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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 9 juin 2009, n° ECEC0918036X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pelletier (ès qual.), Vedettes Inter-Iles Vendéennes (SARL)

Défendeur :

Régie départementale des passages d'eau de la Vendée, Président du Conseil de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fossier

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Jourdier

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Kieffer-Joly & Bellichach

Avocats :

Mes Calla, Berg, Varaut

CA Paris n° ECEC0918036X

9 juin 2009

Depuis 1949, date de disparition d'une concession de service public de continuité territoriale, le département de la Vendée exerce en régie la desserte maritime de l'Ile d'Yeu. Les obligations de service public de cette Régie départementale des passages d'eau de la Vendée (ci-après la Régie) ont été définies dans ses statuts, notamment en 1990, 1995 et 2001, ainsi que dans plusieurs délibérations du Conseil général du département de la Vendée, notamment le 17 décembre 1995 et le 8 décembre 2000. La Régie doit assurer les passages d'eau entre Yeu et le continent, éventuellement accompagnés de diverses prestations aux usagers (telles que le transport de véhicules ou de gros bagages) ; elle doit assurer des services occasionnels d'excursion ou voyages de service autour de l'île et entre les ports du littoral continental ; enfin, le service de passage d'eau doit être quotidien, suivant les exigences des marées, avec des passages supplémentaires en cas d'affluence. Le Conseil général a en outre imposé à la Régie d'offrir des réductions tarifaires aux islais, la gratuité du transport des enfants scolarisés sur le continent et la gratuité du transport des emballages vides pour la pêche locale.

Une société (devenue) Compagnie Vendéenne s'est installée à son tour en 1981. La société ViiV a débuté sa propre activité concurrentielle en 1986, d'abord comme propriétaire puis comme locataire-gérante du fonds de commerce. La ViiV bénéficie de la gratuité de l'occupation du domaine public maritime, tandis que la Régie bénéficie d'un financement départemental qui complète le prix prélevé sur l'usager. Postérieurement à la période considérée par le présent arrêt (1998 à 2000), une société NGV a mené une activité similaire puis a cessé en 2006.

Pour la période de 1998 à 2000, les transports maritimes entre l'île d'Yeu et le continent ont donc été assurés dans les conditions concrètes suivantes :

- par la Régie soit par des ferries ou paquebots de cabotage, qui effectuaient la traversée depuis Fromentine en environ une heure dix minutes et transportaient tant des passagers que des véhicules et des marchandises, soit par une vedette rapide qui effectuait la traversée en 40 minutes et ne transportait que des passagers sans gros bagages. Ces bâtiments appartiennent au département de la Vendée, qui les loue à la Régie moyennant un loyer ou redevance. Le maintien d'une flotte importante et variée de service public est justifié, selon les documents produits à la cause par la Régie, par le fait que l'état de la mer en hiver impose de fortes contraintes pour la navigation qui obligent à utiliser des navires ayant un gabarit suffisant ; jusqu'à l'année 2005, seule la Régie a pu proposer de tels navires aux usagers (deux ferries " lents " (14 à 25 noeuds) d'une capacité de 700 passagers chacun (ou 250 passagers accompagnant leurs véhicules, outre du frêt) et d'un tirant d'eau de 2.2 à 2.6 ; et une vedette " rapide " (32 noeuds), l'Amporelle, d'une capacité de 360 passagers, mise en service en 1992 et d'un plus faible tirant d'eau - 1.4 - ) ; par ailleurs, les marées et l'ensablement progressif du goulet de Fromentine posent des problèmes de sécurité particuliers, été comme hiver, rendant les mouvements de ces navires tributaires des horaires des marées ; enfin, en hiver la demande de transport est celle des habitants de l'île, notamment des jeunes scolaires et étudiants qui rentrent les mercredis et les fins de semaine (dès le vendredi et jusqu'au lundi, s'ils peuvent emprunter un navire assez rapide), et de certains continentaux qui ont besoin d'une liaison toute l'année, pour affaires ou pour rejoindre des résidences secondaires, avec des pics autour des périodes nationales de congés (de 400 à 1 625 passagers par jour, selon des pointages récents), sans préjudice des immobilisations éventuelles de l'un ou l'autre des trois bâtiments.

- en été s'y ajoute la demande des touristes ou "escapadeurs" qui souhaitent passer une journée ou un court séjour sur l'île, de sorte que le taux de remplissage moyen des navires de la Régie est beaucoup plus élevé alors même que le nombre de rotations est supérieur et que, pendant la période d'avril à fin septembre, les autres compagnies susnommées exploitent des liaisons en vedettes rapides ayant un tirant d'eau inférieur à celui de "L'Amporelle", à savoir précisément : 1) la société Vedettes Inter-Iles Vendéennes (ci-après la ViiV) aujourd'hui liquidée mais qui exploitait alors trois vedettes de 200 places chacune, au départ non de Fromentine, mais de Saint-Gilles Croix de Vie et de La Fosse (liaisons existant depuis 1986) ; 2) depuis 1998, la Compagnie Vendéenne qui exploite deux vedettes de 250 places chacune au départ de Saint-Gilles Croix de Vie ou au départ de Fromentine ; 3) depuis l'été 2000, la société NGV qui exploite depuis juillet 2000 aussi, une liaison quotidienne au départ des Sables d'Olonne avec une vedette de 100 places. Enfin, alors que certaines catégories de marchandises ne peuvent être transportées que par les ferries de la Régie, laquelle assure des rotations quotidiennes nécessaires aux produits de la criée, une autre compagnie propose deux ou trois fois par semaine un transport de marchandises de dimensions limitées au départ des Sables d'Olonne mais sans passagers.

Par lettre du 28 mars 2001, la ViiV, soutenant que la Régie a abusé de la position dominante qu'elle occupe sur le marché du transport maritime de passagers en période, estivale, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques qu'elle dénonçait.

Le Conseil a rendu une première décision le 1er juin 2001 retenant sa compétence et rejetant la demande de mesures conservatoires sollicitées.

Le 19 décembre 2002, six griefs ont été notifiés à la Régie dans le cadre d'une procédure simplifiée.

Le 29 mai 2002, le Conseil a considéré que les éléments recueillis ne lui permettaient pas d'être complètement éclairé sur les pratiques dénoncées et a décidé de surseoir à statuer.

Le 3 septembre 2002 une expertise a été ordonnée dans les termes suivants : "L'objectif de la mission est d'apprécier si la Régie pratique des prix prédateurs sur les marchés soumis à concurrence. A cette fin l'expert devra évaluer les coûts de la Régie pour la période 1998, 1999 et 2000, répartir ces coûts par navire, plus particulièrement afin d'apprécier le montant des charges variables et fixes du transport de passagers et déterminer si, pendant la période au cours de laquelle la Régie est en concurrence avec des compagnies privées les prix pratiqués sont inférieurs ou non à ces charges".

