Cass. com., 17 mars 2009, n° 06-18.011
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Jean Fillioux (SARL)
Défendeur :
Domaine La Fontaine de la Pouyade (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
M. Jenny
Avocat général :
Mme Bonhomme
Avocats :
SCP Thomas-Raquin, Bénabent, SCP Waquet, Farge, Hazan
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, (Bordeaux, 15 mai 2006), que la société Domaine La Fontaine de la Pouyade, entreprise de négoce d'eaux de vie de Cognac, dont le gérant était M. Bouyer, a déposé sa marque " La Fontaine de la Pouyade " à l'INPI le 16 juin 1988 ; qu'en mars 2000, elle a signé un contrat avec la société Heartland pour distribuer de façon exclusive son cognac aux Etats-Unis, ce contrat prévoyant des volumes de distribution croissant sur une période de trois années ; que le 5 avril 2000 elle a livré 200 bouteilles et 128 bouteilles miniatures ; qu'à cette date la société Jean Fillioux, négociant en eaux de vie de Cognac, a adressé une télécopie à M. Symington de la société Signatory dans laquelle elle indiquait que la vente par la société Domaine La Fontaine de la Pouyade d'une eau de vie de cognac constituait une forme de fraude ; qu'elle ajoutait en référence notamment à M. Bouyer ; " (...) ce genre de gens sont une honte pour notre pays. Ils sont prêts à faire et dire n'importe quoi, ils n'ont pas le moindre respect pour nos véritables et belles traditions. " ; qu'elle a également adressé le 17 avril 2000 à la société Heartland, une télécopie dans laquelle elle alléguait que la famille Fillioux était installée sur le véritable domaine de La Pouyade depuis 1880 alors que M. Bouyer n'avait obtenu le nom Fontaine de la Pouyade que récemment ; que le 2 mai 2000, la société Heartland a informé la société " Premiers Grands Crus and Associated " par laquelle elle était entrée en relation avec la société Fontaine de la Pouyade qu'elle avait reçu des informations révélant l'existence d'un autre cognac utilisant la dénomination La Pouyade Grande Champagne Cognac et que " la source de ces informations remet en cause l'histoire, la tradition, la marque et les pratiques de commercialisation associées à votre produit " et que le 9 juin 2000 elle a résilié le contrat d'importation-distribution conclu le 27 mars 2000 ; que la société Domaine La Fontaine de la Pouyade a assigné la société Jean Fillioux en concurrence déloyale ;
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches, le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche et le troisième moyen : - Attendu que ces moyens ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche : - Attendu que la société Jean Fillioux fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevables les demandes de la société Domaine La Fontaine de la Pouyade et dit qu'elle s'était rendue coupable envers cette dernière d'actes de concurrence déloyale, alors, selon le moyen, que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; qu'en énonçant que l'expression : " Avec MM. Bouyer et Gabriel et Andreu, vous vous trouvez face à des gens malhonnêtes mais qui vendent ", " constitue bien un dénigrement relevant des dispositions de l'article 1382 du Code civil et non une diffamation qui serait prescrite dès lors que le propos vise non pas une atteinte à l'honneur ou à la réputation des personnes citées mais à porter le discrédit sur le produit qu'ils commercialisent ", la cour d'appel a violé par fausse application l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que dans son courrier à la société Henri Preiss - Preiss Imports, la société Fillioux faisait valoir que les cognacs produits par la société Domaine La Fontaine de la Pouyade avaient été embouteillés ou commercialisés à certaines époques par un viticulteur à Bons Bois puis par un négociant en Armagnac et qu'une dégustation d'une bouteille de cognac de la société Domaine La Fontaine de la Pouyade avait révélé qu'au goûter il ne se distinguait pas d'" un véritable verre d'eau si ordinaire et si plate " ; qu'en l'état de ses constatations, dont elle a déduit que les allégations, portées par un professionnel concurrent, même si elles visaient MM. Bouyer, Gabriel et Andreu, n'avaient pour objet que de porter le discrédit sur les cognacs commercialisés par la société Domaine La Fontaine de la Pouyade et étaient proférées dans le but manifeste d'en détourner la clientèle, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche : - Attendu que la société Jean Fillioux fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Domaine La Fontaine de la Pouyade la somme de 304 891,97 euro à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen, que le défaut de paiement de fournitures par celui qui les a reçues en exécution d'un contrat avant sa résiliation ne constitue pas un préjudice indemnisable par le tiers prétendument à l'origine de cette résiliation ; qu'en incluant dans l'indemnité fixée les sommes impayées par la société Heartland à la société Domaine La Fontaine de la Pouyade qui dispose encore d'une créance contractuelle à leur sujet, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient par motifs propres et adoptés que le contenu des écrits dénigrants de la société Jean Fillioux avait conduit la société Heartland, qui avait passé avec la société Domaine de la Pouyade un contrat de distribution concernant un produit exclusif haut de gamme, à penser que cette dernière commercialisait en fraude comme produit haut de gamme et à un prix élevé un produit de qualité inférieure et qu'elle usurpait l'appellation " La Pouyade " que la société Jean Fillioux prétendait détenir légalement ; qu'il constate que le non-paiement par la société Heartland de la totalité du prix des bouteilles livrées par la société Domaine La Fontaine de la Pouyade est la conséquence directe du dénigrement auquel s'est livré la société Jean Fillioux, la société Heartland ayant considéré que compte tenu des assertions de la société Jean Fillioux, elle ne devait pas payer son cognac plus cher que celui vendu par cette dernière ; qu'il en déduit, dans l'exercice de son pouvoir souverain, que le montant du préjudice subi correspond à la somme qui n'a pas été payée ; qu'ainsi la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.