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Décisions

CJCE, 1re ch., 19 mars 2009, n° C-510/06 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Archer Daniels Midland Co.

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Jann

Avocat général :

Mme Trstenjak

Juges :

MM. Tizzano, Borg Barthet, Levits (rapporteur), Kasel

Avocat :

Me Garcia

CJCE n° C-510/06 P

19 mars 2009

LA COUR (première chambre),

1 Par son pourvoi, Archer Daniels Midland Co. (ci-après "ADM") demande l'annulation de l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission (T-329-01, Rec. p. II-3255, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l'annulation partielle de la décision C (2001) 2931 final de la Commission, du 2 octobre 2001, concernant une procédure d'application de l'article 81 du traité CE et de l'article 53 de l'accord EEE (Affaire COMP/E-1/36.756 - Gluconate de sodium) (ci-après la "décision litigieuse"), en tant que celle-ci la concerne.

Le cadre juridique

2 L'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), prévoit:

"La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes de mille unités de compte au moins et d'un million d'unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a) elles commettent une infraction aux dispositions de l'article [81], paragraphe 1, [CE] ou de l'article [82 CE], [...]

[...]

Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci."

3 La communication de la Commission, intitulée "Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 et de l'article 65 paragraphe 5 du traité CECA" (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les "lignes directrices"), énonce notamment:

"Les principes posés par les [...] lignes directrices devraient permettre d'assurer la transparence et le caractère objectif des décisions de la Commission tant à l'égard des entreprises qu'à l'égard de la Cour de justice, tout en affirmant la marge discrétionnaire laissée par le législateur à la Commission pour la fixation des amendes dans la limite de 10 % du chiffre d'affaires global des entreprises. Cette marge devra toutefois s'exprimer dans une ligne politique cohérente et non discriminatoire adaptée aux objectifs poursuivis dans la répression des infractions aux règles de concurrence.

La nouvelle méthodologie applicable pour le montant de l'amende obéira dorénavant au schéma suivant, qui repose sur la fixation d'un montant de base auquel s'appliquent des majorations pour tenir compte des circonstances aggravantes et des diminutions pour tenir compte des circonstances atténuantes."

4 Aux termes du point 1, A, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices:

"Il sera en outre nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs d'infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l'amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif.

[...]

Dans le cas d'infractions impliquant plusieurs entreprises (type 'cartel'), il pourra convenir de pondérer, dans certains cas, les montants déterminés à l'intérieur de chacune des trois catégories retenues ci-dessus afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature."

5 Le point 3 des lignes directrices, intitulé "Circonstances atténuantes", est libellé comme suit:

"Diminution du montant de base pour les circonstances atténuantes particulières telles que, par exemple:

[...]

- Cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission (notamment vérifications),

[...]"

La décision litigieuse

L'entente

6 La Commission a adressé la décision litigieuse à six entreprises productrices de gluconate de sodium, à savoir Akzo Nobel NV (ci-après "Akzo"), ADM, Coöperatieve Verkoop- en Productievereniging van Aardappelmeel en Derivaten Avebe BA (ci-après "Avebe), Fujisawa Pharmaceutical Co. Ltd (ci-après "Fujisawa"), Jungbunzlauer AG (ci-après "JBL") et Roquette Frères SA (ci-après "Roquette").

7 Le gluconate de sodium fait partie des agents chélateurs, qui sont des produits qui inactivent les ions métalliques dans des processus industriels. Ces processus comprennent, notamment, le nettoyage industriel, le traitement des surfaces et le traitement des eaux. Les agents chélateurs sont ainsi utilisés dans l'industrie alimentaire, l'industrie cosmétique, l'industrie pharmaceutique, l'industrie du papier, l'industrie du béton et d'autres industries.

8 Aux mois d'octobre et de décembre 1997, ainsi qu'au mois de février 1998, la Commission a été informée que, à la suite de l'ouverture d'une enquête par le ministère de la Justice américain, Akzo, Avebe, Glucona vof (ci-après "Glucona"), une entreprise contrôlée jusqu'en 1995 par Akzo Chemie BV, filiale à 100 % d'Akzo et d'Avebe, Fujisawa et Roquette avaient reconnu avoir participé à une entente ayant consisté à fixer les prix du gluconate de sodium et à répartir les volumes de vente de ce produit aux États-Unis et ailleurs. Ces entreprises ainsi qu'ADM ont été condamnées à une amende à la suite d'accords conclus avec le ministère de la Justice.

9 La Commission a adressé, le 18 février 1998, en vertu de l'article 11 du règlement n° 17, des demandes de renseignements aux principaux producteurs, importateurs, exportateurs et acheteurs de gluconate de sodium en Europe. ADM n'a pas été destinataire de cette demande.

10 Faisant suite à ces demandes, Fujisawa a indiqué qu'elle souhaitait coopérer avec la Commission sur la base de la communication de la Commission concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la "communication sur la coopération").

11 Le 10 novembre 1998, la Commission a adressé une demande de renseignements à ADM qui lui a annoncé son intention de coopérer.

12 Compte tenu des informations qui lui ont été fournies ainsi que d'autres éléments de preuve, la Commission a constaté que les entreprises incriminées avaient participé à une entente consistant en l'allocation de quotas de vente, en la fixation de prix de vente minimaux sur le marché du gluconate de sodium et en la mise en place de mécanismes de surveillance, dont les modalités étaient définies au cours de réunions multilatérales et bilatérales régulières entre les participants à l'entente. Partant, le 17 mai 2000, elle a adressé une communication des griefs à ADM et aux autres entreprises concernées pour violation de l'article 81, paragraphe 1, CE et de l'article 53, paragraphe 1, de l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3). Aucune de ces entreprises n'a demandé la tenue d'une audition ni contesté la matérialité des faits exposés dans la communication des griefs.

La durée de l'entente

13 La Commission a considéré que l'entente avait duré du mois de février 1987 au mois de juin 1995 tout participant confondu. À cet égard, elle a retenu la réunion du 3 au 5 juin 1995 tenue à Anaheim (États-Unis) (ci-après la "réunion du 3 au 5 juin 1995") comme dernière tentative de poursuivre l'entente incriminée. Ce faisant, elle n'a pas tenu compte de ce qu'ADM aurait cessé de participer à l'entente dès le 4 octobre 1994, lors d'une réunion entre les participants à l'entente tenue à Londres (Royaume-Uni) (ci-après la "réunion du 4 octobre 1994").

Les amendes

14 Aux fins de la fixation du montant des amendes, la Commission a fait application de la méthodologie exposée dans les lignes directrices ainsi que de la communication sur la coopération.

15 En premier lieu, elle a déterminé le montant de base de l'amende en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction.

16 En ce qui concerne la gravité de l'infraction, tout d'abord, la Commission a, au trois cent soixante et onzième considérant de la décision litigieuse, qualifié l'infraction de très grave, eu égard à sa nature, à son impact concret sur le marché du gluconate de sodium dans l'Espace économique européen et à l'étendue du marché géographique concerné.

17 Ensuite, la Commission a estimé, aux trois cent soixante-dix-huitième à trois cent quatre-vingt-cinquième considérants de la décision litigieuse, qu'il fallait tenir compte de la capacité économique réelle à porter un préjudice à la concurrence et fixer l'amende à un niveau qui garantisse un effet dissuasif suffisant. Par conséquent, en se fondant sur les chiffres d'affaires mondiaux réalisés par les entreprises concernées par la vente de gluconate de sodium au cours de l'année 1995, dernière année de la période infractionnelle, communiqués par les entreprises concernées à la suite des demandes de renseignements de la Commission et à partir desquels la Commission a calculé les parts de marché respectives de ces entreprises, la Commission a classé celles-ci en deux catégories. Dans la première catégorie, elle a classé les entreprises qui, selon les données dont elle disposait, détenaient des parts du marché mondial du gluconate de sodium supérieures à 20 %, à savoir Fujisawa (35,54 %), JBL (24,75 %) et Roquette (20,96 %). Pour ces entreprises, la Commission, a fixé le montant de départ de l'amende à 10 millions d'euro. Dans la seconde catégorie, elle a classé les entreprises qui, selon les données dont elle disposait, détenaient des parts du marché mondial du gluconate de sodium inférieures à 10 %, à savoir Glucona (environ 9,5 %) et ADM (9,35 %). Pour ces entreprises, la Commission a fixé le montant de départ de l'amende à 5 millions d'euro, c'est-à-dire, pour Akzo et Avebe qui détenaient conjointement Glucona, à 2,5 millions d'euro chacune.

