CJCE, 3e ch., 26 mars 2009, n° C-326/07
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République italienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Rosas
Avocat général :
M. Ruiz-Jarabo Colomer
Juges :
MM. Cunha Rodrigues, Klucka, Arabadjiev, Mme Lindh (rapporteur)
Avocat :
Me Gentili
LA COUR (troisième chambre),
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, du fait de l'adoption des dispositions figurant à l'article 1er, paragraphe 2, du décret du président du Conseil des ministres portant définition des critères relatifs à l'exercice des pouvoirs spéciaux prévus à l'article 2 du décret-loi n° 332 du 31 mai 1994, converti, après modifications, par la loi n° 474, du 30 juillet 1994 (decreto del Presidente del Consiglio dei Ministri, definizione dei criteri di esercizio dei poteri speciali, di cui all'art. 2 del decreto-legge 31 maggio 1994, n. 332, convertito, con modificazioni, dalla legge 30 luglio 1994, n. 474), du 10 juin 2004 (GURI n° 139, du 16 juin 2004, p. 26, ci-après le "décret de 2004"), la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 56 CE.
Le cadre juridique
Le décret-loi n° 332-1994
2 Le décret-loi n° 332 portant des dispositions pour l'accélération des procédures de cession des participations de l'État et des organismes publics dans les sociétés par actions (decreto-legge n. 332, norme per l'accelerazione delle procedure di dismissione di partecipazioni dello Stato e degli enti pubblici in società per azioni), du 31 mai 1994 (GURI n° 126, du 1er juin 1994, p. 38), a été converti, après modifications, par la loi n° 474, du 30 juillet 1994 (GURI n° 177, du 30 juillet 1994, p. 5). Ce décret-loi a ensuite été modifié par la loi n° 350 portant dispositions pour la formation du budget annuel et pluriannuel de l'État (loi de finances 2004) [legge n. 350, disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (legge finanziaria 2004)], du 24 décembre 2003 (supplément ordinaire à la GURI n° 196, du 27 décembre 2003, ci-après la "loi de finances n° 350-2003"). Ledit décret-loi, tel que converti et modifié (ci-après le "décret-loi n° 332-1994"), prévoit que l'État détient des pouvoirs spéciaux dans certaines sociétés (ci-après les "pouvoirs spéciaux").
3 Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, du décret-loi n° 332-1994:
"Parmi les sociétés qui sont contrôlées directement ou indirectement par l'État et qui opèrent dans le secteur de la défense, du transport, des télécommunications, des sources d'énergie et des autres services publics, un décret du président du Conseil des ministres, adopté sur proposition du ministre de l'Économie et des Finances, en concertation avec le ministre des Activités productives ainsi qu'avec les ministres compétents par secteur, détermine, moyennant communication préalable aux commissions parlementaires compétentes, celles dans les statuts desquelles, avant tout acte qui entraîne la perte de contrôle, il faut introduire, par délibération de l'assemblée extraordinaire, une clause qui attribue au ministre de l'Économie et des Finances un ou plusieurs des pouvoirs spéciaux suivants, qui doivent être exercés en concertation avec le ministre des Activités productives [...]"
4 Ces pouvoirs spéciaux, énoncés audit article 2, paragraphe 1, sous a) à d), sont les suivants:
a) opposition à l'acquisition, par des investisseurs, de participations importantes représentant au moins 5 % des droits de vote ou un pourcentage inférieur fixé par le ministre de l'Économie et des Finances par voie de décret. Pour exprimer leur opposition, les autorités disposent d'un délai de 10 jours à compter de la date de la communication qui doit être effectuée par les administrateurs de la société concernée au moment de la demande d'inscription au registre des actionnaires, tandis que le cessionnaire dispose de 60 jours pour attaquer la décision des autorités devant le tribunal compétent;
b) opposition à la conclusion de pactes ou d'accords entre actionnaires qui représentent au moins 5 % des droits de vote ou un pourcentage inférieur fixé par le ministre de l'Économie et des Finances par voie de décret. Les délais de 10 et de 60 jours mentionnés au point a) sont applicables, respectivement, à l'opposition des autorités et au recours des actionnaires adhérant aux pactes ou aux accords concernés;
c) veto à l'adoption de décisions de dissolution de la société, de transfert de l'entreprise, de fusion, de scission, de transfert du siège social à l'étranger, de changement de l'objet social, de modification des statuts qui supprime ou modifie les pouvoirs spéciaux. Un délai de 60 jours est prévu pour attaquer une décision de veto;
d) désignation d'un administrateur sans droit de vote.
5 Il ressort de la requête qu'une clause relative à l'exercice des pouvoirs spéciaux a été introduite notamment dans les statuts des sociétés de droit italien ENI, Telecom Italia, Enel et Finmeccanica, opérant respectivement dans les secteurs de la pétrochimie et de l'énergie, des télécommunications, de l'électricité ainsi que de la défense.
