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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 18 mars 2009, n° ECEC0915852X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Union nationale des médecins spécialistes confédérés, Syndicat des médecins libéraux, Syndicat national des psychiatres privés, Confédération des syndicats médicaux français, Fédération des médecins de France, Syndicat des gynécologues obstétriciens de France, Syndicat national des pédiatres français

Défendeur :

Association Familles rurales, Président du Conseil de la Concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Mouillard

Avoués :

SCP Duboscq & Pellerin, SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Bernabe Chardin Cheviller, SCP Bernabe Chardin Cheviller, Mes Olivier, Huyghe, Pamart, Bodin Casalis

Avocats :

Me Bazel, Blazy, Flottes de Pouzols, Boizard, Cohen, Ravayol, Thevenot, Fourment, Franck

CA Paris n° ECEC0915852X

18 mars 2009

En principe, les relations entre les médecins et les organismes d'assurance maladie sont réglées par voie de conventions conclues entre l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et des organisations syndicales représentatives pour l'ensemble du territoire des médecins généralistes et des médecins spécialistes, sauf lorsque aucun accord ne peut être trouvé, auquel cas un règlement conventionnel minimal (RCM) peut être pris par arrêté ministériel (article L. 162-5 du Code de la sécurité sociale).

Telle est précisément la situation à l'époque des faits de la présente affaire, un RCM ayant été pris par arrêté ministériel du 13 novembre 1998, qui prévoit notamment en son article 11 que l'assurance maladie rembourse au patient, en tout ou partie, les actes inscrits à la nomenclature générale des actes professionnels, sur la base de tarifs conventionnels, pour autant que le médecin soit conventionné. Selon l'article 12 de ce règlement, les médecins doivent appliquer les tarifs conventionnels mais certains d'entre eux, selon le secteur auquel ils appartiennent et à condition d'agir "avec tact et mesure'", sont autorisés à appliquer des tarifs différents, le remboursement intervenant alors toujours sur la base des tarifs conventionnels.

En définitive, compte tenu de ces dispositions, les médecins se répartissent en trois secteurs :

- secteur I : les médecins conventionnés, qui bénéficient de certains avantages sociaux et appliquent les tarifs conventionnels, et qui ne sont autorisés au dépassement que dans l'hypothèse de '"circonstances exceptionnelles, de temps et de lieu dues à une exigence particulière du malade (DE)", étant précisé que ce dépassement, qui doit être porté à la connaissance du malade, ne peut porter que sur l'acte principal et non sur les frais et accessoires (article 12, a, du RCM).

- secteur II : les médecins conventionnés dits à honoraires libres, soit ceux qui étaient déjà titulaires d'un droit permanent à dépassement, mais qui ne sont plus renouvelés (article 12, b, du RCM), et ceux qui optent pour ce secteur sous réserve de remplir certains conditions de titres notamment (article 12, c, du RCM),

- secteur III : les médecins non conventionnés, qui sont donc entièrement libres de leurs honoraires, mais qui ne bénéficient d'aucun avantage social et dont les patients sont remboursés sur la base d'un "tarif d'autorité", nettement inférieur au tarif conventionnel.

Le 27 mai 2003, l'association Fédération nationale Familles rurales (ci-après Familles rurales) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de dépassement des tarifs conventionnels, en signalant que des consommateurs et plusieurs de ses fédérations adhérentes avaient remarqué que des médecins spécialistes du secteur I utilisaient systématiquement le dépassement exceptionnel (DE) en vu de s'exonérer de l'encadrement tarifaire auquel ce secteur était soumis et que des praticiens souhaitant accéder sans condition au secteur II effectuaient également des dépassements, ces pratiques résultant apparemment de mots d'ordre de syndicats et associations de médecins.

Le 29 octobre 2007, le Président du Conseil de la concurrence a décidé que l'affaire serait jugée sans établissement préalable d'un rapport et, le 2 avril 2008, a été rendue la décision n° 08-D-06, pour l'essentiel ainsi libellée :

- article 2 : Il est établi que l'Union des médecins spécialistes confédérés (UMESPE), la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), la Fédération des médecins de France (FMF), le Syndicat des médecins libéraux (SML), le Syndicat des gynécologues obstétriciens de France (SYNGOF), le Syndicat national des psychiatres privés (SNPP), le Syndicat national des pédiatres français (SNPF) ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

- article 3 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

. à l'UMESPE une sanction de 150 000 euro.

. à la CSMF une sanction de 220 000 euro.

. à la FMF une sanction de 34 000 euro.