18 En outre, afin d'assurer à l'amende un effet suffisamment dissuasif, d'une part, et de tenir compte du fait que les grandes entreprises disposent de connaissances et d'infrastructures juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence, d'autre part, la Commission a procédé, au trois cent quatre-vingt-huitième considérant de la décision litigieuse, à un ajustement de ces montants de départ. Par conséquent, en tenant compte de la taille et des ressources globales des entreprises concernées, la Commission a appliqué un coefficient multiplicateur de 2,5 aux montants de départ déterminés pour ADM et Akzo et a, dès lors, majoré ce montant de départ, de sorte qu'il a été fixé à 12,5 millions d'euro dans le cas d'ADM et à 6,25 millions d'euro dans le cas d'Akzo.

19 Aux trois cent quatre-vingt-neuvième à trois cent quatre-vingt-douzième considérants de la décision litigieuse, la Commission a indiqué que pour tenir compte de la durée de l'infraction commise par chaque entreprise, il convenait de majorer le montant de départ de 10 % par an, soit une majoration de 80 % pour Akzo, Avebe, Fujisawa et Roquette, de 70 % pour JBL et de 35 % pour ADM.

20 Ainsi, au trois cent quatre-vingt-seizième considérant de la décision litigieuse, la Commission a fixé le montant de base des amendes à 11,25 millions d'euro en ce qui concerne Akzo, à 16,88 millions d'euro en ce qui concerne ADM, à 4,5 millions d'euro en ce qui concerne Avebe, à 18 millions d'euro en ce qui concerne Fujisawa et Roquette, ainsi qu'à 17 millions d'euro en ce qui concerne JBL.

21 En deuxième lieu, ainsi qu'il ressort du quatre cent troisième considérant de la décision litigieuse, le montant de base de l'amende infligée à JBL a été majoré de 50 %, au titre des circonstances aggravantes, au motif que cette entreprise avait joué un rôle de meneur dans le cadre de l'entente.

22 En troisième lieu, aux quatre cent quatrième à quatre cent dixième considérants de la décision litigieuse, la Commission a examiné et rejeté les arguments de certaines entreprises, dont ADM, selon lesquels ces entreprises devaient bénéficier de circonstances atténuantes.

23 En quatrième lieu, en application du titre B de la communication sur la coopération, la Commission a consenti à Fujisawa une "réduction très importante", à savoir 80 %, du montant de l'amende qui lui aurait été infligée en l'absence de coopération, ainsi qu'il ressort du quatre cent dix-huitième considérant de la décision litigieuse. En outre, la Commission a considéré, au quatre cent vingt-troisième considérant de cette décision, qu'ADM ne remplissait pas les conditions prévues au titre C de cette communication pour bénéficier d'une "réduction importante" du montant de son amende. Enfin, en application du titre D de ladite communication, la Commission a, aux quatre cent vingt-sixième et quatre cent vingt-septième considérants de ladite décision, consenti une "réduction significative", à savoir 40 %, du montant de l'amende infligée à ADM et à Roquette ainsi que de 20 % de celle infligée à Akzo, à Avebe et à JBL.

Le dispositif de la décision litigieuse

24 Aux termes de l'article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse, les six entreprises destinataires de celle-ci "ont enfreint l'article 81, paragraphe 1, CE [...] en participant à un accord et/ou une pratique concertée continus dans le secteur du gluconate de sodium".

25 L'article 1er, paragraphe 2, de cette décision dispose que l'infraction a duré du mois de février 1987 au mois de juin 1995 dans le cas d'Akzo, d'Avebe, de Fujisawa et de Roquette, du mois de mai 1988 au mois de juin 1995 dans le cas de JBL ainsi que du mois de juin 1991 au mois de juin 1995 dans le cas d'ADM.

26 L'article 3 du dispositif de la décision litigieuse est rédigé comme suit:

"Les amendes suivantes sont infligées pour l'infraction visée à l'article 1er:

a) [Akzo] 9 millions d'euro

b) [ADM] 10,13 millions d'euro

c) [Avebe] 3,6 millions d'euro

d) [Fujisawa] 3,6 millions d'euro

e) [JBL] 20,4 millions d'euro

f) [Roquette] 10,8 millions d'euro".

La procédure devant le Tribunal et l'arrêt attaqué

27 Le 21 décembre 2001, ADM a introduit un recours devant le Tribunal contre la décision litigieuse.

28 Par son recours, ADM a conclu à l'annulation de l'article 1er de la décision litigieuse en ce qu'il la vise, ou, à tout le moins, en ce qu'il considère qu'elle a participé à une infraction après le 4 octobre 1994, de l'article 3 de ladite décision en ce qu'il la vise et, subsidiairement, à l'annulation ou à la réduction substantielle du montant de l'amende qui lui a été infligée.

29 Au soutien de son recours ADM a présenté quatre moyens comprenant différents arguments.

30 En premier lieu, ADM a excipé d'une mauvaise application des lignes directrices au cas d'espèce. En particulier, elle a indiqué que la Commission n'a mis en avant aucune considération de politique communautaire de la concurrence justifiant une augmentation significative du montant de l'amende au travers de l'application des lignes directrices.

31 Le Tribunal a rejeté ce moyen en jugeant, d'une part, au point 44 de l'arrêt attaqué, que la Commission ne saurait être privée de son pouvoir d'élever le niveau des amendes pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence et, d'autre part, aux points 47 et 48 de cet arrêt, que l'augmentation du niveau des amendes par la Commission n'était pas manifestement disproportionnée par rapport à l'objectif d'assurer cette mise en œuvre et qu'il devait être raisonnablement prévisible pour ADM que la Commission puisse à tout moment revoir le niveau général des amendes dans le contexte de la mise en œuvre d'une autre politique de concurrence.

32 En deuxième lieu, ADM a contesté l'appréciation de la gravité de l'infraction et a argué, plus spécifiquement, de ce que la Commission n'avait pas suffisamment pris en compte le montant limité du chiffre d'affaires qu'elle a réalisé par la vente du gluconate de sodium.

33 Après avoir rappelé, aux points 76 et 77 de l'arrêt attaqué, que le chiffre d'affaires est un élément d'appréciation parmi d'autres permettant la fixation de l'amende, le Tribunal a constaté, au point 86 de cet arrêt, que la Commission avait bel et bien tenu compte des chiffres d'affaires des parties à l'entente tirés de la vente du gluconate de sodium pour appliquer un traitement différencié aux entreprises concernées.

34 En troisième lieu, ADM a fait valoir, dans le cadre de ce même moyen relatif à l'appréciation de la gravité de l'infraction, que la Commission avait violé le principe d'égalité de traitement, dans la mesure où elle aurait infligé une amende d'un montant bien moindre dans l'affaire ayant donné lieu à la décision 2003-437-CE de la Commission, du 11 décembre 2001, relative à une procédure engagée au titre de l'article 81 du traité CE et de l'article 53 de l'accord EEE - Affaire COMP/E-1/37.027 - Phosphate de zinc (JO 2003, L 153, p. 1, ci-après la "décision phosphate de zinc"), dans des circonstances comparables à celle de l'infraction en l'espèce.