6 L'article 4, paragraphe 230, de la loi de finances n° 350-2003 prévoit qu'un décret ad hoc du président du Conseil des ministres, sur proposition des ministres de l'Économie et des Finances ainsi que des Activités productives, qui doit être adopté dans un délai de 90 jours suivant l'entrée en vigueur de ladite loi, détermine les critères d'exercice des pouvoirs spéciaux en limitant leur utilisation aux seuls cas de préjudice aux intérêts vitaux de l'État.
Le décret de 2004
7 Aux termes de l'article 1er, paragraphes 1 et 2, du décret de 2004:
"1. Les pouvoirs spéciaux prévus à l'article 2 du décret-loi n° [332-1994] sont exercés exclusivement lorsqu'ils sont justifiés par des motifs importants et impératifs d'intérêt général, concernant plus précisément l'ordre public, la sécurité publique, la santé publique et la défense, et prennent la forme de mesures adaptées et proportionnelles à la protection de ces intérêts, telles que la fixation éventuelle de délais opportuns, sans préjudice du respect des principes du droit national ainsi que du droit communautaire et, avant toute chose, du principe de non-discrimination.
2. Les pouvoirs spéciaux prévus à l'article 2, paragraphe 1, points a), b) et c), du décret-loi n° [332-1994] sont exercés, sans préjudice des modalités indiquées dans ce paragraphe 1, dans les circonstances suivantes:
a) risque grave et réel d'une rupture de l'approvisionnement national minimal en produits pétroliers et énergétiques ainsi que de la fourniture de services connexes et ultérieurs, et, en général, de l'approvisionnement en matières premières et en biens essentiels à la collectivité, et rupture de la fourniture d'un service minim[al] dans les secteurs des télécommunications et des transports;
b) risque grave et réel pour la continuité de l'exécution des obligations à l'égard de la collectivité dans le cadre de la fourniture d'un service public ainsi que pour l'exécution de la mission confiée à la société pour servir l'intérêt public;
c) risque grave et réel pour la sécurité des installations et des réseaux dans les services publics essentiels;
d) risque grave et réel pour la défense nationale, la sécurité militaire, l'ordre public et la sécurité publique;
e) urgences sanitaires."
La procédure précontentieuse
8 La Commission a engagé une procédure en constatation de manquement pour violation des articles 43 CE et 56 CE en rapport avec les conditions d'exercice des pouvoirs spéciaux par l'envoi d'une lettre de mise en demeure à la République italienne le 6 février 2003. Cet État membre a, par suite, modifié sa législation en adoptant la loi de finances n° 350-2003 ainsi que le décret de 2004. Estimant toutefois que les modifications ainsi introduites n'étaient pas suffisantes, la Commission lui a envoyé une lettre de mise en demeure complémentaire le 22 décembre 2004.
9 Après avoir reçu la réponse du gouvernement italien du 20 mai 2005, la Commission, estimant ne pas pouvoir se ranger aux arguments contenus dans cette réponse, a adressé à la République italienne, le 18 octobre 2005, un avis motivé portant uniquement sur les critères établis à l'article 1er, paragraphe 2, du décret de 2004, l'invitant à s'y conformer dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis. En réponse, cet État membre a transmis une note contestant, en substance, l'analyse de la Commission.
10 Estimant que la situation demeurait insatisfaisante, la Commission a introduit le présent recours.
Sur le recours
Argumentation des parties
11 Selon la Commission, la violation par la République italienne des articles 43 CE et 56 CE tient au fait que le décret de 2004 ne précise pas suffisamment les critères d'exercice des pouvoirs spéciaux. De l'avis de cette institution, lesdits critères ne permettent pas aux investisseurs de connaître les situations dans lesquelles ces pouvoirs seront utilisés.
12 Ainsi, la Commission soutient que les situations concrètes qui peuvent être couvertes par la notion de "risque grave et réel" figurant à l'article 1er, paragraphe 2, sous a) à d), du décret de 2004 sont potentiellement nombreuses, indéterminées et indéterminables. Ce défaut de précision dans la détermination des circonstances spécifiques et objectives qui justifient le recours de l'État aux pouvoirs spéciaux conférerait un caractère discrétionnaire auxdits pouvoirs eu égard à la marge d'appréciation dont disposeraient les autorités italiennes. Cela aurait pour effet de décourager de manière générale les investisseurs, et plus particulièrement ceux qui envisagent de s'installer en Italie en vue d'exercer une influence sur la gestion des entreprises concernées par la réglementation en cause.
13 La Commission observe que, dès lors que l'article 1er, paragraphe 2, du décret de 2004 concerne la mise en œuvre des pouvoirs spéciaux prévus par le décret-loi n° 332-1994, l'évaluation de la proportionnalité de ce décret englobe l'examen de la légitimité desdits pouvoirs dans des situations déterminées.
