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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 8 avril 2009, n° ECEC0915858X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ela Médical (SAS), Medtronic France (SAS), Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Guidant France (SAS), Biotronik (SAS)

Défendeur :

Président du Conseil de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Mouillard

Avoués :

SCP Ribaut, SCP Hardouin, SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, SCP Fanet Serra

Avocats :

Mes de Chazeaux, Thill-Tayara, Carnelutti, Lucas-Baloup

CA Paris n° ECEC0915858X

8 avril 2009

LA COUR,

Vu les recours formés, premièrement, le 24 janvier 2008 par la SAS Ela Médical, deuxièmement, le 25 janvier 2008, par la SAS Medtronic France, tendant à l'annulation et subsidiairement à la réformation de la décision du Conseil de la concurrence n° 07-D-49 du 19 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de l'approvisionnement des hôpitaux en défibrillateurs cardiaques implantables;

Vu le recours incident formé le 18 février 2008 par le ministre chargé de l'Economie, tendant à la réformation de la même décision et contenant l'exposé de ses moyens;

Vu les recours incidents formés le 27 février 2008, d'une part, par la SAS Guidant France, d'autre part, par la SAS Biotronik, tendant à l'annulation et subsidiairement à la réformation de la décision;

Vu le mémoire contenant l'exposé des moyens de la société Ela Médical, déposé le 26 février 2008, soutenu par son mémoire complémentaire déposé le 26 mars 2008 et son mémoire additionnel et récapitulatif déposé le 14 janvier 2009;

Vu le mémoire contenant l'exposé des moyens de la société Medtronic France, déposé le 27 février 2008, soutenu par son mémoire en réplique déposé le 9 janvier 2009;

Vu le mémoire exposant les moyens du recours de la société Guidant France, déposé le 27 février 2008, soutenu par son mémoire en réplique déposé le 14 janvier 2009;

Vu l'exposé des moyens contenu dans la déclaration de recours de la société Biotronik;

Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence, déposées le 29 septembre 2008;

Vu les observations écrites du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, déposées le 20 octobre 2008;

Vu les observations du Ministère public, du 7 février 2009, mises à la disposition des parties avant l'audience;

Les conseils des sociétés requérantes, qui ont eu la parole en dernier, les représentants du Conseil de la concurrence, celui du ministre chargé de l'Economie et le Ministère public entendus;

Sur quoi,

Considérant que, le 19 novembre 2003, le ministre chargé de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Biotronik, Ela Médical, Guidant, Medtronic et Saint Jude Médical dans le cadre de l'approvisionnement des centres hospitaliers publics en défibrillateurs cardiaques implantables ; que le ministre exposait qu'une enquête réalisée en 2002 par la Direction Générale de la Concurrence et de la Répression des Fraudes avait mis en évidence un comportement concerté de ces sociétés destiné à faire obstacle à la procédure d'achat groupé mise en œuvre à l'initiative du CHU de Montpellier afin de revenir à la pratique antérieure d'appels d'offres individuels par les centres hospitaliers universitaires; que le rapporteur a notifié le 18 janvier 2007 aux sociétés désignées le grief " de s'être concertées pour s'abstenir de répondre à l'appel d'offres n° 0180082 relatif à l'achat groupé de défibrillateurs. Cette entente, destinée à faire échouer l'achat groupé envisagé par 17 CHU et contraindre ces derniers à procéder à des appels d'offres individuels, procédure en vigueur préalablement, est contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce et à l'article 81 du traité CE" ; que le Conseil, ayant retenu qu'un faisceau d'indices précis, graves et concordants démontrait la concertation des cinq sociétés pour s'abstenir de soumissionner à l'appel d'offres relatif à l'achat groupé de défibrillateurs automatiques implantables et obliger chaque CHU à maintenir ses appels d'offres, a infligé des sanctions pécuniaires s'élevant à 200 000 euro pour Biotronik, 400 000 euro pour Guidant, 500 000 euro pour Ela Médical, 1 100 000 euro pour Medtronic, 450 000 euro pour Saint Jude Médical et a prononcé une injonction de publication;

1. SUR LA PROCEDURE:

1.1. Sur la recevabilité du recours incident du ministre chargé de l'Economie en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Guidant, Biotronik et Saint Jude Médical:

Considérant que, sur la demande de la cour et par application des articles 442 et 445 du Code de procédure civile, le ministre chargé de l'Economie ainsi que les sociétés Guidant et Biotronik ont déposé, respectivement les 2 et 3 mars 2009, une note en délibéré au sujet de la recevabilité du recours incident du ministre, au regard des dispositions des articles L. 464-8 et R. 464-16, alinéa 2, du Code de commerce, en ce qu'il est dirigé contre ces sociétés qui n'avaient pas formé de recours principal;

Considérant, aux ternes des articles L. 464-8, et R. 464-10 et suivants du Code de commerce, que les décisions du Conseil de la concurrence mentionnées à l'article L. 464-2 du même Code sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l'Economie qui peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la Cour d'appel de Paris ; que, lorsqu'un tel recours est formé, le demandeur doit, à peine d'irrecevabilité, dans les cinq jours du dépôt de la déclaration, adresser une copie de celle-ci par lettre recommandée avec demande d'avis de réception aux parties auxquelles la décision a été notifiée (article R. 464-14) ; que c'est cependant au greffe qu'il appartient de notifier le recours, dès son enregistrement, au ministre chargé de l'Economie s'il n'en est pas l'auteur (R. 464-15), la réception de la lettre recommandée, dans le premier cas, de la notification, dans le second, marquant le point de départ du délai d'un mois ouvert aux destinataires de celle-ci pour former un recours incident, lequel doit être dénoncé aux demandeurs au recours principal (article R. 464-16);

Considérant que la combinaison de ces dispositions n'établit aucun lien nécessaire entre les modalités de la notification du recours incident et sa portée ; que rien n'interdit spécialement au ministre chargé de l'Economie de réclamer par cette voie l'aggravation des sanctions prononcées contre toutes les entreprises, même celles n'ayant pas formé de recours à titre principal;

Considérant, en l'espèce, que les recours à titre principal des sociétés Ela Médical et Medtronic ont été notifiés au ministre chargé de l'Economie les 6 et 7 février 2008 ; qu'il en résulte que son recours incident, fourré le 18 février 2008, est recevable non seulement en ce qu'il est dirigé contre ces sociétés, mais aussi en ce qu'il vise les sociétés Guidant, Biotronik et Saint Jude Médical auxquelles il a d'ailleurs été notifié;

Considérant que Mme Beaumeunier, nommée sous-directrice en charge de la sous-direction de la politique de la concurrence à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes à l'administration centrale du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Emploi par arrêté du 15 janvier 2008 (JO du 17 janvier 2008), était habilitée à signer la déclaration de recours et à déléguer un agent de son service pour effectuer la formalité du dépôt au greffe ; que le moyen d'irrecevabilité du recours incident du ministre tiré par la société Biotronik d'un prétendu défaut d'habilitation de la signataire de la déclaration de recours n'est pas fondé;

1.2. Sur la recevabilité des recours incidents des sociétés Guidant et Biotronik:

Considérant que la société Biotronik a reçu le 28 janvier 2008 la lettre recommandée avec demande d'avis de réception lui notifiant le recours principal de la société Ela Médical et le 29 janvier 2008 celle se rapportant au recours principal de la société Medtronic ; que son recours incident, déclaré le 27 février 2008, soit dans le délai d'un mois prévu par l'article R. 464-16 du Code de commerce, est recevable;

Considérant que la société Guidant a reçu le 28 janvier 2008 la lettre recommandée avec demande d'avis de réception lui notifiant le recours principal de la société Ela Médical et le 30 janvier 2008 celle se rapportant au recours principal de la société Medtronic ; que son recours incident, déclaré le 27 février 2008, soit dans le délai d'un mois prévu par l'article R. 464-16 du Code de commerce, est recevable;

1.3. Sur le droit à un procès équitable:

Considérant que la société Biotronik reprend devant la cour son moyen de nullité de la procédure tel que développé devant le Conseil, tiré de ce que le Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes au ministère de l'Economie et des Finances, représentant de la partie plaignante, a été par la suite désigné en qualité de commissaire du Gouvernement dans la même affaire, cette confusion de fonctions étant, aux yeux de la requérante, constitutive d'une atteinte aux droits de la défense et au principe de l'égalité des armes;