35 À cet égard, le Tribunal a rappelé, aux points 107 à 111 de l'arrêt attaqué, que la pratique décisionnelle de la Commission ne servait pas de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence et que, dès lors, cet argument de la requérante était inopérant. Au demeurant, il a ajouté, au point 113 de cet arrêt, que les circonstances de l'affaire ayant donné lieu à la décision litigieuse et celles de l'affaire ayant donné lieu à la décision phosphate de zinc étaient, prima facie, différentes, pour estimer que, en tout état de cause, et au terme de son pouvoir de pleine juridiction, il convenait de maintenir le montant de base fixé par la Commission pour l'infraction commise par ADM.

36 En quatrième lieu, et toujours dans le cadre du moyen relatif à l'appréciation de la gravité de l'infraction, ADM a fait valoir que la Commission a commis une erreur de droit en excluant du marché pertinent les substituts du gluconate de sodium.

37 Constatant, au point 237 de l'arrêt attaqué, qu'ADM n'a pas démontré que l'impact de l'entente relatif au gluconate de sodium sur le marché plus large des agents de chélation aurait été inexistant ou, à tout le moins, négligeable, le Tribunal a rejeté cet argument.

38 En cinquième lieu, dans le cadre du moyen tiré d'erreurs d'appréciation relatives à la durée de l'infraction, ADM a contesté l'analyse faite par la Commission de son comportement lors de la réunion du 4 octobre 1994.

39 Au point 247 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a constaté qu'ADM ne s'était pas publiquement distanciée de l'entente lors de ladite réunion, et confirmé l'appréciation de la Commission, d'après laquelle le comportement d'ADM pouvait être qualifié de stratégique. Aux points 248 à 250 de cet arrêt, il a indiqué que les dépositions d'autres participants à l'entente venaient corroborer ce raisonnement.

40 En sixième lieu, s'agissant du même moyen tiré d'erreurs d'appréciation relatives à la durée de l'infraction, ADM a reproché à la Commission d'avoir considéré la réunion du 3 au 5 juin 1995 comme étant une preuve de ce que l'entente s'était perpétrée à cette date.

41 Le Tribunal a rejeté cet argument au travers d'une argumentation fondée sur cinq éléments et, notamment, en soulignant, au point 263 de l'arrêt attaqué, qu'une note de Roquette consignée lors de ladite réunion venait corroborer la thèse de la Commission.

42 En septième lieu, dans le cadre du moyen tiré d'erreurs d'appréciation commises par la Commission dans l'application des circonstances atténuantes, ADM a fait valoir que la Commission ne lui a pas fait bénéficier, à tort, d'une réduction d'amende, dans la mesure où elle avait mis fin à son comportement infractionnel dès la première intervention des autorités de la concurrence américaines.

43 Après s'être livré, aux points 277 à 280 de l'arrêt attaqué, à une interprétation du point 3 des lignes directrices, le Tribunal a conclu, au point 283 dudit arrêt, que le comportement d'ADM ne saurait entraîner le bénéfice de circonstances atténuantes et a, dès lors, rejeté ce moyen ainsi que l'ensemble du recours.

Les conclusions des parties devant la Cour

44 ADM demande à la Cour:

- d'annuler l'arrêt attaqué dans la mesure où le Tribunal a rejeté le recours formé contre la décision litigieuse;

- d'annuler l'article 3 de la décision litigieuse dans la mesure où il la concerne;

- subsidiairement, de modifier ledit article 3 afin de réduire ou d'annuler l'amende qui lui a été infligée;

- subsidiairement, de renvoyer l'affaire devant le Tribunal afin qu'il statue conformément à l'arrêt de la Cour sur le plan du droit, et

- en tout état de cause, de condamner la Commission à supporter ses propres dépens ainsi que les dépens d'ADM en ce qui concerne la procédure devant le Tribunal et celle devant la Cour.

45 La Commission demande à la Cour de:

- rejeter le pourvoi, et

- condamner ADM aux dépens.

Sur le pourvoi

46 À l'appui de son pourvoi, ADM soulève, en substance, quatre moyens respectivement tirés:

- d'une erreur de droit dans l'application des principes relatifs au calcul du montant de l'amende en ce que le Tribunal a appliqué un principe erroné pour déterminer ce montant;

- d'une erreur de droit dans l'appréciation de l'incidence de l'entente sur le marché pertinent;

- d'une erreur de droit dans la fixation de la date de cessation de l'entente, et

- à titre subsidiaire, d'une erreur de droit quant à la prise en compte de circonstances atténuantes.

Sur le premier moyen, tiré d'une erreur de droit dans l'application des principes relatifs au calcul du montant de l'amende

Argumentation des parties

47 Le premier moyen invoqué par ADM se divise en trois branches.

- Sur la première branche du premier moyen, tirée d'un défaut de motivation

48 Selon ADM, le Tribunal est resté en défaut de justifier pourquoi le montant de l'amende infligée, qui sous l'empire de la pratique antérieure de la Commission aurait été bien inférieur à ce qu'il est en vertu de l'application rétroactive des lignes directrices, a fait l'objet d'une majoration d'une telle importance. Tout en reconnaissant que la Commission dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour fixer le montant des amendes qu'elle inflige, ADM souligne toutefois qu'elle outrepasse son pouvoir dès lors qu'elle ne démontre pas, au travers de considérations de politique communautaire de la concurrence, la nécessité de l'augmentation du niveau de l'amende. Or, ni la Commission ni le Tribunal n'auraient mis en avant de telles justifications, alors même qu'une telle démonstration serait requise au terme d'une jurisprudence constante (arrêts du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100-80 à 103-80, Rec. p. 1825, points 108 et 109, ainsi que du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189-02 P, C-202-02 P, C-205-02 P à C-208-02 P et C-213-02 P, Rec. p. I-5425, point 227) ainsi qu'au regard de l'exigence, énoncée au premier alinéa des lignes directrices, selon laquelle les amendes s'inscrivent dans une politique cohérente et non discriminatoire.

49 La Commission constate que le Tribunal a répondu dans l'arrêt attaqué aux arguments d'ADM relatifs à l'application, en l'espèce, des lignes directrices pour fixer le montant de l'amende et, dès lors, justifié la majoration qui en résulte. Elle souligne que toute autre motivation supplémentaire est superflue, dans la mesure où les lignes directrices ont déjà pour but de rendre transparentes les modalités de fixation des amendes.

- Sur la deuxième branche du premier moyen, tirée de l'inobservation des critères fixés par l'arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission

50 Selon ADM, le Tribunal, en constatant, notamment au point 47 de l'arrêt attaqué, que la Commission a rempli les critères fixés par l'arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, et, ainsi, justifié son pouvoir discrétionnaire pour augmenter l'amende, a commis une erreur de droit. En effet, ni la Commission ni le Tribunal n'auraient avancé de considérations justifiant une augmentation du montant de l'amende allant au-delà du montant qui découlerait de l'application de la communication de la Commission intitulée "Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1-2003" (JO 2006, C 210, p. 2).

51 À titre principal, la Commission considère que la deuxième branche du premier moyen est irrecevable, car elle se limite à une contestation générale et vague du montant de l'amende confirmée par le Tribunal et, donc, à une demande de réexamen. Il s'agirait, à tout le moins, d'une répétition de la première branche du premier moyen. À titre subsidiaire, la Commission rappelle qu'il résulte d'une jurisprudence itérative, confirmée en dernier lieu par l'arrêt du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission (C-397-03 P, Rec. p. I-4429, points 20 et 21), qu'elle dispose de la faculté d'adapter, à tout moment, le niveau des amendes aux besoins de la politique communautaire de la concurrence.