14 La Commission admet que la liberté d'établissement et la libre circulation des capitaux peuvent être limitées par des mesures nationales justifiées sur la base des articles 46 CE et 58 CE ou par des raisons impérieuses d'intérêt général, mais seulement pour autant qu'il n'existe pas de réglementation communautaire d'harmonisation prévoyant des mesures nécessaires pour assurer la protection des intérêts fondamentaux de l'État.
15 S'agissant des secteurs réglementés, comme ceux de l'énergie, du gaz naturel et des télécommunications, la Commission considère que l'objectif de sauvegarde des intérêts fondamentaux de l'État peut être atteint en adoptant des mesures moins restrictives, telles que celles prévues par le législateur européen. La Commission cite en particulier les directives 2003-54-CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et abrogeant la directive 96-92-CE (JO L 176, p. 37), 2003-55-CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98-30-CE (JO L 176, p. 57), ainsi que 2002-21-CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive "cadre") (JO L 108, p. 33). La Commission souligne que ces directives prévoient la mise en œuvre de mesures destinées à protéger l'approvisionnement national minimal dans les domaines visés. Cette institution fait valoir que la République italienne n'indique pas pourquoi la protection de l'approvisionnement national minimal dans les secteurs de l'économie ainsi réglementés ne pourrait être assurée sur la base desdites directives.
16 S'agissant des secteurs non réglementés, la Commission soutient que la République italienne n'a pas avancé de justification pour l'application des critères litigieux.
17 Elle observe, en outre, qu'il n'existe aucun lien causal entre, d'une part, la nécessité de garantir l'approvisionnement énergétique ainsi que de fournir des services publics et, d'autre part, le contrôle de l'actionnariat et de la gestion d'une entreprise.
18 Selon la Commission, le décret de 2004 constitue donc un instrument qui va au-delà de ce qui est nécessaire pour défendre les intérêts publics qu'il vise.
19 La République italienne relève, en premier lieu, qu'une grande partie de l'analyse de la Commission est consacrée à la prétendue illégalité des pouvoirs spéciaux dont le régime est fixé dans le décret-loi n° 332-1994. Or, le manquement visé par le recours comme par l'avis motivé porterait uniquement sur le décret de 2004, et non sur le décret-loi n° 332-1994. Par conséquent, la prétendue illégalité du régime des pouvoirs spéciaux, lequel résulte de ce décret-loi, ne serait pas couverte par le présent recours.
20 Selon cet État membre, il en résulte que l'essentiel des griefs développés par la Commission dans son recours ne saurait être accueilli. Il en irait ainsi des griefs portant sur les limites imposées par la République italienne à l'acquisition d'actions dans les sociétés concernées, griefs qui concernent la propriété des actions, c'est-à-dire la structure de ces sociétés. En effet, la Commission reprocherait principalement à la République italienne d'avoir instauré des mesures de contrôle portant sur ladite structure, et non des mesures permettant de contrôler des décisions de gestion spécifiques. Or, ces griefs concerneraient le décret-loi n° 332-1994, et non le décret de 2004.
21 La République italienne conclut donc au rejet des griefs fondés sur l'absence de proportionnalité des dispositions relatives aux pouvoirs spéciaux étant donné que cette partie du recours vise en réalité le décret-loi n° 332-1994.
22 En deuxième lieu, la République italienne conteste l'analyse de la Commission en ce que celle-ci fonde l'essentiel de ses griefs sur une prétendue violation de l'article 56 CE, relatif à la libre circulation des capitaux, tout en ajoutant que ces griefs pourraient indifféremment être basés sur une violation de l'article 43 CE, relatif à la liberté d'établissement. Selon cet État membre, il résulte de la jurisprudence de la Cour, notamment de l'arrêt du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C-196-04, Rec. p. I-7995), que, si une question peut être examinée du point de vue de la liberté d'établissement, cela exclut qu'elle relève de la libre circulation des capitaux. Or, dès lors que les mesures litigieuses portent sur des actes destinés à exercer une influence déterminante sur la gestion des sociétés concernées, les articles 43 CE, 45 CE et 46 CE seraient pertinents. Ce point serait important, puisque ces articles contiennent des dispositions moins contraignantes que celles des articles 56 CE et 58 CE.
23 En troisième lieu, la République italienne conteste le bien-fondé du grief relatif au caractère discrétionnaire que les dispositions du décret de 2004 conféreraient aux pouvoirs spéciaux attribués à l'administration nationale.
24 En quatrième lieu, cet État membre réfute l'argumentation de la Commission relative aux directives applicables dans les secteurs réglementés. En effet, ces directives ne seraient pertinentes que si le recours concernait le décret-loi n° 332-1994, qui prévoit des mesures structurelles. Le décret de 2004 n'aurait, pour sa part, introduit aucune mesure de ce type, mais se limiterait à préciser les cas et conditions d'adoption des mesures prévues par ledit décret-loi. La République italienne soutient que, en tout état de cause, rien n'interdit aux États membres d'adopter, dans ces secteurs essentiels, des mesures instaurant des pouvoirs d'intervention allant même au-delà des dispositions desdites directives.