Mais considérant que, même si la saisine a été signée par M. Cerutti, ce dernier n'a pas ainsi agi en son nom personnel, ni même en sa qualité de Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, mais au nom du ministre chargé de l'Economie, partie saisissante par application de l'article L. 462-5 du Code de commerce, lequel, usant de la prérogative qu'il tient de l'article L. 462-1 du même Code, a désigné par la suite la même personne en qualité de commissaire du Gouvernement;

Considérant que ce dispositif prévu par la loi ne confère ni au ministre partie saisissante, ni au commissaire du Gouvernement qu'il désigne, aucun pouvoir sur le déroulement de la procédure autre que celui de déposer des observations, qui constituent un simple avis consultatif; fut-il obligatoire, communiquées aux entreprises en cause qui ont la possibilité de faire valoir leur propres observations en réponse, qu'il n'en résulte aucune atteinte au principe d'égalité des armes ni aucune violation du droit à un procès équitable;

1.4, Sur la violation alléguée de la confidentialité d'échanges entre la société Guidant et ses avocats:

Considérant que la société Guidant soutient que les notes de la main de M. Herbreteau, son directeur général, saisies et jointes au dossier de la procédure sous les cotes 645 à 647, 649 à 651 et 659-660, ont été prises à l'occasion de conversations téléphoniques ou directes avec un avocat, ou reprennent la substance des conseils sollicités ou reçus de cet avocat et doivent dès lors être écartées des débats au titre de la protection de la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients;

Considérant qu'il ressort du procès-verbal dressé en application de l'article L. 450-4 du Code de commerce que ces documents ont été saisis lors des opérations de visite et saisie effectuées dans les locaux de la société Guidant le 21 novembre 2002 par trois inspecteurs de la DGCCRF habilités, agissant à la demande du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie et par autorisation du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre, en présence d'un officier de police judiciaire, de M. Herbreteau et de M. Carnelutti, avocat ; que le procès-verbal, qui comporte l'inventaire des documents saisis et mentionne que M. Herbreteau, à sa demande, a obtenu copie de l'intégralité de ceux-ci, a été signé sans réserve ni observation par toutes les personnes présentes;

Considérant que, conformément aux dispositions de l'article L. 4504 du Code de commerce, la société Guidant disposait d'un délai de deux mois pour contester la saisie des documents devant le juge des libertés et de la détention compétent ; que ce délai a couru depuis le 21 novembre 2002, jour de la saisie et de la notification à l'entreprise de l'autorisation judiciaire, jusqu'au 22 janvier 2003 ; que la société Guidant, qui n'a pas jugé à propos d'user de cette voie de recours dans le délai utile, s'est ainsi privée de toute possibilité de contestation ultérieure;

1.5. Sur la violation des droits de la défense tirée de l'absence d'examen préalable de la légalité de l'appel d'offres:

Considérant que la pratique incriminée consiste, non dans la réponse ou la non réponse individuelle de chaque entreprise à l'appel d'offres, mais dans le refus concerté entre elles d'y soumissionner ; que ces entreprises se défendent en justifiant leur refus par l'illégalité prétendue de cet appel d'offres, question qui échappe à la compétence du Conseil mais qui, dès lors qu'elle commande, selon elles, la caractérisation du grief, doit faire l'objet, par la juridiction administrative compétente, d'un examen préalable sans lequel il serait porté atteinte aux droits de la défense;

Mais considérant que, si le juge administratif est seul compétent pour apprécier la légalité d'un acte administratif, en l'occurrence la procédure d'appel d'offres, et en prononcer l'annulation, le Conseil de la concurrence est compétent pour apprécier, au regard du droit de la concurrence, les comportements des entreprises auxquelles cet appel d'offres s'adresse, qu'elles prennent ou non le parti d'y répondre, et prononcer, le cas échéant, des sanctions et injonctions à l'encontre de ces entreprises si leur comportement révèle une entente ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel ; que l'intervention du juge administratif pour appréhender la légalité d'un acte administratif ne fait pas obstacle à la compétence du Conseil pour examiner de telles pratiques, indépendamment des irrégularités alléguées de l'appel d'offres;