- Sur la troisième branche du premier moyen, tirée de la violation des principes juridiques qui s'appliquent au calcul des amendes

52 ADM fait valoir que le Tribunal a autorisé, par l'arrêt attaqué, la Commission à ne pas prendre le chiffre d'affaires réalisé au moyen du produit concerné en tant que base de calcul pour fixer le montant de l'amende. Ainsi, aux points 84 à 87 de cet arrêt, ce chiffre d'affaires ne serait utilisé que pour appliquer des pondérations différentielles pour le calcul de l'amende. Or, la communication de la Commission mentionnée au point 50 du présent arrêt soulignerait, contrairement à ce qui a été décidé par le Tribunal, que le chiffre d'affaires constitue le point de départ pour fixer le montant de l'amende. Sur ce fondement, le montant de l'amende serait bien inférieur à celui qui résulte de la méthode erronée de calcul adoptée par la Commission et confirmée par le Tribunal.

53 La Commission, se fondant sur l'arrêt du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission (C-113-04 P, Rec. p. I-8831, point 196), souligne que le Tribunal est seul compétent pour contrôler la façon dont la Commission a apprécié dans chaque cas particulier la gravité des comportements illicites. À cet égard, elle considère que le Tribunal a tenu compte de tous les facteurs pertinents en l'espèce et répondu à l'ensemble des arguments d'ADM. En outre, il ressortirait de la décision litigieuse ainsi que de l'arrêt attaqué que le chiffre d'affaires tiré des ventes de gluconate de sodium a servi de base pour fixer le montant de l'amende.

- Sur la quatrième branche du premier moyen, tirée d'une violation du principe d'égalité de traitement

54 Selon ADM, l'entente à laquelle elle a pris part aurait dû recevoir un traitement identique à celle en cause dans l'affaire ayant donné lieu à la décision phosphate de zinc. En effet, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal, il n'y aurait pas, entre cette affaire et celle ayant donné lieu à la décision litigieuse, de différences objectives pertinentes justifiant des amendes d'un montant différent. D'une part, les arrêts cités par le Tribunal dans ce contexte ne seraient pas pertinents, car prononcés avant la publication des lignes directrices. D'autre part, les éléments sur lesquels le Tribunal se fonde pour confirmer, en vertu de son pouvoir de pleine juridiction, le montant de l'amende infligée seraient les mêmes que ceux en cause dans l'affaire ayant donné lieu à la décision phosphate de zinc.

55 La Commission soutient, premièrement, que le Tribunal a mis en avant des éléments objectifs de distinction entre la présente affaire et celle ayant donné lieu à la décision phosphate de zinc. Deuxièmement, ADM n'aurait pas contesté la jurisprudence selon laquelle la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence. Troisièmement, il résulterait de l'arrêt attaqué qu'ADM n'a pas prouvé qu'il y a eu discrimination dans la détermination du montant de l'amende. Dès lors, il n'appartiendrait pas à la Cour de substituer sa propre appréciation à celle du Tribunal relative audit montant, ainsi qu'il résulterait de l'arrêt du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission (C-407-04 P, Rec. p. I-829, point 152).

Appréciation de la Cour

56 Par les deux premières branches du premier moyen, qu'il convient de traiter conjointement, ADM reproche au Tribunal de ne pas avoir répondu à son argument selon lequel la Commission n'a, ni dans la décision litigieuse ni dans ses mémoires présentés lors de la procédure en première instance, fourni une justification ou avancé des preuves démontrant que la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence nécessitait de lui infliger une amende, au titre de l'application rétroactive des lignes directrices, d'un montant bien supérieur à ceux relevés lors de l'examen de la pratique antérieure de la Commission. Ce faisant, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en omettant d'exiger une telle justification, pourtant nécessaire au terme de l'arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité.

57 Il convient de souligner, à titre liminaire, que, aux points 43 à 49 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a répondu au moyen tiré de la violation des principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité au motif que le montant de l'amende infligée à ADM en application des lignes directrices est supérieur à celui des amendes infligées dans le passé par la Commission.

58 Le Tribunal a rejeté ce moyen en soulignant, au point 48 de l'arrêt attaqué, qu'ADM devait pouvoir raisonnablement prévoir une augmentation du niveau des amendes, à la supposée établie, à l'époque où les infractions concernées ont été commises.

59 En effet, il résulte de la jurisprudence rappelée par le Tribunal au point 46 de l'arrêt attaqué que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende doivent tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d'élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé. C'est le cas lorsque la Commission procède à un relèvement du niveau du montant des amendes en prononçant des amendes dans des décisions individuelles, mais également si ce relèvement s'opère par l'application, à des cas d'espèce, de règles de conduite ayant une portée générale telles que les lignes directrices (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, points 229 et 230).

60 En l'occurrence, la Commission a fait application des lignes directrices pour fixer le montant de l'amende infligée à ADM. D'une part, ces dernières énoncent une règle de conduite dont la Commission ne saurait se départir sous peine de se voir sanctionnée au titre d'une violation des principes généraux du droit, tels que l'égalité de traitement et la protection de la confiance légitime. D'autre part, elles assurent la sécurité juridique des entreprises concernées en déterminant la méthodologie que la Commission s'est imposée aux fins de la fixation du montant des amendes infligées en vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 (voir, en ce sens, arrêt du 22 mai 2008, Evonik Degussa/Commission et Conseil, C-266-06 P, point 53).

61 Comme il a été rappelé au point 43 de l'arrêt attaqué, la principale innovation des lignes directrices consiste à prendre comme point de départ du calcul un montant de base, déterminé à partir de fourchettes prévues à cet égard par lesdites lignes directrices, ces fourchettes reflétant les différents degrés de gravité des infractions, mais qui, comme telles, n'ont pas de rapport avec le chiffre d'affaires pertinent. Cette méthode repose ainsi essentiellement sur une tarification, quoique relative et souple, des amendes (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 225).

62 Dans le cadre de l'appréciation de la gravité de l'infraction, il appartient à la Commission de prendre en compte différents éléments permettant de fixer le montant de l'amende, notamment, des considérations liées à la nécessité d'en relever le niveau.

63 C'est ce qui découle de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, qui ne retient, comme critères pour le calcul du montant de l'amende, que la gravité et la durée de l'infraction, ainsi que, en substance, de l'arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, et invoqué par la requérante, dans lequel la Cour a indiqué, au point 106, que c'est dans l'appréciation de la gravité de l'infraction en vue de déterminer le montant de l'amende que la Commission doit prendre en considération non seulement les circonstances particulières de l'espèce, mais également le contexte dans lequel l'infraction se place et veiller au caractère dissuasif de son action.

64 En l'occurrence, au point 47 de l'arrêt attaqué, par lequel le Tribunal a répondu à l'argument de la requérante relatif au caractère disproportionné de la prétendue augmentation du niveau des amendes par la Commission par rapport à l'objectif d'assurer la mise en œuvre de la politique de concurrence, celui-ci a rejeté cet argument sous réserve, toutefois, de son appréciation de la gravité de l'infraction telle qu'elle résulte des points 99 et suivants de cet arrêt.

65 Ainsi, notamment au point 103 de l'arrêt attaqué, le Tribunal, analysant la gravité de l'infraction retenue par la Commission, a-t-il rappelé les raisons pour lesquelles la Commission avait fixé un tel montant de l'amende infligée à la requérante, renvoyant à cet égard aux sixième, huitième et neuvième considérants de la décision litigieuse.

66 Ce faisant, le Tribunal a appliqué la solution retenue par la Cour dans l'arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, et réitérée, s'agissant plus spécifiquement de l'application des lignes directrices, dans l'arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité. En effet, dans l'affaire ayant donné lieu à ce dernier arrêt, la Cour, sans exiger de la Commission qu'elle présente des justifications spécifiques allant au-delà de ce qui est requis aux termes des lignes directrices, a considéré, au point 232 de celui-ci, que l'application de ces dernières à des infractions commises avant leur adoption ne constituait ni une violation du principe de non-rétroactivité et ni une violation du principe de sécurité juridique.

67 Il s'ensuit qu'il ne saurait être reproché au Tribunal un défaut de motivation ni même une application incorrecte de la jurisprudence de la Cour.

