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Décisions

CJCE, 1re ch., 26 mars 2009, n° C-348/07

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Semen

Défendeur :

Deutsche Tamoil GmbH

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Jann

Avocat général :

M. Poiares Maduro

Juges :

MM. Ilešic, Tizzano, Levits (rapporteur), Kasel

Avocats :

Mes Rust, Wambach, Fiorentino

CJCE n° C-348/07

26 mars 2009

LA COUR (première chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 17 de la directive 86-653-CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants (JO L 382, p. 17, ci-après la "directive").

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant M. Semen, preneur à bail d'une station-service, à Deutsche Tamoil GmbH (ci-après "Deutsche Tamoil"), au sujet du montant de l'indemnité de cessation de contrat due à M. Semen en raison de la résiliation de son contrat par ladite société.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 L'article 17 de la directive dispose:

"1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer à l'agent commercial, après cessation du contrat, une indemnité selon le paragraphe 2 ou la réparation du préjudice selon le paragraphe 3.

2. a) L'agent commercial a droit à une indemnité si et dans la mesure où:

- il a apporté de nouveaux clients au commettant ou développé sensiblement les opérations avec les clients existants et le commettant a encore des avantages substantiels résultant des opérations avec ces clients

et

- le paiement de cette indemnité est équitable, compte tenu de toutes les circonstances, notamment des commissions que l'agent commercial perd et qui résultent des opérations avec ces clients. Les États membres peuvent prévoir que ces circonstances comprennent aussi l'application ou non d'une clause de non-concurrence au sens de l'article 20.

b) Le montant de l'indemnité ne peut excéder un chiffre équivalent à une indemnité annuelle calculée à partir de la moyenne annuelle des rémunérations touchées par l'agent commercial au cours des cinq dernières années et, si le contrat remonte à moins de cinq ans, l'indemnité est calculée sur la moyenne de la période.

c) L'octroi de cette indemnité ne prive pas l'agent commercial de faire valoir des dommages-intérêts.

[...]"

La réglementation nationale

4 L'article 89b, paragraphe 1, du Code de commerce allemand (Handelsgesetzbuch), tel qu'en vigueur au moment des faits au principal, transpose l'article 17, paragraphe 2, de la directive en droit national. Il est libellé comme suit:

"1. Après cessation du contrat, l'agent commercial peut exiger de l'entrepreneur une indemnité appropriée lorsque, et dans la mesure où,

(1) l'entrepreneur retire, même après la cessation du contrat, des bénéfices considérables d'une relation d'affaires avec de nouveaux clients démarchés par l'agent commercial,

(2) du fait de la cessation du contrat, l'agent commercial perd son droit à la commission qu'il aurait perçue, en cas de poursuite de celui-ci, pour des transactions conclues ou qui seront conclues avec des clients qu'il a démarchés, et

(3) le paiement d'une indemnité est équitable, compte tenu de l'ensemble des circonstances.

2. Est assimilé au démarchage d'un nouveau client le fait pour un agent commercial d'avoir approfondi la relation d'affaires avec un client existant de manière telle que cela équivaut, d'un point de vue économique, au démarchage d'un nouveau client."

Le litige au principal et les questions préjudicielles

5 Du 1er novembre 2001 jusqu'au 31 décembre 2005, M. Semen était preneur à bail d'une station-service de Deutsche Tamoil à Berlin. Il y vendait essentiellement des carburants et des lubrifiants au nom et pour le compte de celle-ci mais également des cartes téléphoniques de différents opérateurs que ladite société mettait à sa disposition.

6 Deutsche Tamoil appartient au groupe public libyen Oilinvest, qui exploite en Allemagne un réseau d'environ 250 stations-service, à la fois sous la marque premium Tamoil, sa propre raison sociale, et sous la marque secondaire, moins chère, HEM.

7 La station-service exploitée par M. Semen était une station HEM. Sa commission était calculée, pour les carburants, sur la base de la quantité vendue (commission au litre), et pour les huiles, sur la base du chiffre d'affaires réalisé. Lorsque les titulaires de cartes d'essence, à qui Deutsche Tamoil consentait des réductions, venaient s'approvisionner en essence, M. Semen ne percevait alors qu'une commission plus modeste.

8 Le Landgericht Hamburg a été saisi pour se prononcer sur l'indemnité à verser à M. Semen après cessation du contrat le liant à Deutsche Tamoil.

9 Selon la pratique juridictionnelle allemande, les trois critères énoncés à l'article 89b, paragraphe 1, du Code de commerce allemand sont de caractère cumulatif et se limitent réciproquement. Ainsi, l'indemnité ne peut pas être supérieure au montant le plus bas qui résulte de l'application de l'un de ces trois critères.

10 Se fondant sur cette pratique juridictionnelle, la juridiction de renvoi tend à interpréter l'article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive en ce sens que cette disposition, selon laquelle la perte de commissions par l'agent commercial ne constitue qu'un élément à prendre en compte dans le cadre de l'examen de l'équité, permet également de considérer que la perte de commissions par cet agent constitue la limite supérieure de l'indemnité.