L'expert a réintégré dans les charges d'exploitation la différence entre les loyers des bateaux versés au département et leur valeur réelle, les frais d'assurance et les dépenses de grosses réparations. Il a exclu les charges liées aux obligations de service public, il n'a pas remis en question le traitement fiscal de l'activité de la Régie. Il a établi la compte de résultat de la vedette rapide sur les six mois de concurrence en répartissant les charges annuelles entre coûts fixes, répartis pro rata temporis, coûts semi-variables, qui ne sont engagés que si des traversées sont effectuées et varient avec leur nombre, et coûts variables en fonction du nombre de passagers. Il a qualifié de coûts fixes les frais de location des navires. Il a conclu que les prix pratiqués ne permettaient pas à la Régie de couvrir l'ensemble des charges fixes et variables pendant la période estivale.

Le 10 novembre 2003, au vu du rapport déposé le 25 juillet 2003, il a été notifié à la Régie le grief d'avoir abusé de sa position dominante en 1998, 1999 et 2000 et avoir enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce :

- en ayant utilisé une partie des subventions du département pour financer, sur l'Amporelle pendant la période estivale, des prix de vente inférieurs aux coûts totaux et avoir ainsi perturbé durablement le marché ; la Rapporteure a notamment énoncé (pp. 34-35) qu'en 1998, 1999 et 2000, les prix pratiqués pour le transport de passagers sur " L'Amporelle " ne permettaient pas à la Régie de couvrir l'ensemble de ses charges lorsqu'elle était en concurrence avec les compagnies privées, de début avril à fin septembre ; que le déficit de la saison estivale s'est élevé à 1.3 millions de francs en 1998, 1.1 millions de francs en 1999 et 1.2 millions de francs en 2000 ; qu'ainsi la Régie, qui est en position dominante sur le marché du transport de passagers entre l'île d'Yeu et le continent, a utilisé une partie des subventions versées par le département pour équilibrer la gestion d'une activité exercée sur le marché concurrentiel; (...); les prix pratiqués (...) sont insuffisants pour que l'exploitation des entreprises présentes sur le marché soit bénéficiaire ;

- en ayant pratiqué des prix prédateurs pour le transport de passagers ; sur ce point, la Rapporteure énonce, au visa de la jurisprudence dite " Akzo " de la CJCE, que les prix de vente sont supérieurs aux coûts variables, selon l'expertise susmentionnée, et que l'objectif de la Régie était d'empêcher la concurrence, notamment en gardant ses prix bas en toutes circonstances, en interdisant à ViiV d'accoster à Fromentine, en utilisant les ressources des règlements portuaires de Fromentine défavorables aux sociétés de droit privé, en se réservant l'accès aux gares maritimes (ces deux derniers motifs semblant finalement abandonnés à la page 37 du rapport).

Le 23 décembre 2004, le Conseil a décidé qu'il n'était pas établi que la Régie a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

Pour statuer ainsi, le Conseil a retenu pour marché pertinent le transport maritime de passagers entre l'île d'Yeu et le continent, au départ des ports de Fromentine, la Fosse et Saint-Gilles Croix de Vie, entre avril et septembre, par vedettes rapides et par ferries, étant observé que si la substituabilité entre les ferries et les vedettes rapides n'existe pas pour les passagers qui transportent des bagages volumineux ou voyagent avec leurs véhicules lesquels doivent obligatoirement emprunter les ferries, en revanche les deux modes de transport apparaissent suffisamment substituables du point de vue des "escapadeurs", comme le montre le nombre de passagers voyageant sur les ferries en période estivale, comparé à celui de la période hivernale et alors que les tarifs pratiques par la Régie sont identiques sur les ferries et sur la vedette rapide.

Le Conseil a considéré que la Régie détenait sur ce marché une position dominante sur la période 1998-2000, sa part de marché étant en 1998 de 70 % entre début juin et fin septembre.

Il a relevé que "la Régie est chargée d'une mission de service public : le transport des véhicules, des marchandises et des passagers durant la totalité de l'année et selon un rythme minimal de fréquence" et qu'en outre elle "utilise sa vedette l'Amporelle pour offrir des prestations sur le marché concurrentiel du transport estival des passagers sans bagages lourds" de sorte que "la détermination du caractère éventuellement prédateur des prix pratiqués par la Régie sur le marché du transport estival nécessite de déterminer les coûts pertinents supportés par la Régie sur ce marché et de les comparer aux recettes tirées de cette activité".

Retenant que s'agissant d'une entreprise chargée d'une mission de service public et offrant simultanément des prestations sur un marché sur lequel il existe une offre concurrente, et se référant à la décision de la Commission européenne du 20 mars 2001 (COMP/35.141 - Deutsche Post AG), le Conseil a décidé que :

"Le concept de coût pertinent à prendre en compte afin d'évaluer si le prix des prestations offertes en concurrence est abusif est celui du coût incrémental, c'est à dire le coût que l'entreprise ne supporterait pas si elle n'exerçait pas l'activité concurrentielle.

En revanche, les coûts que l'entreprise est obligée d'engager même si elle n'offrait pas de prestations en concurrence, n'ont pas à être couverts par les recettes tirées de cette activité.

Il en est ainsi des coûts fixes communs à la mission de service public et à l'activité concurrentielle".

Le Conseil a considéré que "les coûts incrémentaux qui ne seraient pas engagés par la Régie si elle n'exerçait pas d'activité sur le marché concurrentiel sont les coûts incrémentaux liés à l'exploitation de " L'Amporelle " pendant la période estivale c'est-à-dire ceux qui ne seraient pas supportés si " L'Amporelle " n'effectuait pas de traversées d'avril à septembre".

Au vu des résultats de l'expertise qu'il a corrigés en excluant de ces coûts les loyers mensuels versés au département pour la mise à disposition du navire dont il a relevé qu'il n'était pas surdimensionné par rapport à la mission de service public de la Régie, le Conseil a retenu que : "la Régie a fixé, de 1998 à 2000, les tarifs du transport de passagers sur la vedette rapide " L'Amporelle " d'avril à septembre, à un niveau supérieur à celui des coûts incrémentaux propres à la fourniture de ce service. En conséquence, il n'est pas établi que la Régie a abusé de sa position dominante et tenté d'évincer ses concurrents".

Enfin, relevant que l'activité de la Régie sous monopole est déficitaire et que l'activité de " L'Amporelle " pendant la période estivale couvre les coûts incrémentaux associés à cette activité, le Conseil a retenu qu'il "n'est pas établi que la Régie utilise tout ou partie de l'excédent de ressources que lui procure son activité sous monopole pour subventionner une offre présentée sur un marché concurrentiel".