68 Partant, les deux premières branches du premier moyen ne sauraient prospérer.

69 Par la troisième branche du premier moyen, ADM reproche, en substance, au Tribunal de ne pas avoir jugé que la Commission devait prendre en compte le chiffre d'affaires provenant des ventes de gluconate de sodium comme base appropriée pour le calcul du montant de l'amende.

70 Premièrement, le Tribunal ayant souligné, au point 78 de l'arrêt attaqué, que le chiffre d'affaires provenant des ventes du produit en cause "peut" constituer une base appropriée pour évaluer les atteintes à la concurrence sur le marché du produit concerné au sein de la Communauté européenne, la requérante ne peut lui reprocher de se contredire lorsqu'il ne retient pas effectivement ce critère comme base appropriée.

71 Deuxièmement, à titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, pour la détermination des montants des amendes, il y a lieu de tenir compte de la durée des infractions et de tous les éléments de nature à entrer dans l'appréciation de la gravité de ces infractions (voir arrêts précités Musique Diffusion française e.a./Commission, point 129, ainsi que Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 240).

72 À cet égard, la gravité des infractions au droit communautaire de la concurrence doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments, tels que les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (arrêt Dalmine/Commission, précité, point 129 et jurisprudence citée).

73 Figurent parmi les éléments de nature à entrer dans l'appréciation de la gravité des infractions le comportement de chacune des entreprises, le rôle joué par chacune d'elles dans l'établissement de l'entente, le profit qu'elles ont pu tirer de celui-ci, leur taille et la valeur des marchandises concernées ainsi que le risque que des infractions de ce type représentent pour les objectifs de la Communauté (voir, en ce sens, arrêts précités Musique Diffusion française e.a./Commission, point 129, ainsi que Dalmine/Commission, point 130).

74 À ce titre, il est loisible, en vue de la détermination de l'amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise qui constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique que de la part de ce chiffre qui provient des marchandises faisant l'objet de l'infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci. Il ne faut attribuer ni à l'un ni à l'autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d'appréciation et, par conséquent, la fixation d'une amende appropriée ne peut être le résultat d'un simple calcul basé sur le chiffre d'affaires réalisé par la vente du produit concerné (voir, en ce sens, arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, précité, point 100).

75 En outre, le droit communautaire ne contient pas de principe d'application générale selon lequel la sanction doit être proportionnée au chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise au travers de la vente du produit faisant l'objet de l'infraction (voir, en ce sens, arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, précité, point 101).

76 Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient ADM, le Tribunal a relevé à bon droit, au point 78 de l'arrêt attaqué, que le chiffre d'affaires provenant des ventes de gluconate de sodium ne constitue pas l'unique critère selon lequel la Commission devait apprécier la gravité de l'infraction. En tout état de cause, il ne constitue pas nécessairement le point de départ du calcul des amendes.

77 C'est ce qui résulte également des lignes directrices, ainsi qu'il a été rappelé au point 61 du présent arrêt. Dès lors, s'il fallait appliquer la thèse défendue par la requérante, cela conduirait immanquablement à une violation des règles prescrites par lesdites lignes directrices dont le Tribunal a reconnu, à bon droit, l'applicabilité à l'infraction commise par la requérante.

78 Par conséquent, la requérante ne saurait reprocher au Tribunal d'avoir violé les principes juridiques qui gouvernent le calcul des amendes en n'ayant pas pris le chiffre d'affaires réalisé au moyen du produit en cause comme point de départ pour déterminer le montant de l'amende qui lui a été infligée.

79 Troisièmement, se référant en particulier aux trois cent soixante-dix-huitième à trois cent quatre-vingt-deuxième considérants de la décision litigieuse, le Tribunal a rappelé, notamment aux points 86 et 87 de l'arrêt attaqué, de quelle manière la Commission avait tenu compte du chiffre d'affaires réalisé par la vente du gluconate de sodium pour déterminer le montant de l'amende. Il a considéré, dans ce contexte, que la Commission n'avait pas dépassé sa large marge d'appréciation et a estimé, au point 114 dudit arrêt, que "le montant de base fixé par la Commission pour l'infraction commise par ADM dans le cas d'espèce [était] approprié eu égard à l'ensemble des éléments relevés par la Commission dans la [d]écision [litigieuse] et à l'appréciation qui est faite de certains de ces éléments dans le [même] arrêt".

80 Or, il est de jurisprudence constante qu'il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre d'un pourvoi, de remettre en cause l'appréciation souveraine des faits effectuée par le Tribunal, ce dernier étant seul compétent pour contrôler la façon dont la Commission a apprécié dans chaque cas particulier la gravité des comportements illicites (voir, en ce sens, arrêt Technische Unie/Commission, précité, point 196).

81 Il s'ensuit que la troisième branche du premier moyen ne saurait non plus prospérer.

82 S'agissant de la quatrième branche de ce moyen, le Tribunal a rappelé, aux points 108 à 110 de l'arrêt attaqué, la jurisprudence constante selon laquelle la pratique décisionnelle de la Commission ne sert pas de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, la Commission disposant dans le domaine de la fixation du montant des amendes d'un large pouvoir d'appréciation et celle-ci n'étant pas liée par les appréciations qu'elle a portées antérieurement (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, points 209 à 213).

83 Le Tribunal en a conclu à bon droit, au point 111 de l'arrêt attaqué, que la simple invocation par ADM de la décision phosphate de zinc est en soi inopérante, dans la mesure où la Commission n'était pas tenue d'apprécier de la même manière la présente affaire.

84 Or, force est de constater que, dans son pourvoi, ADM ne présente aucun argument pour contester cet élément déterminant des motifs de l'arrêt attaqué.

85 En effet, ADM se borne à remettre en cause les éléments de différence entre la présente affaire et celle ayant donné lieu à la décision phosphate de zinc relevés par le Tribunal au point 113 de l'arrêt attaqué, mais n'indique pas pour quelles raisons, dans le cas d'espèce précis, il n'y aurait pas lieu de suivre la jurisprudence constante rappelée par le Tribunal aux points 108 et 109 de cet arrêt.

86 Dès lors, il y a lieu de rejeter la quatrième branche du premier moyen et, par conséquent, l'ensemble du premier moyen comme étant, en partie, non fondé et, en partie, irrecevable.

Sur le deuxième moyen, tiré d'une erreur de droit dans l'appréciation de l'incidence de l'entente sur le marché pertinent

Argumentation des parties

87 Le deuxième moyen se divise en trois branches.

- Sur la première branche du deuxième moyen, tirée d'une violation du principe en vertu duquel la Commission doit respecter les règles qu'elle s'est imposées

88 ADM soutient que le Tribunal n'a pas examiné son argument tiré de ce que la Commission n'aurait pas défini le marché pertinent pour évaluer l'impact de l'entente alors même qu'il s'agit d'un préalable indispensable prévu par les lignes directrices. Or, si la Commission avait défini correctement ledit marché, à savoir en tenant compte des produits de substitution présents sur le marché des produits chélateurs, elle aurait conclu à une absence éventuelle d'impact de l'entente sur les prix pratiqués.

89 Selon la Commission, l'approche d'ADM repose sur une mauvaise compréhension de l'objectif poursuivi par la définition du marché en cause. En l'occurrence, le Tribunal aurait rappelé, au point 226 de l'arrêt attaqué, que la Commission a défini le marché en cause préalablement à son analyse de la gravité de l'infraction commise par ADM. Dès lors, la requérante demanderait à la Cour de prendre position, au stade du pourvoi, sur des faits pour lesquels elle n'a pas pu apporter de preuve en première instance.

- Sur la deuxième branche du deuxième moyen, tirée d'une violation de l'obligation de motivation

90 En rejetant sans aucune justification l'argumentation d'ADM selon laquelle il existe des preuves de l'absence d'impact de l'entente sur le marché pertinent, le Tribunal aurait manqué à son obligation de motivation. À cet égard, les preuves avancées par ADM en première instance démontreraient sans ambiguïté que les variations du prix du gluconate de sodium à la suite de l'entente ont été provoquées par d'autres facteurs.

