse au départ de Marseille, pour lequel la CTC lui accorde une dotation destinée à compenser les surcoûts des obligations de service public, en particulier les tarifs plafonnés imposés pour le fret et les passagers.

c) La flotte

31. La flotte de la CMN se compose comme suit :

- le " Kalliste " est un cargo mixte d'une nouvelle génération et de grande capacité (2 340 mÚtres linéaires de fret), principalement entre Marseille et Bastia. Transformé en 2002, il peut transporter 496 passagers en cabines + 50 passagers en fauteuil, en fret 1 878 mÚtres linéaires de fret + 150 voitures passagers + 80 voitures de commerce ;

- le " Scandola " est un cargo mixte d'une capacité de 277 passagers cabines (pas de fauteuil), de 1 317 mÚtres linéaires de fret et de 55 voitures passagers. Il navigue sur Propriano et la Sardaigne ;

- le " Girolata " est un cargo mixte d'une capacité de 766 cabines passagers et de 50 fauteuils pouvant également transporter 1 495 mÚtres linéaires de fret, 150 voitures passagers et 80 voitures de commerce (neuves). Il a remplacé depuis 1992 le Santa Regina et assure les lignes Ajaccio et Propiano.

3. CORSICA FERRIES

a) Présentation générale de Corsica Ferries

32. La société Corsica Ferries, fondée en 1968 par l'armateur bastiais Pascal Lota sous le nom de Corsica Line, est spécialisée dans le transport des passagers et de leurs véhicules.

33. Tout au long des annĂ©es 1970, la flotte de la compagnie s'est Ă©toffĂ©e pour gagner en capacitĂ©. De nouvelles lignes ont Ă©tĂ© expĂ©rimentĂ©es entre l'Italie (San Remo, Imperia, Savona, GĂȘnes, La Spezia, Livourne) et les ports de Bastia, Ile Rousse et Calvi.

34. En 1981, a été créée la marque Sardinia Ferries, qui dessert des lignes entre l'Italie et la Sardaigne (vers le port d'Olbia, remplacé, à partir de l'été 1990, par celui de Golfo Aranci), d'abord au départ de Livourne, puis aussi de Civitavecchia à compter de 1996.

35. Ainsi, la compagnie s'est développée, d'abord depuis l'Italie puis à partir des ports français à compter de 1996.

36. Actuellement, la holding Lota Maritime, elle-mĂȘme possĂ©dĂ©e par une sociĂ©tĂ© holding familiale Ă  GenĂšve, la sociĂ©tĂ© Lozali, dĂ©tient 99,9 % de la sociĂ©tĂ© CF France SAS, 99,99 % de la sociĂ©tĂ© Forship SPA qui exploite les lignes maritimes Ă  destination de la Sardaigne et qui met Ă  disposition de la sociĂ©tĂ© Corsica Ferries France SAS des navires (rachat de la participation minoritaire en dĂ©cembre 2007) et 99,17 % de l'Entreprise gĂ©nĂ©rale maritime (EGM) qui est une sociĂ©tĂ© de manutention portuaire Ă©tablie Ă  Bastia.

37. Au moment des faits, Corsica Ferries desservait au total onze lignes, dont six entre la Corse et le continent français, trois entre la Corse et l'Italie et deux entre la Sardaigne et le continent italien. En saison, elle assurait jusqu'à six allers-retours par jour sur la Sardaigne et jusqu'à douze sur la Corse.

38. Elle s'est dotée d'un réseau d'agences commerciales dans les principales villes (Paris, Lyon et Marseille) et ports desservis (Bastia, Toulon, Nice) et de nombreuses représentations en Europe.

39. La compagnie emploie jusqu'à 300 personnes en Corse sur les 1 300 employés qu'elle compte au total en saison. La plupart des navigants sont de nationalité italienne, les navires battant pavillon italien.

40. En 2005, Corsica Ferries France a réalisé un chiffre d'affaires de 132 millions d'euro, (et 121 millions d'euro pour Forship Spa).

41. Le chiffre d'affaires global réalisé, au titre de l'année 2007, par la société Corsica Ferries France SAS est de 155,6 millions d'euro. Celui de la société Forship Spa est de 132,3 millions d'euro. Le chiffre d'affaires consolidé est de 192,2 millions d'euro en 2006.

b) Corsica Ferries et la desserte maritime de la Corse

42. En 2002, Corsica Ferries a transporté plus de 1,6 million de passagers, devant la SNCM. Devenue premier transporteur de l'ßle de passagers, tous modes de transport confondus, Corsica Ferries a transporté 2 630 000 passagers en 2004, dont 1 800 000 sur la Corse.

43. Pendant la période estivale, Corsica Ferries est la compagnie qui offre le plus grand nombre de départs quotidiens vers la Corse (jusqu'à douze départs par jour en 2006).

44. La compagnie assure aussi toute l'année la desserte de Nice, depuis 1999, et de Toulon, depuis décembre 2000, contribuant ainsi fortement au développement récent du trafic passagers de la Corse hors saison.

45. Grùce à la contribution de l'Assemblée de Corse, qui définit la politique des transports de l'ßle, elle bénéficie de subventions " au passager social " qui sont directement reversées à ses clients des lignes de Toulon et Nice. Par ce canal, les clients de la compagnie ont bénéficié d'environ 10 millions d'euro de réduction de tarifs en 2004, le tarif de base d'un Toulon-Corse ou d'un Nice-Corse passant ainsi de 20 euro à 5 euro (hors taxes et droits de ports et hors suppléments éventuels pour installations ou pour navires express). Le montant total des réductions accordées s'est élevé en 2007 à 16 millions d'euro.

c) La flotte

46. La société Corsica Ferries armait, au moment des faits, 2 NGV (Navire à grande vitesse), 5 car ferries traditionnels, dont 4 sur la Corse, et 2 Car ferries Mega express (II et III) dont les caractéristiques sont les suivantes :

<emplacement tableau>

4. LA SNCM

a) Présentation générale de la SNCM

47. La SNCM est une compagnie maritime qui assure des liaisons réguliÚres vers la Corse et vers le Maghreb (Tunisie et Algérie) au départ de la France, ainsi que des liaisons saisonniÚres, d'avril à septembre, vers la Sardaigne.

48. La SNCM opÚre dans le domaine du transport des passagers, des véhicules et du fret en Méditerranée occidentale. Toute l'année, ses navires, battant pavillon français, assurent des services réguliers entre le continent français au départ de Nice, Toulon et Marseille et la Corse et des liaisons internationales vers la Sardaigne, la Tunisie et l'Algérie, principalement au départ du port de Marseille.

49. La SNCM Ă©tait jusqu'en mai 2006 dĂ©tenue Ă  80 % par la Compagnie gĂ©nĂ©rale maritime et financiĂšre (CGMF) et Ă  20 % par la SociĂ©tĂ© nationale des chemins de fer (SNCF). La CGMF, dont l'État français dĂ©tient directement 100 % du capital, a pour objet social d'autoriser toute opĂ©ration de transport maritime, d'armement et d'affrĂštement de navires et toute prise de participations et toute opĂ©ration commerciale ou industrielle se rattachant directement ou indirectement Ă  cet objet social.

50. Le déroulement de l'histoire de la SNCM est jalonné de difficultés financiÚres et sociales qui ont conduit l'Etat à accorder plusieurs plans d'aide au sauvetage à cette entreprise publique. Le statut de l'entreprise a été modifié le 29 septembre 2005 : a été prévue la cession de 75 % des parts au secteur privé (38 % au fonds d'investissement Butler Capital Partners, 28 % à Veolia Transport, qui deviendra l'opérateur industriel de la société, et 9 % à ses salariés). Le 10 novembre 2008, Butler Capital Partners a cédé ses parts à Veolia Transport qui détient donc actuellement 66 % des parts.

51. Le transfert de la SNCM au secteur privĂ© a Ă©tĂ© autorisĂ© par le dĂ©cret n° 2006-606 du 26 mai 2006, aprĂšs recapitalisation de la sociĂ©tĂ© par un plan d'aide que l'État a soumis au contrĂŽle de la Commission europĂ©enne.

52. En aval, la SNCM contrĂŽle les filiales suivantes :

- la société Les Comptoirs du Sud, détenue à 100 % par l'intermédiaire de la société holding Compagnie Générale de tourisme et d'hÎtellerie (CGTH) ; cette société gÚre l'ensemble des boutiques situées à bord des navires de la SNCM ;

- la société Sud-Cargos, contrÎlée conjointement avec la société de transport Delmas, est spécialisée dans le transport de marchandises à destination ou en provenance du Maghreb ;

- la société Ferrytour, détenue à 100 %, exerce le métier d'organisateur de voyages ; elle a réalisé en 2005 un chiffre d'affaires de 6 millions d'euro ;

- la société Aliso Voyages exploite un réseau de 18 agences de voyages qui assurent 8,5 % des ventes de la SNCM ; elle a réalisé en 2005 un chiffre d'affaires de 45,6 millions d'euro ;

- la société Sara, détenue à 100 %, assure l'avitaillement des navires de la SNCM ainsi que la logistique des Comptoirs du Sud ; elle a réalisé en 2005 un chiffre d'affaires de 6,6 millions d'euro.

53. La compagnie est située à Marseille et compte jusqu'à 2 300 salariés.

54. En 2004, sur l'ensemble de ses lignes, la SNCM a transporté au total 1 238 000 passagers et 795 000 mÚtres linéaires de fret (dont 936 000 passagers et 719 000 mÚtres linéaires de fret sur la Corse) réalisant un chiffre d'affaires de 194 millions d'euro, pour une subvention au titre de la continuité territoriale de 63 millions d'euro versée annuellement par la collectivité territoriale de Corse. Le chiffre d'affaires global de la SNCM (subventions comprises) s'est élevé en 2006 à 249 millions d'euro et en 2007 à 296 millions.

55. La subvention de continuité territoriale reçue par la SNCM a évolué comme suit : 66,4 millions d'euro de subventions en 2005, 75,2 millions d'euro en 2006 et 73,7 millions d'euro en 2007.

b) La SNCM et la desserte maritime de la Corse

56. Dans le cadre du contrat de continuité territoriale couvrant la période 2002-2006, la desserte de la SNCM s'étend à la quasi-totalité des ports de Corse, à savoir Ajaccio, Bastia, Calvi, Ile Rousse, Propriano et Porto-Vecchio.

57. Le systÚme d'aide aux passagers bénéficie également à la SNCM au départ de Nice (port au départ duquel la compagnie a basé son navire à grande vitesse (NGV) " Liamoné "), ou plus précisément à ses passagers, pour un montant de prÚs de 4 millions d'euro en 2004.

c) La flotte

58. Sur les 10 navires que compte la compagnie, 6 sont affectés au service public de la Corse au départ de Marseille : 4 cargos mixtes pour le transport du fret et des passagers toute l'année (service dit " de base ") auxquels s'ajoutent 2 cruise-ferries au départ de Marseille pour les passagers et leurs véhicules en saison et pendant les vacances scolaires (service dit " complémentaire ").

Ils se répartissent ainsi :

- pour Nice/ Corse hors délégation de service public : le " Liamone " (NGV) ;

- pour les lignes à destination de l'Afrique du nord, trois ferries : " le Méditerranée ", " le Corse " et " l'Ile de Beauté " ;

- pour les liaisons Marseille/Corse pendant la période 2002-2006 : les navires figurant sur le tableau ci-aprÚs

<emplacement tableau>

D. LA CHRONOLOGIE DES ÉVÈNEMENTS ET LA PRATIQUE CONSTATÉE

1. LA CHRONOLOGIE DES ÉVÈNEMENTS

59. Par délibération n° 06/22 AC du 24 mars 2006, l'Assemblée territoriale de Corse, organe délibérant de la collectivité territoriale de Corse (CTC), a adopté le " principe de l'organisation générale de la desserte maritime de service public entre le port de Marseille et les ports corses à compter du 1er janvier 2007 ".

60. Par la mĂȘme dĂ©libĂ©ration, l'AssemblĂ©e territoriale a donnĂ© mandat au prĂ©sident de l'office des transports de la Corse (OTC) aux fins de lancer, au nom de la CTC, la procĂ©dure d'appel d'offres, de procĂ©der Ă  l'instruction technique des dossiers et d'assister la CTC pour l'attribution des dĂ©lĂ©gations de service public.

