Conseil Conc., 12 janvier 1999, n° 99-D-02
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la SARL Energie de Bigorre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de Mme Simone de Mallmann, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 27 octobre 1998 sous les numéros F 1092 et M 227 par laquelle la SARL Energie de Bigorre a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par Electricité de France (ci-après EDF), qu'elle estime anticoncurrentielles et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par EDF et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la SARL Energie de Bigorre et d'EDF entendus ;
Considérant que la SARL Energie de Bigorre exploite une installation de production autonome d'électricité sous la forme d'une centrale thermique à gaz à Tournay dans les Hautes-Pyrénées ; que, le 16 août 1995, elle a conclu avec EDF un contrat pour l'achat d'énergie électrique au tarif " fournitures partiellement garanties " pour une durée de neuf ans ; qu'aux termes de ce contrat, le producteur autonome d'électricité est rémunéré par une prime fixe et par un prix proportionnel calculé en fonction de l'énergie produite ; que, le 26 décembre 1995, le 11 mars 1996 et le 14 mai 1997, EDF a communiqué à la partie saisissante les nouveaux prix de vente de l'énergie électrique par les producteurs autonomes, prix à la baisse tant au niveau de la prime fixe que du prix d'achat au Kwh ;
Considérant que la SARL Energie de Bigorre expose que les baisses tarifaires ainsi opérées ont entraîné une détérioration de sa situation financière ; qu'afin d'obtenir une rémunération satisfaisante des capitaux qu'elle a engagés, elle estime qu'elle doit bénéficier du contrat applicable aux centrales de pointe, intitulé " contrat pour l'achat, par EDF, d'énergie électrique produite par une installation dispatchable ", dont la durée est de " 15 ans moins la période intervenue depuis la date de première mise en service de l'installation " ; qu'EDF lui a proposé un contrat dispatchable élaboré par référence au contrat mis en place pour les groupes diesels mais d'une durée de neuf ans, avec achat des kilowatts produits au prix de 25,8 cF/Kwh indexé sur l'évolution des prix du gaz et une prime fixe de 638 F/Kw ; qu'il lui a, en outre, été précisé qu'en cas d'allongement de la durée du contrat, le maintien des marges d'exploitation conduirait à une diminution sensible de la prime proposée ; qu'effectivement, le 29 octobre 1997, EDF a confirmé à la SARL Energie de Bigorre son offre de contrat dispatchable sur la base d'une prime fixe de 640 F/Kw sur 9 ans, ou 515 F/Kw sur 12 ans indexée sur le coefficient " K = 0,2+0,6 (IME/IMEo) + 0,2(PsdA/PsdAo) " ; que la partie saisissante a refusé ces offres ; qu'en particulier, le raccourcissement à 9 ans et même à 12 ans de la durée du contrat que lui propose EDF l'obligeant à augmenter le montant de ses annuités d'amortissement obère gravement son compte d'exploitation ; qu'enfin, le 27 janvier 1998, le centre EDF GDF Services Béarn Bigorre a indiqué à la SARL Energie de Bigorre qu'il n'était pas en mesure de répondre à sa demande et que les termes du contrat de fournitures partiellement garanties qu'elle a signé antérieurement continuaient à s'appliquer ;
Considérant que la SARL Energie de Bigorre rattache les pratiques qu'elle dénonce à celles sanctionnées par le Conseil de la concurrence dans sa décision 96-D-80 du 10 décembre 1996, relative aux saisines présentées par un certain nombre de producteurs d'électricité et d'organisations professionnelles à l'encontre d'Electricité de France, décision confirmée par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 27 janvier 1998 ; qu'elle soutient que les pratiques d'EDF dont elle est victime ont pour effet d'opérer une discrimination entre les producteurs indépendants d'électricité et la centrale de Tournay, de l'évincer du marché de l'électricité et s'inscrivent dans le cadre d'une stratégie globale d'éviction des producteurs d'électricité exploitant une centrale à gaz, pratiques constitutives d'abus de position dominante au sens des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant, en outre, que la SARL Energie de Bigorre demande au Conseil de prendre des mesures conservatoires sur le fondement des dispositions de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et d'enjoindre à EDF de cesser les pratiques qu'elle dénonce et de la faire bénéficier des conditions identiques à celles convenues avec les autres producteurs indépendants, afin de permettre la rentabilité des investissements de la centrale exploitée par elle à Tournay ;
Considérant que l'application des dispositions de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est subordonnée à la constatation d'indices ou de comportements susceptibles de se rattacher aux pratiques visées par les articles 7 et 8 ; qu'aux termes de l'article 19 de la même ordonnance : " Le Conseil de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence ou ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants " ;
Considérant, en premier lieu, qu'il est établi qu'EDF a d'abord proposé à la SARL Energie de Bigorre la signature d'un contrat dispatchable élaboré sur la base du contrat dispatchable applicable aux producteurs exploitant une centrale fonctionnant au fioul d'une durée de 9 ans, avec un prix d'achat de l'électricité produite de 25,8 cF/Kw indexé sur l'évolution du prix du gaz et une prime fixe de 638 F/Kw ; qu'ensuite, EDF a confirmé à l'auteur de la saisine son offre de contrat dispatchable, mais avec une prime fixe de 640 F/Kw sur 9 ans, ou de 515 F/Kw sur 12 ans ; que, face aux refus renouvelés de ces propositions par la SARL Energie de Bigorre, les négociations entre EDF et cette dernière se sont interrompues le 27 janvier 1998 ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte des déclarations recueillies en séance que deux autres producteurs indépendants, exploitant une centrale à gaz, ont signé avec EDF des contrats dispatchables aux mêmes conditions que celles proposées à la SARL Energie de Bigorre ; que, s'il a été fait état des difficultés d'exploitation que rencontrerait l'un d'entre eux, il n'a pas été démontré que sa situation était la conséquence de la conclusion d'un contrat dispatchable ne lui permettant pas de maintenir le taux de rentabilité de son exploitation ;
Considérant, en troisième lieu, qu'en séance EDF a déclaré être prêt à signer un contrat dispatchable d'une durée de 15 ans avec la SARL Energie de Bigorre, si cette dernière est en mesure de produire de l'électricité aux mêmes conditions de temps de réponse que les centrales fonctionnant au fioul ;
Considérant, dès lors, que la partie saisissante ne peut alléguer qu'elle serait traitée de façon discriminatoire ;
Considérant, enfin, que ni les éléments produits au dossier, ni les déclarations recueillies en séance n'apportent d'éléments probants à l'appui de l'allégation selon laquelle, en l'espèce, EDF poursuivrait une stratégie visant à exclure du marché de l'électricité les producteurs autonomes exploitant une centrale à gaz ; que, par ailleurs, la partie saisissante n'apporte aucun élément probant de nature à établir l'existence de pratiques anticoncurrentielles au sens des dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la saisine au fond n'est pas recevable et que, par voie de conséquence, la demande de mesures conservatoires doit être rejetée,
Décide :
Article 1er - La saisine enregistrée sous le numéro F 1092 est déclarée irrecevable.
Article 2 - La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 227 est rejetée.