Considérant, en toute hypothèse, que l'annulation éventuelle de l'appel d'offres en cause par le juge compétent ne serait pas de nature à retirer son caractère anticoncurrentiel à une entente entre les entreprises pour n'y pas répondre et ainsi fausser le jeu de la concurrence, si celle-ci était démontrée ; que le moyen n'est pas fondé et qu'il n' y a donc lieu, ni de saisir la juridiction administrative d'une question préjudicielle, ni de surseoir à statuer ainsi que le demande la société Biotronik - alors, au surplus, qu'il ne résulte pas du dossier qu'une autre juridiction aurait été saisie de cette question;

1.6. Sur les insuffisances de l'instruction et sa durée:

Considérant que la société Guidant estime que l'instruction, fondée sur les seuls éléments de l'enquête, et pour avoir omis notamment de procéder aux auditions de MM. Wanstock et Benazech et de vérifier les éléments juridiques et médicaux, est incomplète, voire partiale, et que ces insuffisances ont eu pour effet de rendre la durée de la procédure totalement injustifiable et, partant, excessive;

Considérant qu'aux termes des dispositions combinées des articles L. 463-1 et L. 463-2 du Code de commerce, la notification des griefs marque l'ouverture de la procédure contradictoire ; que les entreprises ont, dès ce moment, la faculté de consulter le dossier, de demander, en application des articles 6-3 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales et L. 463-7 du Code de commerce, l'audition de témoins à décharge au rapporteur et au Conseil, lesquels demeurent cependant maîtres de la conduite des investigations, de présenter leurs observations sur ces griefs puis sur le rapport établi en réponse, lequel est accompagné des documents sur lesquels se fonde le rapporteur et peut être consulté dans les quinze jours précédant la séance par les parties, ainsi que de s'exprimer oralement devant le Conseil; que la société Guidant ne faisant état d'aucun fait précis établissant que ces garanties fondamentales de la procédure leur ont été refusées, le moyen doit être écarté;

Considérant, par ailleurs, que la société requérante, qui se borne à affirmer que la durée de la procédure a été excessive, n'invoque aucune circonstance de nature à montrer concrètement que les délais de procédure auraient, par leur longueur excessive prétendue, porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense ; que, hors l'hypothèse d'une atteinte aux droits de la défense, la méconnaissance éventuelle du délai raisonnable prescrit par la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales n'est pas sanctionnée par l'annulation ou la réformation de la décision mais par la réparation du préjudice, non allégué en l'espèce, résultant d'un délai jugé excessif;

2. SUR LE FOND:

Considérant qu'il est constant que l'idée d'une procédure d'achat groupé de défibrillateurs implantables, évoquée au second semestre 1999 entre les directeurs généraux de CHU, s'est concrétisée par la décision, associant 17 établissements (Amiens, Angers, Bordeaux, Besançon, Caen, Clermont-Ferrand, Lille, Lyon, Montpellier, Nice, Orléans, Pointe-à-Pitre, Poitiers, Reims, Rennes, Saint-Etienne et Toulouse) de donner mandat au CHU de Montpellier de lancer un appel d'offres européen pour un marché à bons de commandes portant sur la fourniture, la livraison et la mise en service de défibrillateurs implantables pour la première fois; que cet appel d'offres, publié le 24 mai 2001, la date limite de remise des offres ayant été fixée au 6 juillet 2001, a été déclaré infructueux le 11 juillet 2001 après que les cinq sociétés qui commercialisent les appareils en cause eurent adressé chacune une lettre au CHU de Montpellier exposant et justifiant sa décision de ne pas répondre à l'appel d'offres;

Qu'il y a lieu de rechercher si, comme l'a retenu le Conseil, il existe un faisceau d'indices graves, précis et concordants démontrant que les sociétés Guidant, Biotronik, Medtronic et Ela Médical se sont concertées pour s'abstenir de soumissionner à l'appel d'offres, ou bien, comme le soutiennent les requérantes, si le parallélisme de leur comportement s'explique par des considérations juridiques, économiques et techniques, convergentes, mais néanmoins propres à chacune, suffisantes pour justifier leur décision individuelle d'abstention;