61. Ce contrat fixait des obligations à l'année qui s'appliquent aux liaisons au départ de Marseille vers les 5 destinations corses (Bastia, Ajaccio, Porto-Vecchio, Propriano et Balagne), tant pour le fret que pour les passagers. Il précisait aussi des obligations ponctuelles qui s'appliquent aux liaisons au départ de Marseille vers les destinations de Bastia et d'Ajaccio, à certaines périodes de l'année (vacances scolaires de Noël, février, printemps, été et automne), uniquement pour les passagers. La durée était de six années, à compter du 1er janvier 2007, mais les candidats répondant à l'appel d'offres avaient également la possibilité de proposer une option économique portant sur un contrat d'une durée de sept ans.

62. Le 27 mai 2006, un avis d'appel à la concurrence a été publié au Journal officiel de l'Union européenne. Cet avis a fixé au 4 août 2006, à 17 heures, la date limite de dépÎt des offres. Veolia a demandé à la CMN de déposer une offre commune avec la SNCM.

63. Cet appel d'offres trouve en réalité sa source dans le processus de privatisation de la SNCM qui a débuté en janvier 2005. En effet, au cours de cette privatisation, le Gouvernement a consenti à Butler Capital Partners et à Veolia :

- une clause rĂ©solutoire Ă  la cession des parts si le cahier des charges de la nouvelle dĂ©lĂ©gation de service public entre le port de Marseille et les ports de Corse, qui devait ĂȘtre adoptĂ© par l'assemblĂ©e de Corse, n'Ă©tait pas similaire au cahier des charges de la prĂ©cĂ©dente dĂ©lĂ©gation,

- une clause de retour qui leur permet de sortir du capital de la SNCM et de revenir ainsi à l'état antérieur si la délégation de service public n'était pas renouvelée, dans sa totalité, au profit de cette société.

64. En juin 2006, des négociations ont été engagées entre Veolia et la CMN pour déposer auprÚs de l'OTC une réponse commune et pour la vente des participations des sociétés en cause. Une semaine aprÚs, la société Veolia a informé la CMN qu'elle ne céderait pas ses participations et a réitéré sa demande d'une réponse commune. Fin juin, de nouvelles négociations permettant un échange de participations croisées ont été engagées et la CMN a établi un projet d'accord de coopération qui n'a pas abouti pas. Le 4 juillet 2006, les négociations ont été rompues par Veolia et CMN a décidé de déposer seule des offres pour certaines lignes et de s'allier à Corsica Ferries pour d'autres.

65. Dans ce contexte, le 4 août 2006, quatre offres ont été déposées au siÚge de l'OTC :

- une offre globale et indivisible de la SNCM portant sur l'ensemble des lignes ;

- une offre de la société Corsica Ferries comportant différentes options et portant alternativement sur les lignes Marseille/Bastia, Marseille/Ajaccio, Marseille/Balagne, Marseille/Propriano et Marseille/Porto-Vecchio ;

- une offre de la Compagnie méridionale de navigation (CMN) portant sur six propositions individuelles différentes, s'excluant mutuellement et comprenant des services permanents (toute l'année, tous les jours) ou des demi-services permanents (toute l'année, un jour sur deux) ou des services complets, permanents et supplémentaires (toute l'année, tous les jours et avec les périodes de pointe) ;

- et, enfin, une offre d'un groupement momentané constitué par la société Corsica Ferries et la CMN portant alternativement soit sur les lignes Marseille/Bastia et Marseille/Propriano, soit sur les lignes Marseille/Ajaccio et Marseille/Propriano.

66. Le 7 août 2006, la Commission d'ouverture des plis mentionnée à l'article L. 1411-5 du CGCT a ouvert les enveloppes extérieures des offres et a admis les offres individuelles de Corsica Ferries soit sur la ligne de Balagne, soit sur celle de Porto-Vecchio et l'offre globale de la SNCM. Elle a écarté les offres individuelles et l'offre commune de la CMN et de Corsica Ferries.

67. Les 19 septembre et 23 octobre 2006, la CMN et Corsica Ferries ont saisi le Conseil de la concurrence, notamment de pratiques d'abus de position dominante de la SNCM par le dépÎt d'une offre globale et indivisible en réponse à l'appel d'offres et le 5 octobre 2008, Corsica Ferries a saisi le tribunal administratif de Bastia de deux référés contractuels, le premier en sa qualité de membre du groupement momentané constitué avec la CMN, le second en sa qualité de candidat individuel.

68. Le 15 décembre 2006, le Conseil d'Etat a annulé la délégation de service public litigieuse en considérant : " que, si le rÚglement particulier de l'appel d'offres autorise la présentation d'une offre globale pour l'ensemble des lignes faisant l'objet de la délégation, il exige des candidats qu'ils fournissent dans l'enveloppe contenant les offres des indications sur les moyens spécifiques prévus pour l'exécution du contrat, notamment les navires mis en place et le montant des compensations financiÚres demandées année par année ainsi qu'un compte d'exploitation prévisionnel pour chacune des années faisant apparaßtre en particulier les coûts poste par poste pour chaque ligne déléguée ; (...) que l'offre de la SNCM comportait des comptes d'exploitation prévisionnels globaux et annonçait la présentation d'un compte prévisionnel par ligne qui n'incluait pas les charges à terre et les charges en capital ; que cette offre, qui se présentait comme indivisible, n'indiquait pas non plus les navires que la SNCM entendait affecter à chaque ligne et comptait au nombre des navires mis en place des bùtiments qui n'étaient pas désignés ; que cette absence d'informations précises sur des postes essentiels des comptes d'exploitation prévisionnels par ligne et sur les moyens nautiques affectés à ces lignes, rendait impossibles pour l'autorité représentant la collectivité délégante, au moment de choisir les opérateurs économiques avec lesquels elle souhaitait entamer la négociation, l'appréciation de la conformité de cette offre au cahier des charges de la délégation ainsi que toute comparaison utile, ligne par ligne, avec les offres présentées par les autres candidats qui portaient seulement, comme l'autorise le rÚglement de la consultation, sur l'exploitation de certaines de ces lignes ; (...) que, par suite, la société Corsica Ferries est fondée à demander l'annulation du choix de ce président d'ouvrir des négociations avec la SNCM ".

69. Le 17 octobre 2006, le tribunal de commerce de Paris a donnĂ© satisfaction Ă  la SNCM, contraignant par lĂ  mĂȘme STEF TFE Ă  cĂ©der une partie de ses actions Ă  la SNCM qui devient majoritaire. STEF a fait appel de cette dĂ©cision.

70. Le 31 octobre 2006, le premier prĂ©sident de la Cour d'appel de Paris, saisi d'une requĂȘte de la CMN, a suspendu l'exĂ©cution provisoire de la dĂ©cision du tribunal de commerce de Paris du 17 octobre.

71. Le 22 dĂ©cembre 2006, la Cour d'appel de Paris, statuant au fond, a infirmĂ© le jugement du tribunal de commerce de Paris du 17 octobre 2006. Cet arrĂȘt a Ă©tĂ© confirmĂ© par la Cour de cassation le 6 novembre 2007.

72. Le 6 février 2007, la Cour d'appel de Paris a déclaré irrecevable le recours de la SNCM contre la décision n° 06-MC-03. Elle a jugé que le fait que " l'offre n'existe plus au jour du recours a pour objet de rendre la saisine de la cour et partant les demandes de la SNCM dépourvues d'objet ".

73. Le 8 juillet 2008, la Commission EuropĂ©enne a approuvĂ© les mesures prises par la France en faveur de la SNCM en estimant que l'apport en capital de l'État français, notifiĂ© en 2002, Ă©tait compatible avec le marchĂ© commun.

2. LE COMPORTEMENT DE LA SNCM DANS SA RÉPONSE À L'APPEL D'OFFRES

74. L'appel d'offres de la collectivité corse prévoyait la possibilité de proposer une offre globale puisque les dispositions financiÚres du rÚglement particulier d'appel d'offres précisaient : " les candidats présentant une offre globale, en conformité avec leurs possibilités et qui seront de nature à optimiser la desserte de l'ßle dans son ensemble, bénéficieront d'une prise en compte privilégiée, ce qui n'exclut pas la possibilité de présenter des offres par ligne ".

75. Cependant, si la prise en compte de l'offre globale Ă©tait privilĂ©giĂ©e, elle n'impliquait pas que la rĂ©ponse globale fĂ»t indivisible, le rĂšglement exigeant mĂȘme explicitement la prĂ©sentation de certains Ă©lĂ©ments techniques et financiers ligne par ligne.

76. Par ailleurs, selon ce rÚglement : " Chaque offre concernant une ou plusieurs lignes fera l'objet d'une enveloppe séparée contenant les indications sur les moyens spécifiques prévus pour l'exécution du contrat : navire mis en place (...), Une attestation d'une société agréée de certification installée dans un pays de l'Union européenne sera fournie, qui précisera l'adéquation des moyens nautiques envisagés aux exigences du cahier des charges. ". Il résulte de ces deux dispositions que les candidats à la délégation des lignes maritimes de service public entre le port de Marseille et les ports de Corse devaient impérativement désigner les navires affectés à l'exploitation de ces lignes.

77. Dans ce contexte, la SNCM a déposé une offre globale qui non seulement ne comportait pas les éléments techniques permettant un examen ligne par ligne, notamment les comptes d'exploitation par ligne pour chaque année, mais également ne prévoyait pas les navires mis en place pour chacune des lignes, un certains nombre de navires étant dénommés " TBN " soit " to be nominated " (à désigner).

78. La SNCM a prĂ©cisĂ©, dans sa rĂ©ponse Ă  l'appel d'offres, avoir optĂ© pour une offre globale permettant d'optimiser la desserte de la Corse dans son ensemble aux meilleures conditions Ă©conomiques : "Pour toutes les raisons qui viennent d'ĂȘtre exposĂ©es, les demandes de compensations annuelles couvrent donc l'ensemble des lignes mĂȘme si, conformĂ©ment au RĂšglement du Cahier des Charges, les comptes d'exploitation prĂ©visionnels sont dĂ©taillĂ©s poste par poste et ligne par ligne. Il est donc expressĂ©ment stipulĂ© que notre offre constitue un tout indissociable et concerne l'ensemble des lignes Marseille-Corse, sans possibilitĂ© de sĂ©paration. Les montants affectĂ©s Ă  une ligne ne peuvent donc, en aucun cas, ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme une proposition pour la desserte de cette ligne ". Le chapitre 4.3 de la rĂ©ponse a prĂ©cisĂ© encore que : "l'offre de la SNCM est une offre globale optimisĂ©e. Cela signifie que les navires ne sont pas affectĂ©s exclusivement Ă  une ligne mais que la flotte est dĂ©ployĂ©e pour rĂ©pondre au mieux aux variations de capacitĂ©s requises. La rĂ©partition des coĂ»ts d'affrĂštement des navires louĂ©s et celle des charges en capital des navires dĂ©tenus en propre peut se faire selon diverses clĂ©s selon que l'on souhaite mettre en exergue les contraintes contractuelles, les recettes gĂ©nĂ©rĂ©es ou les charges d'exploitation. Les charges Ă  terre, nĂ©cessaires aux opĂ©rations dans leur ensemble, peuvent, elles aussi ĂȘtre rĂ©parties par ligne selon diverses clĂ©s ".

79. L'OTC a retenu l'offre de la SNCM en émettant néanmoins les réserves suivantes : " La SNCM fournit des comptes d'exploitation prévisionnels globaux complets. Elle annonce dans son offre la présentation d'un compte prévisionnel par ligne ainsi que le détail des répartitions de charges en capital, charges à terre, résultats exceptionnel et financier, par année et par ligne. Toutefois, les comptes d'exploitation détaillés par ligne n'incluent pas directement les charges à terre et les charges en capital. Par ailleurs, il existe une lacune concernant l'année 2013. Enfin, la compagnie évoque une variante, sans fournir tous les éléments permettant d'étudier sa proposition, notamment sur la réduction de la compensation financiÚre demandée ".

80. La SNCM a indiquĂ© que, pour autant, une rĂ©ponse globale ne priverait pas l'OTC de sa marge de manƓuvre et de sa libertĂ© de choix : " comme cela rĂ©sulte clairement de son offre (cf. note gĂ©nĂ©rale d'introduction et note de synthĂšse prĂ©citĂ©es - point 1.1), la SNCM a simplement voulu indiquer que les conditions financiĂšres affĂ©rant Ă  chaque ligne et aboutissant par agrĂ©gation Ă  l'offre globale n'Ă©taient valables qu'autant que l'attribution serait elle-mĂȘme globale. Ceci, sans prĂ©juger de ce que pourraient ĂȘtre ses conditions financiĂšres par ligne, si l'OTC ne souhaitait lui attribuer que quelques lignes. En d'autres termes, la SNCM n'a jamais Ă©cartĂ© l'hypothĂšse d'une attribution partielle de lignes. Elle a simplement voulu Ă©viter d'ĂȘtre engagĂ©e, en cas d'attribution non globale sur des conditions financiĂšres par lignes, qui n'Ă©taient pertinentes que dans un contexte d'ensemble cohĂ©rent de lignes ".

