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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 11 mars 2009, n° ECEC0915869X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bouygues Télécom (SA), SFR (SA), Orange France (SA)

Défendeur :

UFC Que Choisir, Président du Conseil de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mmes Horbette, Oppelt-Reveneau

Avoués :

SCP Monin d'Auriac de Brons, SCP Gaultier-Kistner, SCP Fisselier Chiloux Boulay, Me Bodin-Casalis

Avocats :

Mes Vogel, Lazarus, Saint-Esteben, Franck

Cons. conc., du 30 nov. 2005

30 novembre 2005

LA COUR,

Vu les recours formés par la SA Société Française du Radiotéléphone (ci-après : SFR), la SA Bouygues Télécom et la société Orange France, respectivement les 5, 6 et 9 janvier 2006 contre la décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-65 rendue le 30 novembre 2005 ;

Vu le mémoire déposé le 7 février 2006 par la société Bouygues Télécom à l'appui de son recours, soutenu par ses conclusions en réplique du 19 juin 2006 et son mémoire récapitulatif et en duplique du 25 août 2006 ;

Vu le mémoire déposé le 9 février 2006 par la société SFR à l'appui de son recours, soutenu par ses mémoires en réplique du 19 juin 2006 et en duplique du 28 août 2006;

Vu le mémoire déposé au greffe de la cour le 13 février 2006 par la société Orange France à l'appui de son recours, soutenu par ses mémoires en réplique déposés le 19 juin 2006 et le 28 août 2006 ;

Vu les observations écrites du ministre chargé de l'Economie, du 28 avril 2006 ;

Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence, du 2 mai 2006 ;

Vu l'arrêt de cette cour, rendu le 12 décembre 2006 ;

Vu l'arrêt de la Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique (n° 1020 FS-P+B+I), prononcé le 29 juin 2007 ;

Vu les déclarations de saisine de la Cour d'appel de Paris par la société Bouygues Télécom, du 19 novembre 2007 et par les sociétés SFR et Orange France, du 20 novembre 2007 ;

Vu les mémoires déposés par la société Bouygues Télécom les 14 mai et 3 décembre 2008 ;

Vu les mémoires déposés par la société SFR les 15 mai et 3 décembre 2008 ;

Vu les mémoires déposés par la société Orange France les 15 mai et 3 décembre 2008 ;

Vu le mémoire déposé le 22 juillet 2008 par l'association Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC Que Choisir) ;

Vu les observations écrites du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, déposées le 19 septembre 2008 ;

Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence déposées le 23 septembre 2008 ;

Vu les observations écrites du Ministère public, du 12 janvier 2009, mises à la disposition des parties à l'audience ;

Les sociétés requérantes et leurs conseils, qui ont eu la parole en dernier, le représentant du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, celui du Conseil de la concurrence et le Ministère public entendus en leurs plaidoiries et observations orales ;

Sur quoi,

Considérant que, s'étant saisi d'office le 28 août 2001 de la situation de la concurrence dans le secteur de la téléphonie mobile et ayant été saisi le 22 février 2002 par l'association UFC Que Choisir de pratiques d'ententes mises en œuvre par les sociétés Bouygues Télécom (Bouygues), SFR et Orange France (Orange) sur le marché des services de téléphonie mobile, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a, par décision n° 05-0-65 du 30 novembre 2005, dit que ces trois opérateurs ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du Traité CE, d'une part, en échangeant régulièrement, de 1997 à 2003, des informations confidentielles relatives audit marché, de nature à réduire l'autonomie commerciale de chacune d'elles et ainsi à altérer la concurrence sur ce marché oligopolistique, et d'autre part, en s'entendant pendant les années 2000 à 2002 pour stabiliser leurs parts de marché respectives autour d'objectifs définis en commun ; qu'il leur a infligé des sanctions pécuniaires allant de 16 à 41 millions d'euro pour les premiers faits et de 42 à 215 millions d'euro pour les seconds et a ordonné des mesures de publication ;

Que, par arrêt du 12 décembre 2006, cette cour a rejeté les recours contre cette décision formés par les sociétés Bouygues, SFR et Orange et déclaré irrecevable le recours incident formé par l'association UFC Que Choisir ;