Par acte du 28 janvier 2005, la société ViiV a formé un recours en annulation et subsidiairement en réformation, contre la décision du Conseil de la concurrence du 23 décembre 2004. Au fond, la société ViiV a principalement soutenu que les subventions que reçoit la Régie sont constitutives d'un abus de position dominante en ce qu'elles servent à couvrir le déficit de son activité concurrentielle ; que la Régie reçoit en outre diverses aides, telles que la prise en charge de loyers, d'assurances ou de réparations par le département, et ne supporte ni la TVA ni la taxe professionnelle ; que les prix pratiqués sont, prédateurs en ce qu'ils sont inférieurs aux coûts totaux.

Par arrêt du 28 juin 2005, la cour a :

- écarté l'exception d'incompétence au profit du Tribunal administratif que revendiquait la Régie DPEV au motif que des prérogatives de puissance publique étaient mises en jeu dans la requête de la société ViiV,

- mais a rejeté le recours de la société ViiV.

Sur le recours, la cour, après avoir décrit le marché pertinent dans les mêmes termes que le Conseil, avoir retenu l'applicabilité du droit interne, et avoir écarté les moyens de procédure dirigés contre l'expertise susmentionnée, a notamment énoncé que :

- La Régie est chargée d'une mission de service public, afin d'assurer la continuité territoriale en toute saison et par tout temps; qu'elle exerce en outre une activité concurrentielle en exploitant sa vedette rapide " L'Amporelle " d'avril à fin septembre ;

- Pour rechercher si les prix pratiqués pour cette activité concurrentielle sont prédateurs, il est nécessaire de déterminer si les recettes en couvrent les coûts, en sachant que la Régie exerce avec des moyens non différenciés et selon des tarifs fixes sur toute l'année, ses missions de service public, à savoir le transport de marchandises, le transport de voyageurs avec de gros bagages ou un véhicule, le transport de voyageurs sans bagages ;

- Le coût incrémental, c'est-à-dire les coûts que la Régie n'exposerait pas si elle n'exerçait pas l'activité concurrentielle, comprend normalement les coûts variables spécifiques à l'activité concurrentielle et une partie des coûts fixes communs à l'activité de service public et à l'activité concurrentielle ; mais en l'espèce, la mission de service public impose des coûts fixes importants, que la Régie devrait engager même si elle n'offrait pas de prestations en concurrence, et qui ne doivent donc pas être pris en compte dans les coûts pertinents de l'activité concurrentielle ;

- La taille de " L'Amporelle " étant commandée, comme l'a énoncé le Conseil d'Etat dans une décision du 30 juin 2004, par les contraintes de la navigation par tous temps et toute l'année ainsi que par les besoins de rapidité de la clientèle hivernale, il n'est pas exact que la Régie exploite ce bâtiment à seule fin de se procurer un avantage pendant la période estivale ; il faut en outre observer que ce navire participe, même en été, à la mission de service public, en cas de forte affluence ou pour offrir des tarifs réduits à certaines catégories de passagers ;

- Ne constituent pas des aides, l'absence d'assujettissement de la Régie à la taxe professionnelle et le fait qu'elle ne règle pas la TVA ;

Du tout, il s'évinçait selon la cour d'appel que la Régie a fixé ses tarifs Passagers sur " L'Amporelle " d'avril à septembre à un niveau supérieur à celui des coûts incrémentaux propres à la fourniture du service.

Par arrêt du 17 juin 2008, la Cour de cassation (chambre CFE) :

- A rejeté un moyen préalable relatif à la compétence prétendue du juge administratif, moyen qui était articulé sur le fondement de l'exercice de prérogatives de puissance publique ;

- A censuré, au visa de l'article 1134 du Code civil, l'arrêt en ce qu'il a retenu dans ses motifs qu'une décision du Conseil d'Etat avait jugé que la taille adéquate de L'Amporelle correspondait aux nécessités de la mission de service public, alors que le Conseil d'Etat ne s'était pas prononcé sur la nécessité pour la régie d'utiliser ce navire afin d'accomplir sa mission de service public ;

- A cassé l'arrêt au visa de l'article L. 420-1 du Code de commerce (visa rectifié par arrêt ultérieur, en " article L. 420-2 ") au motif que " viole les dispositions de (cet article) l'entreprise qui, disposant d'une position dominante assurant une mission de service public, offre des prestations sur un marché ouvert à la concurrence à un prix inférieur au coût incrémental de ces prestations, c'est-à-dire au coût que l'entreprise ne supporterait pas si elle n'exerçait pas l'activité concurrentielle ; pour décider que le coût de la mise en service de L'Amporelle constituait un coût fixe commun à la mission de service public et à l'activité concurrentielle de la Régie, l'arrêt retient encore que le Régie expose que le nombre de passagers que L'Amporelle peut transporter lui permet d'assurer en toutes circonstances les traversées rapides notamment de la population scolaire et étudiante qui rentre sur l'île le mercredi ou les week-end d'hiver ; en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que si elle ne consacrait pas L'Amporelle d'avril à septembre à l'exploitation d'une activité sur un marché ouvert à la concurrence, la Régie, qui disposait par ailleurs de ferries, serait obligée de supporter le coût de L'Amporelle pour assurer ses missions de service public, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ".

La cassation est intervenue "seulement en ce que (l'arrêt d'appel) a rejeté le recours formé par ViiV contre la décision du Conseil de la concurrence".

Au vu de cet arrêt, la société ViiV, en la personne de son liquidateur judiciaire désigné par jugement du 6 juin 2007, a saisi à nouveau la cour d'appel.

Sur quoi

LA COUR,

Vu la décision n° 04-D-79 rendue le 23 décembre 2004 par le Conseil de la concurrence, relativement à des pratiques mises en œuvre par la Régie départementale des passages d'eau de la Vendée ;

Vu l'arrêt de la cour d'appel de céans (1re ch., sec. H) du 28 juin 2005 ;

Vu les arrêts de la Cour de cassation (Chambre CFE) des 17 juin et 14 octobre 2008 (pourvoi n° 05-17.566);

Vu la déclaration de saisine de la Cour d'appel de Paris après renvoi de cassation, enregistrée au greffe le 12 novembre 2008 et faite par Maître Marcel Pelletier, en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Vedettes Inter-Iles Vendéennes, ayant son siège à Bartatre (Vendée) ;

Vu le mémoire déposé par le même le 16 février 2009 à l'appui du recours en annulation et réformation ;

Vu le mémoire déposé sur ce recours le 11 mars 2009 par la Régie départementale des passages d'eau de la Vendée ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 27 avril 2009 par Maître Pelletier, susnommé ;