25 La République italienne ajoute que le principe de subsidiarité doit s'appliquer. En effet, la législation nationale serait plus adaptée que la législation communautaire pour réglementer des situations présentant un risque pour les intérêts vitaux de l'État, situations que seul ce dernier peut apprécier dans un délai utile et de façon correcte.
26 Dans les autres secteurs des services publics, qui n'ont pas encore fait l'objet d'une harmonisation, comme le secteur de la défense nationale, un État membre serait en droit d'adopter des mesures en vue de faire face à des situations gravement préjudiciables pour l'intérêt général.
27 Selon la République italienne, le seul argument du recours à prendre en considération est le prétendu manque de prévisibilité des cas concrets dans lesquels il est possible de recourir aux dispositions du décret-loi n° 332-1994. Cependant, cet État membre soutient que ce n'est qu'au moment où un investisseur se présente que toutes les circonstances spécifiques sont identifiées et peuvent être appréciées. Il conclut donc que les conditions d'exercice des pouvoirs spéciaux ne sauraient être déterminées avec plus de précision qu'elles le sont dans le décret de 2004.
Appréciation de la Cour
Sur l'objet du recours
28 Selon la République italienne, par une partie significative de ses arguments, la Commission conteste en réalité non pas les critères figurant dans le décret de 2004, mais les pouvoirs spéciaux instaurés par le décret-loi n° 332-1994, et vise à faire juger ces pouvoirs non conformes au droit communautaire. Ces arguments étendraient ainsi l'objet du litige et seraient donc irrecevables.
29 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que l'objet d'un recours en manquement est circonscrit par l'avis motivé et la requête (voir en ce sens, notamment, arrêt du 24 juin 2004, Commission/Pays-Bas, C-350-02, Rec. p. I-6213, point 20 et jurisprudence citée). Étant donné que, dans la présente affaire, ces deux actes visent uniquement les critères établis à l'article 1er, paragraphe 2, du décret de 2004, il y a lieu de constater que la Commission n'a pas étendu l'objet du litige, de sorte que le recours est recevable.
30 La Commission développe certes des arguments critiques à l'égard des pouvoirs spéciaux instaurés par le décret-loi n° 332-1994, mais elle ne les remet pas en cause et n'attaque que les critères permettant leur mise en œuvre.
31 Le manquement allégué ne concernant que les critères définis à l'article 1er, paragraphe 2, du décret de 2004, il n'y a lieu de statuer que sur la conformité de cette disposition avec le droit communautaire.
Sur l'application des articles 43 CE et 56 CE
32 La Commission estime que le manquement qu'elle dénonce doit être examiné au regard de l'article 43 CE, relatif à la liberté d'établissement, et de l'article 56 CE, relatif à la libre circulation des capitaux.
33 Quant à la question de savoir si une législation nationale relève de l'une ou de l'autre de ces libertés, il résulte d'une jurisprudence bien établie qu'il y a lieu de prendre en compte l'objet de la législation en cause (voir arrêt du 24 mai 2007, Holböck, C-157-05, Rec. p. I-4051, point 22 et jurisprudence citée).
34 Relèvent du champ d'application matériel des dispositions du traité CE sur la liberté d'établissement les dispositions nationales qui trouvent à s'appliquer à la détention par un ressortissant d'un État membre, dans le capital d'une société établie dans un autre État membre, d'une participation lui permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions de cette société et d'en déterminer les activités (voir en ce sens, notamment, arrêts du 13 avril 2000, Baars, C-251-98, Rec. p. I-2787, point 22, et du 23 octobre 2007, Commission/Allemagne, C-112-05, Rec. p. I-8995, point 13).
35 Relèvent des dispositions de l'article 56 CE, relatif à la libre circulation des capitaux, notamment les investissements directs, à savoir les investissements de toute nature auxquels procèdent les personnes physiques ou morales et qui servent à créer ou à maintenir des relations durables et directes entre le bailleur de fonds et la société à qui ces fonds sont destinés en vue de l'exercice d'une activité économique. Cet objectif présuppose que les actions détenues par l'actionnaire donnent à celui-ci la possibilité de participer effectivement à la gestion de cette société ou à son contrôle (voir arrêt Commission/Allemagne, précité, point 18 et jurisprudence citée).
36 Une législation nationale qui n'a pas vocation à s'appliquer aux seules participations permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions d'une société et d'en déterminer les activités, mais qui s'applique indépendamment de l'ampleur de la participation qu'un actionnaire détient dans une société, est susceptible de relever aussi bien de l'article 43 CE que de l'article 56 CE (voir, en ce sens, arrêt Holböck, précité, points 23 et 24). Contrairement à ce que soutient la République italienne, l'arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité, ne permet pas de conclure que, dans un tel cas, seul l'article 43 CE serait pertinent. En effet, ainsi qu'il ressort de son point 32, cet arrêt concerne uniquement une situation dans laquelle une société détient des participations lui conférant le contrôle d'autres sociétés (voir arrêt du 17 juillet 2008, Commission/Espagne, C-207-07, point 36).