E. LE GRIEF NOTIFIÉ

81. Compte tenu de ces constatations, le griefs suivant a été notifié le 24 juillet 2008 : " Il est fait grief à la SNCM, en position dominante sur le marché du renouvellement de la DSP entre Marseille et la Corse, sur le marché du transport de passagers entre Marseille et la Corse et en position dominante collective sur le marché du transport de fret entre Marseille et la Corse, d'avoir abusé de cette position lors de l'appel d'offres pour le renouvellement du contrat de délégation de service public de desserte maritime entre le port de Marseille et les ports de Corse, pour les années 2007 à 2012, en déposant une seule offre globale et indivisible qui avait pour objet et pour effet d'exclure les autres soumissionnaires du marché. Cette pratique est contraire aux dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité. "

II. Discussion

1. SUR LA COMPÉTENCE DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE

82. L'article L. 410-1 du Code de commerce soumet aux rÚgles définies notamment au titre II du livre IV du Code de commerce, consacré aux pratiques anti-concurrentielles, " toutes les activité de production, de distribution et de service " y compris celles qui sont le fait de personnes publiques " notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public ".

83. Selon la jurisprudence issue de la décision du tribunal des conflits, Aéroports de Paris en date du 18 octobre 1999, il convient de faire le départ, s'agissant de l'activité des personnes publiques, entre :

- d'une part, les actes par lesquels les personnes publiques font usage, pour l'organisation du service public dont elles ont la charge, de prĂ©rogatives de puissance publique : leur lĂ©galitĂ©, et notamment leur conformitĂ© au droit de la concurrence, ne peut ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e que par le juge administratif ;

- d'autre part, les activitĂ©s des mĂȘmes personnes publiques, intervenant dans la sphĂšre Ă©conomique, qui sont dĂ©tachables de leurs actes de puissance publique : comme celles de toute entreprise, elles peuvent ĂȘtre qualifiĂ©es par le Conseil de la concurrence et le juge judiciaire qui le contrĂŽle, au regard du droit des ententes et des abus de position dominante.

84. Le rĂšglement particulier de l'appel d'offres lancĂ© pour l'attribution de la dĂ©lĂ©gation de service public relative aux liaisons maritimes entre Marseille et la Corse, de mĂȘme que la dĂ©volution de cette dĂ©lĂ©gation au (ou aux) candidat(s) retenu(s) Ă  l'issue de cet appel d'offres, constituent des actes par lesquels la collectivitĂ© territoriale de Corse et l'OTC font usage, pour l'organisation du service public de continuitĂ© territoriale entre la Corse et le continent, de prĂ©rogatives de puissance publique.

85. La lĂ©galitĂ© de ces actes ne peut ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e que par la juridiction administrative, qui s'est d'ailleurs prononcĂ©e dans le cadre d'un rĂ©fĂ©rĂ© prĂ©-contractuel qui a donnĂ© lieu Ă  une dĂ©cision du Conseil d'État en date du 15 dĂ©cembre 2006.

86. Dans sa décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006, le Conseil de la concurrence avait, pour trancher la question de sa propre compétence, distingué entre deux types de comportements dénoncés par les parties saisissantes, selon qu'ils étaient détachables ou non des actes de puissance publique décrits au paragraphe 84.

87. Il avait considéré que les comportements de la collectivité territoriale de Corse et de l'OTC, dénoncés par la CMN, qui auraient, au moyen d'une entente anti- concurrentielle avec la SNCM, cherché à favoriser cette derniÚre en élaborant un rÚglement d'appel d'offres conçu " sur mesure " pour elle et en examinant les autres offres de maniÚre discriminatoire, voire en les " boycottant ", n'étaient pas détachables des actes de puissance publique. Le Conseil a donc considéré que leur qualification échappait à sa compétence.

88. Le Conseil a en revanche retenu sa compétence pour apprécier les abus de position dominante reprochés à la SNCM, y compris celui ayant consisté à déposer une offre globale pourtant autorisée par le rÚglement de l'appel d'offres, au motif que tels comportements étaient détachables de l'appréciation de la légalité de ce dernier.

89. Il est, en effet, de jurisprudence constante qu'en dĂ©posant des offres en rĂ©ponse Ă  un appel d'offres public, les entreprises exercent une activitĂ© qui, parce qu'elle relĂšve du champ dĂ©fini par l'article L. 410-1 du Code de commerce, peut ĂȘtre qualifiĂ©e au regard des rĂšgles de concurrence par le Conseil et les juridictions judiciaires qui le contrĂŽlent (voir en ce sens les arrĂȘts du 29 janvier 2002 " Saturg ", et du 2 juillet 2003, RĂ©gie dĂ©partementale de transport de l'Ain, de la Cour d'appel de Paris dĂšs lors que " les pratiques en cause ne constituent pas des actes administratifs et ne concernent pas la mise en Ɠuvre de prĂ©rogatives de puissance publique et que leur examen n'a impliquĂ© aucune apprĂ©ciation de la validitĂ© des actes administratifs "). Vont dans le mĂȘme sens l'arrĂȘt du 30 mars 2004 Semiacs, ainsi que les dĂ©cisions du Conseil de la concurrence n° 02-D-23 et n° 07-D-49.

90. Contrairement à ce que soutient la SNCM, la pratique par laquelle cette derniÚre a déposé une offre globale et indivisible en réponse à l'appel d'offres lancé par la collectivité territoriale de Corse est détachable de l'appréciation de la légalité du rÚglement particulier de cet appel d'offres (RPAO), qui autorisait les offres globales.

91. En effet, le grief notifié à la SNCM ne reproche pas à cette derniÚre d'avoir déposé une offre globale, c'est-à-dire portant sur l'ensemble des lignes concernées par l'appel d'offres, ainsi que l'y autorisait effectivement le RPAO. Il lui est reproché d'avoir déposé une offre globale portant de maniÚre indivisible sur l'ensemble des lignes, c'est-à-dire sans présentation simultanée d'offres ligne par ligne, et ce, dans un contexte particulier caractérisé, d'une part, par l'incapacité de toute autre compagnie ou groupement de déposer dans les délais requis une offre portant sur l'ensemble des lignes, de nature à concurrencer l'offre globale de la SNCM, et d'autre part, par l'incapacité de l'autorité délégante, du fait de l'indivisibilité de l'offre présentée par la SNCM et du refus de celle-ci de s'engager sur le montant de la subvention demandée ligne par ligne, de comparer les différentes offres en concurrence sur leurs mérites propres. Or, sur ce point, l'offre de la SNCM s'écartait clairement des exigences du RPAO, lequel demandait aux entreprises de fournir des éléments techniques et financiers ligne par ligne afin de pouvoir comparer les offres globales et les offres par ligne.

92. Le Conseil de la concurrence est donc compétent pour statuer sur le grief notifié à la SNCM, qui lui reproche d'avoir commis un abus de position dominante en déposant une seule offre globale et indivisible qui avait pour objet et pour effet d'exclure les autres candidats à l'appel d'offres.

2. SUR L'ABSENCE D'OBJET DE LA SAISINE AU FOND

93. La SNCM s'appuie sur l'arrĂȘt de la Cour d'appel de Paris du 6 fĂ©vrier 2007, ayant jugĂ© irrecevable le recours formĂ© par la SNCM contre la dĂ©cision n° 06-MC-03, pour affirmer que la saisine au fond du Conseil est dĂ©pourvue d'objet en raison de l'annulation par le Conseil d'État de la procĂ©dure de dĂ©lĂ©gation de service public.

94. Dans son arrĂȘt du 6 fĂ©vrier 2007 invoquĂ© par la SNCM, la Cour d'appel de Paris a prĂ©cisĂ© que : " pour apprĂ©cier les effets de ces mesures conservatoires, la cour doit se placer Ă  la date Ă  laquelle elle statue et non pas Ă  celle de la dĂ©cision attaquĂ©e. ". Constatant que " le 15 dĂ©cembre 2006, le Conseil d'État a annulĂ© la procĂ©dure de passation de la dĂ©lĂ©gation de service public et a enjoint Ă  la CTC de reprendre la procĂ©dure, soit intĂ©gralement, soit Ă  compter de la nouvelle date qu'elle fixera pour la remise des plis contenant les nouvelles offres des candidats ", elle a relevĂ© " que la dĂ©cision d'annulation de la procĂ©dure de passation de la dĂ©lĂ©gation de service public du Conseil d'État a eu pour effet d'annuler les offres prĂ©sentĂ©es jusqu'alors par les candidats ". Elle a logiquement dĂ©duit " que le fait que l'offre n'existe plus au jour du recours a pour effet de rendre la saisine de la cour et partant les demandes de la SNCM sans objet ".

95. Ce faisant, la Cour d'appel de Paris n'a, en aucun cas, dĂ©clarĂ© la saisine au fond sans objet. Elle a simplement considĂ©rĂ© que l'examen des mesures conservatoires Ă©tait devenu sans objet, en raison de l'annulation de la procĂ©dure d'appel d'offres par le Conseil d'État qui a retirĂ© tout caractĂšre d'urgence Ă  la situation examinĂ©e par la cour. Les pratiques mises en Ɠuvre n'Ă©taient en effet plus susceptibles de porter une atteinte grave et immĂ©diate Ă  l'Ă©conomie gĂ©nĂ©rale, Ă  celle du secteur, Ă  l'intĂ©rĂȘt des consommateurs ou aux entreprises plaignantes, au sens de l'article L. 464-1 du Code de commerce.

96. L'arrĂȘt rendu par la cour sur les mesures conservatoires n'a donc pas rendu sans objet la procĂ©dure poursuivie sur le fond.

B. SUR LE FOND

1. SUR L'APPLICATION DU DROIT COMMUNAUTAIRE

97. L'article 82 du traitĂ© CE dispose qu'" est incompatible avec le marchĂ© commun et interdit, dans la mesure oĂč le commerce entre Etats membres est susceptible d'en ĂȘtre affectĂ©, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marchĂ© commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. ".

98. En vertu de la pratique dĂ©cisionnelle du Conseil, se fondant notamment sur les lignes directrices de la Commission europĂ©enne relatives Ă  la notion d'affectation du commerce aux articles 81 et 82 du traitĂ© (2004-C101-07), trois Ă©lĂ©ments doivent ĂȘtre dĂ©montrĂ©s pour Ă©tablir que les pratiques sont susceptibles d'avoir sensiblement affectĂ© le commerce intracommunautaire : l'existence d'Ă©changes entre Etats membres portant sur les produits faisant l'objet de la pratique (premier point), l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces Ă©changes (deuxiĂšme point) et le caractĂšre sensible de cette affectation (troisiĂšme point).

99. S'agissant des deux premiers points, il faut principalement relever que les liaisons avec la Corse sont susceptibles d'ĂȘtre utilisĂ©es par tous les consommateurs de l'Union europĂ©enne qui souhaitent rallier Marseille Ă  la Corse par bateau. Les conditions d'exploitation constatĂ©es sur ces lignes affectent nĂ©cessairement les Ă©changes puisqu'elles touchent directement le consommateur final europĂ©en comme le Conseil l'a dĂ©jĂ  relevĂ© dans ses dĂ©cisions n° 04-D-74 du 21 dĂ©cembre 2004 (liaison maritime Jersey-Saint-Malo) et n° 08-D-30 du 4 dĂ©cembre 2008 (vente de carburĂ©acteur Ă  La RĂ©union). De plus, certaines des entreprises ayant dĂ©posĂ© une rĂ©ponse Ă  l'appel d'offres sont actives dans d'autres États de l'Union, puisque certaines desservent des liaisons Corse-Italie ou Sardaigne-Italie continentale. De plus, le marchĂ© en cause relĂšve d'une procĂ©dure de consultation ouverte aux entreprises communautaires, sur lequel une des entreprises effectivement soumissionnaire affrĂšte des navires sous pavillon italien et emploie des salariĂ©s ressortissants d'États de la communautĂ© europĂ©enne.

100. La pratique mise en Ɠuvre est donc susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres.

101. S'agissant du troisiÚme point, l'appréciation du caractÚre sensible dépend des circonstances de chaque espÚce, et notamment de la nature de l'accord ou de la pratique, de la nature des produits concernés et de la position sur le marché des entreprises en cause.