Vu les observations écrites de la ministre de l'Economie, enregistrées le 8 avril 2009 ;

Vu les observations de l'Autorité de la concurrence, légalement substitué au Conseil de la concurrence, déposées le 8 avril 2009 ;

Vu les observations de Monsieur le Procureur Général, déposées le 12 mai 2009 ; Ouïes les parties, le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui de la ministre chargée de l'Economie et Monsieur l'Avocat général, en leurs observations à l'audience du 19 mai 2009 ;

I - Sur la compétence principale du Conseil de la concurrence et de la cour à sa suite

Considérant que la Régie DPEV énonce que la Cour de cassation, si elle a explicitement rejeté le moyen d'incompétence tiré de l'exercice d'une prérogative de puissance publique, a réintroduit dans ses motifs, sinon dans son dispositif, la question de la compétence du juge administratif ;

Qu'en effet, elle a sanctionné la lecture faite par la cour d'appel de l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 30 juin 2004, et a contraint ainsi, au visa de l'article 1134 du Code civil la cour de renvoi à déterminer si " L'Amporelle " était indispensable à l'exécution d'une mission de service public ; que sur une telle question, qui est différente de celle des prérogatives de puissance publique de fixation des tarifs et qui est devenue le centre du débat, la compétence administrative s'impose ;

Que Madame la ministre chargée de l'Economie relève que dans son précédent arrêt, la cour d'appel a estimé qu'en déterminant ses prix, la Régie n'exerce aucune prérogative de puissance publique et qu'il lui faut réitérer cette juste analyse ; que si la cour de renvoi estimait qu'il faut, comme le soutient la Régie, examiner maintenant les modalités mêmes d'exécution des missions de service public, alors la compétence du juge administratif s'imposera ; qu'en toute hypothèse, une question préjudicielle adressée au Conseil d'Etat paraît inévitable ;

Mais considérant que selon l'article L. 410-1 du Code de commerce, les règles définies au livre IV de ce Code, relatif à la liberté des prix et de la concurrence, s'appliquent à tous les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public ; que dans la mesure où elles exercent de telles activités, et sauf en ce qui concerne les décisions ou actes portant sur l'organisation du service public ou mettant en œuvre des prérogatives de puissance publique, ces personnes publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la concurrence agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire (TC 4 avr. 2009, Gisserot) ;

Considérant que la Cour de cassation, dans l'examen de la troisième branche du premier moyen, censure la cour d'appel pour avoir dénaturé les termes ou la portée d'une décision rendue par le Conseil d'Etat le 30 janvier 2004 ; que cette décision du Conseil d'Etat du 30 janvier 2004, utilisée par le Conseil puis lors des premiers débats devant la présente cour, statue exclusivement sur le régime des accostages, stationnements, débarquements et embarquements, et répond à une saisine visant uniquement le " règlement d'utilisation des installations portuaires de Fromentine " ;

Que le Conseil de la concurrence était quant à lui saisi par lettre du 28 mars 2001 de la ViiV, qui soutenait que la Régie a abusé de la position dominante qu'elle occupe sur le marché du transport maritime de passagers en période estivale, et qui priait le Conseil d'examiner les tarifs susceptibles de constituer le mode d'abus de la position dominante qu'elle dénonçait ;

Que l'objet de la saisine du Conseil en son temps et de la cour maintenant, tient donc tout entier dans une pratique anticoncurrentielle ou prétendue telle, définie aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5 du Code de commerce ou relevant des dispositions prévues aux articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ;

Considérant que, s'agissant de l'exercice de prérogatives de puissance publique, première nuance introduite par l'arrêt précité du Tribunal des conflits, le pourvoi a été expressément rejeté tant dans les motifs de l'arrêt du 17 juin 2008 que par une mention expresse et générale du dispositif; que dès lors, les énonciations de l'arrêt de la cour d'appel du 28 juin 2005 sur ce point sont définitives et ne peuvent être réexaminées dans la présente décision : " S'agissant des transports en vedette rapide assurés pour la période pendant laquelle existe une offre concurrente, la Régie n'exerce aucune prérogative de puissance publique en déterminant ses prix alors qu'il n'est pas contesté qu'elle a la liberté de les fixer ; le Conseil, saisi de pratiques liées à l'exploitation de la vedette rapide de la Régie en sus de ses ferries, afin de transporter les passagers dépourvus de bagages pendant la période d'avril à fin septembre, alors qu'il existe des offres concurrentes d'autres compagnies s'est à bon droit déclaré compétent pour rechercher si cette exploitation ne contrevient pas aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce " ; autrement dit si la rédaction du cahier des charges de la Régie, notamment l'énoncé des principes directeurs de la tarification et du subventionnement, est incontestablement une de ces prérogatives, la fixation détaillée et périodique des tarifs chiffrés de passage des personnes, véhicules et marchandises, en considération des décisions de même nature prises par les concurrents de droit privé, relève quant à elle de la seule gestion d'entreprise, qu'elle soit publique ou privée ;

Que si les acquisitions de navires ont certainement été des décisions d'organisation du service public, seconde limite apportée à la compétence du Conseil et de la cour d'appel par la jurisprudence du Tribunal des conflits, et n'ont pas fait l'objet d'une analyse expresse de la Cour de cassation dans son arrêt du 17 juin 2008, en revanche force est de constater qu'aucune décision du Conseil général de la Vendée relativement à l'acquisition de " L'Amporelle " n'a donné lieu à une saisine de la juridiction administrative par la société ViiV ; que dès lors, les décisions de ce Conseil général sont acquises aux débats de la cour en tant que faits de la cause ;

Que du tout, il s'évince, conformément au même arrêt de conflit, que la compétence du Conseil de la concurrence sous le contrôle de la Cour d'appel de Paris s'impose, sauf, le moment venu et s'il le faut, à poser une question préjudicielle au juge administratif ;

II - Sur la qualité du liquidateur judiciaire pour agir

Considérant que compétente pour examiner le recours, la cour doit et peut examiner la fin de non-recevoir soulevée par la Régie ;

Considérant que sur ce point, la Régie DPEV, après avoir avancé que la société requérante mène à grands frais et aux dépens de son activité commerciale, un combat judiciaire de pur principe, expose que la cour d'appel de renvoi devrait déclarer le liquidateur judiciaire irrecevable, car il n'a pas qualité pour exercer une action qui n'est pas relative à un droit patrimonial de la société ViiV (cf Cons.Conc., 99-D-25, 00-D-91 ou 04-D-26) ;

Que le liquidateur de la société ViiV, se réfère à l'arrêt de cassation et renvoi, qui donne acte à ce liquidateur d'un droit d'occuper à la procédure ;

