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Décisions

CA Paris, 14e ch. A, 18 février 2009, n° 08-18959

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Binckbank NV (Sté)

Défendeur :

Cortal Consors (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Foulon

Conseillers :

M. Blanquart, Mme Graff-Daudret

Avoués :

SCP Oudinot-Flauraud, SCP Monin-d'Auriac de Brons

Avocats :

Mes Greffe, Ader

T. com. Paris, ord., du 3 oct. 2008

3 octobre 2008

Faits constants

Les deux parties au litige sont des sociétés concurrentes de courtage en ligne.

La société Binckbank NV (Binckbanck) a fait diffuser sur les ondes des radios RTL et BFM le message publicitaire suivant :

"Cher investisseur en ligne, nous avons ici une nouvelle et une excellent nouvelle. Commençons par la nouvelle : Si vous achetez pour 5 000 euro d'actions sur la Bourse de Paris, avec Cortal Consors Pro-Active vous payez 16,30 euro. Et ça c'est une nouvelle, parce qu'avec Binckbanck pour la même transaction vous payez seulement 5 euro. Et ça c'est une excellente nouvelle. B-I-N-C-K fr. Binckbank, le courtier en ligne le moins cher de France ".

Ce message était reproduit sur le site internet de Binckbank.

Par ordonnance contradictoire entreprise du 3 octobre 2008, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris :

1) Disait que la société Binckbank doit cesser la diffusion du spot litigieux sous astreinte de 10 000 euro, par infraction constatée,

2) Disait que la société Binckbank doit cesser de la même façon et sous la même astreinte toute diffusion de spot indiquant Binckbank serait "le courtier le moins cher de France" sans autres précisions, associé à une référence à Cortal Consors,

3) Interdisait à la société Binckbank de mentionner, sur son site internet, le nom ou les produits, nommément désignés de la société Cortal Consors, sous astreinte de 10 000 euro, par infraction constatée, passé un délai de 48 heures suivant la signification de la présente ordonnance,

4) Déboutait la société Cortal Consors de sa demande de provision,

5) Se réservait la liquidation des astreintes éventuelles à l'issue d'une période de trente jours, à compter du délai de 48 heures suivant la signification de l'ordonnance,

6) Disait qu'à l'issue de ce délai de trente jours, il serait à nouveau fait droit à la demande par acte extrajudiciaire de la partie la plus diligente,

7) Condamnait la société Binckbank à payer à la société Cortal Consors, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, une provision de 50 000 euro.

Binckbank interjetait appel le 7 octobre 2008.

L'ordonnance de clôture était rendue le 21 janvier 2009.

Prétentions et moyens de Binckbank :

Par dernières conclusions du 20 janvier 2009 auxquelles il convient de se reporter Binckbank soutient :

* que le message diffusé est conforme à la réglementation,

* que l'article L. 121-9 du Code de la consommation n'est pas applicable au cas d'espèce,

* que le pourcentage de nombre d'ordres pour lequel Cortal est moins chère n'est au maximum que de 5,37 % du nombre total d'ordres,

* que le comparateur mis en place sur son site est objectif, alors qu'il n'y a ni mauvaise foi, ni déloyauté de sa part.

Elle demande :

* la reformation de l'ordonnance,

* de constater que l'ordre de référence choisi par elle, est conforme aux dispositions de l'article L. 21-8 du Code de la consommation,

* de constater que ses tarifs sont inférieurs à ceux de Cortal dans 94,6 6 % des ordres,

* de constater que l'ordonnance lui interdit de mentionner sur son site le nom de produits nommément désignés de Cortal ce qui est contraire aux dispositions légales,

* 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Cette partie entend bénéficier des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Prétentions et moyens de la SA Cortal Consors-Cortal :

Par dernières conclusions du 6 janvier 2009 auxquelles il convient de se reporter, Cortal soutient :

- que le slogan publicitaire "le courtier en ligne le moins cher en France" est trompeur et erroné

- que Binckbank a reconnu que, dans 16,25 % des cas, elle était plus chère que Cortal,

- que les présentations comparatives effectives par Binckbank sur son site internet sont trompeuses et déloyales,

- que cette publicité est de nature parasitaire comme dénigrante à l'encontre de Cortal, ce qui est contraire aux prescriptions de l'article L. 121-9 du Code de la consommation,

- que la publicité, comparant des prestations non comparables, n'est pas objective,

Elle demande :

- de confirmer l'ordonnance entreprise,

- d'interdire toute diffusion de quelque nature que ce soit du slogan publicitaire selon lequel " Binckbank serait le courtier en ligne le moins cher de France ",

- une provision de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Cette partie entend bénéficier des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que selon l'article L. 121-8 du Code de la consommation :

"Toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par concurrent n'est licite que si :

1) Elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;

2) Elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ;

3) Elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie" ;

Sur le slogan publicitaire :

Considérant que le bon sens qui s'applique également à la publicité comparative, exclut l'induction c'est à dire le raisonnement qui consiste à tirer de faits particuliers une conclusion générale ;

Considérant que le slogan litigieux est, comme les parties le soutiennent-composé de deux parties, un exemple dans la première, et une conclusion générale dans la seconde ;

Considérant que Binckbank a reconnu devant le premier juge que dans certains cas sa société n'était pas la moins chère ;

Qu'une telle induction est forcément trompeuse, peu important le pourcentage de cas dans lesquels la société Cortal Consors serait la moins chère, pourcentage significatif quel que soit le chiffre évalué par les parties (- 16,25 % selon Cortal, - 5,37 % selon Binckbank) ;

Qu'il y a donc lieu de confirmer la décision du premier juge telle que rappelée au point i dans les faits constants ; qu'en revanche le point n°2 ne peut être confirmé, puisqu'il interdisait l'utilisation d'un tel slogan, même dans l'hypothèse, ou ses affirmations seraient démontrées ;

Sur le site internet :

Considérant que la comparaison objective suppose des réponses formelles identiques lorsque le fond l'est ; que tel n'est pas le cas du comparatif puisque :

- dans un des tableaux, il est indiqué un coût pour Cortal "minimum 30 transactions par mois sinon cotisation de 250 euro pour le mois" et pour Binckbank " gratuit à condition de réaliser au mois 3 transactions par trimestre ",

- dans d'autres tableaux la gratuité est mentionnée par O euro en caractère gras pour Binckbank et en caractère fin pour Cortal ;

Considérant que la comparaison objective suppose encore et surtout que le consommateur puisse avoir connaissance des caractéristiques propres à justifier ou à expliquer les différences de prix ;

Considérant que Binckbank qui pouvait choisir les paramètres qui lui sont favorables expose que son activité "se limite à un service de courtage au sens de l'article D. 321-1-1 et 2 du CMF" "excluant les services de conseils et de gestion" (D. 321-1-4 et 5 du même Code) avec pour caractéristique son prix ;

Considérant que Binckbank qui reconnaît l'existence de ces services de conseils et de gestions fournis par Cortal, puisqu'elle les désigne (cf § II "les outils de trading sensés aider le client) se garde de préciser dans son comparatif qu'elle n'est que courtier et n'offre pas ce genre de service, se bornant à exposer : "chez Binckbank, il n'y a ni cotisation, ni abonnement... il n'y a pas de droit de garde et pas de frais de tenue de compte" ; qu'elle se garde aussi de signaler la différence de prestation fournie par Cortal qui dispose notamment d'une plate-forme alternative d'exécution d'ordres (Tradegate) permettant d'exécuter les ordres sur Euronext en dehors des heures d'ouverture de cette dernière et propose des "ordres avec services de règlement différé", des ordres dits "scénarios", d'un logiciel gratuit de formation, de "dépêches matinales" ; que cette absence d'objectivité, forcément délibérée, constitue un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser, dans les conditions fixées dans le dispositif de la présente décision ;

Sur la provision :

Considérant Cortal ne donne aucun élément permettant de lui accorder une provision au sens de l'article 873 alinéa 2 du Code de procédure civile ;

Sur la demande de Cortal au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Cortal les frais non compris dans les dépens ; qu'il ya lieu de lui accorder à ce titre la somme visée dans le dispositif ;

Par ces motifs : - Infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a : • interdit à la société Binckbank NV toute diffusion de spot indiquant que Binckbank serait "le courtier le moins cher de France" sans autres précisions, associé à une référence à Cortal Consors, • interdit à la société Binckbank NV de mentionner, sur son site internet, le nom ou les produits, nommément désignés de la société Cortal Consors, sous astreinte de 10 000 euro, par infraction constatée, passé un délai de 48 heures suivant la signification de la présente ordonnance, - Statuant à nouveau sur ce dernier point, • condamne Binckbank à retirer de son site internet Binckbank.fr les pages numérotées 9, 10, 11, 12,13 dès la signification de la présente décision sous astreinte de 10 000 euro par jour de retard, - Confirme l'ordonnance pour le surplus et notamment en ce que le juge s'est réservé la liquidation de l'astreinte, sauf à préciser que pour la condamnation susvisée concernant le site internet le délai de 30 jours visé au point 5 courra dès la signification de l'arrêt, - Y ajoutant, Condamne Binckbank (à payer 3 000 euro à la société Cortal Consors et au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne Binckbank (aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.