102. En l'espÚce, les pratiques en cause concernent un appel d'offres relatif à la desserte maritime entre le port de Marseille et les ports corses. Le montant du marché concerné et son importance au niveau communautaire ainsi que le chiffre d'affaires de la société SNCM, de 296 millions d'euro, font présumer une affectation sensible du commerce intracommunautaire, présomption non renversée par la société mise en cause.

103. La pratique relĂšve donc du droit national et du droit communautaire de la concurrence.

2. SUR LE BIEN FONDÉ DU GRIEF NOTIFIÉ

104. Il convient d'examiner si, en déposant une offre globale qui porte de maniÚre indivisible sur l'ensemble des lignes concernées par l'appel d'offres, la SNCM a abusé de sa position dominante afin d'évincer ses concurrents de la compétition organisée par la collectivité territoriale et l'OTC.

Pour ce faire, il faut successivement :

- dĂ©limiter le marchĂ© pertinent sur lequel doit ĂȘtre apprĂ©ciĂ© le pouvoir de la SNCM ;

- rechercher l'existence d'une Ă©ventuelle position dominante de la mĂȘme entreprise ;

- apprĂ©cier si le comportement dĂ©crit ci-dessus peut-ĂȘtre qualifiĂ© d'abusif.

A SUR LE MARCHÉ PERTINENT

105. Diverses approches du marché pertinent ont été proposées et discutées par les parties. Elles se distinguent principalement par le rÎle accordé au marché " aval " du transport de passagers ou de fret.

106. Il est de jurisprudence constante qu'un marchĂ© public ou un appel d'offres pour une dĂ©lĂ©gation de service public constitue un marchĂ© pertinent sur lequel se rencontrent la demande de la collectivitĂ© publique concernĂ©e et les offres des entreprises souhaitant y rĂ©pondre. Sur le plan temporel, ce marchĂ© de la dĂ©lĂ©gation prĂ©cĂšde nĂ©cessairement l'exĂ©cution de la prestation dĂ©lĂ©guĂ©e : il peut, en ce sens, ĂȘtre qualifiĂ© de marchĂ© " amont ".

107. Dans l'examen de l'opĂ©ration de concentration dans le secteur des infrastructures autoroutiĂšres, le ministre de l'Ă©conomie, par une dĂ©cision du 6 mars 2006 (C2006-03), indique aux conseils de la sociĂ©tĂ© Vinci : " la Commission europĂ©enne dans sa dĂ©cision d'autorisation de l'opĂ©ration Eiffage/Macquarie/APRR Ă©voque un marchĂ© de l'octroi des concessions autoroutiĂšres. Cette approche est conforme Ă  la position que la Commission a pu prendre dans d'autres affaires touchant Ă  la dĂ©lĂ©gation de services publics. Elle considĂšre notamment que la dĂ©volution de contrats de concession par le biais d'appels d'offres lancĂ©s par la puissance publique prĂ©sente des caractĂ©ristiques distinctes de l'exploitation de l'activitĂ© en cause. La confrontation d'une demande matĂ©rialisĂ©e par un appel d'offres de l'État pour l'attribution d'un contrat de concession portant sur la construction, le financement, l'exploitation et l'entretien d'une infrastructure autoroutiĂšre et d'une offre d'entreprises ou de groupements d'entreprises ayant la capacitĂ© technique et financiĂšre de mener Ă  bien la concession peut, comme le ministre l'a Ă©tabli dans son arrĂȘtĂ© du 22 juin 2001 relatif Ă  l'acquisition du groupe GTM par Vinci, constituer un marchĂ© de produit Ă  part entiĂšre ".

108. Ainsi le marchĂ© instantanĂ© de la mise en jeu d'un appel d'offres, qui est circonscrit Ă  la pĂ©riode pendant laquelle une collectivitĂ© propose Ă  des entreprises d'exploiter l'activitĂ© qu'elle envisage de concĂ©der, peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un marchĂ© pertinent Ă  part entiĂšre. Ce marchĂ© est distinct de celui de l'exploitation de l'activitĂ© dĂ©lĂ©guĂ©e qui s'exĂ©cute pendant la durĂ©e de la dĂ©lĂ©gation : ce dernier peut, du point de vue de la succession temporelle, ĂȘtre qualifiĂ© de marchĂ© " aval ".

109. En l'espÚce, dans sa décision déjà citée 06-MC-03, le Conseil a déjà indiqué au §55 que : " Le marché sur lequel il convient d'apprécier la position de la SNCM est celui mettant en présence la demande de l'OTC et, du cÎté de l'offre, toutes les entreprises pouvant, dans les faits, répondre à la consultation lancée en vue de l'attribution de la délégation de service public de la desserte maritime de la Corse à partir du port de Marseille. "

110. La SNCM conteste une telle dĂ©finition du marchĂ© en estimant que c'est le comportement des consommateurs sur le marchĂ© de dĂ©tail (sur lequel se rencontrent la demande des passagers et l'offre de transport) qui devrait ĂȘtre pris en compte pour apprĂ©cier les contours du marchĂ© pertinent et les positions des parties sur ce marchĂ©. Une telle approche reviendrait Ă  examiner la position de l'entreprise non pas sur le marchĂ© " amont " de la dĂ©lĂ©gation mais sur celui " aval " de l'exĂ©cution de l'appel d'offres.

111. Mais pour dĂ©terminer si une ou plusieurs entreprises actives dans un secteur qui fonctionne par appels d'offres (chacun dĂ©terminant un marchĂ©) dĂ©tiennent une position dominante, le Conseil de la concurrence considĂšre qu'" il convient d'examiner non pas le marchĂ© particulier rĂ©sultant du croisement d'un appel d'offres et des soumissions qui ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©es en rĂ©ponse, mais le marchĂ© plus gĂ©nĂ©ral oĂč sont actifs l'ensemble des opĂ©rateurs susceptibles de rĂ©pondre Ă  l'appel d'offres concernĂ© " (dĂ©cision n° 01-D-66 du 10 octobre 2001) (soulignement ajoutĂ©). Cette dĂ©marche est bien cohĂ©rente avec la dĂ©finition du marchĂ© " amont " du renouvellement de l'appel d'offres.

112. Deux cas de figure sont envisageables concernant la position des entreprises rĂ©pondant Ă  l'appel d'offres. Le premier est celui dans lequel il existe une entreprise en position dominante parmi l'ensemble des entreprises susceptibles de rĂ©pondre Ă  l'appel d'offres. La position dominante est alors directement apprĂ©ciĂ©e sur le marchĂ© mĂȘme oĂč se dĂ©roule la pratique. Un second cas de figure est celui dans lequel il existe une position dominante sur le marchĂ© connexe de l'exĂ©cution de la prestation (marchĂ© aval), sans que ceci ne s'accompagne d'une domination directe sur le marchĂ© amont de l'appel d'offres au moment du dĂ©pĂŽt des offres.

113. Il convient dans ce deuxiĂšme cas d'examiner la possibilitĂ© d'abuser de la position dominante dĂ©tenue sur le marchĂ© aval en mettant en Ɠuvre une pratique anti concurrentielle sur le marchĂ© amont. Cette dĂ©marche conduit en l'espĂšce Ă  rechercher dans un premier temps l'existence d'une position dominante sur le marchĂ© oĂč se rencontrent la demande de l'OTC et les offres des opĂ©rateurs susceptibles de rĂ©pondre Ă  l'appel d'offres. Ce n'est que si aucune position dominante ne peut y ĂȘtre dĂ©finie qu'il convient de s'interroger dans un second temps sur l'existence d'une position dominante sur le marchĂ© " aval " connexe.

3. LA POSITION DES PARTIES SUR LE MARCHÉ PERTINENT

114. La position des parties sur le marché " amont " est largement déterminée par les exigences de l'appel d'offres.

a) La demande de la collectivité territoriale

115. Au départ de Marseille, l'OTC a décidé d'organiser la gestion de la desserte maritime entre la Corse et le port de Marseille par une délégation de service public d'une durée de six années, soit du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2012, avec possibilité d'option pour sept années, soit du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2013.

116. Cet appel d'offres est ouvert aux compagnies maritimes dont la flotte est immatriculĂ©e dans un Etat membre de l'Union europĂ©enne ou partie Ă  l'Espace Ă©conomique europĂ©en et battant pavillon de cet Etat, sous rĂ©serve que les navires de cette flotte remplissent toutes les conditions fixĂ©es par cet Etat pour ĂȘtre admis au cabotage.

117. Les services, objet de l'appel d'offres, comprennent, sur chaque ligne, un service passager et fret permanent et, sur certaines lignes, un service passager supplémentaire pour les pointes de trafic. Ainsi, deux saisons sont définies dans l'année : celle s'étendant du dernier lundi du mois de mars au premier dimanche du mois de novembre, appelée "saison d'été", et l'autre, de novembre à mars, appelée "saison d'hiver ".

118. Afin de permettre ce service, les capacitĂ©s exigĂ©es pour chaque navire, ainsi que le nombre de rotations, Ă©taient strictement dĂ©finis. A titre d'exemple, pour la ligne Marseille/Bastia, la collectivitĂ© exigeait pour le service passager une traversĂ©e par jour, dans les deux sens, toute l'annĂ©e et sept jours sur sept. Les bateaux devaient possĂ©der 450 places couchĂ©es minimum par traversĂ©e, avec au minimum 140 cabines et 50 places fauteuils, et 150 emplacements pour les voitures des passagers. Enfin le dĂ©part devait s'effectuer entre 18h30 et 22h et l'arrivĂ©e entre 6h30 et 8h (1 traversĂ©e de jour/semaine admise en Ă©tĂ©). Concernant le service fret, six traversĂ©es par semaine dans chaque sens, dont une quotidienne obligatoirement du lundi au vendredi inclus Ă©taient exigĂ©es. Les bateaux devaient pouvoir transporter 1.700 mĂštres linĂ©aires de longueur effective de fret (plus 600 mĂštres linĂ©aires cumulĂ©s par sens du lundi au jeudi de mai Ă  juillet) avec 4,5 m de hauteur et 80 voitures du commerce, et 40 prises frigorifiques. Les dĂ©parts doivent s'effectuer entre 18h30 et 20h et l'arrivĂ©e entre 6h30 et 7h (8h les samedis, dimanches et lundis) avec une possibilitĂ© de service rĂ©duit hors saison pour pouvoir effectuer les arrĂȘts techniques (capacitĂ© fret rĂ©duite de 20 %).

119. Outre les exigences de capacité, chaque offre, concernant une ou plusieurs lignes, devait prévoir les dispositions de nature à favoriser le développement économique de la Corse et les dispositions relatives à la formation des personnels, l'adéquation des moyens nautiques envisagés aux exigences du cahier des charges mais également la description de la politique commerciale que le soumissionnaire entendait conduire pour adapter l'offre à la demande, de son action " marketing " autour de la complémentarité entre le développement économique de la Corse et sa desserte maritime, de sa politique d'information et de communication. Il était ainsi nécessaire d'avoir un réseau de distribution déjà en place et dont le personnel parle français.

b) L'offre des compagnies maritimes

120. En théorie, de nombreuses compagnies maritimes pouvaient soumissionner à l'appel d'offres, mais en réalité, comme l'a relevé la décision n° 06-MC-03, " un certain nombre de particularités du rÚglement de consultation, les délais impartis pour y répondre ainsi que plusieurs contraintes de nature technique ou commerciale ont réduit en pratique leur nombre aux trois compagnies déjà actives sur le service de la Corse depuis les ports de Marseille, Toulon et Nice ". Ces éléments de fait sont toujours pertinents au stade de l'examen au fond du dossier.

121. Concernant les délais, la décision de recourir à un appel d'offres sur Marseille a été prise le 24 mars 2006 pour une date limite de dépÎt des plis fixée au 4 août 2006, soit un peu plus de quatre mois plus tard, et une exécution de la délégation à compter du 1er janvier 2007.

122. La SNCM indique que les opérateurs savaient que la reconduction de la DSP était prévue pour 2006 et avaient tout loisir de s'y préparer ou à tout le moins de redéployer leur flotte pour présenter une offre.