Mais considérant en tout état de cause, que la classification des actions dans la catégorie patrimoniale ou dans la catégorie extrapatrimoniale, n'est adéquate que pour déterminer l'étendue des prérogatives subsistantes du débiteur liquidé, en l'espèce la société ViiV ;

Que pour fixer l'étendue des prérogatives du liquidateur judiciaire, il faut distinguer les actions fondées sur un droit exclusivement attaché à la personne du débiteur, dont l'exercice est naturellement réservé à celui-ci et celles qui ne présentent pas cette caractéristique et qui sont ouvertes au liquidateur, même si leurs effets patrimoniaux ne sont qu'indirects ou éventuels ;

Que la poursuite d'une action devant l'Autorité de la concurrence ou devant la Cour d'appel de Paris sur recours, n'est pas exclusivement attachée à la personne, notamment en ce qu'elle ne relève pas des articles 1 à 515 du Code civil, ni explicitement ni implicitement, non plus que du Code de procédure pénale ;

Que la fin de non-recevoir soulevée par la Régie est donc injustifiée ;

III - Sur la pratique de prix prédateurs

Considérant que dans son mémoire du 16 février 2009, le liquidateur de la société ViiV demande à la cour :

- De censurer la décision du Conseil en ce qu'elle s'est référée à la décision du Conseil d'Etat du 30 juin 2004, énonçant que la taille de L'Amporelle était nécessaire pour exercer la mission de service public de la Régie ;

- De censurer la décision du Conseil de la concurrence en ce qu'elle a délaissé tout examen de " l'effet d'éviction " des pratiques tarifaires, l'évaluation (ou " test ") des coûts n'étant qu'un des moyens de présumer la prédation ; en l'espèce, même si le tarif de la Régie est superieur au coût incrémental, il est inférieur aux coûts moyens totaux (ou complets) et il n'est pas d'autre raison à cette pratique que l'éviction des concurrents, ici ViiV ;

- De se référer pour se convaincre de cette anomalie, aux avis concordants de la Chambre régionale des comptes en 1997, de la DDCCRF de Nantes en 2001, de l'expert commis par le Conseil de la concurrence en juillet 2003, des rapporteurs du Conseil dans leurs notifications de griefs de décembre 2001 et novembre 2003 et dans leur rapport définitif d'avril 2004, et même à l'aveu qu'en a fait la Régie lors de l'expertise ;

- De constater qu'à partir de 2005, les concurrents de la Régie ont été effectivement évincés, ViiV étant elle-même désormais liquidée, et que la Régie a pu immédiatement augmenter ses tarifs et même réduire ses capacités d'embarquement et rigidifier ses horaires ;

- De censurer la décision du Conseil de la concurrence en ce qu'elle n'a pas évalué correctement le coût incrémental, puisqu'elle a retenu, au rebours de la décision de la Commission européenne du 20 mars 2001 " UPS c/ Deutsche Post ", l'indivisibilité des coûts fixes au prétexte qu'ils seraient communs aux activités sous monopole et aux activités concurrentielles ; le Conseil aurait dû au moins imputer les coûts fixes de L'Amporelle proportionnellement aux charges de service public et aurait en conséquence constaté un déficit de 1,2 millions de francs en 1998 et des sommes avoisinantes en 1999 et en 2000 ;

- De censurer la décision du Conseil en ce qu'elle écarte les subventions - et autres allégements de charges par la collectivité -, de l'analyse de la position dominante ; il est résulté de ces subventions et allégements de charges un excédent de ressources provenant de l'activité de service public, qui a servi à développer une activité sur le marché concurrentiel ;

- En somme, d'annuler la décision critiquée et évoquant, de réformer en jugeant que la Régie a abusé de sa position dominante ;

Considérant qu'en réponse, la Régie DPEV, affirme que :

- la notion de marché pertinent n'a pas été correctement analysée par le Conseil car les prestations mises en concurrence sont en réalité différentes ;

- la notion de position dominante n'a pas été correctement analysée par le Conseil car le plus gros des transporteurs en concurrence, pendant la saison touristique, sur la période considérée, a été ViiV ;

- l'expertise sur laquelle s'est fondé le Conseil n'a pas répondu à la mission confiée par le Rapporteur, mission elle-même différente de celle que demandait le Rapporteur général et plus encore de celle qu'attendait le Conseil ; l'expert s'est en outre émancipé du principe contradictoire à plusieurs reprises ;

- au fond, sur les prix prédateurs, la Régie relève qu'elle a très peu varié ses tarifs au cours des années, alors que la ViiV les a modifiés constamment (tableau comparatif page 27 des conclusions), sans référence aucune aux conditions d'embarquement ;

- la mission de service public est incontestable dans sa nécessité vu la carence de l'initiative privée pendant la mauvaise saison ; incontestable dans sa légalité (loi LOTI de 1982, art. L. 1411-12 et L. 3334-11 CGCT et avis Cons. conc. 9 juin 1999) ; et indiscutable dans son contenu, défini par le département. Le tableau de service de L'Amporelle démontre que ce navire était une acquisition nécessaire, aux termes de plusieurs délibérations du Conseil général de la Vendée, pour assurer la mission susdite ;

- en situation concurrentielle (période touristique), l'adaptation aux horaires de marée et aux besoins spécifiques des autochtones rend L'Amporelle, vu sa rapidité et son faible tirant d'eau, indispensable ;

- la notion de prix prédateur ne peut pas être déterminée par rapport aux charges de loyers, comme l'a fait l'expert, mais doit inclure l'ensemble des couts ;

- il n'est fait aucune démonstration d'une stratégie d'éviction de la part de la Régie ; inversement, la ViiV est très critiquable dans sa gestion, qui est à l'origine de sa déconfiture ;

- réciproquement, le département de la Vendée compense, très normalement, les charges ou "contraintes" de service public de la Régie, selon délibérations régulières (dernière en date : 8 décembre 2000), qui se basent sur le nombre de voyages non rentables faits par les navires de la Régie ; quant aux grosses réparations et assurances, elles sont très normalement assumées par le propriétaire des navires, le département ;

Considérant que Madame la ministre chargée de l'Economie a déposé des observations écrites, pour indiquer que les conditions posées par la Commission européenne (notam., 21 juin 2001, Tirrenia di navigazione) pour une compensation des charges de service public qui pèsent sur la Régie sont réunies, que la Conseil de la concurrence était donc fondé à statuer comme il l'a fait, par référence à la couverture des coûts incrémentaux, notamment aux paragraphes 105 et 106 de la décision critiquée ;