2.1. Les indices graves, précis et concordants retenus par le Conseil:

Considérant que les entreprises en cause reconnaissent avoir participé à dés réunions du Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (ci-après : SNITEM) et avoir eu entre elles des discussions, tant avant qu'après la publication de l'appel d'offres ; que le Conseil, ayant procédé à une analyse critique, contestée par les sociétés requérantes, des documents saisis se rapportant à ces contacts, ainsi qu'à une étude comparative des lettres de réponse négative, a trouvé dans ces pièces les indices graves précis et concordants de la concertation incriminée;

2.1.1 - La réunion du SNITEM du 1er mars 2001 et les documents s'y rapportant:

Considérant qu'il ressort des éléments de l'enquête résumés aux § 68 à 73 de la décision que le SNITEM a évoqué l'appel d'offres en cause lors de ses réunions des 3 octobre et 27 novembre 2000, 16 janvier, 1er mars et 22 juin 2001 ; que les comptes rendus de ces réunions témoignent de l'intérêt du syndicat pour l'appel d'offres mais aussi des interrogations relatives à l'utilisation de la convention de mandat et à la présence d'une clause, dite clause TIPS, relative à la détermination des prix ; que, lors de la réunion du 1er mars 2001, le SNITEM a fourni à ses adhérents une analyse du règlement de la consultation de l'appel d'offres national qui s'appuyait sur la consultation de plusieurs spécialistes du Code des marchés publics (service juridique de la FIM, UGAP...) et ce afin d'apporter des éléments de réflexion à ses adhérents concernant la légalité de l'appel d'offres national ;

Que, toutefois, s'appuyant, d'une part, sur une note manuscrite datée du 1er mars 2001 saisie dans le bureau de M. Van Michel, directeur général de la société Biotronik d'autre part sur les notes prises par M. Drapp, président de la société Medtronic, lors d'un comité de direction de cette société, le Conseil estime que la réunion, au delà de son objet précédemment décrit, a été l'occasion pour les sociétés de s'interroger en commun sur l'opportunité de répondre;

Considérant que le premier de ces documents (cotes 415 et 416) a été exactement décrit aux § 75 et 76 de la décision ; qu'il n'est pas contesté qu'il se rapporte au contenu de la réunion du SNITEM du 1er mars ; que le Conseil relève pertinemment (§ 186) qu'après la mention " Code des marchés ", qui confirme que les discussion ont en effet porté sur la légalité de l'appel d'offres, la mention " position des constructeurs " ne peut se lire autrement que comme l'indication que les constructeurs participant à la réunion ont évoqué en commun leur position sur ce sujet;

Que, dans le § 188 de la décision, le Conseil analyse exactement la suite du texte de M. Van Michel, en retenant que le pronom indéfini "on" (on s'oriente vers un référencement [...] Comment répondre si on répond ? [...] On essaie de ne pas rentrer dans le système) ne désigne pas la seule société Biotronik, mais la collectivité des sociétés; que, dès lors, la phrase "On essaie de ne pas rentrer dans le système " traduit la résolution commune des participants d'essayer de rester en dehors de la nouvelle formule d'appel d'offres;

Considérant que les notes de M. Drapp - du 22 mai 2001 soit deux jours avant la publication de l'appel d'offres - exactement décrites au § 79 et traduites aux § 190 à 193 de la décision, montrent que, sur le sujet de cet appel d'offres national concernant la fourniture de défibrillateurs, une réunion a été organisée entre lui-même pour la société Medtronic, M. Wanstock pour la société Guidant et M. Gestin pour la société Saint Jude Médical;

Considérant que le Conseil ajustement déduit de ces éléments que des échanges portant sur la conduite à tenir à l'égard de l'appel d'offres avaient eu lieu entre les fournisseurs avant le 24 mai 2001;

2.1.2. Sur la réunion du SNITEM du 22 juin 2001 et ses suites:

Considérant qu'une réunion organisée parle SNITEM s'est tenue le 22 juin 2001 dont le compte rendu indique : "Les industriels ont reçu un appel d'offres national émis par le CHU de Montpellier et portant sur les défibrillateurs et sondes implantables. Cet appel d'offres regroupe 17 CHU (+50 % du marché total). La date de retour des propositions est le 6 juillet 2001. Après un tour de table, il est convenu ce qui suit : le SNITEM quant à lui saisira le Conseil de la concurrence sur le fond de cet appel d'offres après consultation du service juridique de la FIM ";