123. NĂ©anmoins, d'une part, depuis le 1er janvier 2002, l'AssemblĂ©e territoriale de Corse a mis en place un systĂšme grĂące auquel les passagers dits sociaux de toutes les compagnies qui se sont engagĂ©es Ă  desservir la Corse toute l'annĂ©e au dĂ©part des ports de Toulon et de Nice peuvent bĂ©nĂ©ficier de tarifs rĂ©duits subventionnĂ©s par la collectivitĂ© publique. Corsica Ferries est un partenaire important de ce systĂšme de subvention au passager, principalement pour ses liaisons maritimes au dĂ©part de Nice. Avant que le choix de conserver la DSP pour le trafic passager sur les lignes au dĂ©part de Marseille ne soit rendu public par la collectivitĂ© territoriale de Corse, on ne pouvait exclure que celle-ci, dans la continuitĂ© de sa dĂ©cision de 2002, choisisse de gĂ©nĂ©raliser le systĂšme du tarif social. Il n'existait donc aucune certitude sur le mode de financement que retiendrait la collectivitĂ©, ni mĂȘme sur le contenu de l'appel d'offres, tant sur les critĂšres qualitatifs que quantitatifs dans le cas oĂč la collectivitĂ© opterait pour une reconduction de la DSP.

124. D'autre part, et contrairement à ce qu'indique la SNCM, si un opérateur peut effectivement redéployer sa flotte entre les lignes, il ne peut le faire dans des délais aussi brefs sauf à prendre des risques économiques insurmontables.

125. Les délais trÚs brefs imposés par l'appel d'offres ont donc de maniÚre certaine réduit la possibilité pratique d'attirer de nouveaux candidats.

126. Toutefois, la principale barriÚre à l'entrée sur le marché de l'appel d'offres tenait au cumul des exigences du marché et des contraintes portant sur la dimension de la flotte.

127. En effet, en premier lieu, les régies d'équipage étaient tenues d'obéir aux prescriptions prises en la matiÚre par l'Etat français (rÚgles du pays d'accueil), définies par le décret n° 99-195 du 16 mars 1999 relatif à l'application des conditions de l'Etat d'accueil conformément au rÚglement du 7 décembre 1992. Ainsi il était imposé au personnel à bord de parler français, ce qui nécessitait pour un armateur étranger une formation accélérée de son personnel ou le changement de l'équipage.

128. En deuxiÚme lieu, l'interdiction d'affréter, pour le service public délégué, des navires ùgés de plus de vingt ans, rÚgle plus sévÚre que celle découlant de la réglementation européenne sur le cabotage maritime, restreignait encore le nombre d'armateurs susceptibles de se porter candidats. A cet égard, rien n'indiquait que la " dérogation " à cette rÚgle, prévue par le rÚglement de l'appel d'offres, sans que les motifs en soient d'ailleurs précisés, était accessible aisément aux entreprises dont la flotte ne respecterait pas ces conditions.

129. En troisiĂšme lieu et surtout, le cahier des charges imposait de mobiliser, au minimum, neuf navires de moins de 20 ans pour rĂ©pondre aux besoins de la totalitĂ© des lignes maritimes de service public entre Marseille et la Corse. En outre, les bateaux devaient rĂ©pondre Ă  des exigences techniques prĂ©cises pour manƓuvrer dans certains ports.

130. La SNCM indique que le cahier des charges n'imposait pas un nombre minimum de bateaux mais se limitait à exiger des capacités et des fréquences. Ainsi les autres compagnies auraient pu adopter un schéma de flotte différent en ayant recours à des unités plus petites et en les multipliant.

131. Cet argument, dĂ©jĂ  soulevĂ© lors de l'examen des mesures conservatoires, ne peut ĂȘtre retenu. Tout d'abord certains des navires utilisĂ©s devaient rĂ©pondre Ă  des critĂšres prĂ©cis pour pouvoir manƓuvrer dans certains ports, comme ceux de Bastia ou de Porto Vecchio. Ainsi Ă  Bastia, les bateaux ne doivent pas mesurer plus de 180 mĂštres. Par ailleurs, l'exigence d'un nombre important de mĂštres de fret linĂ©aire prĂ©vu par le cahier des charges (2300 mĂštres linĂ©aires), nĂ©cessitait, pour se conformer simultanĂ©ment Ă  ces deux impĂ©ratifs, la construction de bateaux quasiment sur mesure (comme c'est le cas du Kalliste, du Paglia d'Orba ou du Pascal Paoli). Or, deux navires sont nĂ©cessaires pour assurer le service permanent et de pointe sur cette seule ligne. L'acquisition de navires d'occasion, rĂ©pondant Ă  ces contraintes techniques, apparaissait, de fait, problĂ©matique, peu de navires adaptĂ©s aux spĂ©cificitĂ©s des ports corses Ă©tant disponibles Ă  la vente ou Ă  la location. Ainsi, et Ă  titre d'exemple, Ă  l'Ă©poque des faits seuls 26 navires au monde, sur la liste des 276 navires fournie par la SNCM, pouvaient rĂ©pondre aux contraintes imposĂ©es pour la ligne Marseille-Bastia, mais aucun n'Ă©tait disponible Ă  la vente ou Ă  la location comme les attestations de brookers, fournies par la sociĂ©tĂ© CF le 24 novembre 2006 lors de l'examen de la demande de mesures conservatoires, le dĂ©montrent.

132. Enfin, le coĂ»t des navires doit Ă©galement ĂȘtre pris en considĂ©ration au titre des barriĂšres Ă  l'entrĂ©e sur le marchĂ©. Dans son procĂšs-verbal d'audition du 20 novembre 2006, la sociĂ©tĂ© Veolia a indiquĂ© qu'un bateau d'occasion valait environ 80 millions d'euro. Le " Spirit of Tasmania " a Ă©tĂ© acquis en 2006 par Corsica Ferries au prix de 65 millions d'euro.

133. Il résulte de ce qui précÚde, et notamment de la description des barriÚres à l'entrée énumérées ci-dessus, que, sur le marché de la délégation de service public de l'OTC pour la période 2006-2012 tel qu'elle a été lancée par la collectivité, seules les compagnies d'ores et déjà présentes sur le service de la Corse étaient en mesure de répondre à cet appel d'offres, à savoir les trois qui ont effectivement soumissionné : la SNCM, Corsica Ferries et la CMN.

c) Concernant la position de la SNCM sur le marché du renouvellement de la délégation

134. Sur ce marchĂ©, la position des opĂ©rateurs doit ĂȘtre examinĂ©e en fonction de leurs capacitĂ©s, Ă©ventuellement asymĂ©triques, Ă  rĂ©pondre Ă  l'appel d'offres.

135. Pour le transport de marchandises, la Commission europĂ©enne dans sa dĂ©cision du 9 juillet 2003 relative au premier plan de restructuration de la SNCM a indiquĂ© : "Selon l'Ă©tude de marchĂ©, aucun opĂ©rateur autre que la SNCM et la CMN n'est capable pour le trafic de marchandises gĂ©nĂ©rales non accompagnĂ©es, de rĂ©pondre aux contraintes de service public et d'ĂȘtre rentable en dehors de la concession dĂ©jĂ  attribuĂ©e ". (soulignement ajoutĂ©). Les contraintes de service public Ă©tant les mĂȘmes dans la DSP de 2006, cette analyse reste valable. En effet, si la CMN est, comme la SNCM, un titulaire historique, elle ne peut, avec ses trois cargos mixtes, exercer une rĂ©elle pression concurrentielle sur la SNCM. Elle n'est en rĂ©alitĂ© qu'un complĂ©ment permettant Ă  la SNCM de rĂ©pondre aux exigences du rĂšglement particulier de l'appel d'offres (RPAO).

136. Pour le transport de passagers, la Commission europĂ©enne dans la dĂ©cision du 8 juillet 2008 concernant les mesures de la France en faveur de la SNCM a prĂ©cisĂ© : "§141 : l'OTC indique Ă©galement que la SNCM Ă©tant la seule compagnie capable de remplir les exigences du contrat en ce qui concerne le trafic de passagers, sa disparition entraĂźnerait immĂ©diatement une diminution importante des services. Il rappelle en outre le poids de la SNCM dans l'Ă©conomie de la Corse ". (soulignement ajoutĂ©). Il faut relever que c'est l'OTC lui-mĂȘme qui soutient le caractĂšre incontournable de la SNCM pour l'exĂ©cution de la DSP, ce caractĂšre justifiant l'aide d'Etat.

137. Sur le marché mis en jeu, on peut constater que la SNCM non seulement possédait des bateaux dont la capacité et la taille correspondent à ceux visés par le RPAO mais surtout était incontournable sur une ou plusieurs lignes.

138. En effet neuf bateaux étaient, comme il a déjà été dit, nécessaires à l'accomplissement des missions de service public déléguées. La société SNCM en possédait sept et la CMN trois, mais il s'agit uniquement de cargos mixtes. Corsica Ferries avait, quant à elle, deux bateaux répondant aux exigences du RPAO. Dans sa réponse à l'appel d'offres, la SNCM a détaillé sa flotte en indiquant : " Les caractéristiques des navires non seulement satisfont aux exigences du Cahier des Charges mais, également, aux besoins commerciaux actuels et à venir exprimés par les socioprofessionnels de certains ports de l'Ile (notamment Bastia et Porto-Vecchio). Il est nécessaire, en effet, de souligner la capacité des navires, pour les passagers mais surtout pour le fret, à répondre à l'augmentation attendue et prévisible du trafic sur les sept années du contrat, sur une base historique d'augmentation de 3 % annuels du fret. On notera, en outre, que cette flotte a été conçue spécialement en fonction des contraintes portuaires des ports insulaires et continentaux correspondant à leur affectation principale ce qui contribue à une meilleure fiabilité de la desserte moins exposée au manque de postes à quai et aux aléas météorologiques qui affectent réguliÚrement les unités de dimensions plus importantes ou mal adaptées ".

139. L'ensemble de ces éléments conférait à la SNCM une position sur le marché qu'aucune autre compagnie ne pouvait venir concurrencer réellement.

140. Les barriĂšres Ă  l'entrĂ©e Ă©rigĂ©es par le RPAO empĂȘchaient tout armateur de venir concurrencer effectivement le monopoleur historique.

141. Plus particuliÚrement, le cahier des charges protégeait le titulaire de la délégation en ces termes : " L'attribution de la desserte par délégation de service public ne donne pas lieu à l'exclusivité sur les lignes considérées. En effet, une concurrence peut s'exercer dans le cadre suivant : pour chacune de ces lignes, toute compagnie pourra effectuer, sans compensation financiÚre, un service régulier comportant, toute l'année, au minimum deux rotations par semaine qui devra se faire dans des conditions telles qu'il ne pourra obérer les conditions économiques de l'opérateur du service public et qu'en conséquence, le choix des jours de départs et d'arrivées seront fixés par l'Office des Transports aprÚs accord de l'Assemblée de Corse. ".

142. Ainsi, si le rÚglement ne conférait pas, en droit, une exclusivité au titulaire de la délégation de service public, il limitait en pratique la compétition sur les lignes déléguées.

143. En effet, une autre compagnie souhaitant concurrencer le délégataire au départ de Marseille, tout en étant privée des subventions, devait, sur les lignes reliant Marseille à Porto-Vecchio et Marseille à Propriano, assurer deux liaisons, (au lieu de 3 pour le délégataire), et sur la ligne reliant Marseille à Balagne assurer deux liaisons hebdomadaires (comme le délégataire). De plus, la compagnie était tributaire des horaires décidées par l'OTC.

144. Ce cadre restrictif avait pour consĂ©quence d'empĂȘcher, en pratique, l'Ă©mergence d'une concurrence sur le marchĂ© des services de transport maritime entre le port de Marseille et les ports de Corse.

145. C'est d'ailleurs ce qu'a reconnu le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 06-MC-03 lorsqu'il indique " il n'est guÚre vraisemblable qu'un armateur, devant arbitrer entre les différentes destinations pour y affréter ses navires, juge les conditions de concurrence au départ du port de Marseille équivalentes à celles qu'il rencontre au départ de Toulon et de Nice et, en conséquence, choisir entre ces ports en fonction de l'évolution de la demande. Il convient, à cet égard, de noter que jusqu'à présent aucune compagnie n'a fait le choix de Marseille comme port de départ, en dehors des titulaires de la délégation de service public".

146. L'OTC, par la dĂ©lĂ©gation qu'il a mise en place, a rendu la SNCM indispensable pour le service entre Marseille et la Corse. Du fait de cette DSP, la SNCM Ă©tait un acteur incontournable, jouissant d'un pouvoir de marchĂ© particulier qui allait au delĂ  des simples avantages que possĂšde un titulaire sortant. En effet, le titulaire du marchĂ©, n'a gĂ©nĂ©ralement pas un pouvoir de marchĂ© suffisant pour empĂȘcher les autres compĂ©titeurs de soumissionner lors du renouvellement du contrat, la SNCM pouvait, au cas d'espĂšce, annuler l'effet utile de la mise en concurrence du fait qu'elle Ă©tait la seule Ă  dĂ©tenir des navires indispensables Ă  l'exĂ©cution du marchĂ©.