Considérant que, statuant sur les pourvois des trois opérateurs, la Cour de cassation, dans son arrêt du 29 juin 2007, a jugé que cette cour n'avait pas légalement justifié sa décision en retenant comme établie une entente ayant consisté, pour les sociétés Orange, SFR et Bouygues, à échanger régulièrement, de 1997 à 2003, des informations confidentielles relatives au marché sur lequel elles opèrent, sans rechercher de façon concrète, comme elle y était invitée, si cet échange d'informations rétrospectives entre les trois entreprises opérant sur le marché, en ce qu'il portait sur certaines données non publiées par l'ART ou intervenait antérieurement aux publications de cette autorité, avait eu pour objet ou pour effet réel ou potentiel, compte tenu des caractéristiques du marché, de son fonctionnement, de la nature et du niveau d'agrégation des données échangées qui ne distinguaient pas entre forfaits et cartes pré-payées, et de la périodicité des échanges, de permettre à chacun des opérateurs de s'adapter au comportement prévisible de ses concurrents et ainsi de fausser ou de restreindre de façon sensible la concurrence sur le marché concerné ;

Que la Cour de cassation a en conséquence cassé et annulé partiellement l'arrêt du 12 décembre 2006, " mais seulement en ses dispositions retenant des faits d'entente en raison d'échanges d'informations de 1997 à 2003 entre les sociétés Orange France, SFR et Bouygues Télécom et leur infligeant des sanctions pécuniaires " et remis, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, en l'état de la cassation partielle intervenue :

- d'une part, que l'arrêt de cette cour du 12 décembre 2006 est devenu irrévocable en ce qu'il a déclaré irrecevable le recours incident de l'association UFC Que Choisir ;

- d'autre part, que les parties sont replacées dans l'état où elles étaient avant l'arrêt cassé sur les seuls points atteints par la cassation, soit, premièrement, sur la question du caractère anticoncurrentiel ou non des échanges d'informations qui ont eu lieu de 1997 à 2003 entre les sociétés Bouygues, SFR et Orange, deuxièmement sur les sanctions infligées contre ces sociétés, étant observé que le Conseil, ayant prononcé, par une seule disposition, une sanction unique à raison des deux griefs pris ensemble pour chacune des sociétés, la cour doit examiner les sanctions dans leur montant global et non pas seulement tel qu'individualisé dans les motifs de la décision au titre du seul grief remis en question ;

1. SUR LA PROCÉDURE :

1.1. Sur la recevabilité des écritures et demandes de l'association UFC Que choisir :

Considérant que, à l'audience des plaidoiries, les parties ont été invitées à faire parvenir à la cour une note en délibéré sur la question de la recevabilité des écritures et des demandes présentées par l'association UFC Que choisir ;

Que l'association UFC Que choisir a déposé ses observations le 23 janvier 2009 ; que le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi et les sociétés Orange, Bouygues Télécom et SFR ont déposé les leurs le 27 janvier 2009 ;

Considérant que l'article R. 464-14 du Code de commerce oblige les demandeurs à un recours contre une décision du Conseil de la concurrence à en adresser une copie aux autres parties ; que cette formalité ouvre à ces dernières l'alternative, organisée par les articles R. 464-16 et R. 464-17 du même Code, soit de former un recours incident, soit de se joindre à l'instance devant la cour d'appel, l'exercice de l'une ou l'autre de ces facultés dans le délai d'un mois de la notification du recours principal conférant la qualité de partie devant la cour ; que, dans les deux cas, l'article R. 464-12 est applicable qui dispose, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, que l'exposé des moyens invoqués doit être déposé dans les deux mois qui suivent la notification de la décision du Conseil de la concurrence ;

Considérant que l'association UFC Que choisir a formé le 2 février 2006 un recours incident limité qui tendait à la réformation de la décision seulement en ce que le Conseil n'avait pas transmis le dossier au Procureur de la République par application de l'article L. 462-6 du Code de commerce ; que ses moyens tendant au rejet des recours principaux, qui n'ont été exposés que dans son deuxième mémoire déposé le 15 mai 2006, doivent être déclarés irrecevables d'office par application de l'article R. 464-12 du Code de commerce ;