. au SML une sanction de 135 000 euro.

. au SYNGOF une sanction de 200 000 euro.

. au SNPP une sanction de 37 000 euro.

. au SNPF une sanction de 38 000 euro.

- article 4 : les organisations sanctionnées feront publier à leurs frais partagés au prorata des sanctions pécuniaires qui leur sont infligées, dans les trois mois suivant la notification de la présente décision, le texte figurant au paragraphe 173 de celle-ci, en respectant la mise en forme, dans "Le Quotidien du médecin''. Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à 5 mm sous le titre suivant, en caractères gras de même taille : ''Décision du Conseil de la concurrence n° 08-D-06 du 2 avril 2008 relative à des consignes syndicales de dépassement des tarifs conventionnels par les médecins spécialistes du secteur I''. Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet d'un recours devant la Cour d'appel de Paris si de tels recours sont exercés. Les organisations concernées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, copie de cette parution, dès sa publication.

LA COUR:

Vu les recours contre cette décision formés :

- le 6 mai 2008 par le SML, en annulation subsidiairement en réformation ;

- le 6 mai 2008 par le SYNGOF, en annulation et réformation ;

- le 6 mai 2008 par l'UMESPE, en annulation et réformation ;

- le 6 mai 2008 par la FMF, en annulation et réformation ;

- le 7 mai 2008 par la CSMF, en annulation, subsidiairement en réformation ;

- le 7 mai 2008 par le SNPF, en annulation, subsidiairement en réformation ;

- le 7 mai 2008 par le SNPP, en annulation, subsidiairement en réformation ;

Vu le mémoire déposé le 2 juin 2008 par lequel le SML demande à la cour de réformer la décision en ce qu'elle lui inflige une sanction pécuniaire et ordonne la publication, de dire n'y avoir lieu à sanction à son encontre, d'ordonner pour le surplus le remboursement immédiat par le trésorier payeur général des créances spéciales de la somme versée par lui au titre de la sanction pécuniaire, augmentée des intérêts au taux légal depuis son paiement et avec capitalisation en application de l'article 1154 du Code civile;

Vu le mémoire déposé le 6 juin 2008 par lequel la FMF demande à la cour de réformer la décision en ce qu'elle lui inflige une sanction pécuniaire et ordonne la publication et de dire n'y avoir lieu à sanction pécuniaire ;

Vu le mémoire déposé le 6 juin 2008 par l'UMESPE à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 14 janvier 2009, par lequel ce syndicat demande à la cour d'annuler la décision, à titre principal, pour incompétence du Conseil de la concurrence, à titre subsidiaire, parce que les pratiques qui lui sont reprochées ne sont pas établies, à titre encore plus subsidiaire, parce que la sanction prononcée est dépourvue de fondement, enfin de condamner Familles rurales à lui verser une somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu le mémoire déposé le 6 juin 2008 par le SNPF à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 13 janvier 2009, par lequel ce syndicat demande à la cour, à titre principal, d'annuler la décision, subsidiairement de la réformer, et d'ordonner en conséquence le remboursement des sommes versées par lui en exécution de la décision, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, de condamner le Trésor public à lui payer une somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu le mémoire en date du 6 juin 2008 par lequel le SYNGOF demande à la cour d'annuler et de réformer la décision en ce qu'elle retient que les pratiques reprochées constituent une entente illicite au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce et en ce qu'elle lui inflige une sanction, de dire n'y avoir lieu à sanction contre lui, à titre subsidiaire, de réduire la sanction à de plus justes proportions et de condamner les parties succombantes à lui payer une indemnité de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu le mémoire déposée la CSMF le 9 juin 2008 à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 14 janvier 2009, par lequel ce syndicat demande à la cour, à titre principal d'annuler la décision, subsidiairement de la réformer en réduisant de manière substantielle la sanction infligée, de condamner le Trésor public à lui payer une somme de 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu le mémoire déposé le 9 juin 2008 par le SNPP qui demande à la cour de réformer la décision en ce qu'elle lui inflige une sanction pécuniaire et ordonne la publication, de dire n'y avoir lieu à sanction à son encontre, d'ordonner pour le surplus le remboursement immédiat par le trésorier payeur général des créances spéciales du Trésor de la somme versée par lui au titre de la sanction pécuniaire, augmentée des intérêts au taux légal depuis son paiement ;