37 En l'espèce, il y a lieu d'établir une distinction selon que les critères sont appliqués soit aux pouvoirs d'opposition de l'État à l'acquisition de participations et à la conclusion de pactes d'actionnaires représentant un certain pourcentage des droits de vote, soit au pouvoir de mettre un veto à certaines décisions de la société.
38 S'agissant, en premier lieu, des pouvoirs d'opposition visés à l'article 2, paragraphe 1, sous a) et b), du décret-loi n° 332-1994, il ressort du dossier que le pourcentage d'au moins 5 % des droits de vote ou, le cas échéant, le pourcentage inférieur fixé par le ministre compétent doit permettre aux intéressés de participer de manière effective à la gestion d'une société concernée, ce qui relève des dispositions de l'article 56 CE. Il n'est toutefois pas exclu, s'agissant de sociétés dans lesquelles l'actionnariat est en général fortement dispersé, que les détenteurs de participations correspondant à ces pourcentages aient le pouvoir d'influencer de manière certaine la gestion d'une telle société et d'en déterminer les activités, ce qui relève des dispositions de l'article 43 CE, ainsi que la République italienne le soutient. De plus, dès lors que le décret-loi n° 332-1994 établit un pourcentage minimal, cette réglementation a également vocation à s'appliquer à des participations qui excèdent ce pourcentage et confèrent un pouvoir de contrôle manifeste. Il y a lieu dès lors d'examiner les critères se rapportant à l'exercice desdits pouvoirs d'opposition sous l'angle de ces deux dispositions du traité.
39 S'agissant, en second lieu, du pouvoir de veto visé à l'article 2, paragraphe 1, sous c), du décret-loi n° 332-1994, force est de constater que ce pouvoir porte sur des décisions relevant de la gestion de la société et, partant, ne concerne que des actionnaires capables d'exercer une influence certaine sur les sociétés concernées, de sorte que les critères se rapportant à l'exercice de ce pouvoir doivent être examinés sous l'angle de l'article 43 CE. Au demeurant, à supposer que ces critères produisent des effets restrictifs sur la libre circulation des capitaux, ceux-ci seraient la conséquence inéluctable d'une éventuelle entrave à la liberté d'établissement et ne justifieraient pas un examen autonome au regard de l'article 56 CE (voir arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité, point 33). Par conséquent, l'examen des critères se rapportant à l'exercice du pouvoir de veto doit être effectué uniquement sous l'angle de l'article 43 CE.
Sur les critères énoncés à l'article 1er, paragraphe 2, du décret de 2004 en tant qu'ils se rapportent à l'exercice des pouvoirs d'opposition
- Sur le manquement aux obligations résultant de l'article 56 CE
40 Il y a lieu de relever à titre liminaire que les critères ici examinés déterminent les circonstances dans lesquelles les pouvoirs de l'État de s'opposer à l'acquisition de certaines participations ou à la conclusion de certains pactes d'actionnaires dans les sociétés concernées peuvent être mis en œuvre. Il résulte de la jurisprudence de la Cour que le recours à de tels pouvoirs peut être contraire à la libre circulation des capitaux garantie par l'article 56 CE (voir, notamment, arrêts du 13 mai 2003, Commission/Royaume-Uni, C-98-01, Rec. p. I-4641, point 50, et Commission/Espagne, précité, point 58). Le point litigieux dans la présente affaire est de savoir si lesdits critères établissent des conditions permettant de justifier l'exercice de tels pouvoirs.
41 Il convient, à cet égard, de rappeler que la libre circulation des capitaux peut être limitée par des mesures nationales justifiées par les raisons mentionnées à l'article 58 CE ou par des raisons impérieuses d'intérêt général, pour autant qu'il n'existe pas de mesure communautaire d'harmonisation prévoyant des mesures nécessaires pour assurer la protection de ces intérêts (voir arrêt Commission/Allemagne, précité, point 72 et jurisprudence citée).
42 À défaut d'une telle harmonisation communautaire, il appartient en principe aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de tels intérêts légitimes ainsi que de la manière dont ce niveau doit être atteint. Ils ne peuvent cependant le faire que dans les limites tracées par le traité et, en particulier, dans le respect du principe de proportionnalité, qui exige que les mesures adoptées soient propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint (voir arrêt Commission/Allemagne, précité, point 73 et jurisprudence citée).
43 Par ailleurs, même dans les domaines qui ont fait l'objet d'une harmonisation, le principe de proportionnalité est applicable dans les cas où le législateur communautaire a laissé aux États membres une marge d'appréciation.
44 En l'espèce, les points de vue de la République italienne et de la Commission divergent sur la question de savoir si les critères applicables à l'exercice des pouvoirs d'opposition à l'acquisition de participations ou à la conclusion de pactes d'actionnaires représentant au moins 5 % des droits de vote, voire un pourcentage inférieur dans certains cas, sont tels que cet exercice est proportionné aux objectifs poursuivis et, dès lors, compatible avec la liberté garantie par l'article 56 CE.
