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Décisions

Cass. com., 3 mars 2009, n° 08-14.435

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

SFR (SA), France Télécom (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, Président du Conseil de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

M. Jenny

Avocat général :

M. Bonnet

Avocats :

Me Ricard, SCP Piwnica, Molinié

Cass. com. n° 08-14.435

3 mars 2009

LA COUR : - Donne acte à la Société française de radiotéléphone de son désistement envers l'association ETNA ; - Joint les pourvois n° 08-14.464 et n° 08-14.435 qui attaquent le même arrêt ; - Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 2 avril 2008), statuant sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 10 mai 2006, Bull. 2006, IV, n° 115, pourvois n° 05-15.187 et n° 05-14.501), que, saisi le 25 juin 1999 par l'association Tenor, devenue Etna France, de pratiques mises en œuvre sur le marché de la téléphonie fixe vers mobile des entreprises, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a, dans une décision n° 04-D-48 du 14 octobre 2004, dit que les sociétés France Télécom et Société française du radiotéléphone (SFR), ont enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE et a prononcé des sanctions pécuniaires ; qu'après avoir exposé que, dans le cadre d'une architecture classique, un appel provenant d'un téléphone fixe et destiné à un téléphone mobile, dit "appel entrant", utilise une connexion directe entre le réseau fixe de l'appelant et le réseau mobile de l'appelé, puis la boucle radio de l'appelé, et qu'après avoir délimité un marché pertinent des communications fixes vers mobiles des entreprises se décomposant entre, d'une part, un marché aval de collecte, transport et interconnexion directe des appels aux réseaux mobiles où opèrent les opérateurs de téléphonie fixe et notamment France Télécom, dominant, et, d'autre part, trois marchés amont de terminaison des appels sur le réseau mobile appelé, chacun de ces marchés étant dominé par l'opérateur de téléphonie mobile en monopole sur son réseau GSM, soit FTM, devenu Orange France filiale de la société France Télécom, SFR filiale de Cegetel groupe avant 2003 et Bouygues Télécom, le conseil a constaté, en procédant à des tests de "ciseau tarifaire", que France Télécom et SFR avaient l'une et l'autre pratiqué pour les entreprises des tarifs de détail pour les communications fixes vers mobiles de leurs réseaux respectifs qui ne couvraient pas les coûts incrémentaux encourus pour ce type de prestations, dont la "charge de terminaison d'appels" (CTA) sur leurs réseaux mobiles respectifs, que la CTA facturée à la société France Télécom ou à SFR en tant qu'opérateurs de fixe par leurs branches de téléphonie mobile étant supérieure aux coûts effectifs de fourniture de la prestation de terminaison d'appel sur réseau mobile, les tarifs des télécommunications fixes vers mobiles proposés par ces sociétés couvraient pour le "groupe" France Télécom ou le "groupe" SFR les coûts variables effectivement encourus et n'entraînaient pas de pertes, qu'en revanche, les opérateurs de réseaux fixes non intégrés entrants sur le marché de la téléphonie fixe, ouvert à la concurrence depuis le 1er janvier 1998, ne pouvaient proposer aux entreprises, à des tarifs compétitifs, des prestations fixes vers mobiles via une interconnexion directe aux réseaux mobiles, sans encourir de pertes du fait de l'obligation pour eux d'acquitter la CTA fixée par les branches mobiles des opérateurs intégrés ; que, devant le Conseil, la société France Télécom faisait valoir que le niveau élevé de la CTA ne pouvait entraîner "d'effet de ciseau" car les nouveaux opérateurs disposaient de la possibilité de proposer des prestations fixes vers mobiles, sans interconnexion directe entre réseaux et donc sans paiement de la CTA nationale, en ayant recours au "reroutage international" consistant à envoyer le trafic collecté d'un fixe à un opérateur étranger afin que celui-ci le renvoie à la société France Télécom à charge pour cette dernière de le faire aboutir sur le réseau mobile de destination, la CTA étant alors peu élevée en raison d'accords conclus entre la société France Télécom et les opérateurs étrangers ; que le Conseil, après avoir constaté que la société France Télécom avait conclu entre le 1er janvier 1999 et le 15 février 2000 avec plus de vingt-cinq opérateurs étrangers de nouveaux accords réciproques instituant une surcharge tarifaire pour les appels fixes destinés à un réseau mobile étranger, a notamment relevé qu'en raison de ces accords, mis en place au premier trimestre 1999 avec les principaux pays à travers lesquels le trafic était "rerouté", le "reroutage" par ces pays est devenu économiquement moins rentable, voir non rentable et que, contrairement à ce qu'alléguait la société France Télécom, il n'était pas établi que le trafic "rerouté" se serait alors déporté sur d'autres pays ; que le Conseil, constatant que le "reroutage" avait, avant le mois d'avril 1999, permis d'atténuer l'inégalité de la compétition entre opérateurs intégrés et opérateurs de réseaux fixes non intégrés et de retrouver une situation meilleure bien que dégradée pour le surplus du consommateur, n'a retenu les pratiques de "ciseau tarifaire" comme constitutives d'abus de position dominante que lorsqu'elles avaient été mises en œuvre pendant une période s'étendant d'avril 1999 à fin 2001 durant laquelle "les opérateurs alternatifs sur le fixe ne disposaient pas de moyens leur permettant de significativement échapper à l'obligation d'acquitter la CTA imposée par les opérateurs GSM du fait de leur position dominante" ;