91 Selon la Commission, il ressort clairement de l'arrêt attaqué, notamment des points 232 à 236 de celui-ci, que le Tribunal a examiné tous les éléments fournis par ADM, avant de conclure que ces éléments ne permettaient pas de soutenir la thèse de cette dernière.

92 À titre subsidiaire, la Commission ajoute que la demande d'ADM équivaut à inviter la Cour à contrôler les éléments de preuve présentés en première instance, ce qui ne saurait relever de sa compétence dans le cadre d'un pourvoi.

- Sur la troisième branche du deuxième moyen, tirée de ce que le Tribunal aurait renversé illicitement la charge de la preuve

93 ADM reproche, en substance, à l'arrêt attaqué de mettre à sa charge le soin de prouver que, même en l'absence d'entente, les prix auraient été identiques à ceux mis en avant par la Commission. Or, d'une part, il résulterait des lignes directrices qu'il appartient à la Commission de prouver que les prix auraient été moindres en l'absence d'entente. D'autre part, le Tribunal aurait lui-même reconnu, aux points 177 et 184 de l'arrêt attaqué, qu'il n'était pas possible de donner un prix exact du produit concerné en l'absence d'entente.

94 Pour la Commission, le Tribunal a jugé qu'elle avait démontré à suffisance de droit l'incidence de l'infraction sur le marché du gluconate de sodium. Ce faisant, il aurait constaté qu'ADM n'avait pas démontré qu'une autre définition du marché pertinent aurait conduit à une conclusion différente en ce qui concerne l'impact de l'entente. Cette troisième branche du deuxième moyen reviendrait en réalité à demander à la Cour d'apprécier à nouveau les faits au stade du pourvoi et serait, dès lors, irrecevable.

Appréciation de la Cour

95 S'agissant du deuxième moyen, dont il convient de traiter les trois branches conjointement, il faut rappeler, à titre liminaire, que, dans le cadre de la fixation de l'amende en vertu des lignes directrices, l'impact concret de l'entente sur le marché pertinent est un élément qui peut être pris en compte pour apprécier la gravité de l'infraction commise.

96 Premièrement, le Tribunal a constaté, au point 226 de l'arrêt attaqué, que, aux trente-quatrième à quarante et unième considérants de la décision litigieuse, la Commission a défini le marché du produit en cause comme étant celui du gluconate de sodium dans ses formes solides et liquides et de son produit de base, l'acide gluconique. À cette occasion, le Tribunal a souligné les raisons pour lesquelles la Commission n'avait pas retenu le marché plus large mis en avant par ADM.

97 Deuxièmement, le Tribunal a souligné, à bon droit, aux points 229 à 231 de l'arrêt attaqué, que la simple affirmation par ADM de ce que la Commission aurait retenu une définition erronée du marché pertinent ne permettait pas à elle seule de démontrer que, au travers de la définition du marché préconisée par la requérante, l'infraction en cause n'aurait pas eu d'impact sur ledit marché.

98 Troisièmement, après avoir rappelé, au point 232 de l'arrêt attaqué, la méthode employée par la Commission pour démontrer l'impact de l'infraction en cause sur le marché qu'elle avait défini, le Tribunal a estimé, aux points 233 à 237 dudit arrêt, que la requérante s'était contentée d'affirmer que la Commission avait commis des erreurs dans la définition du marché pertinent, sans toutefois expliquer dans quelle mesure la définition du marché qu'elle retient aurait exclu tout impact réel de l'infraction en cause.

99 Il résulte de ces éléments qu'ADM ne saurait reprocher au Tribunal d'avoir permis à la Commission d'évaluer l'impact de l'infraction en cause sans avoir défini au préalable le marché pertinent. En effet, ainsi qu'il ressort du point 226 de l'arrêt attaqué, la Commission a bien procédé à une telle définition.

100 Au demeurant, le Tribunal a, dans le cadre de son appréciation souveraine des faits, considéré que l'analyse de l'impact de l'infraction en cause sur le marché pertinent était convaincante au regard des éléments avancés pour ce faire par la Commission. Ainsi, se référant au trois cent cinquante-quatrième considérant de la décision litigieuse, il a rappelé que pour étayer son analyse, la Commission avait notamment mis en corrélation les prix du gluconate de sodium avec l'entrée en vigueur de l'entente, estimé le niveau des prix de ce produit qui aurait prévalu en l'absence de l'entente en cause et déduit, finalement, l'impact de l'infraction commise par la requérante sur le marché du gluconate de sodium.

101 De même, il ne saurait être fait grief au Tribunal d'avoir renversé la charge de la preuve en ce qui concerne la définition du marché pertinent, ni même d'être en défaut d'avoir motivé son appréciation.

102 En effet, en premier lieu, au point 237 de l'arrêt attaqué, le Tribunal s'est contenté de constater que la requérante est restée en défaut de démontrer que l'impact de l'entente en cause sur le marché plus large qu'elle préconise aurait été négligeable voire inexistant. Ainsi, il a exigé de la requérante, à bon droit, que celle-ci apporte des éléments permettant de réfuter l'analyse de la Commission à laquelle il s'est référé aux points 196 et 197 de l'arrêt attaqué et qui visait à démontrer la corrélation entre l'évolution des prix sur le marché du gluconate de sodium et l'entrée en vigueur de l'entente.

103 Or, une telle démonstration se serait avérée d'autant plus nécessaire eu égard au fait, d'une part, qu'ADM a fait observer lors de la première instance que les prix des produits qui, selon elle, auraient dû être pris en considération avec le gluconate de sodium au titre du marché pertinent ont connu une évolution similaire à ceux du gluconate de sodium et, d'autre part, ainsi que l'a relevé Mme l'avocat général au point 154 de ses conclusions, que la requérante soutient que l'entente n'aurait pas eu d'impact sur le marché pertinent alors même qu'elle y a participé pendant plusieurs années.

104 Ce faisant, en second lieu, le Tribunal a répondu à l'argument avancé par ADM en ce qui concerne l'absence alléguée d'impact de l'entente sur le marché du gluconate de sodium en estimant que les preuves avancées par la requérante ne permettaient pas de réfuter l'analyse de la Commission et ainsi a rempli l'obligation de motivation qui lui incombe.

105 À cet égard, il convient de rappeler qu'il résulte des articles 225 CE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice que le Tribunal est seul compétent, d'une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l'inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d'autre part, pour apprécier ces faits. Lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l'article 225 CE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal. La Cour n'est donc pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l'appui de ces faits. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C-413-06 P, non encore publié au Recueil, point 29).

106 En l'occurrence, la requérante, renvoyant dans son pourvoi aux éléments de preuve avancés en première instance et jugés insuffisants par le Tribunal, demande en réalité à la Cour de réexaminer ces éléments, sans pour autant soutenir que le Tribunal aurait procédé à une dénaturation de ces derniers, ce pourquoi elle n'est toutefois pas compétente.

107 Dès lors, étant donné qu'il a été jugé, notamment au point 102 du présent arrêt, que le Tribunal n'avait pas procédé à un renversement de la charge de la preuve et que la requérante n'a pas invoqué une dénaturation des éléments de preuve, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen dans son ensemble, comme étant, en partie, non fondé et, en partie, irrecevable.

Sur le troisième moyen, tiré d'une erreur de droit dans la fixation de la date de cessation de l'entente

Argumentation des parties

108 Ce moyen se divise en quatre branches

- Sur la première branche du troisième moyen, tirée d'une violation de l'article 81 CE du fait d'une application incorrecte des règles sur la fin de l'entente

109 ADM conteste, en substance, l'analyse, faite par le Tribunal au point 247 de l'arrêt attaqué, de ses intentions lors de la réunion du 4 octobre 1994. En effet, en supposant que le comportement d'ADM lors de cette réunion ne visait pas à annoncer son retrait de l'entente, mais était bien plus stratégique et destiné à imposer la volonté de la requérante au sein de l'entente, le Tribunal en a conclu qu'ADM souhaitait y poursuivre son rôle. Or, il ne saurait être reproché à ADM de n'avoir eu que l'intention de poursuivre l'entente, dans la mesure où elle a publiquement exprimé sa volonté de cesser de participer à l'entente et que l'article 81 CE ne permet pas de se fonder sur des éléments subjectifs pour caractériser une violation de ses dispositions, mais se limite à interdire des actes établis.