45 À cet égard, il convient de relever que les critères litigieux visent des intérêts généraux concernant, en particulier, l'approvisionnement minimal en ressources énergétiques et en biens essentiels à la collectivité, la continuité du service public, la sécurité des installations utilisées dans le cadre de services publics essentiels, la défense nationale, la protection de l'ordre public et de la sécurité publique ainsi que les urgences sanitaires. La poursuite de tels intérêts peut, sous réserve du respect du principe de proportionnalité, justifier certaines restrictions à l'exercice des libertés fondamentales (voir, notamment, arrêt du 14 février 2008, Commission/Espagne, C-274-06, point 38).
46 Toutefois, ainsi qu'il a été rappelé aux points 42 et 43 du présent arrêt, le respect du principe de proportionnalité exige en premier lieu que les mesures prises soient aptes à atteindre les objectifs poursuivis.
47 Or, l'application des critères litigieux en tant qu'ils se rapportent à l'exercice des pouvoirs d'opposition n'est pas apte à atteindre les objectifs poursuivis en l'espèce, en raison d'une absence de lien entre lesdits critères et ces pouvoirs.
48 En effet, la Cour a précédemment jugé que la simple acquisition d'une participation s'élevant à plus de 10 % du capital social d'une société opérant dans le secteur de l'énergie ou toute autre acquisition conférant une influence significative sur une telle société ne saurait, en principe, être considérée, en soi, comme une menace réelle et suffisamment grave pour la sécurité de l'approvisionnement (voir arrêt du 17 juillet 2008, Commission/Espagne, précité, points 38 et 51).
49 Dans ses écrits, la République italienne n'a produit aucune preuve ni même aucun indice que l'application des critères litigieux pour la mise en œuvre des pouvoirs d'opposition permet d'atteindre les objectifs poursuivis. Lors de l'audience de plaidoirie, cet État membre a certes cité quelques exemples. Il a ainsi mentionné l'éventualité qu'un opérateur étranger lié à une organisation terroriste cherche à acquérir des participations importantes dans des sociétés nationales dans un domaine stratégique. Il a également évoqué la possibilité qu'une société étrangère contrôlant des réseaux internationaux de transmission d'énergie et qui, par le passé, aurait utilisé cette position pour créer des difficultés graves d'approvisionnement à des pays limitrophes se porte acquéreur d'actions dans une société nationale. Selon cet État membre, l'existence de précédents de cette nature pourrait justifier une opposition à l'acquisition par de tels investisseurs de participations significatives dans les sociétés nationales concernées.
50 Cependant, force est de constater que de telles considérations ne figurent pas dans le décret de 2004, lequel ne mentionne aucune circonstance spécifique et objective.
51 La Cour a précédemment jugé que des pouvoirs d'intervention d'un État membre tels que les pouvoirs d'opposition dont les critères en cause déterminent les conditions d'exercice, qui ne sont soumis à aucune condition à l'exception d'une référence à la protection des intérêts nationaux formulée de manière générale et sans que soient précisées les circonstances spécifiques et objectives dans lesquelles ces pouvoirs seront exercés, constituent une atteinte grave à la liberté de circulation des capitaux (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2002, Commission/France, C-483-99, Rec. p. I-4781, points 50 et 51).
52 Ces considérations sont applicables à la présente espèce. En effet, même si les critères en cause visent différents types d'intérêts généraux, ceux-ci sont formulés de manière générale et imprécise. De plus, l'absence de lien entre ces critères et les pouvoirs spéciaux auxquels ils se rapportent renforce l'incertitude quant aux circonstances dans lesquelles ces pouvoirs sont susceptibles d'être exercés et confère un caractère discrétionnaire auxdits pouvoirs eu égard à la marge d'appréciation dont disposent les autorités nationales pour leur mise en œuvre. Une telle marge d'appréciation est disproportionnée par rapport aux objectifs poursuivis.
53 Par ailleurs, la simple énonciation à l'article 1er, paragraphe 1, du décret de 2004 selon laquelle les pouvoirs spéciaux ne doivent être exercés qu'en conformité avec le droit communautaire ne saurait rendre l'exercice de ces critères compatible avec celui-ci. En effet, le caractère général et abstrait des critères n'est pas de nature à garantir que l'exercice des pouvoirs spéciaux sera effectué conformément aux exigences du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2003, Commission/Espagne, C-463-00, Rec. p. I-4581, points 63 et 64).
54 Enfin, si la circonstance que l'exercice des pouvoirs spéciaux peut être soumis au contrôle du juge national, en vertu de l'article 2, paragraphe 1, sous a) à c), du décret-loi n° 332-1994, est nécessaire à la protection des personnes au regard de l'application des règles sur la libre circulation des capitaux, elle ne saurait toutefois suffire, à elle seule, à remédier à l'incompatibilité avec ces règles des critères d'application des pouvoirs spéciaux.