Sur le premier moyen du pourvoi formé par la société France Télécom et le premier moyen du pourvoi formé par la Société française du radiotéléphone : - Vu les articles 632 du Code de procédure civile, ensemble les articles R. 464-10 et R. 464-12 du Code de commerce ; - Attendu que les dispositions du Code de procédure civile ne cèdent que devant les dispositions expressément contraires du Code de commerce ou aménageant des modalités propres aux recours contre les décisions du Conseil de la concurrence ; qu'aux termes du deuxième de ces textes, il n'est expressément dérogé qu'au titre VI du livre II du Code de procédure civile ;

Attendu que pour déclarer irrecevables les moyens nouveaux de la Société française du radiotéléphone et de la société France Télécom, l'arrêt retient que parmi les dispositions du Code de procédure civile, seules sont applicables en la cause celles auxquelles il n'est pas expressément dérogé par des textes spéciaux et qui sont compatibles avec celles aménageant des modalités propres à l'exercice des recours contre les décisions du Conseil de la concurrence ; qu'il énonce ensuite que la procédure suivie devant la cour d'appel sur les recours contre les décisions du Conseil de la concurrence est gouvernée par la règle essentielle, prévue par l'article R. 464-10 du Code de commerce, selon laquelle les parties requérantes doivent déposer l'exposé des moyens qu'elles invoquent dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision et en conclut que les moyens invoqués après ce délai sont irrecevables, à moins qu'ils ne soient relatifs à des éléments révélés postérieurement ou qu'ils ne répondent à des moyens invoqués devant la cour ;

Attendu qu'en statuant ainsi alors que la procédure de renvoi après cassation est régie par le titre XVI du livre premier du Code de procédure civile et non par celles du titre VI de son livre II, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le deuxième moyen du pourvoi formé par la société SFR pris en ses quatre premières branches et sur la deuxième branche du troisième moyen du pourvoi formé par la société France Télécom réunis : - Vu les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE ; - Attendu qu'une pratique de "ciseau tarifaire" a un effet anticoncurrentiel si un concurrent potentiel aussi efficace que l'entreprise dominante verticalement intégrée auteur de la pratique ne peut entrer sur le marché aval qu'en subissant des pertes ; qu'un tel effet peut être présumé seulement lorsque les prestations fournies à ses concurrents par l'entreprise auteur du "ciseau tarifaire" leur sont indispensables pour la concurrencer sur le marché aval ;

Attendu que pour décider que les sociétés SFR et France Télécom ont abusé de leurs positions dominantes sur les marchés des appels entrants dirigés vers leurs réseaux de téléphonie mobile en mettant en œuvre des pratiques anticoncurrentielles de "ciseau tarifaire", l'arrêt retient que la société France Télécom s'est efforcée, tout au long de la période de rendre financièrement moins attractif le reroutage international des communications, moyen "techniquement aberrant" auquel les opérateurs de téléphonie fixe recouraient pour éviter de supporter les coûts des charges de terminaison d'appel imposées par les sociétés Orange et SFR en cas d'interconnexion directe à leurs réseaux mobiles, par la négociation de multiples accords particuliers à cette fin avec les opérateurs étrangers, que quelqu'ait été le résultat de ces efforts de la société France Télécom, ils éclairent sa pratique de prix en montrant son intérêt à préserver l'efficacité de sa pratique de "ciseau tarifaire", qu'aucun opérateur fixe autre qu'elle-même ne s'est interconnecté au réseau Orange France avant juillet 2000 sans que cette circonstance pût se justifier par aucune contrainte technique, que la société SFR n'a pu répondre à des appels d'offres de 1999 portant sur le trafic fixe vers mobile émanant de certains groupes industriels importants et que la politique de prix de la société SFR s'est inscrite dans la même logique, a eu la même nature et a nécessairement eu des effets comparables à celle de la société France Télécom ;

Attendu qu'en statuant ainsi sans constater que les pratiques de la société France Télécom avaient eu pour résultat de rendre indispensable, pour les opérateurs de téléphonie fixe souhaitant présenter à leurs clientèles des prestations relatives aux appels fixes vers mobiles, l'interconnexion directe aux réseaux de téléphonie mobile des sociétés France Télécom et SFR ou, dans le cas où des possibilités de reroutage continuaient d'exister, que les pratiques de "ciseau tarifaire" des sociétés France Télécom et SFR avaient eu ou pu avoir pour effet d'entraîner des pertes pour des concurrents aussi efficaces qu'elles sur le marché des appels fixes vers mobiles, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 avril 2008, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.