11 Nourrissant cependant des doutes quant à ladite interprétation de l'article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive, le Landgericht Hamburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Est-il conforme à l'article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive que le droit de l'agent commercial à indemnité soit limité par ses pertes de commissions résultant de la cessation de la relation contractuelle, même lorsque les avantages conservés par l'entrepreneur doivent être considérés comme supérieurs ?

2) Dans le cas où l'entrepreneur appartient à un groupe de sociétés, les avantages retirés par les sociétés du groupe relèvent-ils de ces avantages ?"

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

12 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive doit être interprété en ce sens qu'il ne permet pas que le droit de l'agent commercial à une indemnité soit d'office limité par ses pertes de commissions résultant de la cessation de la relation contractuelle, même lorsque les avantages conservés par le commettant doivent être considérés comme supérieurs.

13 À cet égard, il y a lieu de relever, à titre liminaire, que l'interprétation de l'article 17 de la directive doit être envisagée au regard de l'objectif poursuivi par cette dernière et du système qu'elle institue (voir arrêt du 23 mars 2006, Honyvem Informazioni Commerciali, C-465-04, Rec. p. I-2879, point 17).

14 Il est constant, ensuite, que la directive a pour objectif d'harmoniser le droit des États membres en ce qui concerne les rapports juridiques entre les parties à un contrat d'agence commerciale. Ainsi, elle vise, notamment, à protéger les agents commerciaux dans leurs relations avec leurs commettants et établit, à cette fin, notamment des règles régissant, à ses articles 13 à 20, la conclusion et la fin du contrat d'agence (arrêt Honyvem Informazioni Commerciali, précité, points 18 et 19).

15 En ce qui concerne la fin du contrat, l'article 17, paragraphe 1, de la directive institue un système permettant aux États membres de choisir entre deux solutions. En effet, ces derniers doivent prendre les mesures nécessaires pour assurer à l'agent commercial, après la cessation du contrat, soit une indemnité déterminée selon les critères énoncés au paragraphe 2 du même article, soit la réparation du préjudice en fonction des critères définis au paragraphe 3 de celui-ci.

16 La République fédérale d'Allemagne a opté pour la solution prévue audit article 17, paragraphe 2.

17 Selon une jurisprudence constante, le système institué par l'article 17 de la directive présente, au regard notamment de la protection de l'agent commercial après la cessation du contrat, un caractère impératif (arrêts du 9 novembre 2000, Ingmar, C-381-98, Rec. p. I-9305, point 21, et Honyvem Informazioni Commerciali, précité, point 22).

18 Ainsi, s'agissant de l'indemnité de cessation du contrat, ce n'est qu'à l'intérieur du cadre précis établi par les articles 17 et 18 de la directive que les États membres peuvent exercer leur marge d'appréciation quant au choix des méthodes de calcul de cette indemnité (arrêts précités Ingmar, point 21, et Honyvem Informazioni Commerciali, point 35).

19 Le système de la procédure établie par l'article 17 de la directive s'articule en trois phases. La première de ces phases vise, tout d'abord, à quantifier les avantages du commettant résultant d'opérations avec des clients démarchés par l'agent commercial, conformément aux dispositions de l'article 17, paragraphe 2, sous a), premier tiret, de cette directive. La deuxième vise ensuite à vérifier, aux termes du second tiret de cette disposition, si le montant auquel on a abouti sur la base des critères décrits ci-dessus est équitable, compte tenu de toutes les circonstances propres au cas d'espèce et notamment des pertes de commissions subies par l'agent commercial. Enfin, dans la troisième phase, le montant de l'indemnité est soumis à la limite maximale prévue à l'article 17, paragraphe 2, sous b), de la directive qui joue uniquement si ce montant, résultant des deux phases de calcul précédentes, l'excède.

20 Par conséquent, les pertes des commissions subies ne constituant qu'un des éléments pertinents dans le cadre de l'examen de l'équité, il incombe à la juridiction nationale d'apprécier, lors de la deuxième phase de ses évaluations, si l'indemnité accordée à l'agent commercial paraît in fine équitable et donc si, et le cas échéant dans quelle mesure, il y a lieu, compte tenu de toutes les circonstances propres au cas d'espèce, d'ajuster cette indemnité.

21 Au regard de l'objectif de la directive, ainsi qu'il a été rappelé au point 14 du présent arrêt, il découle dudit système qu'une interprétation de l'article 17 de la directive, telle que celle avancée par la juridiction de renvoi, ne saurait être admise que s'il est exclu qu'une telle interprétation s'avérera être au détriment de l'agent commercial.