Vu le mémoire en réponse de Familles rurales, déposé le 1er octobre 2008, rectifié le 26 janvier 2009 sans opposition des requérants, tendant au rejet des recours et à la condamnation de chacun de requérants au payement d'une somme de 10 000 euro ainsi qu'aux dépens qui seront recouvrés par Me Bodin-Casalis, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence en date du 12 novembre 2008 ;

Vu le courrier du 27 octobre 2008 par lequel la ministre chargée de l'Economie informe la cour que, partageant l'analyse du Conseil, elle n'entend pas user de la faculté que lui réservent les articles R. 464-18 et R. 464-19 du Code de commerce de déposer des observations écrites et orales ;

Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties avant l'audience ;

Ayant entendu à l'audience publique du 10 février 2009, en leurs observations orales, les conseils des requérants qui ont été mis en mesure de répliquer et ont eu la parole en dernier, ainsi que le représentant du Conseil de la concurrence ;

Sur ce :

Considérant que l'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu'elles tendent à :

1° Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

3° Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;

4° Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement ;

Que ces dispositions répressives sont d'interprétation stricte ;

Considérant que la décision sanctionne les syndicats requérants pour avoir diffusé auprès de leurs adhérents des consignes de mise en œuvre simultanée, par ces adhérents, des dispositions prévues à l'article 12 du RCM relatif au dépassement exceptionnel, au motif que cette action concertée en vue de provoquer une hausse artificielle des honoraires revêt un caractère anticoncurrentiel en ce qu'elle a faussé le jeu de la concurrence ;

Considérant toutefois que le Conseil lui-même a relevé que, sur le secteur I concerné en l'espèce, la concurrence par les prix ne peut pas s'exercer puisque les médecins sont tenus d'appliquer les tarifs conventionnels, que cette concurrence n'est même pas rétablie par la possibilité d'appliquer le DE, dès lors que les dépassements exceptionnels de ces tarifs sont encadrés par l'article 12 du RCM qui les limite aux cas de " circonstances exceptionnelles de temps et de lieu dues à une exigence particulière du malade " et qu'en fait, la concurrence entre ces prestataires s'exerce par la qualité du service rendu, soit la disponibilité, la réputation, la qualité relationnelle ou encore l'accessibilité et l'aménagement des locaux, voire des équipements ;

Que, pour écarter le moyen de défense du CSMF, du SNPF et du SYNGOF qui se prévalaient de la nature administrée du marché en cause, la décision énonce que, certes, lorsqu'ils appliquent les tarifs conventionnels en se conformant aux règles de fonctionnement de l'assurance maladie en la matière, les médecins du secteur I n'agissent pas en agents économiques libres de fixer leurs prix mais qu'ils restent soumis aux règles de concurrence sous tous les autres aspects de leur comportement sur le marché et que la hausse artificielle des honoraires qu'ils ont provoquée a perturbé la mise en concurrence par la qualité, inhérente au choix, stable, effectué par le patient en faveur d'un médecin et pour un prix anticipé ;

Considérant que la cour ne partage pas l'appréciation du Conseil selon laquelle une pratique concertée de médecins conventionnés tendant à s'affranchir des tarifs imposés entre dans le champ d'application de l'article L. 420-1 précité puisque, précisément, cette modalité de leur activité professionnelle échappe à toute concurrence et qu'il ne peut donc être retenu que les agissements reprochés aux syndicats aient eu pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, en particulier de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché ;

Considérant que les comportements reprochés aux syndicats requérants ne pouvant être qualifiés d'anticoncurrentiels, au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce, ces derniers doivent être mis hors de cause et ce, sans qu'il y ait lieu d'examiner leurs autres moyens de défense ;

Considérant que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées au titre de l'exécution de la décision, lesdites sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification de l'arrêt, valant mise en demeure ; qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur la demande des requérants tendant à cette restitution ;

Et considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application en la cause des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Qu'enfin, la représentation des parties n'étant pas obligatoire en cette matière, les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile sont inapplicables à la présente instance ;

Par ces motifs, Réforme la décision n° 08-D-06 rendue le 2 avril 2008 par le Conseil de la concurrence, en ses articles 2, 3 et 4 ; Et, statuant à nouveau. Dit qu'il n'est pas établi que l'Union des médecins spécialistes confédérés (UMESPE), la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), la Fédération des médecins de France (FMF), le Syndicat des médecins libéraux (SML), le Syndicat des gynécologues obstétriciens de France (SYNGOF), le Syndicat national des psychiatres privés (SNPP), et le Syndicat national des pédiatres français (SNPF) aient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile ; Laisse les dépens à la charge du Trésor public.