110 Selon la Commission, le critère pertinent de la communication publique du retrait d'une entente pose la question de la compréhension par ses membres du comportement de l'entreprise qui cesse de participer à un tel accord. À cet égard, il appartiendrait à cette entreprise de s'acquitter de la charge de la preuve d'une telle compréhension. Or, si ADM a prouvé qu'elle avait quitté la réunion du 4 octobre 1994 avant la fin de celle-ci, elle n'a pas démontré que les autres participants ont compris ce comportement comme un retrait de l'entente. C'est ce que montrerait, en tout état de cause, les éléments mis en avant par le Tribunal au point 249 de l'arrêt attaqué.

- Sur la deuxième branche du troisième moyen, tirée d'une dénaturation des éléments de preuve

111 Selon ADM, c'est à tort que le Tribunal n'a pas conclu, aux points 248 à 250 de l'arrêt attaqué, sur le fondement des dépositions de JBL et de Roquette, qu'elle a cessé de participer à l'entente à partir de la réunion du 4 octobre 1994. En cela, le Tribunal aurait dénaturé ces éléments de preuve.

112 Pour la Commission, il ressort des éléments de preuve auxquels fait référence ADM que Roquette avait quitté l'entente le 4 octobre 1994. Or, cela ne saurait signifier que l'entente a pris fin à cette date et encore moins qu'ADM aurait mis fin à sa participation.

- Sur la troisième branche du troisième moyen, tirée de ce que le Tribunal a violé l'article 81 CE en considérant que la réunion du 3 au 5 juin 1995 relevait d'un comportement anticoncurrentiel

113 Partant du principe qu'elle avait cessé de participer à l'entente à la suite de la réunion du 4 octobre 1994, ADM considère que le Tribunal a violé l'article 81 CE en jugeant que ladite entente avait persisté par la suite et que la réunion du 3 au 5 juin 1995 venait corroborer cette thèse. Or, le Tribunal n'aurait pas exigé de la Commission qu'elle démontre que les discussions ayant eu lieu au cours de cette réunion auraient eu un effet anticoncurrentiel.

114 Pour la Commission, ADM n'ayant pas cessé de participer à l'entente à la date du 4 octobre 1994, c'est à bon droit que le Tribunal a considéré que la réunion du 3 au 5 juin 1995 n'était pas à la base d'une nouvelle entente.

- Sur la quatrième branche du troisième moyen, tirée d'une déformation d'un élément de preuve

115 En considérant que la note attribuée à Roquette sur laquelle le Tribunal a fondé son appréciation relative à la poursuite de l'entente, notamment au point 263 de l'arrêt attaqué, avait été rédigée par Roquette lors de la réunion du 3 au 5 juin 1995, ce dernier aurait dénaturé à deux égards cet élément de preuve. D'une part, cette note aurait été rédigée par les autorités de la concurrence américaines, d'autre part, cette note n'aurait pas été rédigée lors de la réunion du 3 au 5 juin 1995.

116 La Commission souligne qu'il résulte du deux cent trente-troisième considérant de la décision litigieuse que la note citée par le Tribunal au point 263 de l'arrêt attaqué a été fournie par Roquette. En tout état de cause, ce moyen de preuve ne serait pas en soi décisif dans l'argumentation du Tribunal.

Appréciation de la Cour

117 À titre liminaire, il convient de rappeler que dans le cadre d'un pourvoi l'examen de la Cour est limité aux erreurs de droit ainsi qu'à la dénaturation des éléments de preuve qu'aurait pu commettre le Tribunal.

118 Ainsi, dans le cadre de la première branche du troisième moyen, ADM conteste le fait que le Tribunal n'ait pas interprété son départ de la réunion du 4 octobre 1994 comme la fin de sa participation à l'entente en cause. Ce faisant, le Tribunal n'aurait pas fait une application correcte du critère de la distanciation publique en retenant, à tort, une composante subjective, à savoir l'intention d'ADM.

119 Selon une jurisprudence constante, pour prouver à suffisance la participation d'une entreprise à une entente, il suffit de démontrer que l'entreprise concernée a participé à des réunions au cours desquelles des accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus, sans s'y être manifestement opposée. Lorsque la participation à de telles réunions a été établie, il incombe à cette entreprise d'avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu'elle avait indiqué à ses concurrents qu'elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur (voir arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204-00 P, C-205-00 P, C-211-00 P, C-213-00 P, C-217-00 P et C-219-00 P, Rec. p. I-123, point 81).

120 Par conséquent, c'est bien la compréhension qu'ont les autres participants à une entente de l'intention de l'entreprise concernée qui est déterminante pour apprécier si cette dernière a entendu se distancier de l'accord illicite. Dès lors, le Tribunal a pu juger à bon droit, au point 247 de l'arrêt attaqué, que le simple fait que la requérante avait quitté la réunion du 4 octobre 1994 ne pouvait, en soi, être considéré comme une distanciation publique de l'entente en cause et qu'il appartient à ADM d'apporter les indices de ce que les participants à l'entente ont considéré qu'elle mettait fin à sa participation.

121 À cet égard, dans le cadre de la deuxième branche du troisième moyen ADM fait valoir que le Tribunal aurait dénaturé les preuves fournies en jugeant, au point 248 de l'arrêt attaqué, qu'aucun des documents invoqués par la requérante ne permettait de conclure que les autres membres de l'entente en cause auraient compris son comportement lors de la réunion du 4 octobre 1994 comme une distanciation publique du contenu même de cette entente.

122 Pour prouver qu'elle avait mis fin à sa participation à l'entente litigieuse à la suite de la réunion du 4 octobre 1994, ADM s'est fondée, notamment, sur des documents provenant d'autres participants à cette réunion, à savoir une lettre du 21 mai 1999 adressée par JBL à la Commission, une lettre du 12 mai 1998 adressée par Fujisawa à la Commission et une lettre du 30 avril 1999 adressée par JBL à la Commission. En l'occurrence, la requérante conteste non pas le contenu de ces documents tel que constaté par le Tribunal, mais l'interprétation qu'il en a fait aux points 249 à 251 de l'arrêt attaqué.

123 Ainsi, s'agissant des lettres de JBL des 30 avril et 21 mai 1999, le Tribunal a relevé, aux points 249 et 251 de l'arrêt attaqué, qu'elles ne contenaient aucune description du comportement d'ADM lors de la réunion du 4 octobre 1994 et se contentaient d'indiquer que Roquette ne respecterait plus les accords anticoncurrentiels.

124 Ce faisant, le Tribunal a retenu une interprétation tout à fait légitime de ces documents en estimant qu'ils ne permettaient pas à ADM de prouver qu'elle s'était retirée de l'entente à la suite de la réunion du 4 octobre 1994.

125 Bien au contraire, le Tribunal a considéré, sur le fondement des éléments de preuve mentionnés aux points 250 et 251 de l'arrêt attaqué et qui ne sont pas contestés par ADM, à savoir la lettre de Fujisawa du 12 mai 1998 indiquant que l'entente n'a été terminée qu'en 1995 ainsi que la lettre de JBL du 30 avril 1999 indiquant que la requérante avait demandé lors de la réunion du 4 octobre 1994 un réaménagement des quotas de vente, qu'ADM restait en défaut de prouver qu'elle avait mis fin à sa participation à l'entente lors de cette réunion, sans pour autant avoir dénaturé les éléments de preuve dont il disposait.