Considérant, aux termes de l'article 631 du Code de procédure civile, que, devant la cour de renvoi, " l'instruction est reprise en l'état de la procédure atteinte par la cassation " ; qu'en l'espèce, la cassation, qui n'atteint que la qualification de l'échange d'informations et le prononcé des sanctions, ne peut avoir pour effet d'ouvrir à l'association UFC Que choisir une nouvelle occasion de se joindre à l'instance et de présenter des observations pour s'opposer aux recours principaux des sociétés Orange France, SFR et Bouygues Télécom dès lors qu'elle n'avait pas initialement suivi cette voie devant la cour ;

Qu'il en résulte que ses écritures et les demandes qu'elles comportent seront déclarées irrecevables ;

1.2. Sur la communication des pièces :

Considérant que le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi conclut au rejet des débats de pièces, notamment une expertise économique et deux articles postérieurs à la forclusion des délais de recours, annexés par la société Orange à son mémoire du 15 mai 2008 ; qu'il fait valoir que, devant la cour de renvoi, l'instruction doit être reprise en l'état où elle se trouvait avant le prononcé de l'arrêt cassé et annulé et que, dès lors, par application des articles R. 464-10 et suivants du Code de commerce, qui dérogent aux dispositions du titre VI du livre II du Code de procédure civile, les pièces visées doivent être regardées comme tardivement produites ;

Considérant, s'il résulte en effet des dispositions des articles R. 464-12 et R. 464-13 du Code de commerce que les pièces et documents justificatifs non mentionnés dans la déclaration de recours et non remis au greffe en même temps que la déclaration sont d'office irrecevables, c'est à la condition que leur production ne soit pas justifiée par le respect des droits de la défense ;

Considérant, en l'espèce, que l'attendu de la Cour de cassation qui énumère les critères à prendre en compte dans la recherche de l'objet ou de l'effet anticoncurrentiel, potentiel ou réel, de la pratique incriminée, justifie que soient admises dans le débat les pièces produites par les parties, non pour soutenir des moyens nouveaux, mais pour parfaire leur défense au regard de l'analyse ainsi requise ;

2. SUR LE CARACTÈRE ANTICONCURRENTIEL DE L'ÉCHANGE D'INFORMATIONS :

Considérant qu'il est constant que, de 1997 à 2003, les trois sociétés requérantes ont régulièrement échangé chaque mois des informations portant sur les ventes brutes, les résiliations et les ventes nettes ; qu'il y a lieu de rechercher si, compte tenu des caractéristiques et du fonctionnement du marché concerné, de la nature des informations transmises, ces échanges avaient pour objet ou ont eu pour effet potentiel ou réel de restreindre la concurrence sur le marché concerné ;

2.1. Sur la structure et le fonctionnement du marché :

Considérant que les trois opérateurs en cause se partagent la totalité de l'offre de services de téléphonie mobile, qui consistent, pour l'essentiel, en unités de temps de communications téléphoniques, sous la forme d'abonnements, de forfaits ou de cartes prépayées qui, en dépit des caractéristiques de présentation ou de tarification propres à chaque marque, constituent des produits homogènes et substituables ; que le marché concerné présente ainsi les caractères d'un marché oligopolistique fortement concentré ; qu'il est par ailleurs fermé par de fortes barrières à l'entrée que sont les impératifs technologiques et administratifs liés à l'établissement d'un réseau de télécommunications et à l'obtention d'une coûteuse licence ;

Considérant que les données relatives à la répartition des parts de marchés entre les trois opérateurs pour la période considérée, telles qu'exposées aux points 117 à 122 de la décision, dont l'exactitude n'est pas contestée, permettent, en dépit des variations mensuelles observées, de regarder la place relative de chacun comme fixée de manière suffisamment stable dans la durée ; que les évolutions de la demande, dont la croissance, forte jusqu'en 2000, s'est ralentie par la suite, sans effet réellement sensible sur l'évolution de la répartition des parts de marchés, non seulement ne remettent pas en cause cette appréciation, mais ne font au contraire que la renforcer ; que, de même, l'intensité de la concurrence a connu, à partir de 2000, un fléchissement qui s'est traduit par une diminution des efforts consentis en vue de l'acquisition de nouveaux clients et une augmentation des tarifs, ces éléments s'inscrivant dans une " politique de pacification " mentionnée dans le document émanant de France Télécom analysé par le Conseil aux § 60 et 72 de la décision ;