147. Il rĂ©sulte de ce qui prĂ©cĂšde que la SNCM Ă©tait en position dominante sur le marchĂ© du renouvellement de la dĂ©lĂ©gation de service public pour le transport maritime au dĂ©part de Marseille, qui est le marchĂ© pertinent sur lequel doit ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e la pratique dĂ©noncĂ©e. Il est donc inutile d'examiner la position de la SNCM sur des marchĂ©s connexes, comme celui du transport de passagers ou de fret entre la Corse et le continent.

C. SUR L'ABUS DE LA POSITION DOMINANTE

148. L'existence d'une position dominante ne doit pas priver l'opérateur qui la détient de la possibilité de faire examiner son offre sur ses mérites propres, dans des conditions assurant une égalité de traitement effective avec les autres candidats.

149. Ainsi, le fait de dĂ©poser une offre globale n'est pas en soi anticoncurrentiel. En effet, si le principe de segmentation des offres est essentiel au respect des rĂšgles de concurrence puisqu'il permet aux collectivitĂ©s de comparer les offres lot par lot avant de choisir le mieux disant ou le plus performant, il n'exclut pas la possibilitĂ© pour une entreprise, mĂȘme en position dominante, de proposer un prix plus intĂ©ressant Ă  la collectivitĂ© si l'attribution de plusieurs lots lui permet de rĂ©aliser des Ă©conomies d'Ă©chelle ou une optimisation de sa production. Dans cette hypothĂšse, l'offre globale peut mĂȘme avoir des effets pro concurrentiels.

150. En revanche, certaines offres globales peuvent revĂȘtir un caractĂšre anticoncurrentiel si elles comportent des effets d'exclusion. Ainsi, en droit communautaire, le fait, pour une entreprise dominante, d'opĂ©rer un couplage entre ses produits ou ses prestations de services lorsque celui-ci, en dehors de toute justification Ă©conomique objective, n'a d'autre but que d'amener le client Ă  couvrir l'intĂ©gralitĂ© de ses besoins avec les produits concernĂ©s constitue une pratique prohibĂ©e par l'article 82 du traitĂ© (CJCE, 13 fĂ©vrier 1979 Hoffman Laroche, aff. 85-76).

151. En droit interne, la Cour d'appel de Paris, dans un arrĂȘt du 30 mars 2004, a jugĂ© que le systĂšme de remise sur ventes liĂ©es proposĂ© par un laboratoire pharmaceutique avait un objet anticoncurrentiel et caractĂ©risait l'exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce alors mĂȘme que les rĂšglements d'appels d'offres avaient, Ă  l'Ă©poque des faits, encouragĂ© les laboratoires Ă  proposer des remises en contrepartie de l'attribution de plusieurs lots.

152. Le Conseil, quant à lui, a précisé dans sa décision France Télécom n° 01-D-46, en date du 23 juillet 2001, rendue à propos d'une offre sur mesure de France Télécom, " le fait que Renault ait, dans son appel d'offres, laissé la possibilité aux opérateurs, soit de proposer une offre globale pour l'ensemble des trafics, soit de limiter leur réponse à certains périmÚtres, ne donnait pas pour autant latitude à l'opérateur historique de demander un engagement de volume global portant sur l'ensemble du trafic. (...) ".

153. En d'autres termes, la circonstance qu'un rÚglement d'appel d'offres ait autorisé les soumissionnaires à présenter une offre globale n'interdit pas de qualifier, au regard du droit de la concurrence, le dépÎt d'une telle offre par une entreprise en position dominante : il faut rechercher si elle a pu avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel.

Sur l'impossibilité pour les concurrents de déposer une offre globale

154. De nombreuses barriĂšres ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© Ă©numĂ©rĂ©es dans la prĂ©sente dĂ©cision : (i) la nĂ©cessitĂ© de mobiliser au moins neuf navires pour rĂ©pondre aux besoins de la totalitĂ© des lignes maritimes de service public entre Marseille et la Corse, (ii) la date Ă  laquelle l'appel d'offres a Ă©tĂ© organisĂ© pour une mise en service au 1er janvier 2007 et le dĂ©lai nĂ©cessaire Ă  une compagnie autre que la SNCM pour redĂ©ployer les navires dĂ©jĂ  utilisĂ©s en vue d'assurer la desserte d'autres Ăźles sans avoir la certitude d'ĂȘtre retenue, (iii) les obligations fixĂ©es par le dĂ©cret du 16 mars 1999 nĂ©cessitant un temps d'adaptation de plusieurs mois, (iv) le dimensionnement des capacitĂ©s passagers et fret et la spĂ©cificitĂ© de certains ports insulaires (comme Bastia et Porto-Vecchio) qui ont un impact sur les types de navires pouvant ĂȘtre utilisĂ©s pour exploiter la dĂ©lĂ©gation de service public, (v) les dispositions du rĂšglement particulier d'appel d'offres, peu claires au demeurant, semblant avoir pour effet d'imposer la reprise de tout ou partie des personnels de la SNCM dans l'hypothĂšse oĂč cette compagnie n'obtiendrait pas l'ensemble des lignes maritimes dĂ©lĂ©guĂ©es. Comme il a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© indiquĂ©, ces barriĂšres Ă  l'entrĂ©e ont exclu, de facto, les concurrents ne desservant pas d'ores et dĂ©jĂ  la Corse.

155. Par ailleurs aucune autre compagnie que la SNCM ne pouvait faire une offre globale dans de telles conditions : ni Corsica Ferries, ni la CMN, ni le groupement des deux, ni mĂȘme l'une ou l'autre en lui adjoignant des navires extĂ©rieurs.

156. La sociĂ©tĂ© Corsica Ferries disposait de trois NGV qui, en raison de la distance sĂ©parant le port de Marseille et les ports de Corse, ne pouvaient ĂȘtre affectĂ©s sur ces lignes. De plus l'Ăąge des navires rĂ©duisait de cinq unitĂ©s la flotte disponible de la sociĂ©tĂ© Corsica Ferries. Enfin, le taux de remplissage (passagers et fret) exigĂ© par le RPAO ne permettait pas Ă  Corsica Ferries d'exploiter au mieux les quatre navires qui restaient Ă  sa disposition. Il rĂ©sulte de ces Ă©lĂ©ments que, mĂȘme si la sociĂ©tĂ© Corsica Ferries avait dĂ©cidĂ© d'utiliser ses quatre navires disponibles pour rĂ©pondre Ă  la dĂ©lĂ©gation de service public, aucun de ces quatre navires n'aurait Ă©tĂ© suffisant pour rĂ©pondre aux exigences du seul service permanent de la ligne Marseille-Bastia. A fortiori, il en allait de mĂȘme pour la totalitĂ© des services des autres lignes de service public.

157. La CNM, avec uniquement trois cargos, était également dans l'impossibilité de faire une offre globale. Le groupement Corsica Ferries/CMN était également dans l'incapacité de déposer une telle offre.

158. En effet, si l'offre dĂ©posĂ©e par le groupement avait Ă©tĂ© retenue sur la ligne Marseille-Bastia, la CMN n'aurait plus disposĂ© de navire et la Corsica Ferries n'en aurait gardĂ© que trois (Mega Express, Mega Express Two, Mega Express Four). Le Mega Express Four aurait pu alors ĂȘtre affectĂ© Ă  la ligne Marseille-Porto-Vecchio, mais les deux navires restant disponibles n'aurait pas Ă©tĂ© suffisants pour assurer les services des lignes Marseille-Ajaccio et Marseille-Balagne.

159. Le schĂ©ma de flotte proposĂ© par la SNCM (piĂšce 6) prĂ©tendant prouver que la CMN et Corsica Ferries Ă©taient en mesure de faire cette offre globale n'est pas convaincant. A titre d'exemple il ne se base que sur 3 mois de l'annĂ©e sans prendre en compte les pĂ©riodes de pointe imposĂ©es par l'OTC pendant la pĂ©riode de NoĂ«l et de fĂ©vrier. Pour la ligne Bastia/Marseille, la SNCM envisage la mise en service du Kalliste, du Mega V et du Mega I. NĂ©anmoins le Mega V n'a Ă©tĂ© acquis par la Corsica Ferries qu'en septembre 2006 au Japon et il est encore, Ă  ce jour, en cours d'amĂ©nagement. Pour la ligne Propriano/Marseille, le Mega II Ă©tait dĂ©jĂ  affrĂ©tĂ© en Sardaigne et les billets vendus. Il Ă©tait impossible, dans les dĂ©lais, de le rĂ©affecter Ă  la desserte de la Corse. Pour la ligne Balagne/Marseille, les contraintes du port limitent la longueur autorisĂ©e Ă  180 mĂštres. Or, le Mega III mesure 211 mĂštres de longueur et se caractĂ©rise par une profondeur excessive. Quant au Sardinia Vera, il aurait fallu que Corsica Ferries demande une dĂ©rogation, sans ĂȘtre sĂ»re de l'obtenir, car ce navire a plus de 20 ans d'Ăąge.

160. Il rĂ©sulte de ce qui prĂ©cĂšde qu'il ne peut ĂȘtre sĂ©rieusement soutenu que d'autres compagnies auraient pu, dans les conditions de dĂ©lai et le respect des rĂšgles techniques imposĂ©s par l'appel d'offres, dĂ©poser une offre globale, c'est-Ă -dire portant sur l'ensemble des lignes, de nature Ă  concurrencer une offre globale de la SNCM.

La contestation de l'objet et de l'effet anticoncurrentiels de l'offre globale

161. La SNCM soutient que le Conseil ne peut se prononcer que sur une offre acceptĂ©e. Elle fait valoir que, tant qu'elle ne l'est pas, elle ne constitue qu'un projet, susceptible d'ĂȘtre qualifiĂ© d'abus de position dominante. Elle rappelle qu'une offre est le point de dĂ©part d'une discussion dont le rĂ©sultat est incertain et qu'en tout Ă©tat de cause l'offre n'a pas Ă©tĂ© mise en Ɠuvre.

162. Il convient de répondre sur les trois points de l'argumentation : la réalité de l'offre globale, son objet et son effet.

Sur le fait que l'offre globale n'a pas été acceptée du fait de l'annulation de la procédure de délégation

163. Il rĂ©sulte de l'examen du dĂ©roulement de la consultation et de son rĂšglement que c'est par un abus de langage que la SNCM affirme qu'une offre ferme comme la sienne n'Ă©tait qu'un " projet ". En effet, celle-ci Ă©tait bien destinĂ©e Ă  ĂȘtre acceptĂ©e Ă  tout moment par la collectivitĂ©.

164. En outre, le calendrier de la consultation montre que la SNCM n'entendait pas modifier son offre pour faire apparaĂźtre des montants ligne par ligne. En effet, elle disposait, entre dĂ©but aoĂ»t et le mois de novembre, du temps nĂ©cessaire pour dĂ©poser des offres par ligne, sachant que la premiĂšre plainte a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e le 18 septembre 2006. Or, elle n'a dĂ©groupĂ© son offre que le 1er dĂ©cembre 2006, soit deux jours aprĂšs la sĂ©ance du Conseil qui examinait la demande de mesures conservatoires pendant laquelle, ainsi que cela est indiquĂ© au point 132 de la dĂ©cision n° 06-MC-03, le collĂšge a interrogĂ© la SNCM sur son refus de faire des offres ligne par ligne et a notĂ© : " InterrogĂ©e en sĂ©ance sur cette Ă©ventualitĂ©, la SNCM a indiquĂ© qu'elle Ă©tait en mesure de dĂ©tailler sa demande de subvention ligne par ligne et de faire apparaĂźtre les gains financiers pour la collectivitĂ© d'une attribution globale dans un dĂ©lai de deux Ă  trois jours ". Dans ces conditions, force est de constater qu'en l'absence d'intervention du Conseil de la concurrence, la SNCM n'aurait pas modifiĂ© son offre, laquelle aurait pu ĂȘtre acceptĂ©e telle quelle par la collectivitĂ© si le Conseil d'État n'avait pas, de son cĂŽtĂ©, annulĂ© la procĂ©dure d'appel d'offres. Ainsi, ce n'est que par la double intervention du Conseil de la concurrence et du Conseil d'État, statuant dans le cadre de procĂ©dures d'urgence, que l'offre globale et indivisible prĂ©sentĂ©e par la SNCM pour remporter l'appel d'offres n'a pu ĂȘtre retenue.