55 Il convient par conséquent de constater que, du fait de l'adoption des dispositions figurant à l'article 1er, paragraphe 2, du décret de 2004, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 56 CE, pour autant que ces dispositions s'appliquent aux pouvoirs spéciaux prévus à l'article 2, paragraphe 1, sous a) et b), du décret-loi n° 332-1994.
- Sur le manquement aux obligations résultant de l'article 43 CE
56 Dans la mesure où l'exercice des pouvoirs d'opposition vise également des participations conférant à leurs détenteurs le pouvoir d'influencer de manière certaine la gestion des sociétés concernées ainsi que d'en déterminer les activités et peut donc restreindre la liberté d'établissement, il y a lieu de considérer, pour les mêmes raisons que celles exposées précédemment dans le cadre de l'examen relatif à la compatibilité des critères figurant à l'article 1er, paragraphe 2, du décret de 2004 avec l'article 56 CE, que ces critères confèrent aux autorités italiennes une marge d'appréciation disproportionnée dans l'exercice des pouvoirs d'opposition.
57 Il convient par conséquent de constater que, du fait de l'adoption des dispositions figurant à l'article 1er, paragraphe 2, du décret de 2004, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 43 CE, pour autant que ces dispositions s'appliquent aux pouvoirs spéciaux prévus à l'article 2, paragraphe 1, sous a) et b), du décret-loi n° 332-1994.
Sur les critères énoncés à l'article 1er, paragraphe 2, du décret de 2004 en tant qu'ils se rapportent à l'exercice du pouvoir de veto
58 Ainsi qu'il a été mentionné au point 39 du présent arrêt, l'application des critères figurant à l'article 1er, paragraphe 2, du décret de 2004 au pouvoir de veto à l'encontre de certaines décisions doit être examinée uniquement sous l'angle de l'article 43 CE.
59 La Commission estime que ces critères, en tant qu'ils sont applicables à ce pouvoir de veto, sont disproportionnés par rapport à l'objectif poursuivi et, dès lors, contraires à l'article 43 CE. La République italienne conteste cette analyse.
60 Il y a lieu de constater que, en ce qui concerne les sociétés concernées, les décisions relatives à leur dissolution, au transfert de l'entreprise, à la fusion, à la scission, au transfert du siège social à l'étranger, au changement de l'objet social ainsi que les modifications des statuts qui suppriment ou modifient les pouvoirs spéciaux concernent des aspects importants de la gestion de ces sociétés.
61 Il est possible que de telles décisions, qui peuvent porter sur la subsistance même de ces sociétés, affectent notamment la continuité du service public ou le maintien de l'approvisionnement national minimal en biens essentiels à la collectivité, lesquels constituent des intérêts généraux visés dans le décret de 2004.
62 Un lien existe donc entre le pouvoir spécial de veto et les critères fixés dans le décret de 2004.
63 Toutefois, les circonstances dans lesquelles ce pouvoir peut être exercé sont imprécises.
64 La Cour a jugé, s'agissant d'un droit d'opposition à certaines décisions de cession ou d'affectation à titre de garantie des actifs de sociétés opérant dans le domaine pétrolier, que, l'exercice de ce droit n'étant soumis à aucune condition limitant le pouvoir discrétionnaire du ministre quant au contrôle de l'identité des détenteurs des actifs de ces sociétés, le régime concerné allait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but invoqué, à savoir la prévention d'une atteinte à l'approvisionnement minimal en produits pétroliers en cas de menace effective. La Cour a ajouté que, en l'absence de critères objectifs et précis dans la structure dudit régime, la réglementation visée était disproportionnée par rapport au but indiqué (voir arrêt Commission/France, précité, points 52 et 53).
65 Il convient de vérifier si des considérations similaires sont applicables à la présente espèce.
66 Le décret de 2004 ne contient pas de précisions sur les circonstances dans lesquelles les critères d'exercice du pouvoir de veto prévu à l'article 2, paragraphe 1, sous c), du décret-loi n° 332-1994 peuvent trouver à s'appliquer. Même si ce pouvoir ne peut être exercé que dans des situations de risque grave et réel ou d'urgences sanitaires, conformément à l'article 1er, paragraphe 2, dudit décret, et dans le respect des conditions visées à l'article 1er, paragraphe 1, de ce même texte, à savoir notamment pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique, de santé publique et de défense, en l'absence de précisions sur les circonstances concrètes permettant d'exercer le pouvoir en question, les investisseurs ne savent pas quand ce pouvoir de veto peut trouver à s'appliquer. Il y a lieu, par conséquent, de considérer, ainsi que la Commission le soutient, que les situations permettant d'exercer le pouvoir de veto sont potentiellement nombreuses, indéterminées et indéterminables, et qu'elles laissent un large pouvoir d'appréciation aux autorités italiennes.