Considérant, au contraire de ce que soutient la société Orange, qu'il n'est pas exclu qu'un échange d'informations sur les ventes passées dans le cas d'une concurrence par les quantités puisse produire un effet anticoncurrentiel, même s'il peut être favorable au consommateur dans certaines conditions ; que l'hypothèse de la requérante selon laquelle ces conditions se seraient rencontrées en l'espèce dans la mesure où, l'évolution des ventes ayant permis aux opérateurs d'anticiper un accroissement de la demande et finalement d'adapter en conséquence les capacités de leurs réseaux pour mieux satisfaire la clientèle ne repose sur aucune démonstration et n'est étayée par aucun élément du dossier ; que, tout au contraire, la connaissance des ventes brutes, qui n'apporte aucune information sur le volume des consommations et la localisation des saturations éventuelles, ne présente aucune utilité à cette fin ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le Conseil a exactement déduit des éléments de l'enquête, dans les § 152 à 187 de la décision, que le marché concerné présentait des caractères de structure et de fonctionnement tels qu'un échange régulier d'informations confidentielles et stratégiques entre les sociétés opérant sur ce marché pouvait se traduire par une restriction de concurrence ;

2.2. Sur les informations échangées :

Considérant que le caractère confidentiel des informations échangées entre les opérateurs est attesté notamment par l'avertissement joint aux messages de diffusion des données au sein de la société Bouygues affirmant : " Je vous rappelle que ces chiffres sont échangés entre les trois opérateurs à titre confidentiel. Ils ne doivent en aucune façon être communiqués à l'extérieur et notamment pas auprès de nos instances réglementaires (ART, ministère,...) " ; que ce caractère confidentiel n'est pas démenti, mais plutôt confirmé par le fait que des considérations d'opportunité financière, invoquées notamment par la société Bouygues, imposent, à côté de préoccupations liées au droit de la concurrence une discrétion sur ces échanges ;

Considérant que les sociétés requérantes soutiennent vainement qu'elles auraient de toute façon pu obtenir les données échangées par d'autres canaux, tels que les publications de l'ART, les informations données par les distributeurs ou la presse ;

Considérant qu'il est constant que les échanges entre les opérateurs étaient toujours antérieurs de près d'une semaine à l'envoi des données à l'ART destiné à l'observatoire des mobiles ; que ce dernier n'a donné lieu, à partir d'avril 2000, qu'à une publication trimestrielle de sorte qu'il ne pouvait permettre, en tout état de cause, aux opérateurs de disposer des données avec le même degré d'actualité que par l'échange organisé entre eux ; que les diverses analyses ou études de marchés publiées en ordre dispersé par des organismes spécialisés ou la presse économique, qui ne pouvaient être élaborées qu'à partir des données fournies par l'ART ou par les opérateurs eux-mêmes, ne pouvaient évidemment être plus récentes ni plus précises, ni plus fiables, ni plus régulières que leurs sources, ni être exploitées avec autant d'efficacité qu'un ensemble de données systématiquement actualisé tous les mois pendant plusieurs années ;

Considérant, au surplus, que le chiffre des ventes brutes que les opérateurs se communiquaient chaque mois n'était pas publié par l'ART ;

Considérant, par ailleurs, que l'enquête a montré que les renseignements donnés par les distributeurs aux opérateurs ne portaient que sur les ventes des produits de chacun d'eux et non sur ceux des autres et ne permettaient donc pas de reconstituer l'information globale sur la répartition des parts de marché ;

Considérant que c'est donc à juste titre que le Conseil a retenu que les informations échangées entre les opérateurs avant toute autre communication avaient, au moins pendant un certain temps, un caractère confidentiel ; que ce caractère se conservait plus longtemps s'agissant des informations relatives aux ventes brutes, non publiées par l'observatoire des mobiles ;