165. L'argument selon lequel l'offre globale et indivisible n'Ă©tait que provisoire et n'engageait pas la SNCM dans la procĂ©dure d'appel d'offres ne peut donc ĂȘtre retenu.

Sur l'objet de la pratique

166. Dans un arrĂȘt du 23 mars 1984, CRAM, la Cour de justice des CommunautĂ©s europĂ©ennes a dĂ©fini l'objet anticoncurrentiel comme se rĂ©fĂ©rant aux : " (...) buts poursuivis par l'accord en tant que tel, Ă  la lumiĂšre du contexte Ă©conomique dans lequel l'accord doit ĂȘtre appliquĂ© " (aff. 30-83, point 26, soulignement ajoutĂ©).

167. TrĂšs rĂ©cemment, dans un arrĂȘt du 20 novembre 2008, Competition Authority contre Beef Industry Development Society Ltd,), la Cour de justice a rappelĂ© que l'objet et l'effet anticoncurrentiels sont des critĂšres alternatifs et qu'une pratique peut ĂȘtre condamnĂ©e du fait de son seul objet, tout en insistant Ă  nouveau sur l'importance du contexte Ă©conomique de la pratique : " Selon une jurisprudence constante depuis l'arrĂȘt du 30 juin 1966, LTM (56-65, Rec. p. 337, 359), le caractĂšre alternatif de cette condition, marquĂ© par la conjonction "ou", conduit d'abord Ă  la nĂ©cessitĂ© de considĂ©rer l'objet mĂȘme de l'accord, compte tenu du contexte Ă©conomique dans lequel il doit ĂȘtre appliquĂ© " (aff. C-209-07, point 15, soulignement ajoutĂ©).

168. La premiÚre conséquence qu'en tire la Cour est qu'il faut écarter la conception erronée selon laquelle les infractions par objet seraient limitées aux infractions les plus graves et, de ce fait, assimilables à une liste réduite d'infractions comme les ententes de prix ou les répartitions de marché, rejoignant ainsi les conclusions de l'Avocat général : " ainsi que Mme l'Avocat général l'a relevé au point 48 de ses conclusions, les types d'accords envisagés à l'article 81, paragraphe 1, sous a) à e), CE ne forment pas une liste exhaustive de collusions prohibées " (point 23).

169. La seconde consĂ©quence qu'en tire la Cour est qu'il faut Ă©galement Ă©carter le critĂšre de l'intention subjective qui Ă©tait avancĂ© par les dĂ©fendeurs dans cette affaire : " En effet, pour dĂ©terminer si un accord relĂšve de l'interdiction Ă©noncĂ©e Ă  l'article 81, paragraphe 1, CE, il y a lieu de s'attacher Ă  la teneur de ses dispositions et aux buts objectifs qu'il vise Ă  atteindre. À cet Ă©gard, Ă  supposer mĂȘme qu'il soit Ă©tabli que les parties Ă  un accord ont agi sans aucune intention subjective de restreindre la concurrence, mais dans le but de remĂ©dier aux effets d'une crise sectorielle, de telles considĂ©rations ne sont pas pertinentes aux fins de l'application de ladite disposition. En effet, un accord peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme ayant un objet restrictif mĂȘme s'il n'a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit Ă©galement d'autres objectifs lĂ©gitimes (arrĂȘt General Motors/Commission, prĂ©citĂ©, point 64 et jurisprudence citĂ©e) ".

170. Les conclusions de l'Avocat gĂ©nĂ©ral, Mme VĂ©rica X..., Ă©clairent utilement la notion d'infraction par objet. Elles enseignent notamment que : " (42) Comme son nom l'indique, la notion de restriction de concurrence par objet met d'abord l'accent sur la finalitĂ© de l'accord. Les juridictions communautaires ont retenu une finalitĂ© ou une tendance anticoncurrentielle, en particulier dans le cas des accords qui entraĂźnent nĂ©cessairement une restriction de concurrence. Dans ce cas de figure, les parties ne sont fondamentalement pas admises Ă  faire valoir que la restriction de concurrence n'Ă©tait pas intentionnelle ou que l'accord poursuivait Ă©galement un autre objectif. (43) Cette jurisprudence ne signifie toutefois pas que la volontĂ© des parties ne peut pas ĂȘtre prise en compte. Elle exprime seulement l'idĂ©e selon laquelle des entreprises qui agissent de maniĂšre rationnelle sont, dans un contexte donnĂ©, conscientes des consĂ©quences vraisemblables de l'accord, si bien qu'elles sont supposĂ©es les avoir voulues, au moins dans une certaine mesure. (44) En rĂ©alitĂ©, il ressort du caractĂšre alternatif de la restriction de concurrence par objet et de la restriction de concurrence par effet Ă  l'article 81, paragraphe 1, CE, de mĂȘme que du fait que l'article 81, paragraphe 1, CE se prĂ©sente, dans la branche de l'alternative que constitue la restriction de concurrence par objet, comme un dĂ©lit de mise en danger potentielle, qu'il convient de ne pas se fonder exclusivement sur les consĂ©quences qui dĂ©coulent nĂ©cessairement de l'accord. La volontĂ© des parties Ă  cet accord peut, elle aussi, ĂȘtre prise en compte. Celle-ci peut ĂȘtre en particulier dĂ©duite de la genĂšse de l'accord". (soulignements ajoutĂ©s)

171. Il ressort de la jurisprudence communautaire dĂ©jĂ  citĂ©e, Ă©clairĂ©e par les conclusions mentionnĂ©es au paragraphe prĂ©cĂ©dent, que l'objet anticoncurrentiel ne doit pas ĂȘtre confondu avec l'Ă©lĂ©ment intentionnel, par exemple au sens oĂč l'utilise le droit pĂ©nal, mais que, conformĂ©ment Ă  la nature objective des infractions de concurrence, il vise les consĂ©quences potentielles ou prĂ©visibles d'une pratique dans une situation de marchĂ© donnĂ©e.

172. En somme, pour constituer une infraction par objet, la pratique incriminée doit permettre, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'elle puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur la concurrence.

173. Selon la Cour, l'examen des effets n'est nĂ©cessaire qu'en l'absence d'objet anticoncurrentiel, ces derniers ne devant ĂȘtre examinĂ©s que dans un second temps : " Au cas cependant oĂč l'analyse des clauses de cet accord ne rĂ©vĂ©lerait pas un degrĂ© suffisant de nocivitĂ© Ă  l'Ă©gard de la concurrence, il conviendrait alors d'en examiner les effets et, pour le frapper d'interdiction, d'exiger la rĂ©union des Ă©lĂ©ments Ă©tablissant que le jeu de la concurrence a Ă©tĂ©, en fait, soit empĂȘchĂ©, soit restreint ou faussĂ© de façon sensible. Pour apprĂ©cier si un accord est prohibĂ© par l'article 81, paragraphe 1, CE, la prise en considĂ©ration de ses effets concrets est donc superflue lorsqu'il apparaĂźt que celui-ci a pour objet d'empĂȘcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence Ă  l'intĂ©rieur du marchĂ© commun (arrĂȘts du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56-64 et 58-64, Rec. p. 429, 496, ainsi que du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C-105-04 P, Rec. p. I-8725, point 125) " (points 15-16). (soulignement ajoutĂ©)

174. Il faut Ă©galement rappeler qu'une jurisprudence nationale constante considĂšre que l'absence d'effet ne retire pas aux pratiques leur caractĂšre anticoncurrentiel (Cour d'appel de Paris, 13 mars 1991, sociĂ©tĂ©s Demouy et Guerra Tarcy ; cour d'appel du 12 dĂ©cembre 2000, SNC sociĂ©tĂ© SOGEA Sud-Est). Comme indiquĂ© aux points prĂ©cĂ©dents de la prĂ©sente dĂ©cision, les droits national et communautaire de la concurrence sanctionnent les atteintes Ă  la concurrence mĂȘme restĂ©es sans effet pour des raisons indĂ©pendantes de la volontĂ© de l'auteur.

175. En l'espĂšce, contrairement Ă  ce que prĂ©tend la SNCM, le Conseil n'a nullement Ă©cartĂ© l'existence de l'objet anticoncurrentiel de l'offre dans sa dĂ©cision de mesures conservatoires. Il a simplement considĂ©rĂ© que le dĂ©pĂŽt d'une offre globale n'avait pas, par lui-mĂȘme, un caractĂšre abusif du seul fait qu'il Ă©manait d'une entreprise en position dominante et que l'analyse des conditions de fonctionnement du marchĂ© est dĂ©cisive pour qualifier une telle pratique. Pour apprĂ©cier si l'offre de la SNCM Ă©tait abusive, il fallait donc, avant mĂȘme la prise en compte de ses effets rĂ©els ou potentiels, examiner si elle avait pour objet d'Ă©vincer les autres entreprises du marchĂ©.

176. Or, ainsi que cela est indiqué dans le rapport annuel 2003, le Conseil de la concurrence " n'a jamais utilisé l'expression d'infraction per se, mais il ressort de sa jurisprudence que les pratiques visant à évincer un opérateur du marché, à restreindre les échanges ou à s'entendre sur les prix, ont nécessairement un objet anticoncurrentiel. Cette jurisprudence est particuliÚrement fournie dans le domaine des marchés publics, des répartitions de marché et des abus de position dominante visant à exclure un concurrent ".

177. En l'espÚce, l'offre de la SNCM était à la fois globale et indivisible. Or, elle est intervenue dans un contexte bien particulier caractérisé, d'une part, par l'incapacité de toute autre compagnie ou groupement de compagnies de déposer dans les délais requis une offre portant sur l'ensemble des lignes, de nature à concurrencer l'offre globale de la SNCM, et d'autre part, par l'incapacité pour la collectivité, du fait de l'indivisibilité de l'offre présentée par la SNCM et du refus de celle-ci de s'engager sur le montant de la subvention demandée ligne par ligne, de comparer les différentes offres en concurrence sur leurs mérites propres. Dans un tel contexte, l'offre globale et indivisible présentée par la SNCM, entreprise incontournable dans l'appel d'offres, avait bien un objet anticoncurrentiel car elle aurait abouti de maniÚre certaine à évincer les autres candidats, si elle avait pu prospérer.

178. Le moyen tirĂ© de l'absence d'objet anticoncurrentiel doit ainsi ĂȘtre Ă©cartĂ©.

Sur l'effet de la pratique

179. La SNCM estime qu'en l'absence d'effet sensible sur le marchĂ©, du fait de l'annulation de l'appel d'offres par le Conseil d'Etat, la pratique de la SNCM ne saurait ĂȘtre apprĂ©hendĂ©e sur le fondement des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traitĂ© CE.

180. Mais, en droit de la concurrence, la recherche des effets produits par une pratique sous examen ne doit pas se limiter aux effets rĂ©els, constatĂ©s ex post sur le marchĂ©. Elle doit s'intĂ©resser aussi aux effets potentiels, attendus de la pratique au moment oĂč elle est mise en Ɠuvre. Par exemple, dans une dĂ©cision n° 01-D-23 du 10 mai 2001, le Conseil a jugĂ© que la sociĂ©tĂ© Abbott, en proposant des remises de nature Ă  capter l'exclusivitĂ© des achats d'Isoflurane par des centrales d'achat, avait commis une pratique anticoncurrentielle par objet et potentialitĂ© d'effet.

181. L'argument tirĂ© de l'absence d'effet sensible ne peut pas non plus ĂȘtre retenu. Le Conseil a ainsi dĂ©cidĂ©, dans sa dĂ©cision n° 05-D-58 confirmĂ©e par la cour d'appel, que : " l'article L. 420-2 1er alinĂ©a du Code de commerce vise l'exploitation abusive d'une entreprise en position dominante sur un marchĂ© pertinent qui a eu pour objet ou a pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le fonctionnement dudit marchĂ©, sans qu'il y ait besoin de rapporter la preuve du caractĂšre certain de ses consĂ©quences. Aussi, les arguments du Sedif quant Ă  l'absence d'effet sensible de la pratique ou quant aux motifs des comportements de la ville de Paris ne contredisent pas l'illicĂ©itĂ© de la pratique. Tout au plus ceux relatifs Ă  l'effet sensible peuvent-ils ĂȘtre pris en compte pour apprĂ©cier l'importance du dommage causĂ© Ă  l'Ă©conomie. La pratique du Sedif, en monopole de fait sur le marchĂ© de la fourniture d'eau aux consommateurs situĂ©s sur son territoire, a eu pour objet et pouvait avoir pour effet d'empĂȘcher la finalisation d'un contrat de fourniture d'eau de l'un de ses principaux clients avec un concurrent, pratique prohibĂ©e par l'article L. 420-2 du Code du commerce ".

