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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 11 mars 2009, n° ECEC1010055X

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Marc Morel et Fils (SA)

Défendeur :

Président du Conseil de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avoué :

SCP Guizard

Avocats :

Me Breuil, Martinet

CA Paris n° ECEC1010055X

11 mars 2009

Saisi le 7 juillet 2005 par le ministre chargé de l'Economie de la situation de la concurrence dans le secteur du négoce des produits sidérurgiques, le Conseil de la concurrence, par une décision n° 08-D-32 du 16 décembre 2008 notifiée le 19 décembre 2008, a retenu que onze entreprises et un syndicat avaient enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE et leur a infligé des sanctions pécuniaires, tout en ordonnant la publication de la décision, le cas échéant assortie de la mention selon laquelle cette dernière a fait l'objet d'un recours devant la Cour d'appel de Paris.

Sanctionnée à hauteur de 12 000 000 euro, la société Etablissements Marc Morel et Fils (société Morel) a formé un recours contre la décision le 19 janvier 2009 et, par assignations délivrées les 4, 5, 6 et 12 février 2009 aux autres parties sanctionnées ainsi qu'au ministre chargé de l'Economie, a demandé le sursis à l'exécution tant de la sanction pécuniaire que de la mesure de publication.

A l'audience du 23 février 2009, ont été entendus en leurs observations les conseils de la société Morel, qui ont été mis en mesure de répliquer, ainsi que le représentant du Conseil de la concurrence qui s'est opposé à la demande, celui du ministre chargé de l'Economie qui s'y est rallié et le Ministère public, qui y a souscrit pour ce qui est de la sanction pécuniaire ;

Sur ce :

Attendu que, selon l'article L. 464-8 du Code de commerce, le recours n'est pas suspensif mais le premier président de la Cour d'appel de Paris ou son délégué peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou s'il est intervenu postérieurement à sa notification des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité ;

Attendu qu'au soutien de sa demande, la société Morel expose que la sanction pécuniaire équivaut à 22 % de son chiffre d'affaires en 2007 et excède donc le seuil légal, que le Conseil s'est mépris en prenant comme assiette de la sanction le chiffre d'affaires de 6,7 milliards d'euro réalisé par Duferco, alors que c'est celui de réalisé par le groupe Morel au 31 décembre 2007, soit 55 192 839 euro, qui devait être pris en compte, que le Conseil a violé les droits de la défense en ne la mettant pas en mesure de discuter les éléments comptables et financiers qui fondent la sanction pécuniaire, qu'enfin, le règlement de cette sanction entraînerait des conséquences manifestement excessives pour elle puisqu'il mettrait en péril son avenir ;

Attendu, d'abord, qu'il n'appartient pas au magistrat délégué par le premier Président de contrôler la légalité de la décision, objet du recours dont la cour aura à connaître, à moins qu'en raison d'une violation flagrante des règles de droit applicables, la décision ne soit sérieusement menacée d'annulation de sorte que son exécution dans ces conditions serait de nature à engendrer les conséquences manifestement excessives prévues par l'article L. 464-8 précité ;

Attendu qu'à cet égard, les documents versés aux débats par le Conseil de la concurrence, notamment des extraits de la notification du grief et du rapport, et les observations de la société Morel en réponse à ce rapport, démontrent que cette dernière, contrairement à ce qu'elle prétend, a été mise en mesure de s'expliquer sur le chiffre d'affaires à retenir pour la détermination du plafond légal de la sanction ;

Que la société Morel ne conteste pas non plus l'exactitude des constatations du Conseil selon lesquelles ses comptes sont consolidés au sein de ceux de sa société mère, la société Duferco, cette constatation étant nécessaire à la détermination du plafond légal de la sanction, conformément à l'article L. 464-2,1, alinéa 4, du Code de commerce qui dispose que le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre et, si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ;

Qu'ainsi, il n'est pas établi que la décision soit sérieusement menacée d'annulation en raison d'une violation flagrante des règles de droit applicable ;

Attendu, cependant, qu'il est exact que la sanction prononcée équivaut à 22 % du montant du chiffre d'affaires réalisé par la seule société Morel en France en 2007, que cette dernière justifie par un rapport de son expert comptable qu'elle a réalisé un résultat net de 3,5 M€ environ en 2008 et que la sanction prononcée excède notablement le montant de ses capitaux propres (7,2 M€), même en tenant compte de la provision portée en comptes de 3 M€ ; que cette situation, dans le contexte économique actuel particulièrement tendu, justifie qu'il soit sursis à l'exécution des trois quarts de la sanction jusqu'à ce que la cour ait statué sur le bien-fondé du recours ; que dès lors, il doit également être fait droit à la demande de sursis à l'exécution de la mesure de publication ordonnée, qui précise le montant total de la sanction prononcée et qui, dans cette mesure, est susceptible de compliquer ses relations avec ses fournisseurs de crédit, banques et factors, ainsi qu'elle le soutient ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application en la cause des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, Ordonnons le sursis à l'exécution des trois quarts de la sanction prononcée contre la société Etablissements Marc Morel et Fils à l'article 3 de la décision n° 08-D-32 du Conseil de la concurrence en date du 16 décembre 2008, ainsi que de la publication ordonnée à l'article 4, jusqu'à ce que la cour ait statué sur le bien-fondé du recours formé par cette entreprise contre la décision ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejetons la demande de la société Etablissements Marc Morel et Fils ; Disons que les dépens de la présente instance suivront le sort de l'instance au fond.