Que cependant, la ministre estime que le Conseil eût pu suivre une méthode plus rigoureuse de transposition de la décision " Deutsche Post ", spécialement quant à sa conception très extensive des coûts fixes, car les opérateurs chargés d'une mission de service public pourraient développer systématiquement des capacités excédentaires et échapper, selon le raisonnement du Conseil, à tout reproche de prédation ;

III a - Marché pertinent en présence d'un SIEG

Considérant qu'aux termes de l'article L. 420-2 du Code de commerce, est prohibée l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ;

Considérant que le traité instituant la Communauté européenne interdit à une entreprise dominante d'éliminer un concurrent et de renforcer ainsi sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent de la concurrence par les mérites ; que dans cette perspective, la concurrence par les prix ne peut pas toujours être considérée comme légitime ;

Considérant que la position dominante peut, selon plusieurs avis (n° 99-A-11) ou décisions (00-D-47 du 22 nov. 2000, EDF ; 00-D-50, 5 mars 2001, ...) du Conseil de la concurrence, découler d'une situation de monopole, de fait ou de droit ;

Considérant que l'examen d'une attitude de prédation, quelle que soit l'analyse juridique et économique menée à son sujet, impose la définition du marché pertinent dans lequel s'exercent les activités concurrentes ;

Que ce marché est le cadre dans lequel le juge détermine les parts des différents concurrents, compare les produits ou services, enfin applique la notion fonctionnelle et concrète d'abus, en l'occurrence de prix prétendument bas ;

Considérant que selon une jurisprudence constante rappelée pour la période immédiate par le TPI des Communautés européennes (arrêt du 30 janv. 2007, aff. T-340-03, France Telecom c/ Commission, parag. 78 ; pourvoi rejeté par CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-202-07 P), les possibilités de concurrence doivent être appréciées dans le cadre du marché regroupant l'ensemble des produits ou services qui, en fonction de leurs caractéristiques, sont particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et sont peu interchangeables avec d'autres produits ou services ; qu'en outre, étant donné que la détermination du marché en cause sert à évaluer si l'entreprise concernée a la possibilité de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective et d'avoir un comportement, dans une mesure appréciable, indépendant de celui de ses concurrents, on ne saurait à cette fin se limiter à l'examen des seules caractéristiques objectives des services en cause, mais il convient également de prendre en considération les conditions de la concurrence et la structure de la demande et de l'offre sur le marché ;

Que de même, la Commission, dans une communication sur la définition du "marché en cause" en droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5, point 7), énonce qu'un marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et l'usage auquel ils sont destinés ;

Considérant que cette recherche du " marché pertinent ", préalablement à toute définition d'une position dominante et à toute comparaison des prix, prend, lorsque comme en l'espèce le concurrent accusé d'abus de position dominante est un service économique d'intérêt général, un relief particulier ;

Considérant qu'en effet, et à titre de remarque générale, le fait de fournir un service public crée une présomption de position dominante ; qu'en effet, si l'ouverture à la concurrence d'un marché jusqu'alors totalement monopolistique, entraîne une perte de parts de ce marché pour l'opérateur chronologiquement premier, ce dernier conserve sauf exceptions un rôle symbolique auprès de la clientèle, dispose avant ses concurrents d'infrastructures appropriées et souvent déjà amorties, et peut - telle la Régie pendant la période hivernale - demeurer de fait la seule entreprise active dans tel ou tel cas, et apparaître pour la clientèle comme l'opérateur de droit commun ;

Que cette présomption n'a de sens que si le marché pris en considération inclut les périodes, les modalités et autres circonstances de l'activité de service public ; que réciproquement, il n'est ni juste ni rationnel de retenir contre un service d'intérêt économique général l'imputation, juridiquement désavantageuse, de position dominante sur la seule période ou dans les seuls lieux ou bien avec les seuls moyens de l'exercice en concurrence, en omettant les charges que constituent, - le plus souvent jusqu'au déficit chronique -, le temps, le lieu, l'objet et les moyens de l'exercice en monopole (de droit ou de fait) ; qu'une telle démarche systématique rendrait irréfragable, par le biais d'une segmentation imaginaire du marché, la présomption de position dominante ;

Considérant qu'en somme, la segmentation du marché, démarche intellectuelle indispensable pour dessiner les contours d'un marché pertinent, prend une dimension spécifique en présence d'un SIEG ;

Que pour vérifier la validité de cette segmentation, il est notamment permis de s'assurer que les coûts de l'activité sur le marché invoquée peuvent être calculés de manière plausible ;

III b - Détermination et fractionnement des coûts du SIEG pour qualifier la prédation par les prix sur un marché peu segmenté

Considérant que dans une conception élargie du marché pertinent les coûts sont nécessairement abordés de manière peu fractionnée ;

Considérant qu'autrement dit la prédation par les prix est un grief qui, s'il est dirigé contre un SIEG, requiert du Rapporteur la preuve des coûts réellement exposés par ce service pour exploiter le marché prédéfini comme pertinent ;

Que cette détermination des coûts du SIEG doit se doubler d'une possibilité de les fractionner dans l'exacte mesure où le marché pertinent sera segmenté ;

Considérant que la Commission a sur ce point statué (20 mars 2001, Deutsche Post Comp/35.141) dans le cas d'une entreprise disposant d'un "domaine réservé" (ce qui semble pouvoir s'entendre comme un secteur d'activité de caractère monopolistique ou quasi-monopolistique), le plaignant affirmant que les recettes tirées de cette activité ne doivent pas servir à financer des ventes ou services à perte dans le secteur concurrentiel (mécanisme dit de " subventions croisées ", décrit parag. 3 et 5 et de la décision de la Commission) ;

Que précisément la décision du 20 mars 2001 pose en règle (parag. 6 et 7) que pour être répréhensible, le mécanisme des subventions croisées suppose, d'une part, que les produits d'un service donné ne permettent pas de couvrir les coûts incrémentaux propres à ce service et, d'autre part, qu'il existe un service ou tout un domaine d'activité de l'entreprise dont les produits dépassent les " coûts de fourniture isolée " ; que l'excédent de couverture des " coûts de fourniture isolée " indique la source des subventions croisées et le déficit de couverture des coûts incrémentaux la destination (des subventions) ; que dans le cas de Deutsche Post, le domaine réservé constitue une source durable de financement, (dont la totalité des produits) dépassent ses " coûts de fourniture isolée " ; que dès lors, pour déterminer si les coûts incrémentaux propres aux prestations en concurrence sont couverts, il convient d'établir une distinction entre les coûts additionnels propres aux prestations, qui découlent uniquement de la fourniture de ce service, et les coûts fixes communs, qui ne sont pas imputables à ce service seulement ;