Considérant, par ailleurs, que le Conseil a justement expliqué, compte tenu des circonstances propres à la présente espèce, en quoi les informations échangées, et particulièrement celles sur les ventes brutes, en dépit du caractère global de ces données et de l'absence de ventilation par région, par nature d'offre pré- ou post-payée, par canal de distribution ou catégorie de clientèle, présentaient à elles-seules un intérêt stratégique déterminant pour éclairer la prise de décision de politique commerciale, notamment parce qu'elles permettaient de faire un lien direct entre les mouvements de prix des produits et l'évolution de l'indicateur ventes brutes ; qu'il a ainsi pertinemment retenu (§ 210) que, sur le marché concerné, où la transparence est atténuée par la multiplicité des formules d'abonnements, de cartes ou de forfaits, la diversité des options et la fréquence de renouvellement des offres, " l'observation de l'évolution des ventes brutes est le seul indicateur capable de renseigner de façon synthétique sur "l'effort concurrentiel" fait par les concurrents " ; que le Conseil a encore relevé, se référant à l'extrait du comité exécutif du 24 juin 2002 cité par la société Orange, que, si les opérateurs avaient regardé comme souhaitable l'échange d'indicateurs plus complets comportant par exemple une ventilation entre pré et post payés, celle-ci n'avait pourtant jamais été mise en œuvre, les données globales présentant en elles-mêmes un intérêt stratégique suffisant ;

Considérant encore que, bien que rétrospectives, les informations échangées, par leur grande actualité et la périodicité rapprochée des communications, compte tenu, en outre, de leur accumulation constitutive d'une série continue pendant plusieurs années, présentaient une utilité certaine pour anticiper une évolution ;

Considérant, au surplus, que le caractère stratégique des données échangées est suffisamment établi, dans la réalité, par l'attention avec laquelle ces informations étaient analysées, au plus haut niveau de la direction des entreprises, par les instances décisionnelles en charge, précisément, de la stratégie commerciale des sociétés en cause ;

Considérant, à cet égard, que le Conseil a montré de manière détaillée, dans les § 220 à 224 de la décision et en se référant aux comptes rendus des comités exécutifs ou des conseils d'administration examinés et cités aux § 38 à 49 et 86 à 9l, que les informations échangées avaient été utilisées concrètement par les opérateurs pour évaluer les conséquences de la politique commerciale mise en œuvre, justifier les mesures commerciales prévues, infléchir, le cas échéant, la politique commerciale, enfin anticiper le comportement de l'un d'entre eux en réaction à une baisse de ses parts de marché ;

Considérant que le Conseil a ainsi démontré non seulement, au regard de la structure du marché et de son fonctionnement, du caractère confidentiel, de la nature et du niveau d'agrégation des informations échangées et de leur intérêt stratégique, de la périodicité des échanges, que ceux-ci étaient de nature à atténuer ou à supprimer l'incertitude quant au caractère prévisible du comportement des concurrents, mais encore, qu'ils avaient concrètement permis aux opérateurs de réduire leur autonomie pour s'adapter aux évolutions des politiques commerciales de leurs concurrents en ayant pour effet de fausser ou de restreindre de façon sensible la concurrence sur le marché de la téléphonie mobile ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que c'est par des motifs pertinents que la cour fait siens que le Conseil a conclu que les sociétés Orange, SFR et Bouygues, seuls offreurs sur le marché des services de téléphonie mobile, ont échangé, systématiquement tous les mois de 1997 à 2003, à leur seul profit, à l'exclusion des consommateurs, des informations qu'elles tenaient pour des secrets d'affaires et qui n'étaient accessibles par aucune autre source ; que ces informations, suffisamment précises et d'une grande actualité, concernaient un marché oligopolistique fermé en phase d'expansion puis de consolidation sur lequel la concurrence était en voie d'atténuation ; que ces échanges avaient accru la transparence du marché et révélé aux opérateurs leurs stratégies respectives en leur permettant, par leur accord de volonté, de limiter la concurrence résiduelle ; que le grief notifié à ce titre aux trois opérateurs sur le fondement des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE est établi ;