182. Enfin, l'annulation de la procĂ©dure d'appel d'offres est bien, au moins en partie, une consĂ©quence du dĂ©pĂŽt de l'offre de la SNCM comme le Conseil d'État l'a jugĂ© dans sa dĂ©cision du 15 dĂ©cembre 2006. Cette derniĂšre relĂšve que l'OTC n'avait pu rĂ©guliĂšrement engager des nĂ©gociations avec la SNCM au vu de l'offre que celle-ci avait dĂ©posĂ©, qui, contrairement aux prescriptions du cahier des charges de la dĂ©lĂ©gation, ne fournissait pas une comptabilitĂ© dĂ©taillĂ©e ligne par ligne, rubrique nĂ©cessaire pour comparer les offres entre elles. Or, il est de jurisprudence constante que l'annulation d'une consultation du fait - en tout ou en partie - d'une pratique anticoncurrentielle constitue bien un effet de cette pratique. En l'espĂšce, l'annulation de l'appel d'offres a pu avoir des consĂ©quences sur les conditions de la concurrence lors de la deuxiĂšme consultation, par exemple en remettant en cause les offres conjointes de Corsica Ferries et de la CMN. Il faut donc admettre l'existence au moins d'effets potentiels attachĂ©s au dĂ©pĂŽt de l'offre abusive sur les conditions d'attribution de la dĂ©lĂ©gation de service public en 2007.

183. En réalité, la SNCM confond la question des effets de sa pratique avec celle de sa responsabilité propre dans l'annulation de l'appel d'offres. Ce point sera traité lors de l'analyse de la gravité de la pratique et de la prise en compte de la situation individuelle de l'entreprise.

Sur le prix de l'offre globale

184. La SNCM a prĂ©cisĂ© dans sa rĂ©ponse Ă  l'appel d'offres que: "l'offre de la SNCM est une offre globale optimisĂ©e. Cela signifie que les navires ne sont pas affectĂ©s exclusivement Ă  une ligne mais que la flotte est dĂ©ployĂ©e pour rĂ©pondre au mieux aux variations de capacitĂ©s requises. La rĂ©partition des coĂ»ts d'affrĂštement des navires louĂ©s et celle des charges en capital des navires dĂ©tenus en propre peut se faire selon diverses clĂ©s selon que l'on souhaite mettre en exergue les contraintes contractuelles, les recettes gĂ©nĂ©rĂ©es ou les charges d'exploitation. Les charges Ă  terre, nĂ©cessaires aux opĂ©rations dans leur ensemble, peuvent, elles aussi ĂȘtre rĂ©parties par ligne selon diverses clĂ©s".

185. Pourtant, le montant global de la subvention demandĂ©e par la SNCM Ă©tait supĂ©rieur d'environ 10 % Ă  celui qu'elle a finalement prĂ©sentĂ© Ă  l'OTC en dĂ©cembre 2006, soit aprĂšs la sĂ©ance de mesures conservatoires, montant qui est le mĂȘme que celui communiquĂ© au Conseil en exĂ©cution de l'injonction faite Ă  l'entreprise.

186. Surtout il est supĂ©rieur d'environ 7 % Ă  celui demandĂ© pour les deux groupements de lignes et reste encore supĂ©rieur d'environ 5 % Ă  celui demandĂ© pour la somme des offres individuelles par ligne, ce qui laisse supposer que la SNCM a fixĂ© un prix supra concurrentiel sans que ce prix reflĂšte les gains d'efficacitĂ© attendus d'une offre globale, notamment du fait des Ă©conomies d'Ă©chelle ou d'envergure permis par la possibilitĂ© de redĂ©ployer plusieurs navires Ă  partir d'un mĂȘme port. La situation crĂ©Ă©e par la SNCM, en raison de la rĂ©daction de son offre et de l'Ă©clairage qu'elle lui a donnĂ© ultĂ©rieurement, a donc produit des effets potentiellement anticoncurrentiels et non pro-concurrentiels.

Conclusion sur l'offre de la SNCM

187. Lorsqu'une entreprise incontournable rĂ©pond Ă  un appel d'offres en dĂ©posant uniquement une offre indivisible, l'offre en cause constitue un levier lui permettant de remporter avec certitude le marchĂ© dans la mesure oĂč la collectivitĂ© ne peut l'Ă©carter au profit des offres concurrentes. A cet Ă©gard, cette offre a un objet anticoncurrentiel. Son effet anticoncurrentiel va plus loin qu'une simple incitation faite Ă  l'OTC : une telle offre empĂȘche toute comparaison des offres et un Ă©ventuel panachage entre des offres concurrentes.

188. Or tel a bien été le cas, comme l'a explicitement constaté le Conseil d'Etat dans sa décision du 15 décembre 2006, qui relÚve que l'offre déposée par la SNCM " qui se présentait comme indivisible, n'indiquait pas non plus les navires qu'elle entendait affecter à chaque ligne et comptait au nombre des navires mis en place des bùtiments qui n'étaient pas désignés ; que cette absence d'informations précises sur des postes essentiels des comptes d'exploitation prévisionnels par ligne et sur les moyens nautiques affectés à ces lignes, rendait impossible pour l'autorité représentant la collectivité délégante, au moment de choisir les opérateurs économiques avec lesquels elle souhaitait entamer la négociation, l'appréciation de la conformité de cette offre au cahier des charges de la délégation ainsi que toute comparaison utile, ligne par ligne, avec les offres présentées par les autres candidats qui portait seulement, comme l'autorise le rÚglement de la consultation, sur l'exploitation de certaines de ces lignes ".

189. Il est donc Ă©tabli que l'offre globale et indivisible dĂ©posĂ©e par la SNCM, avait nĂ©cessairement pour consĂ©quence d'Ă©vincer les concurrents dans la mesure oĂč elle ne laissait Ă  l'OTC pas d'autre choix que d'accepter cette offre dans sa globalitĂ© si elle souhaitait prĂ©server la continuitĂ© de la desserte maritime entre Marseille et la Corse telle qu'elle Ă©tait dĂ©finie par le cahier des charges.

190. En pratique, une telle offre a le mĂȘme effet anticoncurrentiel qu'une offre couplĂ©e assortie d'un avantage Ă©conomique substantiel ayant pour objet et pour effet d'exclure automatiquement les offres des entreprises concurrentes.

191. Dans cette mesure, la SNCM a abusé de sa position dominante, en violation des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE.

D. SUR LES SANCTIONS

192. Le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa rĂ©daction issue de la loi du 15 mai 2001, dispose : " Les sanctions pĂ©cuniaires sont proportionnĂ©es Ă  la gravitĂ© des faits reprochĂ©s, Ă  l'importance du dommage causĂ© Ă  l'Ă©conomie, Ă  la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionnĂ© ou du groupe auquel l'entreprise appartient et Ă  l'Ă©ventuelle rĂ©itĂ©ration des pratiques prohibĂ©es (...) Le montant maximum de la sanction est, pour un entreprise, de 10% du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxe le plus Ă©levĂ© rĂ©alisĂ© au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice prĂ©cĂ©dant celui au cours duquel les pratiques ont Ă©tĂ© mises en Ɠuvre ".

193. Depuis l'exercice 2006, les comptes de la SNCM sont consolidés avec ceux de Veolia Transport dont le chiffre d'affaires s'est élevé à 5,6 milliards d'euro en 2007. Le plafond de la sanction résultant des dispositions législatives précitées est donc de 560 millions d'euro.

194. Toutefois, le président du Conseil de la concurrence a décidé de faire application des dispositions de l'article L. 464-5 du Code de commerce, selon lesquelles " le Conseil, lorsqu'il statue selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 peut prononcer les mesures prévues au I de l'article L. 464-2, toutefois, la sanction pécuniaire ne peut excéder 750 000 euro pour chacun des auteurs des pratiques prohibées ".

195. Le plafond de la sanction encourue par la SNCM est donc, en l'espÚce, limité à 750 000 euro.

Sur la gravité

196. La pratique d'abus de position dominante retenue Ă©mane de la SNCM, qui avait la charge de la dĂ©lĂ©gation de service public pour la desserte entre Marseille et la Corse avant l'appel d'offres de 2006. La SNCM disposait de ce fait d'une position historique prĂ©dominante. Elle devait par consĂ©quent ĂȘtre particuliĂšrement attentive Ă  ne pas fausser la concurrence lors de son renouvellement.

197. Sa position incontournable lui procurait une force d'attraction avec laquelle les entreprises concurrentes ne pouvaient rivaliser et qui contraignait dans les faits l'OTC Ă  retenir sa candidature.

198. Ainsi, les faits Ă©tablis revĂȘtent une gravitĂ© certaine, mĂȘme si le comportement de l'OTC a concouru Ă  la situation dĂ©noncĂ©e par les parties saisissantes.

Sur le dommage Ă  l'Ă©conomie

199. En matiĂšre d'ententes lors des appels d'offres, la Cour d'appel de Paris, a, dans un arrĂȘt en date du 13 janvier 1998 (Fougerolle Ballot), rappelĂ© que " le dommage causĂ© Ă  l'Ă©conomie est indĂ©pendant du dommage souffert par le maĂźtre d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s'apprĂ©cie en fonction de l'entrave directe portĂ©e au libre jeu de la concurrence ". Dans un arrĂȘt du 12 dĂ©cembre 2000 (Sogea Sud Est), la cour d'appel a encore relevĂ© que " ces pratiques anticoncurrentielles qui caractĂ©risent un dommage Ă  l'Ă©conomie sont rĂ©prĂ©hensibles du seul fait de leur existence, en ce qu'elles constituent une tromperie sur la rĂ©alitĂ© de la concurrence dont elles faussent le libre jeu (...) ". Le mĂȘme raisonnement peut ĂȘtre Ă©tendu aux pratiques abusives visant Ă  Ă©vincer les compĂ©titeurs de l'appel d'offres, qui perturbent le processus concurrentiel attendu de la part de la collectivitĂ© publique.

200. Par ailleurs, le Conseil de la concurrence prend en compte, pour apprécier l'importance du dommage à l'économie, le montant des marchés sur lesquels ont porté les pratiques relevées.

201. En l'espÚce, la pratique de la SNCM a concouru, au moins en partie, à l'annulation de la délégation de service public, ce qui a obligé l'autorité délégante à relancer l'appel d'offres, entraßnant un coût pour la collectivité.

202. Toutefois, il faut relever que cette annulation ne résulte pas d'une décision de l'OTC, qui aurait pu déclarer infructueuse la premiÚre consultation, mais d'une décision du Conseil d'Etat qui a relevé plusieurs irrégularités dans la procédure, dont certaines découlaient de la nature de l'offre déposée par la SNCM. Ainsi, au plan juridique, la SNCM n'encourt qu'une responsabilité indirecte par le fait d'avoir déposé l'offre litigieuse.

203. Il faut Ă©galement rappeler que l'annulation par le Conseil d'Etat de la procĂ©dure d'appel d'offres a eu pour consĂ©quence d'empĂȘcher la mise en Ɠuvre de l'offre abusive de la SNCM. Celle-ci n'a donc pas pu avoir d'effet direct sur le marchĂ©, ni en termes de montant de subvention pour la collectivitĂ© Corse, ni en termes de prix pour les utilisateurs finals des navires assurant la dĂ©lĂ©gation de service public.

Sur la situation particuliĂšre de la SNCM

204. Le chiffre d'affaires de la SNCM en 2007 s'est élevé à 393,5 millions d'euro. En nombre de passagers transportés, 70 à 75 % de cette activité résulte de la desserte de la Corse, qui a donné lieu au versement d'une subvention de continuité territoriale de 73,7 millions d'euro. AprÚs avoir enregistré en 2007 une perte de 27 millions d'euro, dont 17 millions proviennent d'éléments exceptionnels, la société a annoncé qu'elle s'attendait à dégager en 2008 un bénéfice net inférieur à 500 000 euro, pour un chiffre d'affaires d'environ 310 millions d'euro.

205. En fonction des éléments généraux et individuels examinés, il y a donc lieu de limiter la sanction infligée à la SNCM à une amende de 300 000 euro.

DĂ©cision

Article 1er : Il est établi que la SNCM a enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE.

Article 2 : Il est infligé une sanction de 300 000 euro à la SNCM.