Qu'autant que de besoin, la Commission précise en notule numéro 7 la définition qu'elle donne des coûts incrémentaux : " coûts qui ne sont liés qu'à un seul service ; les coûts fixes qui ne sont pas liés qu'à un seul service, dits coûts fixes communs, ne sont pas des coûts incrémentaux ; les coûts fixes communs ne disparaitraient que si l'entreprise cessait de fournir tous ses services " ; que cette définition apparaît plutôt restrictive, comparée à celle que donne la littérature économique de différence entre le profit d'une entreprise en concurrence et le profit d'une entreprise en concurrence astreinte à un service universel ;

Que plus loin, la Commission explique comment ces notions s'appliquent spécialement à un service d'intérêt économique général (parag. 8 à 10) ; qu'à ce sujet, la Commission admet qu'un SIEG conserve une capacité de réserve suffisante pour couvrir à tout moment des pointes d'activité dans le respect des critères qualitatifs légaux ; qu'il faut donc distinguer les coûts communs de maintien des capacités et les coûts incrémentaux propres aux prestations ; que ceux-ci, dans le cas de Deutsche Post, résultaient uniquement de la fourniture d'un service au-delà du simple service de guichet ;

Que ces énonciations de la Commission sur les coûts du SIEG imposent, comme le démontre d'ailleurs l'hypothèse de " Deutsche Post " sur laquelle a porté sa décision, une segmentation plausible, à la fois économiquement et juridiquement, du marché, pour permettre de dessiner les contours du " marché pertinent " ;

Que cette segmentation ne pose pas de difficultés insurmontables lorsqu'une entreprise en position de monopole ou disposant en tout cas de ce que la Commission dénomme le " domaine réservé ", y ajoute une activité d'une nature nouvelle en concurrence directe avec des entreprises de pur droit privé, ce qui était le cas de la Deutsche Post, monopolistique sur la distribution " historique " de courrier mais désireuse de concurrencer UPS sur la distribution " nouvelle " de colis spéciaux ; que la segmentation est autrement plus hasardeuse lorsque comme dans le cas de la régie le service public exerce exactement la même activité, dans les mêmes lieux et toute l'année, la variable étant l'irruption de la concurrence de droit privé dans certaines de ces circonstances seulement ;

Considérant que pour sa part, la Cour de justice européenne a énoncé (5e ch., 3 juill. 1991, C-62-86, Akzo c/ Commission) que des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables (c'est-à-dire à ceux qui varient en fonction des quantités produites) par lesquels une entreprise dominante cherche à éliminer un concurrent doivent toujours être considérés comme abusifs ; que par ailleurs, des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, qui comprennent les coûts fixes et les coûts variables, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables, doivent être considérés comme abusifs lorsqu'ils sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent ;

Que ces bases d'évaluation ont vraisemblablement été celles de l'expert Nussenbaum ; qu'elles auraient dû reposer sur une analyse, relativement complexe, des données bilancielles, là où la méthode " Deutsche Post " se contente d'un examen plus élémentaire du compte de résultat, qui peut au besoin être ramené à une période courte, telle qu'un mois ou une saison prédéfinie ;

Mais considérant que le recours à ces critères ou tests, éventuellement approprié lorsque deux entreprises de droit privé sont en concurrence sur un même marché bien identifié, est très difficilement transposable lorsque l'entreprise en position dominante est un service d'intérêt économique général, qui reçoit des aides d'Etat au sens du traité (ce qui inclut les subventions départementales) et dont les " coûts moyens " sont en bonne part irréels ;

Qu'en effet, le versement de subventions d'équilibre, mécanisme en vigueur pour la régie pour la période considérée, soldées en fin d'exercice annuel de sorte de parvenir à un résultat comptable neutre ou positif, permet à elle seule, comme l'indique la Rapporteure elle-même dans la notification de griefs (page 35) et comme le laisse entendre la ministre chargée de l'Economie dans ses écritures, d'équilibrer de toute manière la gestion, de compenser au besoin tous les déficits d'exploitation, de pratiquer durablement une politique de prix bas à destination de tout ou partie de la clientèle ; qu'autrement dit, la gestion d'un service public ne répond pas, en tout cas structurellement, aux priorités d'économies, qui s'imposent au dirigeant d'entreprise privée, doit d'ailleurs répondre aux exigences de continuité et au vœu de qualité du service public, et peut conduire, si l'autorité publique de financement est assez généreuse, à augmenter régulièrement les salaires, à fournir des prestations attractives aux yeux des usagers, à investir dans des actifs nouveaux sans augmenter immédiatement les prix, à amortir plus rapidement les matériels que ne le ferait un entrepreneur de droit privé, en somme à favoriser l'usager aux dépens du contribuable ;

Qu'ainsi, les calculs de coûts entre concurrents sont faussés d'emblée, les deux modes de gestion étant sans aucun rapport entre eux sur un plan économique et les données de la comptabilité d'un service public et de la comptabilité d'une société commerciale n'étant nullement comparables, sinon de manière superficielle ;

Que d'ailleurs, dans un arrêt du 24 juillet 2003 (aff. C-280-00, Altmark), la même Cour de justice européenne a dû aborder autrement - sous l'angle des " aides d'Etat " - la question du tarif des services d'intérêt économique général et qu'à leur tour, les instances normatives de l'Union ont en bonne part transposé les préconisations de la Cour dans des décisions caractéristiques (21 déc. 2005, Banque Postale) puis lors de la mise au point du paquet " Monti-Kroes " relatif aux SIEG en application de l'article 87 du traité (régl. CE n° 1998-2006 du 15 déc. 2006 ; circ. Min. int., 4 juill. 2008, BO. 800133.C) ;

Considérant enfin qu'à supposer que les tests " Akzo " , c'est-à-dire les coûts moyens (variables, totaux), soient sérieusement évaluables nonobstant le mécanisme particulier de la subvention d'équilibre, ils le seront presque nécessairement sur des exercices annuels globaux, qui sont le cadre normal de l'aide d'Etat, sans possibilité de segmentation géographique, chronologique ou autre, sinon par l'effet d'une règle de trois dont l'artifice n'échapperait pas à la critique ;

Considérant qu'en somme, les tests " Akzo " et " Deutsche Post ", s'ils n'obéissent manifestement pas aux mêmes notions comptables et économiques et ne sont ni l'un ni l'autre les instruments adéquats pour répondre aux questions de l'espèce, montrent en tout cas la nécessité d'une définition appropriée du marché pertinent, aussi peu segmentée que possible dès lors qu'un SIEG est en cause, en lien avec une évaluation plausible des coûts ;

III c - Segmentation artificielle en l'espèce

Considérant qu'en l'espèce ici jugée, la segmentation du marché, pratiquée tour à tour par la Rapporteure du Conseil de la concurrence dans sa notification de griefs, puis par le Conseil lui-même dans sa décision, enfin par la cour d'appel dans son arrêt cassé, ne paraît pas pouvoir être opérée ;