3. SUR LES SANCTIONS :

Considérant que, si le dispositif de la décision déférée mentionne seulement, pour chacune des sociétés requérantes, le montant global de la sanction prononcée à son encontre, ce montant, à la lumière des motifs exposés aux § 342 pour la société Orange, 344 pour la société SFR et 346 pour la société Bouygues, apparaît comme la somme de deux éléments individualisés correspondant à chacune des pratiques qualifiées ; que c'est ainsi qu'à la pratique relative à l'échange d'informations correspondent des éléments de sanction, respectivement, de 41 millions d'euro pour la société Orange, de 35 millions d'euro pour la société SFR et de 16 millions d'euro pour la société Bouygues ;

Considérant, au rebours de ce que soutient la société Orange, qui fait valoir que la mention au dispositif du seul montant global de la sanction s'explique par la raison que, l'une des deux pratiques ayant pu, pendant un temps, servir à la mise en œuvre de l'autre, les deux seraient indissociables, qu'il ne résulte pas de l'arrêt de la Cour de cassation que les deux pratiques ne pourraient être appréciées de manière autonome ; que, tout au contraire, la Haute juridiction a jugé que la cour d'appel, en ne considérant pas comme unique le dommage causé à l'économie par les deux pratiques sanctionnées, et en fixant des sanctions distinctes pour chacune des infractions, n'avait pas méconnu les textes invoqués par les sociétés requérantes ;

Considérant, dès lors, que seuls doivent être examinés les moyens dirigés contre l'appréciation de l'élément de la sanction se rapportant à l'échange d'informations en ce qu'il concourt à la fixation de la sanction globale ;

Considérant que l'article L. 464-2 du Code de commerce dispose que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction " ;

Considérant, s'agissant d'une entente horizontale, appartenant aux restrictions de concurrence les plus graves, que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à minimiser la gravité de la pratique d'échange d'informations, dont le Conseil a fait une appréciation mesurée en retenant que celle-ci n'atteignait pas le caractère de gravité d'une entente expresse sur les prix ou de répartition de marchés, ni même celui d'un échange d'informations entre soumissionnaires à un marché public préalablement à la remise des offres ; que le Conseil a néanmoins souligné la durée de la pratique, étalée sur sept années avant qu'il n'y soit mis fin, non pas seulement sur l'initiative de la société Bouygues, comme cette dernière s'en flatte, mais par la mise en œuvre de la procédure, et qu'il n'y avait pas lieu de porter une appréciation différente de la gravité de la pratique selon les opérateurs concernés ;

Considérant que le Conseil a encore justement évalué les effets de l'échange d'informations sur le marché en cause et fait une exacte appréciation du dommage à l'économie que cette pratique avait provoqué, étant observé que l'existence d'un dommage à l'économie est présumée dans le cas d'une entente et qu'il n'est pas nécessaire que celui-ci soit chiffré avec précision dès lors que les éléments qui permettent d'en mesurer l'importance sont suffisants ; que le Conseil a notamment relevé que la taille du marché était très importante et que la totalité des opérateurs intervenant sur ce marché y avaient participé ;

Considérant que les données relatives aux chiffres d'affaires à prendre en compte pour l'évaluation des sanctions ne sont pas discutées ;

Considérant enfin que le moyen de la société Bouygues, tiré d'une comparaison de la sanction prononcée contre elle avec celles infligées aux autres sociétés en cause, lui faisant dire qu'elle a été l'objet d'un traitement plus sévère, outre qu'il est dépourvu de pertinence dans la mesure où une proportionnalité de cette nature ne figure pas parmi les critères d'appréciation de la sanction tels qu'énumérés par l'article L. 462-4 du Code de commerce, n'est, en toute hypothèse, pas fondé puisque le montant de la sanction retenu pour l'échange d'informations représente pour chacune des sociétés 0,49 % de son chiffre d'affaires ;

Considérant, en définitive, que les recours seront rejetés ;

Par ces motifs, Déclare irrecevables l'intervention et les demandes de l'association UFC Que Choisir, Dit n'y avoir lieu à écarter des débats les pièces visées par le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Rejette les recours, Condamne les sociétés requérantes SFR, Bouygues Télécom et la société Orange France aux dépens, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile. Vu l'article R. 470-2 du Code de commerce, Dit que sur diligences du greffier en chef de la cour, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception, à la Commission européenne, au Conseil de la concurrence et au ministre chargé de l'Economie.