22 À cet égard, il convient, par ailleurs, de constater que la Cour a déjà fait référence au rapport sur l'application de l'article 17 de la directive présenté par la Commission le 23 juillet 1996 [COM(96) 364 final]. Ce rapport fournit des informations détaillées en ce qui concerne le calcul effectif de l'indemnité et vise à faciliter une interprétation plus uniforme de cet article 17 (voir arrêt Honyvem Informazioni Commerciali, précité, point 35). Ainsi, ledit rapport fait état de différents facteurs à prendre en considération lors de l'appréciation de l'équité en pratique, dont certains sont susceptibles de jouer en faveur d'une indemnité plus élevée.

23 À la lumière de ces considérations, il convient, dès lors, de constater que la marge d'appréciation dont jouissent les États membres afin d'ajuster, le cas échéant, l'indemnité due à l'agent commercial en fin de contrat au titre de l'équité, ne saurait être interprétée dans le sens d'un ajustement potentiel exclusivement à la baisse de cette indemnité. En effet, une telle interprétation de l'article 17, paragraphe 2, sous a), second tiret, de la directive, permettant l'exclusion d'office de toute majoration de ladite indemnité, constituerait une interprétation au détriment de l'agent commercial en fin de contrat.

24 Il en découle que ne saurait être admise une pratique juridictionnelle, telle qu'évoquée au point 9 du présent arrêt, excluant d'office que l'indemnité puisse être augmentée à concurrence du plafond fixé par l'article 17, paragraphe 2, sous b), de la directive, dans le cadre de l'application du critère de l'équité, au cas où les avantages conservés par le commettant seraient supérieurs à l'estimation des commissions perdues par l'agent commercial.

25 Au regard de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l'article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive doit être interprété en ce sens qu'il ne permet pas que le droit de l'agent commercial à une indemnité soit d'office limité par ses pertes de commissions résultant de la cessation de la relation contractuelle, même lorsque les avantages conservés par le commettant doivent être considérés comme supérieurs.

Sur la seconde question

26 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive doit être interprété en ce sens que, dans le cas où le commettant appartiendrait à un groupe de sociétés, les avantages retirés par les sociétés de ce groupe seraient réputés faire partie des avantages du commettant et il conviendrait d'en tenir compte dans le calcul du droit de l'agent commercial à une indemnité.

27 Afin de procéder à l'interprétation de l'article 17, paragraphe 2, sous a), premier tiret, de la directive, il y a lieu de se référer, en premier lieu, à son libellé.

28 À cet égard, il convient de constater que cette disposition traite exclusivement des relations contractuelles "clients/commettant" et des avantages du "commettant" résultant des opérations réalisées avec ces clients. L'interprétation littérale de l'article 17, paragraphe 2, sous a), premier tiret, de la directive conduit donc à considérer que cette disposition exclut que des avantages de tiers puissent être pris en considération lors du calcul des "avantages du commettant".

29 Cette interprétation, à savoir celle de prendre en considération exclusivement le rapport entre le commettant et l'agent commercial, est corroborée par l'interprétation systématique de ladite disposition.

30 En effet, le plafond du montant de l'indemnité, prévu à l'article 17, paragraphe 2, sous b), de la directive, est calculé à partir des rémunérations touchées par l'agent commercial. Or, ainsi que le relève le gouvernement italien, même si le commettant fait partie d'un groupe de sociétés, ce sera toujours exclusivement le commettant qui paiera les rémunérations et non les autres sociétés du groupe.

31 Finalement, il y a lieu de constater qu'il résulte du deuxième considérant de la directive que celle-ci a pour finalité, notamment, la sécurité des opérations commerciales et, partant, la sécurité juridique dans le domaine de la représentation commerciale. Cet objectif exclut, en principe, une prise en considération d'avantages de parties tierces, à moins qu'elle ne soit prévue par la relation contractuelle liant le commettant et l'agent commercial. À cet égard, il appartient à la juridiction nationale d'apprécier le contrat d'agence en fonction du droit national applicable.

32 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde question que l'article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive doit être interprété en ce sens que, dans le cas où le commettant appartiendrait à un groupe de sociétés, les avantages retirés par les sociétés dudit groupe ne sont, en principe, pas réputés faire partie des avantages du commettant et, par conséquent, ils ne doivent pas être nécessairement pris en compte dans le calcul du droit de l'agent commercial à une indemnité.

Sur les dépens

33 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, LA COUR (première chambre) dit pour droit:

1) L'article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive 86-653-CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, doit être interprété en ce sens qu'il ne permet pas que le droit de l'agent commercial à une indemnité soit d'office limité par ses pertes de commissions résultant de la cessation de la relation contractuelle, même lorsque les avantages conservés par le commettant doivent être considérés comme supérieurs.

2) L'article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive 86-653 doit être interprété en ce sens que, dans le cas où le commettant appartiendrait à un groupe de sociétés, les avantages retirés par les sociétés dudit groupe ne sont, en principe, pas réputés faire partie des avantages du commettant et, par conséquent, ils ne doivent pas être nécessairement pris en compte dans le calcul du droit de l'agent commercial à une indemnité.