Considérant qu'en effet, la segmentation n'est plausible ni par la chronologie, ni par la nature des services proposés, ni par le type de moyens (ici, de navires) utilisés ;

Considérant que, s'agissant d'une segmentation par la chronologie, autrement dit d'une distinction opérée entre une saison d'hiver et une saison d'été (" début octobre ", " fin mars ") elle a été retenue d'office dans la notification de griefs du 10 novembre 2003 ;

Que pourtant, elle ne procède fondamentalement que d'un libre choix des transporteurs de naviguer ou pas avant et après ces dates puisqu'il n'existait pas de monopole légal ni d'activité " réservée ", au sens de la décision Deutsche Post, à la Régie non plus qu'aux opérateurs concurrents ;

Qu'elle n'a été reprise, dans un règlement portuaire - qui sera au demeurant jugé nul par le tribunal administratif compétent - qui a régi l'accès aux pontons de Port-Joinville, qu'en considération des ambitions concrètes des prestataires de pur droit privé ; que si ces ambitions avaient été plus larges, et avaient par exemple englobé la période plus difficile de navigation en hiver, ce règlement aurait été nécessairement refait ; qu'autrement dit, si ce règlement portuaire a pu conforter quelque temps le monopole de fait de la Régie entre octobre et mars, il ne pouvait déterminer une "période réservée" et rendre ce monopole objectif et stable;

Que la segmentation chronologique retenue ne correspond d'ailleurs à rien dans le calendrier civil ou scolaire ;

Qu'elle ne recouvre pas davantage de différences dans le service rendu, qui doit être assuré continûment, y compris en cas de mauvais temps ou pour très peu d'usagers ;

Que cette segmentation opère une distinction entre " clients d'hiver " et " clients d'été ", dont on sait qu'elle est fausse puisque l'île accueille des résidents secondaires en toute saison et que réciproquement, les islais se rendent sur le continent pour affaires ou pour leurs loisirs toute l'année ;

Qu'en somme, les notions centrales de la décision " Deutsche Post " de " coûts fixes communs (à plusieurs activités) " et de " coûts de fourniture isolée " n'ont pas de sens économique pour la Régie dans les circonstances d'espèce ;

Considérant maintenant, s'agissant d'une segmentation par la nature des services proposés, autrement dit selon qu'il s'agit de passagers, de marchandises, de véhicules, ou s'agissant d'une segmentation par nature de clientèles, autrement dit selon qu'il s'agit d'islais ou de continentaux, d'adultes ou de scolaires, ou toute autre distinction du même genre, la Rapporteure puis le Conseil lui-même y ont renoncé ;

Considérant enfin, s'agissant de la segmentation par type de moyens utilisés, autrement dit d'une distinction opérée entre le marché de " L'Amporelle " et celui des autres navires, qu'elle conduit, comme l'a suggéré la Cour de cassation dans son arrêt du 17 juin 2008, à ignorer l'existence des ferries ;

Que la notification des griefs du 10 novembre 2003 se contente à ce sujet d'un énoncé ainsi rédigé, non sans approximations de fait ou de droit et contradictions : " En ce qui concerne les ferries et les vedettes rapides, l'offre est différente, monopole de la régie sur les ferries, concurrence sur les vedettes rapides, le service rendu est différent et les passagers qui voyagent sans véhicule ou avec peu de bagages préfèrent probablement les vedettes rapides ; malgré ces différences, les ferries et les vedettes rapides peuvent être considérées comme suffisamment substituables pour les passagers, pour être sur le même marché ; en effet, les passagers choisissent la plupart du temps un horaire de bateau et non une catégorie de bateau donnée ; ils doivent d'ailleurs obligatoirement utiliser les ferries les jours où les vedettes rapides ne circulent pas ou sont complètes " ; que d'ailleurs, dans le corps du rapport (page 35), le marché est finalement décrit comme " celui du transport de passagers entre l'île d'Yeu et le continent " ; quant au Conseil, bien qu'il renonce expressément à cette approche dans son analyse du marché pertinent (parag. 88), il y recourt finalement (parag. 100 à 103) pour poser en règle que les coûts incrémentaux qu'il cherche à identifier sont tous liés à l'exploitation de " L'Amporelle " ; que le consultant David Spector, interrogé par la société ViiV, procède de même à l'analyse du sort de " L'Amporelle ", isolée des autres moyens de la Régie ;

Qu'autrement dit, il n'est pas exagéré d'énoncer que la segmentation par le type de moyens utilisés n'a pas été la même d'un bout à l'autre de la procédure, ce qui traduit un doute dirimant sur sa viabilité ;

Considérant qu'il n'est donc que la segmentation géographique (faire un sort à part à la desserte depuis la ville des Sables d'Olonne, nettement plus distante) qui apparaisse plausible et qui d'ailleurs a été retenue par le Conseil ; que cependant, aucun des griefs articulés contre la Régie n'est relatif à ce port ;

Considérant que de ce qui précède, il se déduit que la cour ne retrouve pas la preuve que la Régie ait bénéficié sur un marché pertinent clairement et rationnellement défini, d'une position qui serait conséquemment dite " dominante ", ni qu'elle ait abusé de cette position selon un examen fiable des coûts engagés pour exploiter ce marché ;

Qu'il ne pouvait lui être reproché d'avoir enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce, en ayant pratiqué des prix prédateurs pour le transport de passagers, ou en ayant utilisé une partie des subventions du département pour financer, sur l'Amporelle pendant la période estivale, des prix de vente inférieurs aux coûts totaux et avoir ainsi perturbé durablement le marché ;

Que dès lors, la cour rejettera le recours engagé par la société ViiV contre la décision du 23 décembre 2004 qui avait, à juste titre et serait-ce pour de tous autres motifs, écarté les griefs notifiés par la Rapporteure à la Régie ;

IV - Sur les demandes accessoires

Considérant que succombant en son recours, la société ViiV conservera la charge de ses dépens ;

Que la Régie, succombant en son exception principale d'incompétence, ne recevra pas non plus répétition de ses dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, Se déclare compétente ; Déclare recevable l'action de Me Pelletier ès qualités de liquidateur judiciaire de la société à responsabilité limitée Vedettes Inter-Iles Vendéennes ; Rejette le recours formé par la société à responsabilité limitée Vedettes Inter-Iles Vendéennes, prise en la personne de son liquidateur judiciaire Maître Pelletier ; Dit que la société à responsabilité limitée Vedettes Inter-Iles Vendéennes prise en la personne de son liquidateur judiciaire Maître Pelletier, et la Régie Départementale des Passages d'Eau de la Vendée conserveront la charge de leurs dépens.