126 S'agissant de la quatrième branche du troisième moyen, il convient de rappeler que le Tribunal s'est fondé sur cinq éléments pour juger que l'entente en cause avait perduré jusqu'à la réunion du 3 au 5 juin 1995.

127 Ainsi, aux points 258 à 262 de l'arrêt attaqué, il a rappelé, sans être contredit par ADM, que lors de la dite réunion, tous les membres de l'entente étaient présents et que les participants ont discuté des volumes de vente de gluconate de sodium réalisés en 1994 tout en tentant de mettre en place un nouveau système d'informations relatives à ces volumes pour déterminer la taille totale du marché du gluconate de sodium.

128 Ensuite, le Tribunal s'est fondé, au point 263 de l'arrêt attaqué, sur un document qu'il attribue à Roquette qui confirmerait que lors de la réunion du 3 au 5 juin 1995 les participants avaient l'intention de maintenir leur comportement anticoncurrentiel.

129 Au demeurant, au point 264 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les éléments de preuve présentés par ADM qui, selon elle, étaient de nature à infirmer la position défendue par la Commission quant à la nature de la réunion du 3 au 5 juin 1995.

130 Enfin, au point 266 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a estimé qu'était sans pertinence l'argument tiré de la concomitance de ladite réunion avec une réunion industrielle générale.

131 Par conséquent, et eu égard au fait que le Tribunal a jugé, à bon droit, que la Commission avait pu considérer qu'ADM n'avait pas cessé sa participation à l'entente lors de la réunion du 4 octobre 1994, celui-ci n'a pas commis d'erreur de droit en confirmant la thèse de la Commission selon laquelle la réunion du 3 au 5 juin 1995 se trouvait dans la continuité de l'entente en cause.

132 Pour ce faire, le Tribunal s'est fondé sur des faits et des éléments de preuve qu'il n'appartient pas à la Cour de réexaminer au stade du pourvoi à l'exception du cas de leur dénaturation.

133 En l'occurrence, dans le cadre de la quatrième branche du troisième moyen, ADM fait valoir que le Tribunal aurait dénaturé, au point 263 de l'arrêt attaqué, l'annotation fournie à la Commission par Roquette, en attribuant la rédaction à cette dernière, lors de la réunion du 3 au 5 juin 1995.

134 Il s'avère, toutefois, ainsi que le souligne la requérante, ce que reconnaît également la Commission, que ce document n'a pas été rédigé par Roquette, mais a été fourni seulement par celle-ci, et qu'il a été rédigé postérieurement à ladite réunion.

135 En cela, le Tribunal a commis une dénaturation de cet élément de preuve.

136 Cependant, ainsi que Mme l'avocat général l'a relevé aux points 214 et 215 de ses conclusions, une telle dénaturation ne saurait invalider l'arrêt attaqué.

137 En effet, ainsi qu'il ressort des points 126 à 130 du présent arrêt, les motifs retenus par le Tribunal pour juger que la réunion du 3 au 5 juin 1995 constituait une tentative de poursuivre l'entente litigieuse se fondent sur cinq éléments, parmi lesquels l'annotation attribuée à Roquette.

138 De surcroît, le Tribunal a lui-même relativisé la force probante de ce document en estimant, au point 263 de l'arrêt attaqué, que ladite annotation ne donne qu'une idée imprécise du contenu des discussions tenues au cours de la réunion du 3 au 5 juin 1995 et en la considérant simplement comme confirmant la thèse défendue par la Commission.

139 La quatrième branche du troisième moyen est, dès lors, inopérante.

140 S'agissant, enfin, de la troisième branche du troisième moyen, il convient de rappeler, ainsi que l'a fait le Tribunal au point 265 de l'arrêt attaqué, que, aux fins de l'examen de l'application de l'article 81, paragraphe 1, CE à un accord ou à une pratique concertée, la prise en considération des effets concrets d'un accord est superflue, dès lors qu'il apparaît que celui-ci a eu pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun. Le Tribunal n'a, dès lors, commis aucune erreur de droit à cet égard.

141 Par conséquent, il résulte de ce qui précède qu'il convient de rejeter l'ensemble du troisième moyen comme étant, en partie, non fondé et, en partie, irrecevable.

Sur le quatrième moyen, présenté à titre subsidiaire et tiré d'une erreur de droit quant à la prise en compte de circonstances atténuantes

Argumentation des parties

142 En déniant, selon ADM, au point 287 de l'arrêt attaqué, l'obligation pour la Commission d'accorder le bénéfice des circonstances atténuantes prévu par les lignes directrices en cas de cessation de l'entente, le Tribunal a procédé à une interprétation erronée de ces dernières. Au demeurant, et contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal, l'application de circonstances atténuantes ne saurait être influencée par le fait que l'entente litigieuse était secrète.

143 La Commission considère que c'est à juste titre que le Tribunal n'a pas considéré qu'une cessation de l'infraction entraîne mécaniquement une réduction de l'amende. La Commission disposerait à ce titre d'une marge d'appréciation au regard, notamment, du comportement de l'entreprise en cause. En l'espèce, ADM n'aurait pas contribué de manière décisive à la procédure administrative de sorte qu'elle ne pouvait pas bénéficier de circonstances atténuantes.

Appréciation de la Cour

144 Il convient de rappeler que le point 3 des lignes directrices indique, en substance, que le montant de base de l'amende fixée par la Commission est diminué, notamment, lorsque l'entreprise incriminée cesse l'infraction dès les premières interventions de la Commission.

145 À cet égard, le Tribunal a considéré, au point 280 de l'arrêt attaqué, qu'il convenait d'interpréter cette disposition en ce sens que seules les circonstances particulières du cas d'espèce, dans lesquelles l'hypothèse de la cessation de l'infraction dès les premières interventions de la Commission trouve à se concrétiser, pourraient justifier la prise en compte de cette dernière circonstance comme circonstance atténuante.

146 Partant, le Tribunal a rejeté la thèse de la requérante selon laquelle la cessation de l'entente devait entraîner automatiquement l'application d'une diminution du montant de base de l'amende aux termes du point 3 des lignes directrices, soulignant, au point 279 de l'arrêt attaqué, qu'une telle interprétation de cette disposition porterait atteinte à l'effet utile de l'article 81, paragraphe 1, CE.

147 Il ne saurait être allégué que le Tribunal a commis une erreur de droit.

148 En effet, force est de constater que la reconnaissance du bénéfice d'une telle diminution du montant de base de l'amende est nécessairement liée aux circonstances de l'espèce qui peuvent amener la Commission à ne pas en faire profiter une entreprise partie à un accord illicite.

149 Ainsi, reconnaître le bénéfice d'une circonstance atténuante dans des situations dans lesquelles une entreprise est partie à un accord manifestement illégal, dont elle savait ou ne pouvait ignorer qu'il constituait une infraction, pourrait inciter les entreprises à poursuivre un accord secret aussi longtemps que possible, dans l'espoir que leur comportement ne serait jamais découvert tout en sachant que, si leur comportement venait à être découvert, elles pourraient voir leur amende réduite en interrompant alors l'infraction. Une telle reconnaissance ôterait tout effet dissuasif à l'amende infligée et porterait atteinte à l'effet utile de l'article 81, paragraphe 1, CE.

150 Dès lors, c'est à juste titre que le Tribunal a jugé que la requérante ayant participé à une entente secrète, ce qu'elle ne conteste pas, ne saurait exiger le bénéfice d'une diminution du montant de base de l'amende qui lui a été infligée aux motifs qu'elle a cessé son comportement illégal dès les premières interventions des autorités de la concurrence américaines.

151 Par conséquent, il convient de rejeter le quatrième moyen comme non fondé.

152 Il résulte de ce qui précède que le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble, les moyens présentés à son soutien étant en partie irrecevables et en partie non fondés.

Sur les dépens

153 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation d'ADM et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens

Par ces motifs, LA COUR (première chambre) déclare et arrête:

1) Le pourvoi est rejeté.

2) Archer Daniels Midland Co. est condamnée aux dépens.