67 La République italienne fait cependant valoir que le principe de subsidiarité est applicable dans les domaines stratégiques concernés et que les États membres doivent conserver un large pouvoir d'appréciation, car ils sont les mieux placés pour traiter des situations d'urgence affectant des intérêts vitaux de l'État. Les directives introduites dans les domaines réglementés, tels que celui de l'énergie, ne contiendraient que des règles minimales relatives au respect des exigences de service public.
68 À cet égard, ainsi qu'il a été relevé au point 43 du présent arrêt, même si ces directives laissent une marge d'appréciation aux États membres, notamment pour adopter des mesures en cas d'urgence, les dispositions qu'ils adoptent doivent respecter les limites tracées par le traité, et en particulier le principe de proportionnalité.
69 La Cour a notamment admis, s'agissant d'entités opérant dans les secteurs du pétrole, des télécommunications et de l'électricité, que l'objectif de garantir la sécurité de l'approvisionnement en de tels produits ou la fourniture de tels services en cas de crise sur le territoire de l'État membre en cause peut constituer une raison de sécurité publique et, partant, justifier une restriction à une liberté fondamentale (voir arrêt du 13 mai 2003, Commission/Espagne, précité, point 71).
70 Cependant, la Cour a également jugé que, si les États membres restent, pour l'essentiel, libres de fixer, conformément à leurs besoins nationaux, les exigences de l'ordre public et de la sécurité publique, en tant que motifs de dérogation à une liberté fondamentale, ces exigences doivent être entendues strictement, de sorte que leur portée ne saurait être déterminée unilatéralement sans contrôle des institutions de la Communauté européenne. Ainsi, l'ordre public et la sécurité publique ne sauraient être invoqués qu'en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société (voir, notamment, arrêts du 9 mars 2000, Commission/Belgique, C-355-98, Rec. p I-1221, point 28; du 14 mars 2000, Église de scientologie, C-54-99, Rec. p. I-1335, point 17, et du 17 juillet 2008, Commission/Espagne, précité, point 47).
71 La Cour a appliqué cette analyse à un régime d'opposition qui était en vigueur en Belgique dans le domaine de l'énergie, lequel visait certaines décisions concernant les actifs stratégiques de sociétés nationales, en particulier les réseaux d'énergie, ainsi que des décisions de gestion spécifiques se rapportant à ces sociétés, les interventions de l'État ne pouvant avoir lieu qu'en cas de mise en cause des objectifs de la politique énergétique. La Cour a considéré que ce régime reposait sur des critères objectifs et contrôlables par les juridictions et que la Commission n'avait pas démontré que des mesures moins contraignantes auraient pu être prises pour atteindre l'objectif poursuivi (voir arrêt du 4 juin 2002, Commission/Belgique, C-503-99, Rec. p. I-4809, points 50 à 53).
72 En l'espèce, toutefois, ainsi qu'il a été constaté au point 66 du présent arrêt, le décret de 2004 ne contient pas de précisions sur les circonstances concrètes dans lesquelles le pouvoir de veto peut être exercé et les critères qu'il énonce ne reposent donc pas sur des conditions objectives et contrôlables.
73 Ainsi qu'il a été rappelé aux points 53 et 54 du présent arrêt, l'énonciation selon laquelle le pouvoir de veto ne doit être exercé qu'en conformité avec le droit communautaire et la circonstance que son exercice peut être soumis au contrôle du juge national ne sauraient rendre le décret de 2004 compatible avec le droit communautaire.
74 Il y a donc lieu de constater que, du fait de l'adoption des dispositions figurant à l'article 1er, paragraphe 2, du décret de 2004, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 43 CE, pour autant que ces dispositions s'appliquent au pouvoir spécial prévu à l'article 2, paragraphe 1, sous c), du décret-loi n° 332-1994.
Sur les dépens
75 En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, LA COUR (troisième chambre) déclare et arrête:
1) Du fait de l'adoption des dispositions figurant à l'article 1er, paragraphe 2, du décret du président du Conseil des ministres portant définition des critères relatifs à l'exercice des pouvoirs spéciaux prévus à l'article 2 du décret-loi n° 332 du 31 mai 1994, converti, après modifications, par la loi n° 474, du 30 juillet 1994 (decreto del Presidente del Consiglio dei Ministri, definizione dei criteri di esercizio dei poteri speciali, di cui all'art. 2 del decreto-legge 31 maggio 1994, n. 332, convertito, con modificazioni, dalla legge 30 luglio 1994, n. 474), du 10 juin 2004, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent:
- en vertu des articles 43 CE et 56 CE, pour autant que lesdites dispositions s'appliquent aux pouvoirs spéciaux prévus à l'article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de ce décret-loi, tel que modifié par la loi n° 350 portant dispositions pour la formation du budget annuel et pluriannuel de l'État (loi de finances 2004) [legge n. 350, disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (legge finanziaria 2004)], du 24 décembre 2003, et
- en vertu de l'article 43 CE, pour autant que lesdites dispositions s'appliquent au pouvoir spécial prévu audit article 2, paragraphe 1, sous c).
2) La République italienne est condamnée aux dépens.