Considérant que, pendant la réunion ou à la suite de celle-ci, M. Herbreteau, de la société Guidant, et M. Van Michel, directeur général de la société Biotronik, ont rédigé des notes exactement transcrites aux § 97 et 99 de la décision; que M. Van Michel a en outre indiqué qu'il avait, au sortir de la réunion, dicté au téléphone à M. Benazech, directeur administratif et financier de la société Biotronik, des instructions sur la conduite à tenir relativement à ce qui avait été débattu; que M. Benazech a lui-même noté ces instructions sur un feuillet reproduit au § 101 de la décision;

Considérant que le Conseil, ayant examiné ces documents à la lumière des explications données sur chacun d'eux par leurs auteurs, exactement citées aux § 98 (M. Herbreteau), § 100, (M. Van Michel) et § 102 et § 103 (M. Benazech) a rapproché leur contenu et dressé, au § 104, un tableau mettant en évidence la stratégie commune adoptée consistant à accompagner l'initiative du syndicat de saisir la DGCCRF ou le Conseil de la concurrence par l'envoi de deux lettres à M. Storper, directeur des équipements et de la logistique du CHU de Montpellier, la première sur des points techniques, la seconde devant le questionner sur le mandat confié au CHU de Montpellier par les 16 autres centres hospitaliers associés à l'appel d'offres ; qu'il ressort de cet ensemble de notes que les entreprises en cause ont entendu coordonner leur comportement tout en conservant l'apparence d'une démarche individuelle pour prévenir le risque de se voir reprocher une attitude concertée;

Considérant que c'est donc à juste titre, après une analyse minutieuse des documents, en réfutant par des raisonnements que la cour fait siens les tentatives d'interprétation contraire des entreprises en cause que le Conseil, dans les §195 à 209 de la décision, est parvenu à la conclusion que, au cours de la réunion du SNITEM du 22 juin 2009, il a été décidé que le syndicat, " quant à lui ", saisirait les autorités administratives en charge de la concurrence, sans qu'il paraisse avoir été nettement déterminé à ce stade s'il s'agirait de la DGCCRF ou du Conseil de la concurrence, et que les entreprises s'étaient, pour leur part, concertées sur la nécessité d'une réponse (cf. la mention " il faut répondre" dans la note prise en cours de séance par M. Van Michel) et les formes de cette réponse;

Considérant, s'il en était besoin, que cette analyse serait confirmée par l'exploitation de celles des notes de M. Herbreteau, reproduites aux § 107, 108 et 109 de la décision, faisant ressortir le peu de confiance du rédacteur dans le succès d'une saisine du Conseil de la concurrence (cf. les mentions : "léger//très peu de chance d'aboutir" dans le scellé 2 cote 56 et " saisine très légère - Conseil de la concurrence - pas de délai très léger - procédure très longue - toujours possible plus tard" dans le scellé 2 cote 57), évoquant les modalités de la réponse à l'appel d'offres (cf. les mentions du scellé 2 cote 56 : "écrire au CHU documenter le fait de ne pas répondre " et " répondre mais pas faire d'offre" ainsi que celles du scellé 2 cote 57 " idéal - tout le monde écrit directement au CHU Montpellier/points techniques " et surtout, particulièrement éclairante : "Bloquer le CHU de Montpellier s'il intente une action qui viserait à démontrer une entente");

Considérant qu'il est suffisamment établi partout ce qui précède, ainsi que par les autres éléments pertinemment relevés par le Conseil relatifs aux contacts qui ont eu lieu par le moyen de conférences téléphoniques organisées par le SNITEM entre la publication de l'appel d'offres et la date limite de remise des offres, que les entreprises en cause se sont entendues pour ne pas présenter d'offre et pour éviter que ce refus concerté apparaisse comme une entente en entretenant un échange avec le CHU de Montpellier sur des difficultés techniques et juridiques de cette nouvelle forme de procédure, précaution qui est demeurée dans l'esprit des entreprises comme en témoigne la note datée du 27/01 ou 07/2001 (qui ne peut être que de juillet et non de janvier puisqu'elle se réfère à la saisine de la DGCCRF par le président de la conférence des directeurs généraux des CHU du 12 juillet) dans laquelle M. Benazech relève " Guidant préconise de 1) ne pas recourir au SNITEM 2) maintenir l'impression d'action individuelle de la part de chaque industriel ";

Considérant que les sociétés Ela Médical et Medtronic, avec les autres entreprises en cause, ont pris part aux réunions du SNITEM des 1er mars et 22 juin 2001 au cours desquelles a été élaborée la stratégie commune décrite ci-dessus; que, dès lors qu'elles ont suivi la voie ainsi tracée leur participation à l'entente est avérée, la circonstance que les délibérations aient été reconstituées à partir de notes qui ne proviennent pas de ces deux sociétés et ne les désignent pas expressément n'étant à cet égard d'aucune conséquence;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est par des motifs exacts et suffisants que la cour adopte que le Conseil a retenu l'existence d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants démontrant que, notamment, les sociétés Guidant, Biotronik, Medtronic et Ela Médical se sont concertées pour s'abstenir de soumissionner à l'appel d'offres relatif à l'achat groupé de défibrillateurs par dix-sept CHU;

Considérant que cette entente s'est en effet traduite par un comportement analogue des entreprises en cause qui ont chacune envoyé au CHU de Montpellier une lettre exposant et justifiant sa décision de ne pas répondre à l'appel d'offres en reprenant un argumentaire, non pas, certes, exactement semblable, mais présentant néanmoins des similitudes, mises pertinemment en évidence au § 121 de la décision, montrant que ces lettres n'étaient pas le fruit de réflexions menées par chacune des entreprises à part soi, mais le résultat d'une délibération influencée par une démarche commune;

Considérant, la pratique visée au grief notifié étant ainsi démontrée, qu'il n' y a pas lieu d'examiner les moyens des sociétés requérantes qui tentent de démontrer que, même en l'absence d'entente, elles avaient des motifs - communs, tels que des incertitudes sur la légalité de l'appel d'offres, l'hostilité des cardiologues, ou propres à chacune d'elles, tels que des doutes sur la rentabilité ou des difficultés techniques - suffisants pour les déterminer individuellement à s'abstenir de présenter une offre ; que de tels motifs, à les supposer démontrés et pertinents, ne feraient en réalité que mettre de plus fort en évidence les raisons qui ont conduit chacune des entreprises en cause à adhérer au concert qui offrait l'avantage de les mettre à l'abri du risque de voir les autres concourir sans elle et emporter le marché ; que, toutefois, ces mêmes raisons peuvent être prises en compte au titre de l'appréciation de la gravité de la pratique incriminée;

Considérant enfin que les sociétés requérantes ni aucun élément de l'enquête ne démontrent que le refus de soumissionner à l'appel d'offres en cause aurait eu pour effet d'assurer un progrès économique de nature à faire bénéficier l'entente incriminée de l'exemption prévue par l'article L. 420-4 du Code de commerce;

Considérant que cet appel d'offres, loin de concerner la totalité du marché, n'incluait pas tous les CHU mais à peine la moitié d'entre eux ; que, même les 17 qui s'étaient associés à l'opération devaient conserver la liberté, notamment dans le cadre de programmes scientifiques particuliers, de recourir aux fournisseurs qui en auraient été écartés ; qu'il en résulte que, même si l'effet recherché par le regroupement des achats était de réduire le nombre de fournisseurs appelés à être retenus, le refus de ceux-ci d'y participer n'a produit aucun des effets justifiant l'exemption prévue par le texte susvisé;

3. SUR LES SANCTIONS:

Considérant, aux termes de l'article L.464-2 du Code de commerce, que "les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de [...] l'entreprise sanctionné[e] ", et que "le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre";

3.1. Sur la gravité des faits

Considérant, s'agissant en l'espèce d'une entente horizontale entre soumissionnaires potentiels dans le cadre d'un marché public, que la pratique incriminée figure, par nature, au rang des plus graves; qu'elle est le fait de sociétés appartenant à des groupes de dimension internationale;

Considérant que, s'étant réalisée en une seule séquence de temps par le refus concerté de répondre à l'appel d'offres, la notion de durée de la pratique est ici dépourvue de sens;

Considérant, pour autant, ainsi qu'il ressort des déclarations de l'initiateur de l'appel d'offres, M. Storper lui-même, que les cardiologues, estimant n'avoir pas été suffisamment consultés, avaient boycotté l'appel d'offres et maintenu leur hostilité au projet, ce qui avait conduit à son abandon; que le Conseil a donc pertinemment relevé, comme atténuant la gravité des faits reprochés, que d'autres facteurs que le refus concerté d'y prendre part, et singulièrement la réticence marquée des cardiologues, avaient concouru à dissuader les CHU de renouveler leur tentative d'achat groupé, et ce alors même que de nouvelles dispositions du Code des marchés publics leur aurait permis de recourir à une telle procédure à l'abri de toute incertitude quant à sa légalité;

3.2. Sur le dommage à l'économie:

Considérant que le dommage à l'économie est présumé dès lors que l'existence d'une entente est établie ; qu'il ne se réduit pas au préjudice éventuellement subi par le donneur d'ordre, en l'espèce, par les CHU, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale affectant le fonctionnement normal du marché et l'entrave portée au libre jeu de la concurrence par les pratiques en cause, laquelle est caractérisée, ce l'espèce, par le désordre résultant du refus concerté de toutes les entreprises intéressées de répondre à un appel d'offres;

Considérant qu'il n'est pas nécessaire que le dommage à l'économie soit chiffré avec précision dès lors que les éléments permettant d'en mesurer l'importance sont suffisants; que le Conseil a relevé en l'espèce que la pratique avait contribué à l'échec d'un appel d'offres portant sur un achat groupé de défibrillateurs dont le montant prévisionnel était, pour 2002, au minimum de 8,3 millions d'euro et au maximum de 12 millions d'euro;

Considérant que, s'il est avéré, d'une part, que le prix des défibrillateurs a continuellement baissé en France depuis l'échec de l'appel d'offres et qu'il figure parmi les plus bas d'Europe, d'autre part, que la concurrence est demeurée active entre les entreprises en cause dans les appels d'offres organisés par la suite par les différents CHU, la logique conduit néanmoins à penser que le regroupement des achats aurait abouti à une baisse plus importante que celle observée, permettant ainsi une économie que la pratique a fait manquer;

3.3. Sur l'individualisation des sanctions:

Considérant qu'aucune des sociétés requérantes ne discute le chiffre d'affaires consolidé mondial retenu par le Conseil à l'égard de chacune d'elles comme base de calcul de la sanction; que c'est à tort que la société Medtronic stigmatise une prétendue absence de logique du Conseil dans les montants prononcés en se référant aux chiffres d'affaires réalisés en France, cette donnée n'étant pas pertinente au regard des dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce précédemment rappelées;

Considérant que toutes les entreprises en cause ont également participé à l'entente en adoptant le comportement défini en commun consistant, ainsi qu'il a déjà été dit, à adresser au CHU de Montpellier une réponse négative en tentant de sauver l'apparence d'une décision individuelle ; qu'aucune d'entre elles ne peut dès lors prétendre à plus d'indulgence que les autres à raison d'une moindre participation ; que le Conseil a néanmoins souligné à juste titre que certains éléments du dossier, plus précisément le document scellé 2 cote 56 reproduit au § 107 de la décision et éclairé par les commentaires de M. Herbreteau cités au § 108 que la société Guidant a pris l'initiative d'une proposition de réponse au CHU;

Considérant, en définitive, que le Conseil, par des motifs que la cour fait siens, a exactement apprécié la gravité des faits et l'importance du dommage à l'économie en prononçant des sanctions relativement modérées, proportionnées à une pratique plus grave par son objet que par ses effets, et tenant compte des éléments d'individualisation que l'enquête a mis en évidence; que les recours, tant ceux des sociétés requérantes que celui du ministre de l'Economie seront en conséquence rejetés;

Par ces motifs, Déclare recevable les recours incidents du ministre chargé de l'Economie et des sociétés Giodant et Biotronik; Dit n'y avoir lieu à question préjudicielle ou sursis à statuer, Rejette les recours, Condamne les sociétés requérantes aux dépens de leurs recours, Condamne le ministre chargé de l'Economie aux dépens de son recours incident ; Dit n' y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.